Catégorie : la Musique

Le Journal en Musiques d’un Solitaire Sociable et Patati et Patata…

  • Un très beau Noël à toustes

    Un très beau Noël à toustes

    Quelle année, quel besoin de faire une pause, de suspendre un peu le temps… Le coronavirus a monopolisé nos vies, notre attention, nous a effrayé quand il n’a pas fauché la vie de nos proches. Il a fauché l’emploi de million d’entre nous et souvent parmi les plus exposés à la fragilité sociale, il a appauvri, il a blessé.

    Quelle année. Par une belle journée, à Beyrouth, les hommes, les femmes, les enfants et les adultes vaquaient à leurs occupations, la vie était dure déjà, la corruption gangrenait la vie, le quotidien, mais on espérait un changement, on manifestait, on tentait de faire face, et puis sur le port est venue une explosion effroyable qui a défiguré la ville et la vie à jamais, fauchant des milliers sur son passage et détruisant tout pour ne plus laisser qu’un cratère sur la plaie béante qu’est devenue la ville. Une explosion due à la corruption, à l’incurie mais qui s’est abattue sur une population fatiguée d’être en colère et d’avoir en plus à affronter ce désastre presque pire que ne le fut la guerre civile autrefois. Une guerre, on sait, mais ça…

    Quelle année. En France le tour de vis autoritaire a poursuivi sa course inexorable. En Algérie, un pouvoir requinqué par une farce « électorale » qui n’a de relation avec les élections que par son issue, a profité de la crise sanitaire pour écraser la contestation, emprisonner, bâillonner.

    Quelle année. Pour les Ouïgours, pour les Palestiniens, pour les Yéménites, l’oppression s’est renforcée dans l’indifférence totale des opinions publiques des grandes puissances qui arment les tyrans et commercent avec eux tout en donnant ici et la des certificats de bonne moralité. On a vu Emmanuel Macron recevoir le tyran Egyptien Sisi sur lequel on pourrait commencer s’il n’a pas décidé de prendre exemple en matière de répression.

    Quelle année, et quelles incertitudes devant nous, dans les jours, dans les semaines et dans les mois qui viennent, dans les années à venir quand on sait qu’à ce tableau s’ajoutent une crise climatique certaine et un effondrement économique sur lequel chaque jour de gagné ajoute à la profondeur. Et que dire de la cure d’austérité que les gouvernements nous infligeront une fois le coronavirus passé. Ils privatiseront tout « pour rembourser la dette », la Grèce a été le laboratoire de l’ingénierie sociale des années 2020, mais qu’importe, pour la classe moyenne ayant prospéré sous les auspices du télétravail, il restera encore quelques miettes d’illusions avant le grand saut dans l’inconnue économique et politique.

    Les démocraties ne survivent pas à la violence sociale.

    Quelle année, quel billet…

    On raconte qu’il y a de cela deux millénaires est né un enfant dans une étable, et que devant lui trois Rois se sont inclinés, qu’ils lui ont fait des cadeaux, et que cet enfant portait une promesse, il laverait les fautes et pardonnerait tout le mal qu’on lui ferait, libérant ainsi les hommes et les femmes qui suivraient son exemple du pêché originel.

    On raconte qu’à sa naissance, sa mère connaissait tout destin de cet enfant.

    Au fil des ans, à cette histoire se sont mêlées des légendes, celle d’un vieux bonhomme faisant des cadeaux aux enfants en passant par les cheminées, et puis s’est ajoutée cette tradition de rassembler toute la famille. Cette tradition s’est diffusée tout autours du globe, parfois par la Foi, parfois par la force aussi, mais de nos jours, la célébration de cette naissance crée un temps de repos, de réflexion et un temps d’amour qui rassemble divers religions et touche jusqu’aux plus athées qui y retrouvent les yeux brillants de leur enfance.

    En cette journée de Noël, je vous souhaite à tous, à toutes, une très heureuse journée. Puissiez vous y trouver le réconfort, l’amour, la tendresse, la compassion et la beauté que la naissance d’un enfant nous inspire, car l’enfant est la promesse de la vie, la promesse que peut-être, au delà du temps qui parfois nous déchire, la vie finit toujours par triompher sur la mort.

    Très joyeuses fêtes à toustes.

  • Nous en étions où…?

    Nous en étions où…?

    L’année s’achève… Une année longue, éprouvante, avec cette disruption, une épidémie inattendue qui a surgi de nulle part et est venue interrompre nos élans, nos espoirs, nos ambitions ou nos modestes rêves.
    Pour moi, 2020 avait commencé baroque, vous vous souvenez? C’était avant, avant qu’on ne pense plus qu’à survivre. Ce n’est pas tant la maladie, que je craignais, que la peur de perdre mon travail, de devoir rentrer en France de façon soudaine, dans une économie ravagée par cette expérimentation sociétale incroyable, le « shut down » de l’économie.
    On attendait l’effondrement, nous avons eu l’interrupteur.
    À l’école où je travaille, mars et surtout avril ont été déserts, avec des annulations se succédant les unes après les autres. On ne parvenait pas vraiment à s’y faire, c’était trop rapide. Tôkyô qui jusque mars était pleine de touristes s’est vidée, les trains, les rues, mon quartier. Le spectacle d’une humanité confinée, évaporée. Parallèlement, les cours que je donne dans des maisons de quartier ont été suspendus. Je n’ai vécu qu’avec mon (maigre) salaire et, à partir de mai, mon directeur a commencé à ne payer les heures non-travaillées qu’à 60% (c’est la version japonaise du travail partiel). J’ai perdu environ 10% de mon salaire.
    J’ai arrêté d’aller au restaurant et je me suis mis à refaire la cuisine. Les premiers plats étaient simples mais progressivement je me suis remis à faire des gâteaux, des sauces. Et puis j’ai découvert un supermarché que je ne connaissais pas, Okay Store, qui vend du fromage à des prix inimaginables au Japon. Déjà, dans les supermarchés, il n’y a pas de fromage, juste du plastique à base de lait fait à Hokkaidô. Non, là, il y a du Brie, du bleu danois, pas mal de fromages italiens, du vrai camembert pas trop cher, du vrai Cheddar anglais et même du Stilton ou du fromage de brebis italien. Je me suis mis à manger énormément de fromage, et je me suis donc remis à manger du pain.
    Le résultat est implacable, j’ai pris 10 kilos, entre plus de calories et moins d’exercice.

