En septembre, la rentrée est une envie de neuf, mais cette année, pour la première fois, j’ai une toute autre envie. Faire de la place…
Enfance
Faire de la place…
Enfance. Septembres synonymes de fin des vacances, de feuilles de marronniers et platanes brunissant, commençant à tomber, de marrons et châtaignes que l’on ramasse avec leurs coquilles éclatées à côté, du soleil qui prend cette teinte orangée si particulière de la fin de l’été à l’heure du coucher en début de soirée, dessinant de longues ombres sur le sol quand il est l’heure pour nous, les enfants, de rentrer à la maison après avoir joué tout l’après-midi…
Enfance. Rentrée des classes, odeur de cahiers neufs, petit pot de colle avec son odeur d’amande, nouvelle table avec le casier en dessous, novel instituteurice et puis plus tard, liste interminable de « fournitures » et de novelses professeurses, les novelses copaines.
Enfance. Il y avait en moi la nostalgie de l’été qui s’achevait, avec ses souvenirs et déjà ce sentiment du temps qui file et que je n’avais pas vu passer, et puis aussi l’excitation pour ce saut dans l’inconnu, cette nouvelle année dont le terme serait une fois encore de retrouver le vacances, mes oncles, tantes et cousineses et durant laquelle j’aurais appris et vécu des choses nouvelles.
Oui, pour moi, la fin du mois d’août était bel et bien le début de l’année, le moment où tous les jeux étaient ouverts, où tout était remis à plat, où tout pouvait commencer.
Mon anniversaire venait renforcer ce sentiment: je suis né en septembre, juste quand l’été s’achève et va laisser la place à l’automne. Amusant, voir le début de toute chose quand la nature, tout autours de soi, se plonge dans son grand endormissement.
Septembre
Ce souvenir est très profondément encré en moi, et finalement, je continue à voir les choses ainsi: septembre, c’est « la rentrée », le véritable début de l’année. Je laisse le premier janvier au cycle solaire. Moi, c’est en septembre que je bourgeonne.
Oui, même un vieil arbre fait des bourgeons.
En septembre, cette « emprunte » de la rentrée, ça a toujours été une envie de neuf, nouveaux cahiers et nouveaux livres comme au temps de l’école, envie d’achat, de déménagement, de nouveaux vêtements, mais cette année, pour la première fois, j’ai une toute autre envie.
La nature m’y a un peu aidé.
Séisme
Le 8 août, il y a eu un séisme assez fort au sud ouest de l’archipel, au large de l’île de Kyûshû. Une magnitude de 7.1 et, à certains endroits de l’île, une intensité 6+ (sur une échelle de 7).
D’ordinaire, cela n’aurait pas eu de conséquence importante pour moi car je m’y suis habitué, et puis de toute façon, Kyûshû, c’est très loin. Mais voilà, il a eu lieu à un point de contact entre la plaque Eurasienne et la plaque philippique, et c’est cette dernière qui a « poussé » . Or, le long de la façade Pacifique, des îles Okinawa à Shizuoka à l’ouest de Tôkyô, cette activité sismique continue a formé une fosse de plusieurs kilomètres de profondeur (il s’agit de subduction, la plaque philippique rentre dans la plaque eurasienne).
On attend donc pour toute la région du centre du Japon, là où la plaque Pacifique rentre en contact avec la plaque Philippique (et forme donc une sorte de « résistance »), un méga séisme dit du « nankai », le long de la fosse, et plus particulièrement entre Shizuoka et Nagoya: en effet, plus au sud, là où ça a bougé il y a trois semaines, ce n’est pas que c’est pas grave, mais il s’agit juste d’une activité « normale », une plaque rentre dans une autre.
Êais au centre du Japon, alors que cette même plaque rentre dans l’autre, il y a une troisième plaque sur son flan Est qui la « guide » et en limites les possibilités de jeu. On attend donc quelque chose de plus fort, avec en prime cette fosse qui peut conduire à des processus d’effondrement le long des côtes. Pour couronner le tout, ce séisme pourrait conduire au réveil du Fuji (il est toujours en activité), et activer le jeu de plaques très complexe sous Tôkyô.
Réalisme
Nous avons donc eu, pour la première fois depuis que le système d’alerte a été créé, une « alerte sérieuse » (ce n’est pas l’« alerte maximale » où on demande aux gens de quitter la région): on nous a recommandé, particulièrement pour la population au centre du pays, de constituer des réserves d’eau, de nourriture d’urgence et réviser les gestes importants à observer en cas de tremblement de terre.
Comme le mois dernier j’ai renouvelé mon passeport, je me suis aperçu que certaines informations sur le site des Français établis hors de France étaient dépassées: je les ai toutes mises à jour et en particulier changé mon « premier contact » d’urgence. Ben oui, si je venais à mourir…
Et pour la première fois depuis que j’habite ici, j’ai emporté le passeport ainsi que mon ordinateur et mes trois SSD contenant photos et vidéos, avec moi, quand je suis parti en congés à Kyôto au milieu du mois d’août.
Au cas où…
Oui, si un tel séisme avait lieu, je ne vois pas dans quelles conditions je pourrais rester ici. Il faut être réaliste, il y a des évènements qu’il faut prévoir et dont il faut surtout prévoir les conséquences.
Faire de la place…
Et puis à Kyôto, je ne sais plus dans quel jardin l’idée m’est venue, soudainement, comme une évidence et presque comme une libération. Je dois m’alléger, je dois faire du vide, je dois me débarrasser de ce qui ne me sert à rien. Et je vais peut-être vous choquer, mais ce à quoi j’ai pensé en premier, ça a été les livres.
