Un film pédé, un film SIDA et peut-être le premier dans son genre. Et le tout sans larmoiement, non, ça aurait été trop facile…
Hier soir, je suis rentré vers 10 heures 15, j’ai mangé rapidement, je me suis posé, et puis je ne sais trop comment, j’ai eu envie de revoir Parting glances (traduit en France par Clin d’oeil sur un adieu), un film de 1986 que je n’avais pas revu depuis cette époque. J’avais fait des tentatives mais chaque fois c’était encore trop présent.
Ce film est un tournant à beaucoup d’égards mais il est avant tout ce qui m’a fait réaliser, dans cette petite salle à Saint-Michel, que nous nous apprêtions à traverser une catastrophe, une catastrophe dont peu de monde alors mesurait l’ampleur ni ne la mesure encore à sa juste place. L’épidémie de SIDA, qui a fauché des centaines de milliers de jeunes dans les pays développés et des millions d’hommes et de femmes à travers le monde, principalement en Afrique. Un tsunami ignoré.
Je suis sorti de la salle en larmes, tétanisé, paralysé et c’est cette sorte de paralysie qui m’accompagnera durant toute l’épidémie, impuissance d’abord, effondrement puis dépression enfin, avant de finalement développer des pulsions suicidaires, l’épidémie battant son plein quand en Algérie commençait la guerre civile. Je me recroquevillais chez moi, je me coupais de tout, je ne voyais quasiment plus personne, invisible le jour, ombre glauque à l’affut de sexe facile la nuit dans Paris désert.
Il m’a fallu m’appuyer sur un instinct de survie très fort, sur l’affection reçue par mes parents pour me résigner à aller consulter une analyste afin de démêler ces noeuds que j’avais faits en moi.
Et il m’a fallu trois ans pour, finalement, parler enfin du SIDA pour une première fois avec elle. Ce n’est pas que je n’en avais pas parlé, non, je la provoquais, ma psy. Mais je ne lui en parlais pas vraiment, de cette boule au fond de moi. Icels qui suivent une analyse comprendront ce que je veux dire.
Quand la boule est trop forte et qu’elle explose, que les mots sortent sans qu’on ne puisse plus les contrôler dans un magma incohérent d’abord mais qui finit par s’ordonner, et alors, dehors, l’air se fait plus clair, plus transparent, les gens plus réels et cette fichue envie de pleurer disparait.
J’ai contemplé ces années, et j’ai simplement été très triste. Les trithérapies sont arrivées vers la même époque et moi, j’ai enfin commencé à vraiment aimer le soleil, les siestes sur un banc, en été, le bruit du vent, le bruit de l’eau.
L’histoire du film est pourtant d’une banalité affligeante, mais c’est précisément cette banalité qui en fait un film bouleversant. Le réalisateur, Bill Sherwood, est décédé des suites du SIDA quatre ans après la sortie du film, en 1990, et Parting Glances est donc son seul film. Il est parvenu à faire de ce film le testament d’une époque, d’un état d’esprit et d’une culture juste avant le naufrage des années qui ont suivi.
New York, 1986. Michael, un jeune homme de 28 ans, vit avec Robert. Tous deux forment un couple de classe moyenne, presque ordinaire s’il ne s’agissait pas d’un couple homosexuel. Michael a eu il y a plusieurs années un amant auquel il est resté attaché et dont il s’occupe, Nick (Steve Buscemi), sorte de rocker-new-wave des années 80, la mèche qui lui barre le visage, blouson de cuir et lunettes noires, et séropositif. En 1986, une sentence de mort, pour ainsi dire.
Sur deux jours, le film peint comme en transparence la vie d’un couple, la vie culturelle à New-York, l’amitié, la tendresse et le désarroi face à une saloperie contre laquelle il n’y a aucun remède, tout au plus des mixtures à base de légumes sensés apporter des vitamines. Et ici et là, la réalité de l’Amérique reaganienne qui ne fait rien contre la maladie.
C’est un scénario très simple, une histoire délicate et amusante parfois, avec beaucoup de tendresse, et je crois que c’est ce qui m’avait le plus bouleversé. Les pédés sont dans ce film et pour la première fois peut-être, dépeints comme ils sont, ni bons ni mauvais, banals et vivants, et aussi pour la première fois le VIH s’invite dans sa simplicité morbide, sorte de troubleur de fête bien décidé à s’imposer.
Un film pédé, un film SIDA et peut-être le premier dans son genre. Et le tout sans larmoiement, non, ça aurait été trop facile…
Ça faisait donc 24 ou 25 ans que je ne l’avais pas vu, et hier soir, j’ai « vu » pour la première fois le vendeur de disque, Peter (Adam Nathan, qui visiblement n’a pas continué longtemps sa carrière). Je ne l’ai pas vu, non. J’ai littéralement craqué… C’est amusant constater le temps qui est passé en prenant conscience que cet acteur doit avoir le même âge que moi aujourd’hui, la même calvitie et que l’idiot que je suis ne l’avait même pas remarqué…
C’est étonnant comme les trucs qui tentent de « recréer » l’atmosphère des années 80 tombent à ce point à plat pour transcrire la légèreté qui y régnait avant qu’elle ne soit balayée par une épidémie que la grande majorité de la population a tout simplement ignoré parce qu’elle concernait avant tout les pédés, les toxicomanes, les protituéses et l’Afrique…