     

    Et puis l’été est arrivé, les étudiants ont commencé à revenir, les transports à se remplir, et le nombre des contaminations à baisser, et puis augmenter de nouveau, avec en août de nouveau des appels à ne pas sortir.
    Kyôto, cet été, était désert… D’une incroyable tristesse.
    Pour l’an prochain, mon directeur nous a annoncé un changement de nos contrats qui commencera particulièrement à m’affecter. Pour tout dire, j’ai la possibilité de refuser. J’ai un contrat depuis 11 ans, je suis employé fixe. D’un autre côté, le marché du travail est déprimé, la perspective du chômage ne m’inspire guère. Roseau, Madjid, sois roseau, ai-je pensé début mars quand j’ai compris qu’une catastrophe était imminente. Alors je serai roseau. Je connais ma valeur, désormais, et elle ne réside pas dans un contrat de travail, tout précaire qu’il fut. Cette fois, je vais perdre environ 30/40% de mon salaire, nous ne seront plus payés qu’aux heures effectuées, et nous avons perdu beaucoup d’élèves. La raison, c’est la protection sociale que je vais devoir payer moi-même. J’ai heureusement mes deux classes dans des maisons de quartier qui vont me permettre de ne pas couler, il faudra juste faire très attention à ne pas dépenser plus que je ne peux. Ce système commence en février, ce sera donc pour mon salaire de mars. J’ai le temps de voir venir d’une part, j’ai un peu d’argent de côté, et puis j’ai le temps de trouver quelque chose. Je ne me sens plus aucune loyauté aucune. Aucune.
    Ce changement ne me trouble pas, au contraire, il y a presque quelque chose d’excitant, de stimulant. Et comme je l’ai écrit, j’ai un peu d’argent de côté. Pas beaucoup, vraiment très peu, même, mais c’est la première fois de ma vie. Mieux, j’en ai plus en ce moment qu’il y a 6 mois. Et pourtant, j’ai investi.
    Nous avons reçu du gouvernement un paiement de 100.000 yens (environ 750 euros). Ça a aidé, aussi.
    Investissement. Juillet. J’ai acheté un appareil photo, d’occasion bien entendu, un Olympus OMD-EM1 MII. Il valait 150.000 yens à sa sortie, je l’ai eu dans un état quasi neuf pour 70.000 yens, avec sa boîte et tout, et seulement 2400 déclenchements au compteur. Olympus a en effet sorti la nouvelle version du EM1, et en plus, ils ont vendu leur division « photo » à un fond d’investissement. Les magasins d’occasion se sont retrouvés avec des tonnes d’appareils Olympus vendus par leurs propriétaires, pressés de s’en débarrasser. J’en ai profité. Je vais vendre mon appareil précédent, le EM5 MII, cet après-midi. J’ai un autre appareil à vendre par la même occasion.
    Investissement. Décembre. Il y a quelques semaines, j’ai fait la mise à jour de mon iMac sous Big Sur et il a dû se passer quelque chose, il s’est mis à prendre au moins 15 minutes à booter. J’ai décidé de la formater et refaire l’installation proprement. Et alors j’ai eu l’idée d’acheter un disque SSD externe pour gagner en vitesse. Apple, ce sont des radins, ils équipent les iMac de disques durs avec 32Go de mémoire SSD « turbo drive ». Tu parles d’un turbo, le système prend 15 Go à lui seul. Après recherche, j’ai découvert que les SSD sont devenus incroyablement bon marché. J’ai acheté un SSD de 1 To en USB-C 3.1, et j’y ai mis tout mon système, mes applications, la musique, etc. C’est le jour et la nuit, ce n’est plus du tout le même ordinateur, j’ai la rapidité d’un MacBook sur mon iMac. Un iMac que j’ai acheté il y a deux ans et demie et à qui j’ai redonné une seconde jeunesse.
    Investissement. Avril. Un four.
    Investissement. Novembre. Des étagères afin de réorganiser ma cuisine (minuscule) et avoir plus de place pour cuisiner. Désormais, j’ai un plan de travail, tout est à portée de main.
    Investissement. Décembre, juste un jour avant l’annonce de mon directeur. Après des années à tourner autours, j’ai finalement acheté une Apple Watch. Là, il s’agit d’un vrai pschitt, d’un achat non nécessaire. J’ai acheté la SE, le modèle « économique », et même si c’est un pur achat plaisir, le simple fait de passer mon temps à monter les escaliers à pieds, à marcher et éviter les transports, à suivre mon activité physique, eh bien ça valait la peine car cette année j’ai vraiment beaucoup moins bougé et je dois impérativement changer cela.
    Investissement. Décembre. Un site internet en préparation pour trouver du travail en free lance.
    Investissement, janvier. Une flûte traversière baroque faite main. En résine MAIS faite main. Ça, c’est un investissement spécial. Maman nous/m’a aidé en me laissant un petit quelque chose malgré la merde dans laquelle elle se débattait financièrement, et pour moi, cela m’a permis de rembourser les dettes accumulées durant des années à cause du chômage en 2007, en 2009 et du séisme aussi. Et je serai malhonnête de ne pas rajouter à cause de moi. C’est aussi pour cela que je dois les vendre, ces deux appareils…
    Cette flûte, c’est ce qu’il me restera de maman, c’est mon lien avec elle, c’est intime et douloureux à la fois, c’est aussi ma promesse de ne plus me comporter comme un gamin avec l’argent, avec ma propre vie. C’est assez marrant, dépenser de l’argent dans quelque chose qu’éventuellement je n’utiliserai pas, quelque chose de coûteux pour me rappeler que je ne dois pas balancer mon argent par les fenêtres. Et puis cette flûte, c’est une retrouvaille avec moi-même.
    Et si j’en arrive à cette flûte, c’est parce qu’elle était au commencement de cette année et que malgré toutes les incertitudes, je pense avoir gardé le fil et avoir tenu ma promesse. J’ai fortement réduit mes dépenses, en cuisinant beaucoup plus et en n’allant quasiment plus au restaurant, en devenant avare quand il s’agit de trouver un hôtel pour mes vacances, quitte à rogner un peu sur le confort: cette année, les hôtels un peu « jolis » sont incroyablement moins chers, mais j’ai finalement opté pour les moins chers cet été et pour la semaine prochaine, et cela à chaque fois sans bénéficier de la campagne GOTO!
    Mes quelques gros achats ont été des investissements. J’avais un peu peur que le EM1 soit un pschitt, et vraiment, non, il est aussi agréable que mon EM5, mais en plus rapide, avec un meilleur capteur. J’ai finalement le EM ultime, quasi neuf et prêt pour m’accompagner durant des années. La vente des deux autres couvrira la moitié du prix. Idem pour le SSD, mon iMac est devenu réactif, et puis surtout, c’est le miens. Mieux, le disque dur va devenir ma Time-Machine. L’Apple Watch, elle, c’est la conscience de mon âge, de la nécessité de prendre soin de moi, et c’est aussi m’être fait plaisir.

