Arabes et pédés in the 80’s/90’s en France. J’ai reçu une demande via Facebook. Comme j’ai fourni une (longue) réponse, je vous la livre ici comme j’ai régulièrement fait, sans editing et avec de nombreux raccourcis de langage pris dans la réponse, et ils sont nombreux.
Cela faisait des années qu’Hollywood ne s’était pas décidé à faire un film qui ne servirait à rien d’autre qu’à prendre du plaisir à le regarder avant de mettre le paquet pour en faire la promotion.
The music begins a bit like one of those “opening credits” from the Commercial album of the Residents. And then a sequence, another sequence and the drum machine. Pure 1983 pre-techno.
Une fois n’est pas coutume, je vais vous parler d’une série télévisée britannique diffusée sur Amazon Prime, co-produite par la BBC et dont j’ai entendu parler il y a quelques semaines par un article de Nina Zadkine, « Small Axe » : un instrument sympathique, mais peu tranchant. En 5 épisodes distincts, une série qui retrace des moments importants de l’histoire des communautés noires résidant à Londres entre la fin des années 60 et le début des années 80. Je m’attendais à une oeuvre à l’antiracisme convenu, Nina Zadkine affirmant que son but était de « répondre à la demande du marché, essentiellement composé par des publics blancs. La fabrication de la bonne conscience est à l’ordre du jour de l’offre médiatique, il s’agit de représenter l’ordre marchand dans les formes les plus valorisantes. » (sic) Je n’ai jamais lu article tombant à ce point à côté de la plaque, la convocation des mânes de Guy Debord contribuant même à renforcer ce sentiment étrange que l’immense culture de son auteure l’avait empêchée de comprendre ce que représentait réellement cette série.
Une oeuvre longuement mûrie
Small Axe est le produit d’un long travail de plus de 10 ans comme le dit son auteur, le réalisateur Steve McQueen. Il s’agit d’une oeuvre mûrie, réfléchie et dont BBC n’est dans tout cela que le machin en bout de chaîne. Les cinq récits qui la composent constituent un tout cohérent, et même si chaque récit est indépendant, la série compose en filigrane le portrait d’une communauté noire britannique et de sa relation avec la société qui l’entoure, une société blanche britannique. On pourrait s’arrêter là, mais ce serait passer à côté de l’essentiel car une œuvre artistique ne peut se résumer à la somme des éléments qui la composent.
Stop, on recommence!
Putain, qu’est ce que c’est difficile de parler de cette série… Cela fait trois jours que ça me traverse, que ça me bouleverse, et je suis là à faire dans le pompeux, à tourner autours du pot alors que Small Axe, précisément, va droit au but. Small Axe ne s’adresse pas à un public blanc comme semble le croire Nina Zadkine, elle s’adresse à qui veut bien la voir, et ce dont je suis sûr, c’est que le premier soir, une grande majorité des noirs britanniques étaient devant leur télévision, et que la deuxième semaine, c’étaient toute la communauté noire qui avait rendez-vous devant BBC One, certainement le choix le plus judicieux pour la toucher, cette communauté. Oui, BBC One, précisément.
Small Axe, une baffe immense
C’est comme si le réalisateur l’avait chargée de petites bombes à fragmentation destinées à produire des effets à long terme. Ce n’est pas une page d’histoire, c’est une invitation à revisiter l’histoire, à en compléter les zones ensevelies sous des omissions et des dissimulations, c’est donner un sens à ce fameux « Carnaval de Notting Hill », c’est trouver une explication rationnelle à la délinquance et à la sous-qualification professionnelle des jeunes noirs, les hommes en particulier, c’est comprendre ce que sont les mécanismes qui conduisent à ce désir et la mécanique « d’intégration » dont souffrent un grand nombre d’indigènes. Trois récits biographiques, un récit historique, et un récit dont je ne suis pas, pour le moment, capable de parler tant la charge émotionnelle est intense, brute, je me demande même si McQueen n’en a pas fait la clé de toute la série…
La vache, je n’y arrive pas!
