Le Blog de Suppaiku, journal bloggué de Madjid Ben Chikh, à Tokyo.

Donna Summer, le disco, MacArthur Park: une pastille de bonheur


Et puis il y a eu Donna Summer, MacArthur Park, cette reprise-medley qui résume si bien ce qu’était le disco…

Bon, je vais vous parler de Donna Summer, de le disco et moi. Ben oui, depuis que j’ai une platine, j’ai acheté deux de ses albums…
Note: Les artistes que je nomme, on peut dire que je ne les épargne pas. Je n’ai rien contre eux individuellement. Ce que je vise, c’est l’étouffement de l’époque, ce petit monde, toujours le même et la piètre qualité de la variété dans son ensemble. Et peut-être mon propre étouffement…

J’ai grandi dans une famille prolétaire Ça, vous le savez.
À la maison, on écoutait France-Inter car maman n’aimait pas les publicités à la radio. La musique n’était pas trop mauvaise – quoi que, c’est aussi très relatif. Mais…

Le petit monde de Danièle Gilbert

Quand arrivait midi, c’était la première chaine de l’ORTF. « Midi-Trente » avec Danièle Gilbert. Là, c’était tout le petit monde de la France de France française qui franchouillardait la France de France.
Une culture populaire concoctée par les maisons de disques à destination de « tous les publics ». Une culture de merde, avec toujours les mêmes à l’exclusion de tout autre, et surtout pas d’étrangers qui auraient chanté dans leur langue. Surtout pas. Il fallait chanter fran-çais!

Il y avait « la chanteuse italienne », Dalida. L’« anglaise », Petula Clark. L’« allemande », Mary Roos. Le beau gosse en smoking, Sacha Distel. Le « russe », Ivan Rebroff. Le « grec », Demis Roussos . Le « prolétaire », Daniel Guichard. L’« israélienne » Rika Zaraï . L’ « américain », Mort Shuman . L’« algérien (!!!) », Enrico Macias . Les belges, Annie Cordy et Johnny Halliday. Il y avait aussi le « gros et amusant », Carlos .

Il y avait également des chanteurs et chanteuses pour les « jeunes » qu’on pouvait retrouver dans des magazines pourris genre Podium publiés par leurs maisons de disques, C Jérome , Patrick Juvet , Sheila , Claude François , Frédéric François. , François Valéry. , Mike Brant , Julie Bataille. , le hollandais Dave , le noir de service Afric Simone et même un japonais, Kenji Sawada . Sans oublier le groupe estampillé « contestataires », avec leurs cheveux longs et leurs fringues pourris hippy diffusion, Michel Fugain et le Big Bazar .
Tout un petit monde qui entre eux composait les programmes dits « de variétés ». La télévision française semblait inventer une France-monde empêchant tout le reste d’y rentrer.
Voilà ce qu’était la télé pour un fils de prol de banlieue, un horizon musical totalement bouché. Heureusement qu’à l’école, un jour, on m’a fait découvrir Vivaldi, ça m’a servi pour plus tard

Denise Glazer

Il y avait bien d’autres programmes que Midi-Trente ou les abominables « Top À » des Carpentier et autres Guy Lux – ces programmes du samedi soir avec exactement les mêmes chanteurs pourris.
L’émission de Denise Glaser , par exemple, une présentatrice-productrice régulièrement virée car jugée trop…, trop…, trop…, trop chépa en fait.
Elle, elle me fascinait. Je la trouvais incroyablement belle, il y avait quelque chose de chaleureux dans sa façon de poser des questions à des artistes que je ne connaissais pas toujours. Elle recevait de grands artistes, Ferré, Anne Sylvestre, Françoise Hardy, Jacques Brel, Serge Gainsbourg, Henri Salvador. Et même Sheila
Mais maman n’aimait pas Denise Glaser qu’elle trouvait prétentieuse, alors elle changeait la chaine. Je garde d’elle le souvenir très précis d’une émission avec Barbara . Un duo fascinant, deux femmes d’une incroyable beauté, l’une attentive toute en silence et l’autre, toujours prête à s’envoler. Barbara.

Une autre lucarne sur un ailleurs possible, c’était FIP, que maman mettait l’après-midi, et de temps en temps, quand je rentrais de l’école, il y avait des musiques différentes de toute cette soupe qui dégoulinait habituellement de l’écran.