    J’aborde donc cette fin d’année positif, ouvert, résolument roseau mais avec des racines profondes. Je me résigne à vivre au Japon, à ne pas rentrer en 2021 ou 2022 comme je m’y préparais car par chez vous tout va être beaucoup trop difficile, et ce que je me suis promis, c’est de ne plus me faire souffrir par des coups de têtes irréfléchis au moins aussi débiles que mes achats compulsifs.
    Mieux, j’ai gardé le fil esquissé au début de l’année, ou plutôt renoué le fil très ancien, cassé mais jamais perdu de vue. Je garde en moi cette longue marche de nuit sous le ciel étoilé de la Sarthe, quand maman est partie. Je crois que quelque chose à définitivement changé ce soir là, alors que la route n’en finissait pas, et que je riais au éclats ou chantais à tue-tête des chansons inventées, ou La pêche aux moules ou Mamzelle Angèle dans l’obscurité totale de cette route de campagne, durant ces 15 kilomètres, avec parfois, sorties de nulle part, des voitures qui passaient à toute allure et qui auraient pu me faucher, mais non, je riais tellement je me trouvais idiot d’avoir pris la décision de rentrer à pieds, et soudain la révélation d’un ciel étoilé incroyable, une beauté qui ne m’a plus quitté et que je garde en moi. Et puis ces brumes matinales sur La Ferté-Bernard avec le soleil qui tente des percées, les arbres en fleurs, ces champs à perte de vue avec les différents bleus du ciel, le coucher de soleil mauve, cette lumière si spéciale de l’ouest de la France, de ce pays appelé Le Perche, avec ses vallées, ses collines, ça monte ici, ça descend là. Lointain écho de la lumière bleuté au petit matin dans les montagnes du Djurdjura, on va cueillir des figues avec les cousins, certainement un des plus beaux souvenirs de ma vie, je ne voulais plus rentrer en France.

    Ces émotions ont laissé une emprunte, il m’a fallu du temps pour écrire sur maman. Mais quand par hasard je suis tombé sur une vidéo de François Lazarevitch et Jean Rondeau, c’est comme si je m’étais trouvé face à celui que j’étais destiné à être et que jamais je ne serai. Plus qu’un couturier, il y a en moi un musicien. La musique a toujours été mon amie. Je ne me suis pas suicidé au début des années 90 car il y avait la musique.
    Pas n’importe quelle musique. La musique baroque, cette tendre et fidèle amie qui depuis l’enfance toujours m’a accompagné. En regardant la vidéo, en écoutant, pour la première fois depuis des années et des années, mes doigts ont accompagné le phrasé du flûtiste, et j’avoue avoir passé mon temps à regardé Jean Rondeau. Le clavecin, le continuo, c’est l’âme de la musique baroque, et dans les regards du claveciniste se cache l’intimité de cette musique, sa force vitale. La flûte, elle, c’est le discours, un discours dans lequel se cache aussi parfois une tragédie, ce qui n’est pas le cas ici. J’ai depuis des années un abonnement à Qobuz, et je possède une impressionnante collection de musique baroque, mais dans les semaines qui ont suivi il y a eu une boulimie incroyable.
    Acheter une flûte, cela faisait sens. J’en ai fait 7 ans, et la musique baroque ne m’a jamais quitté. Il y a dans ma flûte les brumes sur la campagne au petit matin, le champs des oiseaux, les gelées matinales, la couleur des pierres calcaire de l’ouest que je connais si bien.
    Alors que l’année s’achève, je me retrouve exactement où j’étais au début de l’année, mais nourri de l’année écoulée, beaucoup plus solide et quoi qu’il arrive l’an prochain, j’aurai dedans ma part de choix, ma part de décision. Je n’ai pas fait des achats, cette année, j’ai investi. Je pense n’avoir besoin de rien, j’ai tout ce dont il me faut. Mieux, j’ai drastiquement réduit mes dépenses usuelles et j’ai pu investir tout en continuant à mettre un peu de côté malgré des baisses de revenus.
    Je pense être en réalité avoir été très chanceux. Beaucoup ont perdu leur travail. À commencer par les artistes. J’écris « artiste », je déteste cette appellation d’intermittents du spectacle. On devrait dire artistes et métiers du spectacle. Réduire ces métiers à leur statut de chômeur, c’est accepter qu’ils ne portent aucun savoir faire, aucune maitrise. À moins que ce ne soient les restaurateurs, les cuisiniers, les serveurs et serveuses qui ont été littéralement broyés, sacrifiés. Et que dire de ces employés de l’hôtellerie…
    J’ai encore un travail, et malgré mes 55 ans, j’ai des qualifications, j’ai une personnalité.
    J’ai ressorti la flûte, ma révolution est accomplie.