Ça ne sort pas, je me retrouve encore à tourner autours du pot, en fait oui, c’est ça, c’est précisément cet épisode qui me bloque, les autres sont finalement tellement attendus, tellement évident, le racisme institutionnel, c’est tellement banal… Alors je vais vous le faire comme je le sens, sans fioriture. Je vais essayer de le faire sans spoiler, c’est aussi ça, le problème. Mais bon… Oui, la clé de ces 5 épisodes, c’est le deuxième épisode. Lovers Rock, l’épisode que Nina Zadkine a regardé comme une blanche, je la cite, « Quel soulagement, en effet, que ce retour à une manière d’appréhender la « culture noire » (monolithe construit par les sociétés de marketing), packagée, chorégraphiée, rythmée ! ». Non, il y a un truc qu’elle n’a pas saisi, peut-être parce qu’il y a une transmission qui ne s’est pas faite politiquement, entre les années 70/80 et maintenant. L’importance de la culture, de la musique, des vêtements. Jusque la fin des années 80, la musique, les vêtements, des attitudes, le langage, la coupe de cheveux, tout obéissait à des codes qui eux même se prolongeaient dans des idées politiques. Il y avait bien les militants d’extrême-gauche, des gosses de la petite bourgeoisie blanche habillés comme des ploucs, mais c’étaient des ringards suspendus hors du temps, ça ne comptait pas. Non, dans les mouvances nées des luttes anti-racistes mais aussi chez les homosexuels, et jusque dans les tréfonds des quartiers populaires, des codes vestimentaires avaient émergé, cimentant chaque groupe, chaque cité, chaque quartier en lui donnant son identité. Longtemps, c’est la soul et le funk, le rock’n roll et même la disco qui dominaient la culture, avec à la marge le rai et les musiques africaines, le soukouss notamment. Et puis vers 1987/88 sont venus s’ajouter le rap, le rock alternatif et la house de façon totalement underground d’abord avant de se diffuser avec chaque fois leurs façons de s’habiller, leurs lieux. On parlait alors de tribus. Les rockers, les rockabillies, les skins, les red skins, les kyfons, les minets, les sapeurs, les Goths, les jeunes gens modernes, les fifties, les punks, les new waves, les reubeu, les rastas, … Londres plus que Paris regorgeait de ces bandes de jeunes portant sur eux l’apparence de leur goûts musicaux. Faire de la musique était un truc banal, tout le monde s’essayait à faire son groupe. À Londres, le reggae régnait en maître depuis la seconde moitié des années 70, son petit frère, le ska, avait connu un revival inattendu auprès des bandes mixtes blancs et noirs du grand Londres. Sape, musique. Et politique. Pas de la politique comme les blancs, ce truc rigide, abstrait, théorisé, non, avec le gros barbu qui a tout théorisé de la révolution. Non. Un truc viscéral, plutôt, tiré de l’expérience même du racisme, du chômage, de la violence policière et de la mise en marge imposée jusque par les partis et organisations de « la classe ouvrière ». Dans Mangrove, c’est ce député du Labour, « vous avez des preuves? ». Connard!
Aucun épisode de cette série ne fournit les clés de cette époque comme le fait Lovers Rock, certainement un des plus beaux épisodes de série qu’il m’ait été donné de voir de toute ma vie.
Mangrove, le premier épisode, c’est une révolte, c’est la lutte d’un restaurateur contre la violence policière, contre le harcèlement dont est victime son restaurant, c’est un policier qui dit que « ces gens sont des sauvages », qui tire la gueule quand il visite la cuisine en demandant ce que c’est, qui suspecte le restaurant d’être un tripot où on se drogue. C’est la section anglaise du Black Panther Party qui va appuyer le restaurateur et l’encourager à ne pas céder, à se battre. Et non, ce n’est pas un happy end. Georges Floyd nous l’a rappelé, ça n’a pas changé. Frank Crichlow, le propriétaire du restaurant a passé une partie de sa vie à se battre pour être finalement définitivement innocenté, et le harcèlement n’a jamais réellement cessé. L’épisode est attachant malgré les brutalités policières. S’y glisse en filigrane ce qui deviendra le carnaval de Notting Hill, un quartier qui avait auparavant connu en 1958 une des plus importantes émeute de l’après-guerre…
Red, White and blue, Le troisième épisode, c’est un autre type de révolte. Celle d’un jeune noir, Leroy Logan, promis à une brillante carrière de scientifique et qui décide de rentrer dans la police pour la « changer de l’intérieur ». Une autre histoire vraie. Une brutalité incroyable, les autres noirs et même le père qui l’accusent d’être un traitre quand de leur côté ses collègues le traitent comme une merde. Aucun épisode ne provoque autant d’inconfort pour un indigène que cet épisode, pas un instant on ne cesse de se demander pourquoi il reste dans la police, pourquoi il encaisse tout ça. Mais ce qui est incroyable, c’est que son obstination à rester, c’est la même quête de dignité que celle du propriétaire du restaurant dans Mangrove. Il est anglais, il paie ses impôts, il est légitime. On peut douter, et pourtant, oui, il a le droit d’être policier. Il est d’ailleurs nettement plus diplômé que ses crétins de collègues blancs dont le racisme n’a d’égal que la bêtise et l’ignorance crasse. Eux, c’est le fait d’être blancs les rend supérieurs. Bande de cons.
Avec Alex Wheatle, voilà l’histoire d’un jeune orphelin qui va plus tard devenir écrivain, une histoire vraie, encore une. Mais là encore, plutôt que nous livrer un happy end comme s’en plaignent les ouin-ouins geignards du Télégraph, le gars devient écrivain gna-gna-gna, McQueen nous montre la genèse, une vie de merde dans laquelle 99% d’entre nous aurait sombré. La prison, les bandes. Et puis le reggae aussi, cette bouffée d’oxygène, et puis ces yeux qui brillent quand à la sortie de l’orphelinat le voilà à Brixton entouré de ses semblables, noirs comme lui, et puis les sound-system, et puis l’incendie de New Cross, en janvier 1981, tuant 13 jeunes noirs lors d’un anniversaire et donnant lieu à d’immenses manifestations où déjà le slogan était de dire que les vies noires comptaient, car la police, elle, avait vite clos l’enquête, laissant planer un doute sur une possible origine criminelle de l’incendie. Il y a peu de doute que McQueen ait réalisé cet épisode en pensant à l’incendie de la tour de Grenfell (71 morts, majoritairement noirs et asiatiques) en 2017 et aux manifestations de masse qui ont suivi, là encore une grande majorité de noirs, l’enquête elle même ayant trainé en longueur malgré la responsabilité du bailleur. L’épisode a lieu à Brixton qui, durant le printemps 1981, a été traversé d’émeutes, émeutes de la faim, du chômage et du racisme. Des émeutes qui se sont ensuite généralisées dans l’ensemble du Royaume-Uni et que Margaret Thatcher a balayé d’un « ce n’est pas la société qui est mauvaise, ce sont ces gens ». Toute la société blanche britannique a approuvé, ouvertement ou tacitement, le Labour ne montrant guère de solidarité envers les populations noires, et pourtant, le Labour était dans sa période « coup de barre à gauche ». Blanche, visiblement.