La musique à la télévision de mon enfance, c’était un rêve lepéniste réalisé, des artistes cucu copiant ce qui se faisait aux USA ou en Angleterre, en français bien sûr, ou pire, se vautrant dans l’image déformée d’un passé franchouillard complètement recomposé et n’ayant jamais existé. Un monde ringard, moche, cheap. De la sous culture destinée au prolétaire.
Au fil des ans, le stock s’est renouvelé. Il y a eu une nouvelle américaine toute en poitrine, Jane Manson, un espagnol, Julio Iglesias, un groupe plouc dont la chanteuse est morte d’une overdose…

Et puis vers 1975…

Mais insensiblement, et sans même qu’ils s’en aperçoivent, cet édifice de la France ringarde s’est fissuré vers 1975, 1976.
Il faut dire qu’au milieu des années 70, toutes générations confondues, les boomers étaient vraiment les plus nombreux. Alors que les baba cools soixant’huitards commençaient à rentrer, en plein « flip », et alors qu’ils démarraient la psychanalyse qui les amènerait à voter Emmanuel Macron et l’uniforme à l’école comme de vieux cons, les boomers qui étaient restés ou qui avaient voyagé à travers le monde commençaient à s’éclater dans les boîtes sur le son d’une musique reposant de plus en plus sur son rythme et des allusions de moins en moins voilées au sexe. Une musique spécialement conçue pour les discothèque.

le Disco

J’étais un gamin à cette époque, mais j’ai vraiment le souvenir d’un changement.
Quelque part, je trouve que le générique d’ouverture des programmes de TF1, passant à la couleur après des décennies de noir et blanc , symbolise très bien ce tournant. Et plus encore le générique de fin de soirée , très Champagne et Jazz, élégant, classe, prêt pour aller au Palace en Mugler, prêt pour les années 80.

Danièle Gilbert, la présentatrice de cette émission du midi désormais rebaptisée Midi-Première avec la naissance de TF1, a commencé à avoir de plus en plus de mal à suivre la cadence. C’était comme si tout son petit monde s’était mis à se détraquer.
Elle a eu comme un moment de répit quand sa petite bande a fait son come back disco. Sheila s’est mise à chanter en anglais , la « jeune » ringarde Karen Sheryl jusqu’alors, totalement relookée, aussi . Patrick Juvet est revenu des USA après y avoir avoir visiblement laissé un pucelage, Alain Chamfort, le minet en costume cintré est revenu relooké new wave et Dalida s’est mise a chanter et danser disco . Et puis Claude François nous a laissé son « grand champs de magnolias »…
Pour tous ces chanteurs et chanteuses venus du fin fond du début des années 60, ça a été comme le dernier tour avant disparition… Sheila ne s’est jamais remise de ce qui s’est passé dans la seconde moitié des années 70. Après le disco, elle a essayé le rock, peut être pour coller à la new wave, mais ça a été comme si elle avait pris 50 ans d’un coup, une ringarde totale.
Elle avait eu toutefois, juste avant, l’incroyable opportunité de chanter l’un des meilleurs morceaux de l’époque .

1960 all over again

C’est qu’avec le disco, c’était à qui sortirait le truc qui ferait danser les boomers et les gamins de mon âge. Alors, on a eu aussi une lampée de nouveaux, comme Lio ou Plastic Bertrand . Alors Sheila…
En pas deux ans, la petite bande de Danièle Gilbert a été submergée. Amy Stewart, The Wings, M, Santa Esmeralda, Amanda Lear, Gloria Gaynor, Anita Ward, Michael Jackson, Sylvester, Village People, Lipps Inc., ABBA, Bee Gees, Cerrone, Voyage, Rod Stewart, Michael Zager Band, Chic, Patrick Hernandez, Constellation Orchestra, Alicia Bridges, Musique, Earth Wind and Fire… Une déferlante qui a pris d’assaut radios et chaines de télévision.

Pour l’Euope, ce moment annonçait la fin de la reconstruction d’après-guerre. Le Disco démarre la même année que l’AIRBUS A300!
Je sais, c’est un peu idiot de dire ça, mais quand on sait qu’on y a produit de le disco à la chaine, et que c’est à Paris qu’a ouverte la plus grande boîte de l’époque, Le Palace…. Tiens, d’ailleurs, fin 1978, TF1 a fêté le nouvel an en direct du Palace. Avec Yves Mourousi, of course.

Le disco européenne était assez différente du disco américaine, elle avait un truc léger, plus sophistiqué, heureux, libre aussi. On pense Amérique quand on pense disco, mais en réalité l’Europe (à l’exception du UK) y a eu sa part. Vous saviez que Village People , tout américains qu’ils sont, ben en fait, c’étaient des producteurs français?