  • Merci, Anne Sylvestre

    Merci, Anne Sylvestre

    Salut très cher,
    J’ai la douleur de t’annoncer le décès d’Anne Sylvestre
    Je pense à toi
    Bises
    Alain

    C’est Alain qui m’a envoyé un court message, juste quelques mots. Ben oui, moi, le décès d’Anne Sylvestre, ça me touche, il le sait bien, Alain.
    C’est rare quand le décès d’un artiste me touche, très rare. Bien sûr, quand c’est un artiste que j’ai apprécié, ça me fait un truc, mais c’est très rare quand la disparition me touche personnellement.
    Je me revois il y a environ 25 ans sous le ciel gris d’un petit cimetière, on n’est pas nombreux mais nous sommes venus parce que c’était important, et en tout cas ça l’était pour moi. On n’était pas nombreux à l’enterrement de La Dame en noir dans ce petit cimetière sous un ciel gris de novembre. Barbara était partie, et nous étions orphelins de sa voix, de sa présence et de ses mots qu’elle assemblait pour nous remuer en dedans comme on racle la vase et faire éclore les nénuphars multicolores. Elle était à peine partie qu’elle nous manquait déjà et nous ne savions plus trop quoi faire de ses mots trop forts, trop lourds pour la petite foule d’amoureux orphelins et veufs à la fois. Nous savions que c’était cuit, qu’elle ne reviendrait plus et qu’elle n’était pas partie cueillir les première fraises des bois, c’était novembre et ce n’était pas une chanson pour une absente, nous étions venus au rendez-vous, et puis voilà, hop la…

    Anne Sylvestre m’a suivi depuis l’enfance. Nous habitions dans le sombre et minuscule appartement derrière l’épicerie sombre que papa avait prise et où maman déprimait en entassant les factures et les dettes de ce commerce qui très rapidement avait du affronter la concurrence des Carrefours et autres Franprix. L’appartement était en dessous du niveau de la cour et jamais la lumière n’y entrait, privilège accordé à l’humidité qui, elle, ne se gênait pas. Deux pièces, une cuisine. Ni WC ni salle-de-bains, une épicerie à l’ancienne barrée d’un grand comptoir en bois avec la balance, le tranchoir et la caisse, pas de libre-service, le client devait demander ce qu’il voulait, de longues étagères avec plein de conserves et au bout, une trappe avec une cave où étaient stockées d’autres conserves et les bouteilles de vin. Une épicerie à l’ancienne, quoi, où pendant cinq ans mes parents s’étaient amusés à perdre de l’argent…
    J’ai mis des années en psychothérapie à m’extirper de cette grisaille inscrite au fond de moi. L’appartement était gris, sombre, triste, et la situation de mes parents ne valait pas mieux. Papa avait repris un travail destiné à éponger les dettes pendant que maman s’occupait seul du commerce transformé en blanchisserie, et pendant ses vacances d’été, il faisait de l’intérim pour éponger les dettes. Quand je vous dit que c’était triste. Je me permets une pensée pour les petits commerçants, artisans qui se retrouvent dans la même situation, avec des dettes à éponger quand la covide sera passée.
    On a déménagé à Bondy, mais la grisaille était bien incrustée en moi. Il y avait la télévision, et sur la première chaine, il y avait la très jeune Dorothée, peut-être seize ans à l’époque, avec une marionnette en smoking noir et chapeau haut-de-forme, Blablatus, une sorte de type qui savait beaucoup de choses et bavardait avec Dorothée. Et puis de temps en temps, il y avait cette chanteuse aux longs cheveux bruns accompagnée d’une guitare.
    Anne Sylvestre.
    Je ne sais pas pourquoi mais sa présence m’électrisait et je reprenait ses chansons. J’adorais sa voix, je crois même que j’avais envoyé un dessin de la maison pleine de fenêtres.
    Anne Sylvestre avait un côté grande soeur, un côté copine, un côté maitresse d’école, un peu tout ça à la fois, et ses chansons avaient quelque chose de gentil qui m’attrapait littéralement. Quand elle n’était pas là, ce n’était pas pareil, elle manquait. Et souvent elle manquait…
    À la maison, on n’écoutait pas RTL ou Europe 1. Maman n’aimait pas les publicités, le football et les bavardages permanents. On écoutait France-Inter le midi, le Jeu des Mille francs, le feuilleton et le journal à 13:00. Et FIP en mâtinée ou l’après-midi. Anne Sylvestre se mariait bien avec la tonalité musicale de ces radios.
    Elle était finalement un de ces petits rayons de soleil dans l’enfance, dans une enfance grise et pas très heureuse souvent.
    En grandissant, j’ai continué à aimer ses chansons, j’ai découvert ses chansons pour adultes, amusantes, parodiques ou tendres.
    Quand je me suis installé au Japon, j’ai passé plus de 6 mois à écouter certaines de ses chansons, je ne sais pas trop pourquoi. Peut-être cette intimité derrière la moquerie de façade, une certaine retenue dans les sentiments.
    On dit maintenant que « la chanteuse féministe est morte ». Quelle vulgarité ont ces hommages rendus aux artistes, à l’artiste ignorée des chaînes de télévision qui aujourd’hui l’encensent. Encore un effort, ils en feront une icône de « la république contre le séparatisme islamogauchiste », vous verrez…
    Mais la dame n’est pas récupérable, toujours il y aura ses mots acérés contre les hypocrites en tout genre, les bien-pensants, les bigots, et Anne Sylvestre, qui s’y frotte s’y pique. Non, comme le Roi Léo, ils ne la canoniseront pas. Anne Sylvestre n’était pas une chanteuse engagée, elle était une artiste profondément humaine et elle faisait de cette humanité une cause.

    Pour lui dire au revoir, je choisirai une chanson très simple, de ces chansons que presque tous les artistes de cette génération ont chanté, leur bohème, du temps de cette jeunesse faite de pas d’argent, de petites chambres sans confort où obstinément ils poursuivaient leur rêve de devenir des chanteurs et des chanteuses. Des vies qui sont de véritables modèles pour les plus jeunes, aux antipodes de cette culture du succès foudroyant en quelques clics suivi du vide béant de l’absence de tout talent, de tout effort.
    On n’est pas artiste pour être célèbre, on est artiste parce qu’on a la rage de dire et la rage de le hurler de toutes les façons possibles, et cette rage est celle qui donne la force de tenir encore et toujours, malgré la dèche, malgré la covide, malgré tout et encore plus…
    Je lui dirai donc au revoir dans ce blog avec cette chanson qui me raconte un peu, comme toutes les chansons sur Paris, sur la Seine et sur la nostalgie de la jeunesse, parce qu’elle me rappelle quand je me suis installé à Tôkyô, parce qu’elle me rappelle ces quais qui m’ont accueilli tant et tant d’années, souvenirs de drague, de baises fugitives, de discussions, de ballades, de contemplation aussi devant cette ville si belle. Paris est une ville magnifique même quand on n’a pas trop de sous, si, si et en tout cas bien plus belle qu’une ville avec vue sur échangeur routier. Elle est un privilège pour toutes celles et tous ceux qui savent s’en contenter. Je le sais, je l’ai vécu…
    Et c’est peut-être cette petite porte sur la poésie qu’Anne Sylvestre avait entr’ouverte quand j’étais enfant qui a glissé en moi ce petit quelque chose qui en grandissant m’a fait tel que je suis. Elle ne m’a pas fait, elle a juste mis cette petite épice de poésie à la vie, à ma vie, ce petit rayon de soleil dans mon ciel gris qui m’a appris à attendre les ciels bleus et les regarder quand ils étaient devant moi, magnifiques.