Avec le dernier épisode, McQueen ne pouvait ignorer qu’il allait déclencher un séisme. Education, c’est l’histoire d’un enfant noir et certainement dyslexique qu’on envoie dans une école « spéciale » pour « enfants inadaptés » et « anormaux ». Une politique qui a eu cours en France aussi, ça s’appelait les CPPN, une véritable usine à triage racial qui a eu lieu jusque dans les années 90. Là, on y mettait les Aïcha, les Djamila, les Ahmed, les Fatou et autre Karim en saupoudrant d’un peu de Hervé, toutes et tous réputés « inadaptés pour l’école », avant de les « orienter » dans des écoles professionnelles pour « apprendre un métier » parce que bon, hein, « tout le monde n’est pas fait pour aller à l’école ». Visiblement, le Royaume-Uni a également développé cette politique pour écrémer son système scolaire des jeunes noirs qui avaient des difficultés à suivre, qui étaient trop « différents ». Un débat semble amorcé, beaucoup d’articles ont été publiés à ce sujet ces deux derniers mois.
Un récit fort, urgent…
Difficile de raconter brièvement, sans spolier, ces 4 épisodes dont trois sont basés sur des vies réelles, racontant des luttes, des combats, des violences policières. Difficile également de traduire comment cette série met le blanc de côté. Fait rare, le blanc devient l’autre, le blanc devient cette masse uniforme qu’on entend généralement adressée au sujet des noirs. Il a un visage indifférencié, tous les blancs se ressemblent, ils sont une force extérieure, une sorte d’ennemi trop visible avec lequel il faut composer et dont il ne faut surtout pas se faire remarquer de crainte de s’attirer des ennuis, comme le dit le père de Leroy Logan, ce garçon qui voudra plus tard devenir policier: c’est d’ailleurs cela qui va le conduire à rentrer dans la police, réduire le gouffre entre blancs et noirs…
… de toute beauté noire
Difficile de traduire ici comment ces épisodes composent au contraire, pour les noirs, une incroyable symphonie de couleurs de peaux, de formes de visages, de looks, de tailles. Les noirs sont grands, petits, gros ou minces, le visage rond, carré ou long, les traits fins ou épais, les cheveux afro ou lissés, soudain, tous les fantasmes du type négroïde s’effondrent pour laisser place à une race qui en réalité n’existe pas: la race noire. Un peuple, une histoire, une culture, oui. Une race, non. Que dis-je… Des peuples, des histoires, des cultures. Mais de race, non. On ne voit aucun clone, la variété domine et jusqu’aux différentes pigmentations des corps. Mais qu’avons-nous fait, nous, les blancs, quel crime n’avons-nous pas commis, et quel crime ne commettons-nous pas encore en refusant de reconnaitre le crime…
Et Dieu créa… Lovers Rock
L’épisode le plus fort, le plus violent symboliquement, et que non, vraiment, Nina Zadkine n’a vraiment pas compris, le voilà qui nous explose à la figure. Idéalement placé en deuxième épisode, sorte de contrepoint à la violence policière du premier épisode, il est la réponse du réalisateur aux propos du policier, au regard blanc. McQueen assume. Oui, on fume des pétards, semble-t-il dire dès la troisième minute! Prend-ça dans ta gueule! Non, McQueen ne va pas nous montrer de jolis noirs ripoulinés bien intégrés. Et nous voilà invités chez les « sauvages » pour une soirée, une de ces « house party » dans lesquels peu de blancs ont eu le privilège, et je parle bien de privilège, d’être invités. Le policier visiblement doutait de la qualité des curry du Mangrove, en voilà filmés en gros plans, mijotants de couleurs différentes, appétissants, remplis de ces légumes que nous voyons coupés par des femmes qui cuisinent en chantant et en riant. De grosses marmites. Non, c’est trop complexe pour n’être que de la bouffe, nous avons à faire à de la vraie gastronomie. Si la cuisine s’affaire, de l’autre côté des murs, on vide toutes les pièces de la maison. Ce n’est pas pour un déménagement, on prépare une soirée, et visiblement, il y en aura, du monde…
House Party à Brixton, 1979
L’épisode a commencé par une maison, une fille sort en cachette de chez elle, c’est la nuit. On la retrouve maintenant, avec une copine, elles se sont faites belles, version de cette époque, vers 1979 ou 1980. Cheveux lissés, robe « floue » colorée. Elles prennent le bus et arrivent à la maison. Une atmosphère légère règne. Être noir, c’est exactement comme être palestinien, c’est la situation qui crée la politique, pas la couleur de peau, et ce soir, la ville est légère… Et alors, je ne peux ni ne veux raconter la suite. McQueen nous offre l’honneur de voir ce à quoi ressemblaient ces soirées dans le Brixton de l’époque. Oui, l’honneur car il ne cache rien. On fume des pétards, on danse, on chante, le DJ est aussi réellement le Maitre de cérémonie, le MC, il scande, il rythme la soirée et suit les désirs de son public, les filles sont belles, les garçons sont beau, et voilà un feu d’artifice de beauté noire, voilà ceux que les blancs parfois traitent de singes, de sauvages, de barbares, de « nez épatés » et de « cheveux crépus » explosant tous les préjugés pour former une jeunesse souriante, belle, remplie d’espoir et de bonheur, belle de la variété de ses visages, de ses attitudes, de ses clins d’oeils et de ses amourettes, de ses flirts. Une incroyable sensualité élégante et timide, incroyablement fraiche… McQueen ne nous épargne même pas un moment glauque, car dans toutes les soirées il y a des moments glauques, mais il ne s’y attarde. Non, là où il va s’attarder, c’est sur une chanson, une chanson qui plus que toutes les autres symbolise ce « Lovers Rock », sous genre du reggae typiquement britannique, pur produit de la créolisation du pays, preuve s’il en est que quoi que fassent les réfractaires blancs, la culture est d’ores et déjà transformée, nourrie, enrichie par les populations indigènes.
