Le Blog de Suppaiku, journal bloggué de Madjid Ben Chikh, à Tokyo.

Nous en étions où…?


L’année s’achève… Une année longue, éprouvante, avec cette disruption, une épidémie inattendue qui a surgi de nulle part et est venue interrompre nos élans, nos espoirs, nos ambitions ou nos modestes rêves.
Pour moi, 2020 avait commencé baroque, vous vous souvenez? C’était avant, avant qu’on ne pense plus qu’à survivre. Ce n’est pas tant la maladie, que je craignais, que la peur de perdre mon travail, de devoir rentrer en France de façon soudaine, dans une économie ravagée par cette expérimentation sociétale incroyable, le « shut down » de l’économie.
On attendait l’effondrement, nous avons eu l’interrupteur.
À l’école où je travaille, mars et surtout avril ont été déserts, avec des annulations se succédant les unes après les autres. On ne parvenait pas vraiment à s’y faire, c’était trop rapide. Tôkyô qui jusque mars était pleine de touristes s’est vidée, les trains, les rues, mon quartier. Le spectacle d’une humanité confinée, évaporée. Parallèlement, les cours que je donne dans des maisons de quartier ont été suspendus. Je n’ai vécu qu’avec mon (maigre) salaire et, à partir de mai, mon directeur a commencé à ne payer les heures non-travaillées qu’à 60% (c’est la version japonaise du travail partiel). J’ai perdu environ 10% de mon salaire.
J’ai arrêté d’aller au restaurant et je me suis mis à refaire la cuisine. Les premiers plats étaient simples mais progressivement je me suis remis à faire des gâteaux, des sauces. Et puis j’ai découvert un supermarché que je ne connaissais pas, Okay Store, qui vend du fromage à des prix inimaginables au Japon. Déjà, dans les supermarchés, il n’y a pas de fromage, juste du plastique à base de lait fait à Hokkaidô. Non, là, il y a du Brie, du bleu danois, pas mal de fromages italiens, du vrai camembert pas trop cher, du vrai Cheddar anglais et même du Stilton ou du fromage de brebis italien. Je me suis mis à manger énormément de fromage, et je me suis donc remis à manger du pain.
Le résultat est implacable, j’ai pris 10 kilos, entre plus de calories et moins d’exercice.

 