    Au revoir, Madame, et mes amitiés à Barbara quand vous la rencontrerez.

  • Swing slow (1996)

    Swing slow (1996)

    Ça fait longtemps… Peut-être faut-il cela, partir, s’absenter pour mieux revenir, la tête nettoyée du bruit environnant, le coronavirus, les attentats, l’espèce de folie islamophobe qui traverse la société française et dont les expressions sont identiques en tous points aux délires antisémites d’autrefois…

    Non, je voulais vous partager une petite trouvaille, un petit bijou, un album de pop japonaise sorti en 1996. Le musicien et compositeur Hosono Haruomi, ancien membre du Yellow Magic Orchestra et la chanteuse pop Koshi Miharu. Un petit bijou de ce que l’on appelait « JPop » en référence à la « BritPop » en plein boom à l’époque, ou à la « French Touch » qui sévissait alors.

    L’album est truffé de références musicales internationales, du rock’n roll kitsch à la musique d’aéroports, de la musique brésilienne à la chanson française, le tout remouliné un peu comme aurait pu le faire Dimitri from Paris à cette époque, au milieu des années 90, une époque lointaine, avant cette métastase affreuse née de l’accouplement du néolibéralisme et des réseaux sociaux appelée « influenceurs », avant la gloire de pacotille manufacturée sur des plateaux de télévision à coup de télé-réalité et de Les trucs machins ont du talent, avant le triomphe de la chirurgie plastique du cul, des pectoraux et des lèvres, du blanchiment des parties génitales et de l’épilation intégrale à exhiber sur Instagram.
    Un superbe album électro, un moment d’innocence élégante…

    Une très belle musique pour accompagner votre confinement et que certain pourront même se repasser en boucle afin de vivre quelques moments de grâce enchantée…

  • Octobre

    Octobre

    C’est aujourd’hui le premier octobre. Encore trois mois et 2020 sera terminée. Un an, ça passe très vite. J’ai écrit le titre, et puis j’ai repensé au groupe Octobre, un groupe totalement oublié, et pourtant, Octobre, c’en est une, de sacrée légende, de celles qu’on ne devrait pas avoir oubliée. Octobre, c’est essentiel.

    Les britanniques ont eu Joy Division, et puis le suicide du chanteur Ian Curtis, et puis le groupe s’est renommé New Order, et voilà ce groupe devenu une légende toute en évolution, un phare, un astre dominant le ciel de la New Wave durant toutes les années 80, un son, une esthétique, une attitude, une sorte d’élégance qui formait notre horizon, même quand on cessait, comme moi, d’écouter du rock, parce que Joy Division, puis New Order, et cette figure tutélaire, le fantôme de Ian Curtis qui semblait régner un peu sur nous, c’était notre authenticité, notre honnêteté. C’était le preuve que nous finirions pas, que nous ne finirions jamais comme les boomers, en vieux cons donneurs de leçons qui prétendraient avoir tout vu, tout vécu, éternellement jeunes et castrant les rêves des nouvelles générations pour toujours, toujours tout ramener à eux.

    Nous, nous avons eu Marquis de Sade, astre fragile et élégant, costume sages, cravates fines, cheveux bien peignés et textes tragiques tirés au couteau, hantés par la solitude, la ville glacée, les guerres du 20e siècle et le fantôme de la mort qui rôde dans un monde que la guerre froide entre les USA et l’Union Soviétique avait comme fossilisé, avec ses montagnes d’ogives nucléaires qui viendrait anéantir une planète où le seul avenir, déjà, se résumait au chômage au cœur de friches industrielles, de ces friches où quand nous n’y faisions pas de concerts de rock clandestins, nous aimions y faire des photos de nous, habillés de noir, cheveux bien peignés, contemplant notre propre avenir dans cet échouage économique dont nous ne survivrions pas mais où nous mourrions avec une certaine élégance. Clean, on disait.

    Marquis de Sade, c’était « les rennais », la « ville qui bouge » comme on disait, où les jeunes, la nuit, pouvaient écouter la BBC, John Peel, où le punk et la New Wave ont explosé quand quand en France on continuait encore de sombrer dans les mornes années 70, leurs cheveux gras et longs, leurs jeans pattes d’éléphants cradingues et des rêves de révolutions alimentés à coup de joints dans des communautés de boomers alternatives d’où naissaient des enfants appelés Gédéon, Charlotte, Orphée ou Pissenlit et dont certains de leurs pères aléatoires théoriseraient le tripotage.

    Marquis de Sade, rien qu’esthétiquement, c’était leur dire merde, mais en beauté. Nos cheveux courts et nos cravates suffisaient à hérisser leurs poils avant que, comme tous les ringards, ils finissent par couper leurs cheveux et renoncer au patchoulis, quand ils ont commencé à donner des leçons de réalisme au fur et à mesure qu’ils avançaient dans leurs carrières.

    Marquis de Sade s’est séparé en 1981. L’astre le plus brillant et le plus écorché du groupe, Philippe Pascal, mort il y a quelques années, a créé le groupe Marc Seberg et puis il a fait une carrière solo. D’autres ont aidé Etienne Daho a enregistré son premier disque, à la sonorité résolument « rennaise ». Il y a même eu cette année là un OVNI rennais, La danse du Marsupilami.

    Et puis il y a eu Octobre. C’est ça, les groupes qui se séparent. Octobre n’a pas eu une vie très longue, un ou deux albums je crois. Qui a écouté le mini-LP Next Year in Asia, dont est extraite la chanson que je mets en vidéo jointe? Une élégance sobre dans les sonorités du groupe, des mélodies moins torturées.