On peut éventuellement penser que ces longues minutes de Silly games (Janet Kaye) s’éternisent, mais je crois surtout que McQueen a voulu la marteler, en laisser une emprunte, un peu comme après une soirée, en en reparlant avec ses amis, on se souvient de « ce moment », et que « ce moment » suffit à remémorer toute la soirée, le bonheur…
Qu’adviendra-t-il de toutes cette beauté? James Baldwin
Lovers Rock, c’est le plus bel hommage que le réalisateur pouvait offrir à sa communauté, à sa famille, aux siens, à sa propre histoire. Lovers rock, c’est l’incroyable résilience du peuple noir, son incroyable dignité, sa vitalité culturelle malgré les violences policières et la marginalisation. Lovers Rock, c’est la revanche des gamins envoyés dans des écoles poubelles, c’est la revanche d’hommes noirs à qui on refuse une promotion au travail parce qu’ils sont noirs, c’est l’obstination de Frank Crichlow, le propriétaire du Mangrove. Lovers Rock, c’est un immense Fuck You adressé à la blanchitude, mais avec élégance, et avec le sourire, l’air de rien. C’est un geste de beauté pure, un geste d’amour infini adressé aux hommes et aux femmes noires, c’est la promesse que la vie continue. Lovers Rock, c’est pour que les gamins posent des questions à leurs parents, à leurs grands parents pour se réapproprier des pans de l’histoire qui leur a été cachée, exactement comme les y invitent les dernières minutes du dernier épisode, Education. L’avenir du peuple noir est dans son histoire. Et dans la conviction profonde de sa beauté.
Étonnant que Nina Sadkine n’aie pas vu tout cela. N’est-ce pas Houria Bouteldja qui régulièrement aime citer James Baldwin, « mais qu’adviendra-t-il de toutes cette beauté ». C’est exactement la question que pose ce Lovers Rock suspendu entre plusieurs épisodes racontant la violence raciste et systémique de la société britannique. J’espère que cet article, en vous invitant toutes et toutes à regarder cette splendide série, saura également toucher Nina et l’inviter à oublier la mathématique froide de ses références universitaires pour savoir accueillir une série qui restitue à la jeune génération noire du Royaume-Uni des clés de sa propres histoire et de sa propre beauté, des fondations sans lesquelles il est impossible de parler d’émancipation.
Bonjour… Hmmm, par quoi commencer. Février a été rapide, fulgurant même. Me voici donc de nouveau travailleur précaire au Japon, avec un contrat aléatoire dans un marché du travail qui ne l’est pas moins. Février, ça a donc été faire les démarches administratives qui vont avec, l’agence pour l’emploi, etc Ce n’est pas une situation aisée car cela me ramène à mon histoire familiale, la pauvreté, la crainte de manquer, les angoisses de mon père de se voir retirer son autorisation de séjour quand il a perdu son travail, les angoisses de maman pour boucler les fins de mois. On ne sort jamais indemne d’une histoire difficile, tout au plus on apprend à faire la part des choses et à bien comprendre qu’on n’est pas ses parents et qu’il n’y a aucune raison de revivre une histoire qui n’est pas la sienne. Mais comme toujours, cela agit « en toile de fond ». Cela étant, passée l’espèce de sidération qui a accompagné ma nouvelle situation, la colère aussi, j’ai finalement relativisé. Il y en a tellement qui en ce moment sont en train de tout perdre, de souffrir… J’entre, à reculons certes, dans quelque chose de nouveau où il va falloir que je me détache de beaucoup de mes habitudes mais en attendant, ça devrait finalement assez bien se passer. J’aborde les mois qui viennent assez calmement. Tout ça pour vous dire que je n’ai pas trop eu la tête à venir sur mon blog – partager mes humeurs ne valait pas trop la peine car dans de telles circonstances, on finit toujours par beaucoup plus s’épancher et tourner en rond, c’est fatigant pour vous, c’est fatigant pour moi.
Vieux projet datant de plusieurs années et sans cesse repoussé je ne sais pas trop pourquoi, j’ai enfin une platine disque. Un très bel objet datant de 1984 en très bon état, une Denon dp37f. Visiblement, la dp-47f, le modèle du dessus, était très prisée à l’époque et du coup, il est impossible de la trouver pour pas cher, mais la dp37f à qui elle a fait de l’ombre, on la trouve à de bons prix. Je sais que par chez vous, les importateurs la revendent à prix d’or mais ici, pour le moment, c’est très raisonnable. Un très bel objet, donc, comme on n’en fait plus pour moins de 1000 euros. Fabriquée au Japon, avec une jolie caisse en bois verni, en très bel état, très lourde bien sûr et dotée des « dernières technologies » de ce qui a été l’âge d’or de la platine disque – entrainement direct et vitesse contrôlée par processeur « quartz », contrôle électronique du bras (poids, anti-skating, déviation, etc), totalement automatique -, je l’ai adoptée dès que je l’ai vue. Auparavant, je voulais une platine actuelle, mais très vite j’ai découvert qu’à moins de 1000 euros, les platines actuelles sont de moins bonne qualité que ce qui se faisait dans les années 80. J’ai donc commencé à regarder les platines d’occasion, et esthétiquement, j’ai tout de suite eu le coup de foudre. Le bras tout fin, droit et très long enveloppé dans sa coque « servo-drive », les très belles proportions, elle offre un très bel équilibre entre formes rondes et formes carrées. Elle est en très bon état. Que je vienne à devoir m’en séparer, je pourrai sans problème la revendre au même prix voire même plus cher. J’ai acheté un pré-ampli puisque les platines en ont besoin et que mon amplificateur n’en a pas. Là, j’ai fait dans le pas cher, Audio-Technica. Il a toutefois eu de très bonnes revues.
