Non seulement je me suis retrouvé dans la situation de subir l’influence d’un voisin au point de m’empêcher de faire quoi que ce soit de mes mâtinées, mais cela a révélé tout ce que je ne pouvais pas faire, faute de me concentrer sur moi. Début septembre, j’en étais à vouloir faire des listes des choses que je devrais faire pour améliorer ma situation.
Vous vous rendez-compte, mes absences ici sont de plus en plus fréquentes, de plus en plus longues… Ce ne sont pas les idées qui me manquent, ni les envies, ni le temps. Non, c’est l’énergie de, qui a manqué, et qui peut-être continue de manquer. Problème de sommeil.
Je vous ai parlé de mes problèmes avec mon voisin, eh bien ça a continué, et j’ai finalement réalisé que si je souffrais de troubles du sommeil, ce n’était pas un problème d’apnée ni un problème d’insomnies, mais bel et bien un problème de voisinage. Je l’ai réalisé cet été quand, une nuit, alors que j’étais plongé dans un rêve, une sorte de grincement surgi de nulle part est venu donner un tour aberrant à ce qui était jusqu’alors un rêve plutôt agréable au point de m’éveiller dans une sorte de demi-somnolence qu’est venu interrompre un « wouah » et le son strident d’un jeu vidéo. Celui-ci n’était pas très fort mais insistant, et visiblement c’était très excitant pour lui. Enfin, pour eux car il était avec quelqu’un.
Il était quatre heures du matin. Et après, je n’ai pas pu me rendormir.
J’ai compris que désormais, le soir, le moindre bruit m’empêchait de m’endormir ou me tirait de l’endormissement, me réveillait et accélérait mon rythme cardiaque d’angoisse de ne pouvoir dormir. J’ai compris que ça ne pouvait plus durer. Cette nuisance était régulière, certaines semaines, c’était deux ou trois fois.
Pendant deux ans, j’ai pris l’habitude de taper au mur, me sentant vraiment con de faire ça. Et puis il y a eu l’incident de ce printemps, et depuis je ne le fais plus. Je veux dire, je ne suis pas son père, ce n’est pas mon travail, gérer mon voisin. Au fil du temps, je me suis aperçu que par contre, c’était lui qui me gérait, que finalement je me retrouvais contraint de suivre plus ou moins son rythme à lui.
Je suis du matin, j’aime me lever de bonne heure, j’ai rompu avec les grasses mâtinées il y a de nombreuses années. J’aime le calme du matin, ce n’est pas une question de calme réel, mais plutôt du calme dans ma tête quand je me lève tôt. Le calme du temps long et lent devant moi avant de partir travailler. Le temps pour écrire, par exemple.
Mon sommeil perturbé, je me réveille aussi fatigué que la veille, je ne veux pas sortir de mon lit pour finalement n’émerger qu’après 8 ou 9 heures. Pour moi, neuf heures, c’est trop tard. Je déjeune, je me prépare, il est déjà onze heures. Ce n’est plus le matin, c’est la journée. C’est fini. Alors je prends mon téléphone et je regarde X, ou alors je regarde une vidéo sur YouTube en attendant que ce soit l’heure de partir, ou l’heure de préparer le déjeuner.
Je sais bien que je pourrais m’y prendre autrement, mais pourquoi je devrais bousculer mon propre rythme, ma propre façon de percevoir le temps, mon temps?
Vous voyez, là, il n’est pas encore dix heures du matin. Je me suis levé vers 7 heures, j’ai déjeuné, j’ai regardé un peu d’infos et ma deuxième machine est en train de tourner. J’ai également chargé les photos prises ce weekend à Kamakura dans Lightroom. J’en ai profité pour jeter des doublons. Et j’écris. Et il n’est pas encore dix heures.
Je ne suis pas trop satisfait de ce début de mâtinée mais en réalité, j’en suis tout de même assez content. Peut mieux faire, on dira. Mais ça faisait longtemps que je n’avais pas repris ce que je considère être mon rythme à moi.
À la fin du mois dernier, il a remis ça, mais cette fois, j’ai enregistré, et puis j’ai écrit un long mail au propriétaire. J’y ai joint un enregistrement. Il était cinq heures du matin, et ils en étaient à chanter une chanson de je n’en ai rien à foutre. Ils étaient trois ou quatre.
Ah, oui, il a plus de quarante ans, même s’il en parait bien plus.
Mon propriétaire lui a écrit puis m’a recontacté. Il a fallu que je réponde car mon voisin minimisait le bruit. J’en ai remis une couche. Depuis, c’est silencieux, et je peux dormir. Je continue de me réveiller à deux heures (il lui arrivait de rentrer chez lui vers cette heure-là et de jouer pendant une bonne heure en hurlant par intermittence, vraisemblablement quand il perdait ou gagnait), ou vers quatre heures (ça, c’était quand il avait un ami qui venait et qu’ils rentraient en parlant à très haute voix dans l’escalier avant de claquer la porte pour ensuite jouer jusqu’à six ou sept heures du matin).