Et puis l’été est arrivé, les étudiants ont commencé à revenir, les transports à se remplir, et le nombre des contaminations à baisser, et puis augmenter de nouveau, avec en août de nouveau des appels à ne pas sortir.
Kyôto, cet été, était désert… D’une incroyable tristesse.
Pour l’an prochain, mon directeur nous a annoncé un changement de nos contrats qui commencera particulièrement à m’affecter. Pour tout dire, j’ai la possibilité de refuser. J’ai un contrat depuis 11 ans, je suis employé fixe. D’un autre côté, le marché du travail est déprimé, la perspective du chômage ne m’inspire guère. Roseau, Madjid, sois roseau, ai-je pensé début mars quand j’ai compris qu’une catastrophe était imminente. Alors je serai roseau. Je connais ma valeur, désormais, et elle ne réside pas dans un contrat de travail, tout précaire qu’il fut. Cette fois, je vais perdre environ 30/40% de mon salaire, nous ne seront plus payés qu’aux heures effectuées, et nous avons perdu beaucoup d’élèves. La raison, c’est la protection sociale que je vais devoir payer moi-même. J’ai heureusement mes deux classes dans des maisons de quartier qui vont me permettre de ne pas couler, il faudra juste faire très attention à ne pas dépenser plus que je ne peux. Ce système commence en février, ce sera donc pour mon salaire de mars. J’ai le temps de voir venir d’une part, j’ai un peu d’argent de côté, et puis j’ai le temps de trouver quelque chose. Je ne me sens plus aucune loyauté aucune. Aucune.
Ce changement ne me trouble pas, au contraire, il y a presque quelque chose d’excitant, de stimulant. Et comme je l’ai écrit, j’ai un peu d’argent de côté. Pas beaucoup, vraiment très peu, même, mais c’est la première fois de ma vie. Mieux, j’en ai plus en ce moment qu’il y a 6 mois. Et pourtant, j’ai investi.
Nous avons reçu du gouvernement un paiement de 100.000 yens (environ 750 euros). Ça a aidé, aussi.
Investissement. Juillet. J’ai acheté un appareil photo, d’occasion bien entendu, un Olympus OMD-EM1 MII. Il valait 150.000 yens à sa sortie, je l’ai eu dans un état quasi neuf pour 70.000 yens, avec sa boîte et tout, et seulement 2400 déclenchements au compteur. Olympus a en effet sorti la nouvelle version du EM1, et en plus, ils ont vendu leur division « photo » à un fond d’investissement. Les magasins d’occasion se sont retrouvés avec des tonnes d’appareils Olympus vendus par leurs propriétaires, pressés de s’en débarrasser. J’en ai profité. Je vais vendre mon appareil précédent, le EM5 MII, cet après-midi. J’ai un autre appareil à vendre par la même occasion.
Investissement. Décembre. Il y a quelques semaines, j’ai fait la mise à jour de mon iMac sous Big Sur et il a dû se passer quelque chose, il s’est mis à prendre au moins 15 minutes à booter. J’ai décidé de la formater et refaire l’installation proprement. Et alors j’ai eu l’idée d’acheter un disque SSD externe pour gagner en vitesse. Apple, ce sont des radins, ils équipent les iMac de disques durs avec 32Go de mémoire SSD « turbo drive ». Tu parles d’un turbo, le système prend 15 Go à lui seul. Après recherche, j’ai découvert que les SSD sont devenus incroyablement bon marché. J’ai acheté un SSD de 1 To en USB-C 3.1, et j’y ai mis tout mon système, mes applications, la musique, etc. C’est le jour et la nuit, ce n’est plus du tout le même ordinateur, j’ai la rapidité d’un MacBook sur mon iMac. Un iMac que j’ai acheté il y a deux ans et demie et à qui j’ai redonné une seconde jeunesse.
Investissement. Avril. Un four.
Investissement. Novembre. Des étagères afin de réorganiser ma cuisine (minuscule) et avoir plus de place pour cuisiner. Désormais, j’ai un plan de travail, tout est à portée de main.
Investissement. Décembre, juste un jour avant l’annonce de mon directeur. Après des années à tourner autours, j’ai finalement acheté une Apple Watch. Là, il s’agit d’un vrai pschitt, d’un achat non nécessaire. J’ai acheté la SE, le modèle « économique », et même si c’est un pur achat plaisir, le simple fait de passer mon temps à monter les escaliers à pieds, à marcher et éviter les transports, à suivre mon activité physique, eh bien ça valait la peine car cette année j’ai vraiment beaucoup moins bougé et je dois impérativement changer cela.
Investissement. Décembre. Un site internet en préparation pour trouver du travail en free lance.
Investissement, janvier. Une flûte traversière baroque faite main. En résine MAIS faite main. Ça, c’est un investissement spécial. Maman nous/m’a aidé en me laissant un petit quelque chose malgré la merde dans laquelle elle se débattait financièrement, et pour moi, cela m’a permis de rembourser les dettes accumulées durant des années à cause du chômage en 2007, en 2009 et du séisme aussi. Et je serai malhonnête de ne pas rajouter à cause de moi. C’est aussi pour cela que je dois les vendre, ces deux appareils…
Cette flûte, c’est ce qu’il me restera de maman, c’est mon lien avec elle, c’est intime et douloureux à la fois, c’est aussi ma promesse de ne plus me comporter comme un gamin avec l’argent, avec ma propre vie. C’est assez marrant, dépenser de l’argent dans quelque chose qu’éventuellement je n’utiliserai pas, quelque chose de coûteux pour me rappeler que je ne dois pas balancer mon argent par les fenêtres. Et puis cette flûte, c’est une retrouvaille avec moi-même.
Et si j’en arrive à cette flûte, c’est parce qu’elle était au commencement de cette année et que malgré toutes les incertitudes, je pense avoir gardé le fil et avoir tenu ma promesse. J’ai fortement réduit mes dépenses, en cuisinant beaucoup plus et en n’allant quasiment plus au restaurant, en devenant avare quand il s’agit de trouver un hôtel pour mes vacances, quitte à rogner un peu sur le confort: cette année, les hôtels un peu « jolis » sont incroyablement moins chers, mais j’ai finalement opté pour les moins chers cet été et pour la semaine prochaine, et cela à chaque fois sans bénéficier de la campagne GOTO!
Mes quelques gros achats ont été des investissements. J’avais un peu peur que le EM1 soit un pschitt, et vraiment, non, il est aussi agréable que mon EM5, mais en plus rapide, avec un meilleur capteur. J’ai finalement le EM ultime, quasi neuf et prêt pour m’accompagner durant des années. La vente des deux autres couvrira la moitié du prix. Idem pour le SSD, mon iMac est devenu réactif, et puis surtout, c’est le miens. Mieux, le disque dur va devenir ma Time-Machine. L’Apple Watch, elle, c’est la conscience de mon âge, de la nécessité de prendre soin de moi, et c’est aussi m’être fait plaisir.