Il ne restait plus qu’à acheter quelques disques. J’ai fait ça un peu à l’arrache, j’avais peu de temps et je me suis littéralement noyé dans la boutique, et puis surtout il était hors de question de dépenser une fortune. Il y avait des bacs à 100 yens, des bacs à 300 yens… Pour 450 yens (3,50 euros), j’ai acheté un « objet », un truc que je n’aurais jamais pensé à acheter autrement qu’en vinyle: Ça, c’est paris, サ、セパリ, un coffret « luxe » de deux albums « hi-fi stéréo » de chansons sur Paris. Yves Montand, Juliette Gréco, Patachou… C’est surtout l’objet qui m’a fait sourire, avec ses photos du « Paris éternel » qui a du faire rêver son propriétaire il y a une cinquantaine d’années.
Pour 450 autres yens, un double-album de Yves Montand de 1976, encore un truc que je n’aurais ni même acheté autrement, ni même pensé à écouter, mais je ne sais pas, l’album m’a fait de l’oeil et il y a dedans quelques chansons que j’aime comme Les feuilles mortes ou Bella Ciao, Les grands boulevards, Battling Joe ou L’âme des poètes.
Pour 450 yens encore, l’album de Bronski Beat, The age of consent. Je n’ai même pas hésité (contrairement aux deux autres). C’est un album beaucoup trop important, un album qui raconte une part importante de mon identité comme de mon histoire même si, lors de sa sortie, je n’aimais pas, ce n’était pas mon genre de truc. Il a fallu que je vois Partying Glances en 1986 pour littéralement absorber la signification profonde de cet album. La couverture m’a toujours fasciné. Les textes sont très beaux.
Pour 750 yens, un des albums que j’étais parti pour acheter, Roxi Music, Flesh and Blood. Je l’ai en version haute qualité mais je voulais l’objet. À mes yeux, le meilleur album du groupe, une incroyable maturité. J’arrive à la caisse et le caissier me dit que si j’achetais 5 albums à un certain prix, j’avais droit à une réduction de 1000 yens. Je n’avais pas le temps, je venais de me noyer une fois dans un trop plein d’albums, limitant mon choix à des trucs soldés, et ça a été « panique à bord ».
Je me suis souvenu avoir vu un maxi de Simple Minds, Someone Somewhere (in Summertime), un titre que j’aime beaucoup, 750 yens, je l’ai acheté, ce qui m’a fait économiser 250 yens!
Je veux y retourner, mais cette fois il me faudra deux ou trois heures et quelques pistes d’achats possibles. J’avais pensé à quelques albums mais il n’y avait que le Roxy Music. Par contre, de bacs en bacs, c’était comme si ma vie défilait sous mes yeux au hasard de l’exploration. Et surtout, je me suis beaucoup amusé de voir bradés ici ces « pressages japonais » qui coûtaient une fortune il y a 40 ans. Seuls « Ça c’est Paris » et Roxi Music sont des « pressages japonais ». Bronski Beat est un pressage canadien, Montand un pressage français, Simple Minds un pressage anglais.
Des achats de hasard, donc, mais qui m’ont permis, lundi soir, de tester mon nouveau joujou. Je ne me souvenais plus du son des disques. Les petits craquements, et puis un je ne sais pas trop quoi, un son plus plein. Les CD, c’est très clairement fatigant, l’aigu grince. Le mp3, je n’en parle même pas, une simple écoute comparative avec un CD, on perd toute l’ampleur du son. La HighRéso, c’est vrai qu’on a tout mais là, c’est ailleurs que ça se situe. C’est une musique invisible, et c’est trop parfait. Le disque, lui, a une présence incroyable, il est là, il est tangible et il se fait l’intermédiaire avec l’artiste, il est la preuve que quelqu’un a fait la musique. J’avais oublié cette sensation.
Et puis aussi on ne m’enlèvera pas de l’esprit qu’il y a beaucoup plus d’informations gravées. Certes, la Haute Résolution est infiniment plus exacte – j’utilise le logiciel Audirvana qui déconnecte tous les filtres de l’ordinateur pour envoyer le signal intact à l’ampli-DAC sans aucune interférence, mais ce n’est pas pareil, le son n’en est pas moins tranché, réduit en des impulsions qui seulement à la fin deviennent des vibrations. Le vinyle, c’est du son du début à la fin, et malgré ses imperfections, ce qui est gravé est l’exacte emprunte de ce que l’artiste a fait. Aucun saucissonnage. J’ai lu beaucoup d’articles sur les limites de l’auditions, on parle de Nyquist du nom d’un scientifique qui a mesuré tout ça il y a une centaine d’années, mais je ne suis pas vraiment d’accord. La science ne mesure pas tout. Il est admis que l’oreille moyenne ne mesure pas vraiment de différence entre un mp3 à 320 et un CD, et qu’un CD est techniquement équivalent à un disque vinyle voire supérieur. Et pourtant, dès le milieu des années 80, le débat a commencé à monter dans la communauté audiophile, chez ceux qui écoutaient de la musique classique particulièrement, l’idée qu’il y avait une certaine « fatigue » après une heure à écouter un CD. On dit beaucoup que ce sont les DJ qui ont sauvé le vinyle, c’est oublier un peu vite les audiophiles qui ont continué d’écouter de la musique sur des platines disques aux formes délirantes pesant plusieurs kilos, isolant le moteur, le disque et le bras. Les audiophiles ont abandonné le CD au milieu des années 90 après en avoir été les supporters 10 ans auparavant.