    Voilà. C’est le premier octobre. Rien de mieux que de marquer le jour en me replongeant dans ces souvenirs d’un moment de ma vie, en me rappelant d’un groupe oublié né de cet astre indépassable, Marquis de Sade. Une esthétique, intime, simple et profondément humaine.

  • Le mal de Paris…

    Le mal de Paris…

    Introduction passagère
    Hmmm… Je suis au travail. Impossible d’écrire ces deux derniers jours, et notamment hier: j’ai attrapé un 夏風邪 « rhume d’été », mon plus violent depuis des années, avec la températures qui est montée à 38,6. Le rhume d’été, c’est un violent coup de froid dû à l’air conditionné. Je me suis levé hier avec de la fièvre, des courbatures, et en prime la peur du covid…
    Finalement, la nuit dernière a été plutôt bonne, j’ai beaucoup transpiré, et ce matin tout était quasiment normal. C’est le truc, avec ce type de coup de froid. Casser la fièvre, prendre une douche très chaude, se couvrir pour dormir, et suer.

    Comme toujours, les maladies sont chez moi des avant-après, une occasion de décréter qu’à partir de ce jour bla-bla-bla etc C’est un peu bébête, mais finalement, tomber malade un mardi 8 septembre, c’est être fin prêt pour une rentrée le mercredi 9.
    Non?

    Des chansons, de Paris, de ma vie
    Il y a des chansons, il y a des vidéos et des films qui me parlent beaucoup, et même plus.
    Il y a 10 ans, quand j’avais vu le film de Cédric Klapisch, Paris. La scène de la soirée, ça avait été comme une baffe que je n’avais pas réussi à comprendre mais qui est très claire maintenant. Je m’étais dit que c’était sympa, que ça me manquait un peu. Non, ça ne me manquait pas « un peu ». J’en crevais, oui…

    Il y a quelques années, il y a eu cette vidéo trouvée au hasard d’une chanson d’Etienne Daho, Paris le Flore, avec Virginie Ledoyen et Benjamin Biolay. Un tout qui rassemblait Paris, mes souvenirs de rue, presque tactiles, olfactifs, auditifs. Le Quartier Latin. Des rues que je connais, des attitudes que je connais, des regards, des gestes, des trottoirs, des boutiques, un café, des artistes de rue avec une foule autours. Le sac FNAC qui sert de sac avec les clés, les cigarettes, un cahier et un stylo, un bouquin. Joseph Gibert, des bouquins achetés au hasard après les avoir feuilletés. La ballade au fil des rues en rentrant chez soi comme si on allait vers nulle part parce qu’on les connait, ces rues, elles sont comme un pull qu’on enfile, on s’y sent bien.

    Lors de chacun de mes séjours ces dernières années j’ai fini par retrouver cette sensation, une familiarité avec cette ville que tout le monde déteste et que moi, sans aucun complexe, j’aime malgré tout, elle est mon village, elle est mon pull. Et ici, des fois, je me sens dénudé.
    On ne peut pas aimer Paris plus que tout, ça, c’est pour les wannabe qui achètent des trucs à pas de prix avant de passer leur temps à faire des pétitions contre le bruit. Non, quand on aime Paris, on l’aime malgré tout. Paris est une ville triste, et peut-être finalement l’est-elle depuis longtemps, et c’est peut-être pour cela que nous, les parisiens, on est souvent un peu superficiels, qu’on fait la gueule tout en s’y accrochant comme des malades. Qu’on y aime, qu’on y sourit quand même et qu’on y savoure des plaisirs uniques. Qui n’ont pas de prix. Un coucher de soleil sur la Seine, un baiser volé sur un quai de métro. Baiser au petit matin sur l’ile Saint-Louis au bas du Square Sully après avoir regardé les canards se réveiller. Et puis nos fêtes…
    Souvenir fugitif de nos soirées avec Julien rue Pelleport, quarante, cinquante personnes, peut-être plus, dans notre deux pièces, ça se bouscule et ça s’amuse, je passe la musique ou bien c’est quelqu’un venu avec des platines…

    Et puis il y a eu cette chanson chantée par Louis Garrel, Les Yeux Au Ciel, dans le film Les chansons d’amour. C’est Alain qui m’en a parlé. Un texte magnifique qui résume mieux que tout ce qu’est une chanson, une vraie, avec un texte qui narre une histoire et qui touche là où ça fait mal. Et puis… Cette ville, ce quartier, cette démarche assurée mais qui ressemble à une fuite vers nulle part, le pull. Paris. Mon quartier. Je n’ai jamais rencontré de tokyoïte me disant qu’iel aimait déambuler, flâner. Toujours iels trouvent cela inutile, une perte de temps. Moi, Paris, je m’y faufilais, je m’y glissais, je m’y évanouissais et chaque fois que j’y retourne, je m’y retrouve.
    Je regarde et j’écoute ces quelques minutes, je suis Louis Garrel, mais je me suis absenté de moi, je me manque à moi.

    Ces rues, ces gens, et jusque ce ciel gris et toutes ces tronches qui font la tronche sont un grand vide en dedans de moi. Ce film, Les histoires d’amour, je l’ai depuis des années et je ne peux pas, je ne veux pas le voir parce que j’ai peur de ce que je vais voir, et j’ai peur aussi de ne pas voir le film. Ce film, c’est mon quartier, ce sont mes errances, c’est ma dépression, c’est Maria qui vient me rendre visite le sac plein de cosmétiques au rabais de la pharmacie du Faubourg, « j’ai fait des économies », c’est les six premiers mois de ma vie, c’est mon faubourg Saint-Denis, c’est la dame du kiosque avec son berger allemand, une facho, ce sont les livreurs dans les rues, les embouteillages, ce sont mes premières promenades solitaires quand j’arrivais de la gare de l’Est, c’est la concierge portugaise qui ne fait pas le ménage sauf avant le nouvel an mais qu’on aime bien parce qu’elle est sympa, c’est les différentes boulangeries, l’une pour le pain, l’autre pour les croissants, c’est le pédé du kiosque rue du Château d’eau, les épiceries turques, c’est… ce sont…