J’aborde donc cette fin d’année positif, ouvert, résolument roseau mais avec des racines profondes. Je me résigne à vivre au Japon, à ne pas rentrer en 2021 ou 2022 comme je m’y préparais car par chez vous tout va être beaucoup trop difficile, et ce que je me suis promis, c’est de ne plus me faire souffrir par des coups de têtes irréfléchis au moins aussi débiles que mes achats compulsifs.
Mieux, j’ai gardé le fil esquissé au début de l’année, ou plutôt renoué le fil très ancien, cassé mais jamais perdu de vue. Je garde en moi cette longue marche de nuit sous le ciel étoilé de la Sarthe, quand maman est partie. Je crois que quelque chose à définitivement changé ce soir là, alors que la route n’en finissait pas, et que je riais au éclats ou chantais à tue-tête des chansons inventées, ou La pêche aux moules ou Mamzelle Angèle dans l’obscurité totale de cette route de campagne, durant ces 15 kilomètres, avec parfois, sorties de nulle part, des voitures qui passaient à toute allure et qui auraient pu me faucher, mais non, je riais tellement je me trouvais idiot d’avoir pris la décision de rentrer à pieds, et soudain la révélation d’un ciel étoilé incroyable, une beauté qui ne m’a plus quitté et que je garde en moi. Et puis ces brumes matinales sur La Ferté-Bernard avec le soleil qui tente des percées, les arbres en fleurs, ces champs à perte de vue avec les différents bleus du ciel, le coucher de soleil mauve, cette lumière si spéciale de l’ouest de la France, de ce pays appelé Le Perche, avec ses vallées, ses collines, ça monte ici, ça descend là. Lointain écho de la lumière bleuté au petit matin dans les montagnes du Djurdjura, on va cueillir des figues avec les cousins, certainement un des plus beaux souvenirs de ma vie, je ne voulais plus rentrer en France.

Ces émotions ont laissé une emprunte, il m’a fallu du temps pour écrire sur maman. Mais quand par hasard je suis tombé sur une vidéo de François Lazarevitch et Jean Rondeau, c’est comme si je m’étais trouvé face à celui que j’étais destiné à être et que jamais je ne serai. Plus qu’un couturier, il y a en moi un musicien. La musique a toujours été mon amie. Je ne me suis pas suicidé au début des années 90 car il y avait la musique.
Pas n’importe quelle musique. La musique baroque, cette tendre et fidèle amie qui depuis l’enfance toujours m’a accompagné. En regardant la vidéo, en écoutant, pour la première fois depuis des années et des années, mes doigts ont accompagné le phrasé du flûtiste, et j’avoue avoir passé mon temps à regardé Jean Rondeau. Le clavecin, le continuo, c’est l’âme de la musique baroque, et dans les regards du claveciniste se cache l’intimité de cette musique, sa force vitale. La flûte, elle, c’est le discours, un discours dans lequel se cache aussi parfois une tragédie, ce qui n’est pas le cas ici. J’ai depuis des années un abonnement à Qobuz, et je possède une impressionnante collection de musique baroque, mais dans les semaines qui ont suivi il y a eu une boulimie incroyable.
Acheter une flûte, cela faisait sens. J’en ai fait 7 ans, et la musique baroque ne m’a jamais quitté. Il y a dans ma flûte les brumes sur la campagne au petit matin, le champs des oiseaux, les gelées matinales, la couleur des pierres calcaire de l’ouest que je connais si bien.
Alors que l’année s’achève, je me retrouve exactement où j’étais au début de l’année, mais nourri de l’année écoulée, beaucoup plus solide et quoi qu’il arrive l’an prochain, j’aurai dedans ma part de choix, ma part de décision. Je n’ai pas fait des achats, cette année, j’ai investi. Je pense n’avoir besoin de rien, j’ai tout ce dont il me faut. Mieux, j’ai drastiquement réduit mes dépenses usuelles et j’ai pu investir tout en continuant à mettre un peu de côté malgré des baisses de revenus.
Je pense être en réalité avoir été très chanceux. Beaucoup ont perdu leur travail. À commencer par les artistes. J’écris « artiste », je déteste cette appellation d’intermittents du spectacle. On devrait dire artistes et métiers du spectacle. Réduire ces métiers à leur statut de chômeur, c’est accepter qu’ils ne portent aucun savoir faire, aucune maitrise. À moins que ce ne soient les restaurateurs, les cuisiniers, les serveurs et serveuses qui ont été littéralement broyés, sacrifiés. Et que dire de ces employés de l’hôtellerie…
J’ai encore un travail, et malgré mes 55 ans, j’ai des qualifications, j’ai une personnalité.
J’ai ressorti la flûte, ma révolution est accomplie.