Pour ma part, je confirme, l’écoute d’un opéra à un certain volume avec un CD provoque une fatigue, une envie d’écourter l’expérience que je n’ai jamais ressentie avec un disque. Ça crie. Quand à la haute résolution, je ne sais pas si c’est purement psychologique, il y a vraiment toutes les informations, le son est plein, il est ample et pourtant il y a quelque chose de « transparent », et je me demande si finalement on ne préfère pas la façon dont les ingénieurs du son mixaient à l’époque du vinyle, quand ils compressaient les sons du fait de la limitation technique du disque. Les « piano » étaient moins « piano », les « fortissimo » étaient moins « fortissimo » mais quelque part à l’arrivée le son remplissait la salle d’écoute quand les enregistrements modernes, terriblement précis, nous laissent seuls dans notre 15 mètres carrés avec les réverbérations d’une cathédrale du 14e siècle dans laquelle notre expérience auditive se noie. Plusieurs fois ça m’a fait cette impression d’une acoustique qui ne cadre pas avec mon expérience. En « compressant » pour le disque et en évitant les effets de réverbération, les ingénieurs du son rendaient l’expérience plus vivante, plus présente, palpable. Ce chanteur, là-bas, au fond, ben il était là. Désormais, il est bel et bien là mais toute la profondeur qui l’entoure ne colle pas avec l’expérience.
J’aime bien, quand je me fais un peu geek, ça m’amuse.
Et puis surtout, c’est un achat de décontraction, un truc qui m’a permis de sortir du stress lié à mon contrat. C’est important, quand on traverse un moment difficile, de s’accorder de la marge si on en a la possibilité. Pour un malade de faire un voyage. Pour un chômeur de s’accorder un truc, un achat pas nécessaire. Pour un étudiant en échec, une semaine sans étudier du tout. Pour un artiste sans travail de s’investir dans un nouveau projet même si à priori ça n’ira nulle part. Pour un obèse malade et luttant pour reprendre le contrôle de son poids, de s’accorder une folie, un truc pas raisonnable. C’est important car c’est une distraction, au vrai sens du terme, et surtout cela permet de fixer une limite entre ce qui est acceptable et ce qui ne le sera pas. Je me suis acheté un objet qui n’étais pas nécessaire mais je n’ai pas explosé mon budget, et en ayant recours à l’occasion, je me suis acheté un bel objet, d’une qualité bien supérieure à ce que j’aurais pu m’acheter pour le même prix, un objet que j’ai adopté au premier regard et qui m’a fait plaisir tout de suite même s‘il m’a fallu attendre 8 jours pour le recevoir, me permettant au passage de ne pas céder totalement à l’achat compulsif qui est un achat immédiat. Je me suis fait plaisir en achetant quelques albums au hasard mais à l’arrivée, 15 euros pour 5 albums, là non plus je n’ai pas été déraisonnable. En fait, il y avait une sorte de limite en moi que je n’ai pas franchie. Je voulais une platine, la musique est pour moi quelque chose d’important, cela faisait longtemps, je suis amené à être chez moi beaucoup plus souvent qu’avant, c’était le moment. Financièrement, ça l’était moins. La limite s’est définie progressivement, quand j’ai commencé à regarder des platines plus chères et « mieux », et que je me disais que « non », je ne pouvais pas, revenant sans cesse à une produit d’exposition un peu abîmé et bradé dans une boutique à Akihabara. Une platine multi-primée ces dernières années. Je suis allé la regarder, il y avait quelque chose de vilain dans son état, mais « je la voulais ». Ça, c’est l’achat compulsif typique. J’ai repensé à mes parents qui, malgré les problèmes d’argent, n’achetaient que des objets soldés ou d’occasion, mais de qualité. Et c’est ainsi que je suis arrivé à ma platine Denon. Elle m’a coûté moins cher que l’autre, elle est dans un très bel état, et elle est d’un tout autre niveau. Et comme je l’ai dit plus haut, si je dois m’en séparer, je n’aurai aucun mal à la revendre au même prix ou même plus cher. D’ailleurs, comme sa grande soeur la dp47f explose les prix, il y a un engouement sur la dp37f qui se développe et les prix ne tarderont certainement pas à monter.