Oui, ça en était rendu à ça.
Ça avait commencé pendant les confinements, quand son travail est passé en ligne. Il a alors totalement perdu la notion du temps. C’est ainsi que j’ai pris l’habitude de taper, histoire de lui rappeler que c’était la nuit. Il n’est pas méchant (même si j’ai compris cette année qu’il était lâche et absolument pas mâture puisqu’il refusait de prendre la responsabilité de ce qui s’est passé en mai, m’affirmant même qu’il était hors de question qu’il paie car ce n’était pas lui qui avait démoli le mur…).
Chaque fois que je tapais, ça redevenait calme. Et de mois en mois, considérant peut-être que s’il était trop bruyant je taperais, il s’est mis à devenir franchement bruyant. C’est ça que j’entends, quand j’écris que c’était à moi de le gérer.
Et puis il y a eu le mois de mai.
Le propriétaire a profité des travaux de réfection du mur pour faire mettre un isolant phonique. Pas un truc hors de prix, mais un truc qui, en gros, diminuerait le son de quelques décibels (j’ai cherché sur le net, ça correspond à une diminution du bruit de 50%). Avec un voisin normal, ce serait largement suffisant pour faire que plus jamais il n’y ait la moindre nuisance.
Pour lui, ça a été le contraire, il s’est mis à y aller franchement, et c’est de cette façon qu’on en est arrivé à la situation que je vous décrivait.
J’en profite pour préciser qu’à mon avis, il n’a pas vraiment mesuré qu’en mai, j’ai été menacé de mort avec exécution partielle puisque le mur a été fortement endommagé par les coups qui y ont été portés. Et le tout saupoudré d’insultes homophobes. Je dis ça, parce que quand les travaux ont été réalisés, début juillet, il a invité des amis à lui et qu’alors que je les croisai dans la rue, ils plaisantaient tous « il y est allé fort, ha ha ha ».
Cet été, je n’ai plus tapé sur le mur malgré la situation qui empirait. La nuit, je ruminais, seul dans mon lit. Des pensées insupportables où se télescopaient la situation, mon âge, ma situation professionnelle et financière et j’avais beau tout tourner dans tous les sens, je me sentais coincé, piégé.
Non seulement je me suis retrouvé dans la situation de subir l’influence d’un voisin au point de m’empêcher de faire quoi que ce soit de mes mâtinées, mais cela a révélé tout ce que je ne pouvais pas faire, faute de me concentrer sur moi. Début septembre, j’en étais à vouloir faire des listes des choses que je devrais faire pour améliorer ma situation.
Des listes… Je ne suis pas une personne « liste ». Chaque fois que j’ai commencé une nouvelle mission d’intérim, le manager me poussait à prendre des notes. Je n’en prenais pas, les seules notes que je prenais, c’était les mots de passe. J’ai une mémoire visuelle et je pense de façon synthétique.
Si je fais une liste, c’est le meilleur moyen pour que je ne fasse rien, car quand je commence une liste, je ne m’arrête plus. C’est comme ma liste de cadeaux de Noël quand j’avais 6 ans, après trois mois de cours préparatoire: grâce à Daniel et Valérie (merci la méthode globale), j’avais compris que l’écriture, c’était du sens, et quand Noël est arrivé, j’ai recopié dans un catalogue tous les jouets que je voulais. Il y en avait trois pages.
C’est ce Noël là que j’ai compris, pour le Père Noël.
Alors non, faire une liste, c’est le meilleur moyen de me perdre, d’oublier « the big picture », parce que « the big picture », c’est ma façon de penser. C’est quand j’ai une bonne compréhension du tout que je vais au détail, que je décide des priorités.
Ainsi, écrire sur ce blog, c’est depuis de nombreuses années la priorité des priorités. Il y a plusieurs fonctions. L’une est thérapeutique, je peux exprimer mes colères, mes interrogations, mes doutes. Une autre le plaisir d’écrire, de raconter. Une autre encore est politique, je peux exprimer mes indignations, mes espoirs, mes analyses, ma façon de penser. Et puis une autre surtout, et celle-là est importante, c’est entretenir ce lien intime avec l’écriture, geste d’échange incroyablement complexe où la pensée doit être précise: en fait, il y a un lien très étroit entre cette « big picture » et l’écriture, chez moi.
Mon blog me ressemble, et plus j’écris, et plus mon écriture se fait précise, intime, fluide, mes doigts se font outil de mon cerveau et je me prends à penser à la vitesse de la frappe. Ecrire, c’est aussi, on l’oublie souvent, un geste incroyablement technique et on ne parvient à s’émanciper de cette contrainte qu’en écrivant beaucoup, vraiment beaucoup.
En fait, j’adore ça, écrire, raconter, partager.