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Commentaires

8 réponses à “Nous en étions où…?”

  1. Quel bonheur de retrouver tes ecrits…….
    Et ta musique……

    1. Avatar de Madjid Ben Chikh
      Madjid Ben Chikh

      Merci beaucoup, Lionel.

  2. Quel bonheur de retrouver tes ecrits…….
    Et ta musique……

    1. Avatar de Madjid Ben Chikh
      Madjid Ben Chikh

      Merci beaucoup, Lionel.

  3. Salut et bonne année !

    Mettre le système sur un SSD externe, j’y songe de plus en plus pour redonner un coup de jeune à mon iMac. J’ai fait quelques recherches, et effectivement, même en usb3, le gain de performance semble intéressant. Il n’y a qu’un point noir au tableau, et pas des moindres : la commande TRIM. Elle ne peut pas être envoyé au disque via l’USB et donc, les performances sont condamnées à s’effondrer drastiquement, et ce moment arrive d’autant plus vite si il y a beaucoup de créations/suppressions de fichiers. Certains fabricants (samsung) proposent un utilitaire pour restaurer les performances du disque, mais sous Windows uniquement. Il me semble aussi avoir vu un tuto à base de commandes dans un terminal (sous OSX donc) mais pas forcement trivial, et le disque est effacé entièrement.
    Une solution qui me semble intéressante est de conserver sur le disque interne un clone le plus frais possible (avec CCC ou SuperDuper par exemple), et prêt à booter, au cas ou le disque externe cause des problèmes. C’est certainement ce que je ferais, avec TimeMachine sur un autre disque externe comme actuellement…

    1. Avatar de Madjid Ben Chikh
      Madjid Ben Chikh

      Merci de l’information, je ne connaissais pas ce problème. Il semble que depuis le passage au AFPS la question n’est plus d’actualité car le système optimise les blocs des SSD (l’AFPS a été créé spécifiquement pour les SSD). Il y a pas mal de débats sur la question.
      Mais je garde cette question de côté et je vais vérifier la vitesse de mon SSD régulièrement. Pour le moment, la vitesse est identique, environ 500, ce qui pour du USB3.1 est très correct.

  4. Salut et bonne année !

    Mettre le système sur un SSD externe, j’y songe de plus en plus pour redonner un coup de jeune à mon iMac. J’ai fait quelques recherches, et effectivement, même en usb3, le gain de performance semble intéressant. Il n’y a qu’un point noir au tableau, et pas des moindres : la commande TRIM. Elle ne peut pas être envoyé au disque via l’USB et donc, les performances sont condamnées à s’effondrer drastiquement, et ce moment arrive d’autant plus vite si il y a beaucoup de créations/suppressions de fichiers. Certains fabricants (samsung) proposent un utilitaire pour restaurer les performances du disque, mais sous Windows uniquement. Il me semble aussi avoir vu un tuto à base de commandes dans un terminal (sous OSX donc) mais pas forcement trivial, et le disque est effacé entièrement.
    Une solution qui me semble intéressante est de conserver sur le disque interne un clone le plus frais possible (avec CCC ou SuperDuper par exemple), et prêt à booter, au cas ou le disque externe cause des problèmes. C’est certainement ce que je ferais, avec TimeMachine sur un autre disque externe comme actuellement…

    1. Avatar de Madjid Ben Chikh
      Madjid Ben Chikh

      Merci de l’information, je ne connaissais pas ce problème. Il semble que depuis le passage au AFPS la question n’est plus d’actualité car le système optimise les blocs des SSD (l’AFPS a été créé spécifiquement pour les SSD). Il y a pas mal de débats sur la question.
      Mais je garde cette question de côté et je vais vérifier la vitesse de mon SSD régulièrement. Pour le moment, la vitesse est identique, environ 500, ce qui pour du USB3.1 est très correct.

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