Alors quoi… Ben je me suis fait plaisir, et c’est quelque chose d’important quand par ailleurs je limite mes dépenses pour m’ajuster à ma nouvelle situation. J’ai fait toute la paperasse nécessaire car il y a des aides ciblées de mon arrondissement et de l’ambassade de France, et je les ai demandées. Je ne sais pas si j’aurai droit à toutes malgré une chute de plus de 1/3 de mes revenus. Ce qui compte est que je les ai demandées. Je me suis fait plaisir pour me sortir la tête du mode panique dans lequel j’ai parfois été en janvier. Pour me prouver peut-être inconsciemment que ça va, et quand on cherche un emploi, quand on cherche à rebondir, c’est certainement le plus important. J’aide mon amie Tarika a refaire son site internet, ça m’a demandé un peu de temps, mais son site était une véritable horreur, or elle en a besoin pour trouver du travail: elle est danseuse. Son site est totalement nouveau maintenant, propre, moderne et prêt pour recueillir tout ce dont elle a besoin. Je la coache un peu car pour les artistes, en ce moment, c’est la catastrophe. Disons plutôt que nos conversations la maintiennent dans la focus. Et ce faisant, je m’aide également dans ce qui s’annonce comme ma reconversion. Quelque part, en la coachant, elle me coache indirectement car je focalise sur ce qui est important pour elle, et donc pour moi.
De la même façon que la flûte baroque que j’ai achetée l’an dernier est l’objet par lequel j’ai dit au revoir à maman tout en renouant le fil avec tout un pan de ma propre histoire, cette platine disque est le symbole du chemin dans lequel je m’engage et me désembue l’esprit. C’est fini, la bagarre…
Je me suis replongé dans un grand chantier laissé en plan il y a des années, un truc alors trop ambitieux pour moi. Cet énorme chantier sous les yeux, je me suis senti bête, j’avais un bijou magnifique et je l’ai laissé en plan, sans aucune attention, en train de prendre la poussière. Et quand je dis un bijou, c’est vraiment ce que j’ai compris.
Faites-vous plaisir, même si c’est à la limite du raisonnable. Faites-vous vraiment plaisir, c’est à dire explorez toutes les possibilités de ce qui vous plairait vraiment. Si c’est un voyage, ne soyez pas radins, si pour un peu plus vous avez le voyage de votre vie, choisissez celui-là. Si c’est un gros gâteau, n’allez pas au Carrefour, choisissez le meilleur pâtissier que vous connaissiez. C’est pas une question de marque, ce n’est pas une question de prix, c’est avant tout la valeur que vous donnerez à ce qui est déraisonnable, pour n’avoir aucun regret, pour être pleinement satisfait, rassasié et le coeur rempli de tout ce que vous en attendiez pour faire par ailleurs les sacrifices que vous êtes condamnés de faire. Pour moi, c’est un énorme ajustement financier, heureusement en partie accompli depuis l’an dernier: quand la crise de la Covid a commencé, j’ai immédiatement freiné dans tous les sens et je suis parvenu à épargner un peu. Je ne culpabilise absolument pas sur mon achat, je vous en parle au contraire parce que j’en suis très content, et qu’il est une promesse que je me fais à moi-même, celle d’utiliser la situation comme une opportunité. Cet achat définit en quelque sorte une limite à tous les niveau, il m’émancipe. C’est lui qui m’a conduit à oser regarder cet immense chantier laissé en plan, avec dans le coeur le sentiment d’un immense gâchis, d’être bête. Et avec une certaine impatience aussi d’avoir à retrousser les manches et m’y mettre. C’est lui enfin qui me fournit l’occasion, aujourd’hui, de revenir sur mon blog après avoir passé le mois de février à l’optimiser, à payer une année de serveur en avance, sans y écrire. Alors faites-vous plaisir, mais faites de ce plaisir un totem, un moment important chargé de sens et sur lequel vous pourrez vous appuyer pour accomplir les efforts que vous avez à accomplir.
Un matin de 1984, c’était le lendemain d’une de mes émissions de radio, j’étais rentré au petit matin, ça tape à la porte, avec insistance. J’émerge, j’enfile une robe de chambre et je vais ouvrir.
À la porte, un homme et une femme que je ne connais pas mais qui ne tardent pas à se présenter après avoir confirmé mon identité. C’est la police. Mon coeur se met à battre, je me demande ce qui se passe.
J’habite seul depuis septembre 1983, c’est la première fois
que j’ai la police qui débarque, comme ça. Ils me demandent ce que je faisais à une certaine date, puis ils me demandent si je connais un certain … (désolé, je ne me rappelle même plus son prénom… ça fait tellement longtemps), mais je ne tilte pas, et puis ils me disent, « peut-être vous le connaissez sous le nom de Snuff ». Et là, ben oui… Ils me tendent une convocation pour l’après-midi dans un commissariat du 11e arrondissement.
La vache, qu’est-ce qui se passe?
Snuff, quand on était un rocker, ou qu’on traitait dans les concerts parisiens, on le connaissait. Moi, je le connaissais un peu plus, il était venu squatter chez moi quelques fois, et puis, on avait même essayé de le faire décrocher de l’héroïne. Je me revois, avec une amie, on allait de pharmacie en pharmacie pour acheter je ne sais plus quel médicament qui pouvait aider. Quand j’ai vu Trainspotting, le personnage de Spud m’a fait penser à lui. Snuff était un garçon super gentil, très très doux mais avec un allure à filer la trouille à plein de monde. Un fils de prolétaire qui était devenu punk au tournant des années 70, avait trainé avec Métal Urbain, mais qui n’avait pas eu les moyens d’atterrir par la suite, et qui s’était enterré dans la came.
On était devenus copains, on ne trainait pas ensemble, pas la même tribu, mais je le trouvais super drôle. Quand il débarquait chez moi, je lui proposais de rester, je lui faisais le petit déjeuner, et on bavardait de plein de trucs. Il connaissait « tout le monde », à Paris. Physiquement, il n’avait pas d’âge, la drogue l’avait bouffé.