Chaque matin, en me réveillant fatigué et embrumé par une nuit d’angoisses diverses, avec le sentiment d’avoir une vie de merde, il m’est impossible d’écrire. La fatigue est une chose, mais le sentiment d’être piégé, c’est la meilleure recette pour procrastiner.
En septembre, je n’ai rien fait. Je me suis retrouvé piégé en moi, dans le pire état dans lequel il m’est arrivé de me trouver depuis 30 ans, à l’époque de mon analyse. La perspective de mon anniversaire, 59 ans, ajoutait à une angoisse sourde en moi. Peur de l’avenir, d’être déclassé, de me retrouver un jour à la rue, peur de perdre une dent, peur d’être infirme, d’être malade, peur de tout et peur de moi. Doute sur mes choix dans la vie, choix de mecs, choix de vivre ici. Chaque envie dans la « big picture » s’est retrouvée prise dans ce doute pour prendre le goût d’un « ça ne sert à rien » ou de « ça n’ira nulle part ».
Comment puis-je écrire sur ce bog quand la vie n’est plus que la sempiternelle reproduction d’un même dont j’ai perdu le contrôle et qui me mène inexorablement vers la mort ou, bien pire, la souffrance physique et morale…
J’ai les outils pour sortir d’un tel état, heureusement, et par conséquent je ne me suis pas enterré dans une dépression. J’en ai juste respiré les effluves, me contentant de m’y promener au bord avec la crainte d’y retomber. Chez moi, la dépression, c’est ce sentiment d’être piégé et d’avoir devant moi un mur infranchissable.
Chacun son joujou, hein…
Je sais qu’il n’y a ni mur, ni piège. Je sais qu’il suffit d’un geste aussi pour abattre toutes les cloisons (marrant, hein, avec le mur défoncé au printemps…), et qu’après de nouvelles possibilités apparaissent. Et puis je sais aussi qu’il faut prendre son temps, ne pas trop en faire ni surtout trop chercher à en faire.
J’ai donc abattu la cloison. J’ai écrit au propriétaire. Ce faisant, j’ai fait valoir mon intérêt. Et en écrivant le deuxième mail en précisant que mon voisin esquivait sa responsabilité, j’ai affirmé mon droit, ma valeur. Je me suis fortifié en dedans.
C’est peut-être un problème générationnel qui m’a conduit à accepter cette situation si longtemps et dont je me suis affranchi. Être cool. Ne pas être le voisin chiant.
Mais ici, finalement, qui est le voisin chiant, et qui, précisément, n’est pas cool.
J’avais endossé sans même m’en rendre compte l’habit de mes parents (subir le racisme, subir les insultes dites par derrière, etc) et particulièrement celui de ma mère (ne rien dire, ne pas se plaindre), je me suis inconsciemment créé mon propre enfer sans même au point de sérieusement menacer ma santé mentale.
S’il y a une chose dont je prends toute la responsabilité, c’est bien de ne pas m’être plaint plus tôt à mon propriétaire. Après tout, ce type, ce n’est pas mon copain. Et puis je paie un loyer. Et puis dans le contrat, c’est écrit, qu’après dix heures on ne doit pas faire de bruit (et on ne peut pas dire que je sois chiant, s’il faisait du bruit jusque 11 heures ou même minuit, ce serait pas vraiment un problème).
Tout ça pour être un « voisin cool ». Pour me conformer à une image que je me fais de moi. Un mec cool, jeune… Je t’en foutrais, moi, de ces résidus de boomers…
Depuis, le silence est revenu. Je continue d’avoir des problèmes de sommeil, des réveils à deux heures et quatre heures, mais je parviens à me rendormir assez rapidement, et je retrouve mes rêves. Le matin, je recommence à savourer le temps long. Ce n’est pas encore parfait, mais oui, je reprends mon temps à moi.
Et ma perspective a changé: s’il n’est pas content, il n’a qu’à déménager ou à aller jouer chez ses potes.
M’est avis que cela va mettre un certain temps à se remettre en place, chez moi, mais je le sens, chaque jour, je me sens mieux. Il reste encore cette fatigue, ce manque d’énergie, mais là, alors que j’écris, et que je confie ce lourd poids que j’ai trainé durant des mois, je me sens beaucoup mieux.
Hier, j’ai pris mon appareil photo en journée et j’ai mitraillé tout et n’importe quoi comme je ne l’avais pas fait depuis longtemps. D’ailleurs, récemment, je suis allé deux fois à Kamakura alors que durant des mois, quand venait le weekend, la motivation d’y aller n’y était pas, rien que la peur de ne pas pouvoir dormir la nuit avant m’en coupait toute envie.
Depuis deux semaines, je repense à certains projets, la « big picture » reprend forme. Il y a toujours ce sentiment absurde que cela ne sert à rien, mais si on va par là…
Il y a le plaisir. C’est important, le plaisir. Non?
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