Rassurez-vous, en réalité, je suis passé au digital depuis un bon moment. J’ai même acheté un iPad mini en juin et c’est LA liseuse parfaite puisque, justement, ce n’est pas qu’une liseuse.
J’avais acheté un Kindle, mais c’est lent avec les pdf. Or, j’en utilise beaucoup en cours. Livres, planches d’exercices etc Et puis certains livres, introuvables en digital voire même en livre, ne sont plus disponibles qu’en pdf. Des partitions de musique du 18e siècle, de vieux livres… iPad, c’est également un ordinateur, c’est spécialement fait pour ça. Et en plus, ça fait tout le reste.
Je suis tombé sur un tutoriel où on apprend à faire d’un iPad une véritable liseuse, débarrassée des notifications et où ne subsistent que les applications de lecture et de prises de notes (j’ai ajouté les dictionnaires), en position verticale uniquement et en noir et blanc. Et on revient à l’iPad en deux clics!
L’essentiel
Alors, me débarrasser de la quasi totalité de mes livres, pourquoi pas? Si un séisme survenait, de toute façon, je n’aurais pas d’autre choix que de m’en défaire, et dans les pires conditions. Là, c’est simple, je peux même les donner à une association.
C’est pour mes quelques livres d’art, que ça peut être plus difficile, mais ceux là, je peux les vendre. L’un d’eux vaut maintenant une petite fortune: L’art du Japon ancien, de Elisseeff, vendu plus de 20000 yen en occasion sur Amazon Japon… Chez moi, il prend la poussière.
C’est un très beau livre, mais là encore, c’est une conséquence de ce choix de venir vivre ici: je ne me vois pas quitter le Japon avec des tonnes d’objets et de livres. On a désormais beaucoup de ressources en ligne, j’ai accumulé des dizaines de milliers de photos, de cartes postales, c’est bien suffisant pour mon quotidien ici.
Alors, les livres vont partir.
Et puis les CD. Même chose, c’est une sorte de séparation, mais là encore, je suis passé au digital.
Pour la platine disque et les disques, c’est différent. Je les regarde comme un gadget plaisir. La platine, je pourrai la revendre et donner les albums en cadeau: je n’ai pour eux aucun attachement. Le gros livre de Elisseef, lui, je l’ai acheté en France il y a très longtemps. Qui sait, je vais peut être le garder…
Je vais me séparer de mon iMac 27 pouces, un gros dinosaure qui ne me sert plus qu’à regarder des vidéos. Et puis de vêtements, et puis de bibelots accumulés au fil du temps.
S’alléger
Au bout du compte, il ne restera que le lit, le sofa, des vêtements et mes étagères ainsi que des lampes et des trucs dans le genre.
Voilà, que je sois obligé de quitter le Japon, ou que je meure dans un séisme, ou que je choisisse de déménager, ou que je me décide à rentrer, je serai mobile, presque comme lors de mon arrivée ici.
À mon âge, on contemple souvent la belle bibliothèque avec les livres accumulés tout au long de la vie, les bibelots, on a acheté une maison ou un appartement. Moi, je vais me retrouvé avec presque rien. Exactement comme lors de ce dernier voyage à Kyôto: l’essentiel, c’est l’ordinateur, l’iPad, mes SSD, mon appareil photo,, quelques vêtements, et mes livres dans le Cloud.
C’est sur cette base que je vais construire le reste de ma vie, exactement de la façon qui me conviendra.
Quand j’ai eu récupéré mon passeport au consulat, fin juillet, je me suis dit qu’en septembre, ce sera au tour du passeport algérien. C’est bien plus utile que tout le fatras de livres qui prennent la poussière: ça peut servir. Ça servira.
Détachement
Voilà donc ce vers quoi je m’oriente en cette rentrée 2024. Un gros travail de tri, de détachement, d’abandon. Une sorte de remise à plat et de remise à zéro. Parce que ce séisme qui heureusement n’a finalement pas (encore) eu lieu m’a comme invité à regarder ce qui est essentiel.
Ma vraie bibliothèque, avec tous ses bouquins annotés et lus avec passion au fil des ans, ma vraie discothèque, eh bien, je m’en suis débarrassé en janvier 2006, et ce que j’ai reconstitué ici au fil du temps n’est qu’un mensonge, une illusion.
Dans ce jardin où je marchais, soudain, j’ai vu au travers de cette illusion, de ce mensonge que je me suis fait. Et j’ai soudain revu mes étagères peintes il y a trois ans, vidées et colorées. Elles sont miennes, elles sont réelles, je me revois peignant à genoux, je me suis presque vu, tout en peinture… J’ai vu la flûte qui m’attend sagement depuis que je l’ai achetée, c’était en décembre 2019, maman était partie et cette flûte, c’était ma façon de dire au revoir – il faudra que je vous explique. Et j’ai compris que beaucoup de choses sont là, devant moi, avec cet ordinateur, et qui m’attendent.
rentrée
Bien, c’est écrit. La rentrée arrive, « ma » rentrée. 20 ans de ce blog, 21 ans depuis ma séroconversion puis mon premier voyage ici. Mon cinquante-neuvième anniversaire, c’est à dire l’entrée dans la soixantième. Comme toujours une certaine nostalgie, et peut être en voyant partir les livres et les CD, les vêtements et autres, une certaine tristesse, un léger vertige devant ce mensonge béant qui en disparaissant ne laissera plus que du vide, ou pour être plus exact, un sentiment de vide. Il ne me restera plus qu’à foncer dans cette nouvelle année pour que ce soit une bonne année, de celle où l’on termine premier de sa classe. À ma place.