Une fois, il s’était pointé avec une fille, une suédoise. Je les avais laissés ensemble, mais il avait pigé que ça me faisait chier qu’il prenne mon hospitalité pour un squat. Il n’avait pas recommencé.
Je suis allé au commissariat l’après-midi, et là, j’ai appris l’histoire.. Bon, en fait, j’en avais entendu parler, on ne parlait que de ça depuis quelques jours dans le milieu rock, mais je n’en savait pas beaucoup plus. Il y avait eu des tirs devant le Cithéa, un bar-concert rue d’Oberkampf, après une bagarre avec des skin-heads. En fait, ça faisait plusieurs mois que les soins provoquaient régulièrement et qu’il y avait des descentes suivies d’agressions. Cette fois-là, un skin avait été tué et un autre blessé.
Le récit que m’ont livré les policiers était assez détaillé et il y avait un problème, deux suspects, dont Snuff, restaient introuvables. Ils m’ont posé des questions, j’avoue, je n’avais pas grand chose à répondre, je n’y étais pas, je leur ai expliqué que moi, depuis plusieurs mois, j’écoutais de la musique psychédélique et que donc je ne trainais plus avec les gens qui allaient au Cithéa. Ils m’ont demandé comment j’avais connu Snuff, je leur ai parlé de mes émissions de Radio, je leur ai dit que « tout le monde » connaissait Snuff. Je crois que mes explications les ont hallucinés.
Je continue, par contre, de me demander qui a bien pu leur donner mon adresse et mon identité.
Je vous raconte ça car comme je ne suis pas bien l’actualité française depuis mon départ, je n’ai pas suivi les reportages ni la libération de Laurent Jacqua, celui qui a été inculpé dans cette affaire avant au bout d’un moment de s’évader et de devenir un braqueur.
Je suis tombé sur un de ces reportages, celui de Karl Zéro. J’ai écouté son récit de cette soirée là, un récit un peu différent de celui qui avait circulé dans Paris à cette époque-là, assez différent aussi du récit que la police m’avait fait et qui avait conduit Snuff à quitter Paris pendant deux ans.
Vers 1987, un soir, j’allais à une soirée House rue Ponthieu, une bande de motards Hells Angels passent, un type me regarde, il s’arrête et me fait un grand sourire. C’était Snuff. Ça m’a fait super plaisir de le voir, on se fait la bise, on bavarde, et puis il repart.
Il était désormais Hells Angels et évangéliste.
Il est mort quelques années plus tard du SIDA comme plein d’héroïnomanes. Je crois que c’est mon ami Xavier qui m’a appris ça. Laurent Jacqua lui-même est séropositif. La drogue…
J’ai cherché sa fiche Wikipédia. Depuis sa libération, il s’occupe de la commission « prison » à Act-Up, a écrit des bouquins. Incroyable, dans l’interview, sa façon de parler, un gars des faubourgs, j’ai pensé. Ça en ferait, un beau film, sa vie.
Voilà. Je n’ai pas pu m’empêcher de gratter dans mes souvenirs, et il me semble, je dis bien il me semble entrevoir qui c’est, dans ce brouillard qui enveloppe le passé ancien et qui souvent, aussi, nous trompe. Même si son récit est différent de celui qui m’a été rapporté, si la police recherchait Snuff, c’est que Laurent Jacqua trainait avec lui, et comme il m’arrivait encore de croiser Snuff à cette époque, il me semble bien apercevoir quelqu’un souvent avec lui. Mais peut-être je me trompe. C’est juste que le souvenir de cette convocation à la police un lundi, et puis cette histoire, et puis la disparition de Snuff, ça ouvre la boîte à souvenirs, et j’aime ça, vous le savez bien.
Un parcours triste, littéraire au plein sens du terme, dans lequel il ne s’est pas laisser enfermer: malgré les braquages, un type bien, Laurent Jacqua, qui le prouve depuis une dizaine d’années. La rédemption.
Cookies et confidentialité
Comme tous les sites, MBC Tokyo utilise des cookies pour offrir certaines fonctionnalités et rendre la navigation plus agréable.
Vous pouvez en refuser certains. Sachez toutefois que certaines fonctionnalités pourraient alors ne plus fonctionner.
Vous pouvez modifier ces paramètres à tout instant.
Fonctionnel
Toujours activé
Le stockage ou l’accès technique est strictement nécessaire dans la finalité d’intérêt légitime de permettre l’utilisation d’un service spécifique explicitement demandé par l’abonné ou l’internaute, ou dans le seul but d’effectuer la transmission d’une communication sur un réseau de communications électroniques.
Préférences
L’accès ou le stockage technique est nécessaire dans la finalité d’intérêt légitime de stocker des préférences qui ne sont pas demandées par l’abonné ou l’internaute.
Statistiques
Le stockage ou l’accès technique qui est utilisé exclusivement à des fins statistiques.Le stockage ou l’accès technique qui est utilisé exclusivement dans des finalités statistiques anonymes. En l’absence d’une assignation à comparaître, d’une conformité volontaire de la part de votre fournisseur d’accès à internet ou d’enregistrements supplémentaires provenant d’une tierce partie, les informations stockées ou extraites à cette seule fin ne peuvent généralement pas être utilisées pour vous identifier.
Marketing
Le stockage ou l’accès technique est nécessaire pour créer des profils d’internautes afin d’envoyer des publicités, ou pour suivre l’internaute sur un site web ou sur plusieurs sites web ayant des finalités marketing similaires.