Enfin, si on ajoute qu’après le choc pétrolier de 1973, tous les gouvernements ont fait une massive relance keynésienne, on peut dire que le disco est le dernier avatar des trente glorieuses, son apothéose, quand tout le monde pensait encore que la crise, ben c’était fini. Allez, faisons la fête!

Le rythme, la vitesse, tout change…

Le disco annonçait ce truc typique des années 80: chacun, chacune pouvait être beau, belle, qu’importe qui iel était. Le disco, c’était la clé pour se réinventer. On ne ferait pas de révolution socialiste, ça, on l’avait compris, mais on changerait de look, de coupe de cheveux et de façon de danser au moins trois fois par semaine, ben au moins, on s’amuserait.
Et soudain, soudain, le rythme de tout s’est accéléré.
D’ailleurs, en 1979, l’italien Walking on Music , c’est speed, jumpy, loin de cette image ringarde seventies pattes d’éléphants qu’on colle au disco.
Le disco, c’est pas un truc pour tordre son cul mollement en se frottant vaguement. C’est jumpy, les pieds sautent, les bras rebondissent et s’agitent au niveau du buste dans toutes les directions. Un méga tube de l’époque s’appelle d’ailleurs Keep on Jumpin’ , « let the music make you fly ».

A happiness machine

Le disco, c’était une gigantesque happiness machine, la petite soeur des comédies musicales hollywoodiennes des années 30/50 mais dans laquelle nous serions les héros.
Ce n’est pas un hasard si on en a eu, des comédies musicales, alors.
Saturday Night Fever bien sûr, un navet pre-reaganien à la Rocky, version danse, où un danseur du samedi soir tombe amoureux d’une danseuse du samedi soir prétentieuse convertie à la réussite individuelle. Avec plein de disco américaine molle et une histoire glauque. Je n’aime pas ce film.
Grease , son opposé total, solaire, amusant, avec plein de musique. Le meilleur certainement, en plein dans la vague rétro années 50 de l’époque. Il y a quelques années, je me suis enfilé Grease le soir de Noël. J’ai eu le sentiment de vivre le meilleur Noël de ma vie.
The Wiz , une reprise disco du Magicien d’Oz que personne n’a vu et que tout le monde a oublié, superbe musical américaine avec pourtant le meilleur de la musique noire de ces années: Diana Ross, Michael Jackson
Thank God it’s Friday , un certain succès sur une musique de Giorgio Moroder of course, et avec Donna Summer (vous voyez, on y arrive, à Donna Summer).
Car wash, autre musical dans une Amérique post-croissance, complètement oubliée…
En France, on a eu Trocadéroro Bleu citron!

La folie disco a été brève

Un peu comme un réveil soudain, inattendu et bienvenu après des années 70 qui n’en finissaient pas de s’enliser. Elle a été ce moment où elles ont inventé les années 80 en un fantastique télescopage d’influences et des nostalgies venues de tout le 20e siècle.
D’ailleurs, si en Angleterre il n’y a pas eu vraiment de folie disco comme dans l’Europe continentale, l’explosion punk puis la new wave ont ouvert la voie aux différentes synthèses qui ont suivi et qui se sont mélangées au disco .
Une fantastique pilule de bonheur en vêtements rétros prête pour les bals masqués du Studio 54 ou du Palace…

Alors, et MacArthur Park, et moi, dans tout ça?

Ben pour revenir à moi, comme je vous l’ai écrit, j’ai grandi dans la culture populaire de cette France ringarde où les fenêtres sur le monde extérieures étaient fermées à double tour pour bien protéger la culture de France française de France qui france en françant la France de France. Une culture de merde made in maison de disque et capitalisme corporatiste franchouillard. Avant les radio privées, avec le monopole d’état.
Il y en a pourtant des artistes fantastiques, en France, et une longue histoire musicale qui n’a rien à envier au reste du monde, mais cela n’a jamais été la priorité des « défenseurs de la culture française » qui préfèreront toujours une merde de Johnny Halliday à une suite de Hotteterre ou une chanson de Mireille , la vraie « maman » de Françoise Hardy, Ellie et Jacno ou Katerine.

Chez ma tante Virginie, c’était RTL avec tous les chanteurs ringards que France Inter évitait. J’étais jaloux de mes cousins qui pouvaient écouter le HIT Parade, ce truc mauvais à souhait.
Moi, j’adorais Sheila… J’étais donc parti pour devenir un pédé discret tendance nains de jardins et qui sait, j’aurais même pu finir par être un plouc comme la Philippot ou la Tanguy!