    Tabous…
    Vide en dedans. J’ai comme ça quelques tabous, des trucs que je dois faire mais que je mets de côté. Pas des trucs importants, non. Juste des tabous. Je n’ai pas regardé Les chansons d’amour. Je n’ai pas regardé 120BPM et pourtant je l’ai acheté. Je n’ai pas dépassé 100 pages de La mise à mort, d’Aragon.
    Je sais très bien pourquoi je ne veupeux pas regarder Les chansons d’amour, j’ai trop peur de pleurer Paris qui me manque et la vie que j’ai quittée en partant. Je sais parfaitement pourquoi je ne veupeux pas regarder 120BPM, j’ai trop peur de me trouver face à un chantier que j’ai démarré et dans lequel je me suis noyé. Je sais pourquoi je ne veupeux pas finir La mise à mort, la politique a bouffé ma jeunesse sans même que je m’en aperçoive, et je me suis imbibé des mythes de l’époque d’avant, 36, la guerre d’Espagne, les espoirs de la libération et tant d’autre de ces naufrages qui ont englouti. C’est dur d’avoir une culture politique et de regarder nos naufrages. Je parle de culture, je ne parle pas de connaissance, ici. La révolution espagnole, il faut lire Trostky, il faut lire Broué, et se laisser pleurer pour comprendre. Alors, lire Aragon contemplant sa vie… Chaque fois, j’ai eu le sentiment de m’essouffler, de me voir couler dans ce naufrage, dans cette perte de soi. Ça a commencé à Londres, ce devait être en janvier 2000, et un noeud s’est noué en moi alors que je lisais, quand il parle de ce miroir à trois face dans lequel il a perdu son image, et qu’il revient encore une fois sur la nappe Vichy dans ce café durant l’été du Front Populaire en y ajoutant encore quelques réflexions sur son image qui avait disparu et sur les achèvements de la révolution russe. Une grosse boule dans le vide.
    Tiens, la perte de soi, Paris, la politique, oh la la… Bon, il va falloir dénouer tout ça alors.

  • Orkestra Obsolete – Blue Monday

    Orkestra Obsolete – Blue Monday

    Je suis tombé sur cette vidéo il y a un ou deux ans, je ne sais plus très bien, et puis il y a quelques jours, elle est réapparue dans ces suggestions YouTube qui ont plutôt l’habitude de tomber à côté. Et je l’ai regardée avec un oeil moins amusé par le caractère décalé, anecdotique que la première fois, mais presque fasciné, subjugué par l’esthétique quasi futuriste de la performance.

    Nous venons de vivre une extinction du monde d’environ un mois, il n’a même pas fallu une guerre, nous tentons désormais de nous en dégourdir les pattes encore hantés par ces prémices d’un effondrements économique dont nous pressentons tous l’imminence sans trop savoir encore quand il aura lieu.

    Juste un avant goût d’un monde où potentiellement la grande masse d’entre nous rebroussera chemin d’une petite centaine d’années. Il y aura bien encore des avions avec des riches pour s’y reposer dans de voluptueux sofas, mais pour la plupart d’entre nous il faudra nous adapter non pas à la démondialisation, mais avant tout à la disparition de l’économie pétrole.

    Bien sûr me direz vous, tout cela est encore très hypothétique, on ne sait pas, mais pourtant, à bien écouter ce que disent les scientifiques…

    Voici donc la reprise d’un « tube » d’un des groupes les plus mythiques des années 80, New Order, la survivance timide et délicate du Joy Division après le suicide de Ian Curtis, l’astre fantôme qui a veillé sur nous jusqu’à ce que nous tournions la page de cette décennie qui ne se laissera jamais saisir.

    Blue Monday, ça a été la bouée de sauvetage de ce groupe, ça a été un morceau de danse assumé et non pas hypocrite comme The Cure, par exemple. Un coup de génie, Blue Monday, une façon élégante de tourner la page et libérer New Order des fantômes du passé.

    S’attaquer à une reprise d’un morceau pareil sans faire dans le pastiche, c’est quasiment impossible, simplement parce que le secret des années 80, c’est qu’elles ne sont pas « copiables » sans tomber dans le ridicule. Elles sont avant tout un état d’esprit, une curiosité, une envie de bousculer et d’apparaitre exactement là où on ne les attend pas sans jamais hésiter à se manifester exactement à l’opposé de ce qu’elles proclamaient avec force.

    Qu’est-ce que j’en ai vues, des tentatives de « revivaliser » les 80’s, chaque fois ça tombe à côté parce que les types et les filles n’ont pas les références sixties, les ye-ye girls 60’s, la mode de l’espace, les comics books américains de science fiction, les fifties, les années 40, les années 30 ni même les années 20 qui vont avec et qui permettent, en les assaisonnant d’un zeste de soukouss, d’une lampée de rai et de Oum Khaltoum ou de Fairouz, d’une bonne dose de tango et de cha-cha-cha sans jamais hésiter à clamer avec une même unanimité l’invincibilité de Christian Dior et de André Courrèges, de passer au shaker toutes les envies en y ajoutant en plus des références ésotériques, rockabilly et tout ce qu’on voudra pourvu que ça remue, que ça fasse rire et qu’à cinq heures du matin ça fasse peur au bourgeois qui est habillé avec cinq ans de retard.

    Là, on a à faire à un joli petit coup de génie. On pense à Delikatessen, le film de Caro et Jeunet, sorti en 1991, véritable manifeste et testament esthétique de la France de la fin des années 80. Et puis on pense aux Residents, ce groupe américain insaisissable et qui est parvenu avec génie à presque donner une bande son au dévoilement de la Société du Spectacle, le tout vêtu de légendaires smokings terriblement élégants mais surplombés d’un oeil en guise de tête. The Residents, ces anti-Kraftwerk esthétiques en quelque sorte, mais participant de cette même culture des années 80, quand le concept nait d’un télescopage d’influences toutes plus variées les unes que les autres. Un shaker.

    Une reprise classe et élégante toute en low-tech, l’espoir que peut être dans le monde effondré auquel Pablo Servigne depuis des années tente de nous préparer, on saura être élégants et intéressants avec une bonne dose d’humour et de débrouillardise ingénue.

    La décroissance heureuse.

  • Allez, dansez!

    Allez, dansez!

    https://youtu.be/u-OXc_ltf_M

    La décennie 70 tirait sur son interminable fin, avec ses pattes d’éléphants en Tergal, ses chanteurs ringards, ses baby boomers revenus de leurs communautés à la campagne, ses militants désillusionnés mais encore plus arc-boutés sur leurs idées, ça puait la fin d’époque, la longue agonie des trente glorieuses, l’embourgeoisement confortable des classes moyennes trentenaires avec leur crédit immobilier et leur Renault 16, ça n’en finissait pas de finir.