Heureusement, j’ai croisé la route du disco

J’avais 13 ans, et toute cette énergie qui saisissait la télévision, soudain, ça a été comme un déclic.
Ce n’était pas que la musique. C’était esthétique, aussi. Soudain, vers 1976, on a vu réapparaitre les chaussures à talons aiguilles et les jupes droites fendues, les cheveux attachés avec un « Bibi » à voilette. En 1976, j’avais 10/11 ans, il y a eu le succès de ce truc pré-disco, Do it for me , de Jennifer. Elle était sapé exactement comme ça, à une époque où le look dominant était encore super seventies.

Et puis il y avait ce disque exposé dans la vitrine du magasin Philips sur la place du Monoprix, à Bondy.
C’est le deuxième magasin Philips qui a changé ma vie…
Four saisons of Love. Donna Summer. Une photo rétro, une Marilyn noire incroyablement belle et lovée sur un croissant de lune.
Vous voyez, je vous parle de vêtements féminins, c’est très pédé (d’ailleurs c’est à cette époque que j’ai commencé à vouloir devenir couturier) et je associe ce style au disco. Pour moi, c’est très simple, les années 80 démarrent là, quand l’esthétique, la musique et la danse se mettent à changer d’un coup. Que tout ce qui avait été « jeune » dans la culture officielle d’avant s’est retrouvé dépassé, largué. Ringard.

J’ai donc découvert Donna Summer alors que j’étais encore très jeune, onze ans, douze ans, mais elle a remplacé Sheila sans difficultés. Le disco de Sheila, ça le faisait pas.

Put’tain, ces orchestrations…

Chez Donna Summer, les orchestrations étaient colorées, généreuses, opulentes même. Dans la même veine que celles de Cerrone – dont je continue d’écouter certains morceaux tellement c’est bien produit. La suite de la face B de Supernature, Love is the only answer… Son final comme tout droit sorti d’années 20 recomposées, avec les violons qui se fondent au chorus, ou Love in C minor .
Même aujourd’hui, j’aime écourter Four saisons of love (fin 1976). Autumn changes est un morceau absolument fabuleux en mode mineur. Joli comme tout.
Something in me seems to be dying
Most of the time, I just feel like crying…

Ou encore Could it be magic , de l’album A love trilogy (début 1976). La mélodie, l’orchestration (j’appelle ce style du « pré-disco »…)
Come into my arms,
Les me see the wonders of all of you


Il y a eu de la très bonne disco aux USA, même très bonne bien sûr, mais pour l’Europe, c’est une énergie nouvelle qui a chamboulé tout et donné toute son énergie pour la décennie 80. Le Palace ouvre en 1978…
Il faut avouer, ce « poum poum » sans complexe et enrobé de violons, c’était plutôt par chez nous.

Je me suis fait offrir des disques de Donna Summer. I remember yesterday, et puis Live and more. Sur ce dernier, le morceau qui pour moi résume le mieux ce que j’aime encore dans le disco. 17 minutes de poum poum sans concessions. Avec des violons et des cuivres se mêlant à la voix de Donna Summer. Un truc pour danser sans se faire chier, sans complexe, juste pour le plaisir de danser, et jumpy à souhait.

libéré de la culture RTL

J’ai compris qu’il y avait d’autres musiques, et qu’il fallait chercher. Le disco m’a aussi transmis le goût du look et encore plus elle m’a appris à n’avoir strictement rien à foutre du regard des autres sur ce que j’aimais ni ce que j’étais.
C’est quand je suis sorti du disco que je me suis avoué que j’étais pédé, que je me suis mis à écouter d’autres artistes. Des chanteurs plus rares, avec des textes. C’est alors que j’ai pu découvrir des artistes d’abord plus difficile, grâce à mon amie Freddie.
Et puis ma route a croisé celle de Sapho un soir à la Fête de l’Humanité, j’allais vers mes 15 ans. Ça a été la révélation, je me suis mis au rock, au punk puis à la new wave, et je suis devenu un vrai pédé par la même occasion…

Des années plus tard, j’ai haï Donna Summer, mon ancienne idole et véritable icône gay quand elle a eu des propos homophobes abjects au sujet du SIDA. Et puis, plus tard, elle s’en est excusée

Bon, allez, je vous laisse avec ces trois pastilles de bonheur. Pour MacArthur Park, poussez les chaises et la table, et dansez, sautez…

Keep on jumpin’…
Let your body fly…
Every body’s jumping…
Do you see the sun the sky

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