    Heureusement, c’est précisément à ce moment là, alors que la crise du capitalisme qui larvait depuis 10 ans et qui s’était finalement manifestée au grand jour au moment du « choc pétrolier », au moment précis où le chômage qui commençait son envol, où les « restructurations » et fermetures d’industries explosaient, bref, au moment exact où la réalité rattrapait certaines illusions, que la culture s’est mise à frétiller.

    Yves Saint-Laurent avait bousculé la mode en 1971 en inaugurant la première collection ouvertement rétro, sa mode « poule 1940 » (dans la deuxième moitié de cette vidéo) en rupture totale avec la ligne moderniste inaugurée par le trio Rabanne-Courrèges-Cardin. Bien sûr, il y avait bien une mode rétro dans les années 60, avec ce clin d’oeil permanent aux années 20, mais cela restait relativement marginal car la culture, à cette époque, était irréversiblement tournée vers « le futur », « la croissance » ou « la révolution » ou encore « le retour à la nature ».

    C’est précisément au moment où les illusions se sont dissipées, au moment même où Fourastier donnait à nom à cette époque qui s’achevait, « les trente glorieuses », que l’on put passer à une époque de l’instant, de l’immédiat, totalement en phase avec ce que nous vivions. Et pour les plus jeunes, passer soudainement à une culture de l’instantané, de la vitesse et de l’humour, le tout passé au pressoir des époques qui avaient précédé et qui nous faisaient tant rire tant elles semblaient lointaines, vieilles, de l’époque de nos grands parents.

    Un sourire ironique nous prit soudain, avec un petit quelque chose d’attendri aussi. Les « fifties » étaient nées.

    J’écris cela car j’en ai ras le bol de voir les années 80 limitées à une question de « look » ou à une question de « fric ». Le fric, c’étaient les boomers à partir du moment où ils se sont coupés les cheveux pour nous imiter, nous, les « post-boomers » au moment même où ils nous ont donné un nom, la génération « bof », et avant d’en remettre une couche en nous appelant « generation X ».

    Ben non, nous n’étions pas « bof », mais c’est vrai que regarder leur installation dans la vie, à ces anciens soixante-huitards reconvertis en acheteurs de lave-vaisselle en costumes croisés, ça nous donnait un certain regard sur la vie, sur la politique.

    Mais c’est finalement le moment où nous avons donné une emprunte à notre époque. Les années 80, c’est avant tout une attitude, beaucoup d’humour, une passion pour la vitesse, les choses nouvelles, les idées nouvelles, et la musique, beaucoup la musique, et énormément la danse, énormément la danse, avec des fringues pour y mettre de la couleur, même en costume noir.

    On s’est mis à shaker les époques antérieures pour nous amuser, la mode a envahi la rue et les créateurs passaient leur temps en terrasses à nous scruter pour nous copier. Je dis « nous », c’est un nous collectif, bien sûr.

    On était politisés, mais pas comme les babs. Pour nous, la politique n’était pas dans le discours, elle était dans les actes. Les baba militants, on les avait suffisamment vus à la sortie de nos lycées avec leurs beaux principes, la dégaine avachie à faire fuir le premier prolo, la première mama tunisienne. Pour nous, c’étaient des ringards. On avait une énergie du tonnerre. Ben oui, la danse, quoi!

    Un truc marrant, c’est tomber sur cette vidéo d’un tube de l’année 82, un truc assez mauvais, typique de ce moment là, au sortir de la méga récession de 1980-82, ce que j’appelle la « grande glaciation », quand partout les synthétiseurs et les boites à rythme ont remplacé les violons de la disco. C’est bien sûr un youtubeur qui a fait ce montage, mais ce dont je me suis aperçu, c’est que ce montage transmet très exactement l’état d’esprit des années 80, ce sourire en coin, cette envie de danser comme dans ces films, de s’habiller comme dans ces films, pas parce que c’était élégant, non, juste parce que ça pouvait être marrant. Nouveau. Frais.

    Depuis, il y a eu les années 90 et progressivement on est passé à une sorte de réchauffé du cool, les tee-shirts, quoi. On a oublié qu’on peut se marrer avec des vêtements qui produisent un télescopage de couleurs, un gros splash visuel qui fait du bien, qu’on peut le faire en bande, « en tribus », comme on disait.

    Il y a deux mois, j’avais partagé un article sur les rockabilys et les Vikings à Paris au début des années 80, plusieurs ont commenté que « ça devait être super », que « ça manquait », qu’ils étaient « trop classes », ouais, c’est vrai. Mais moi, je me suis retenu de répondre « mais putains, bande de baba cool, qu’est-ce que vous attendez pour vous y mettre, pour vous bouger, p’tain ». C’est vrai, les kids découvrent Farid Chopel et de son look, attend un peu et ils vont découvrir que Paul Personne était hyper classe et non, on garde le jean moche avec le tee shirt banal tout en disant que le capitalisme produit des vies aseptisées, conformes… P’tain de bordel! On se sapait classe pour moins de 10 euros – et c’est pour ça que cette histoire d’années fric me laisse pantois.

    Je vous rajoute Janet Jackson. Les années 80, c’était beaucoup d’humour, une rage de vivre dans l’instant parce qu’on se disait qu’on pouvait se prendre une bombe atomique sur la figure à tout instant, parce qu’on savait que la crise économique allait pas être facile, mais en attendant, on voulait tout simplement s’amuser. 

    Allez, sapez vous mieux, et dansez, p’tain! Je vous dis pas « gigoter » ou lever les bras au ciel pour faire genre vidéo de David Guetta. Va falloir ça, pour l’époque pourrie où nous rentrons. Allez! Dansez!

    (Photo de couverture, Vickings & Panthers  Gilles Elie Cohen)

  • Larry Kramer 1935 – 2020

    Larry Kramer 1935 – 2020

    (vidéo, Jimmy Somerville – From this moment on – tirée de la compilation d’artistes contre le VIH – RED, HOT and BLUE, 1990)

    Un grand Pédé s’en est allé.

    (suite…)