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  • Pour un art et une culture à l’image de notre temps

    Pour un art et une culture à l’image de notre temps

    Une rupture en cours

    Quelle époque abominable et fascinante vivons-nous! Il y a à peine 20 ans, le discours dominant était celui du triomphe d’une modernité rhabillée du costume de la post-modernité. Toutes les idéologies s’étaient étiolée au contact de l’idéologie de l’instant, du moment et de l’égo sur-dimensionné en ce triomphe de l’économie néo-libérale. Tout serait désormais post et néo pour aller à ravir avec cette « fin de l’histoire » célébrée par Fukuyama: le monde était enfin rentré dans son âge mature, celui d’une démocratie destinée à s’étendre aux quatre coins de la planète, accompagnée d’un marché libéré de toute régulation et de toute entrave grâce auxquels les peuples allaient enfin accéder à la consommation et au bonheur universel rendus possibles par la modernité occidentale.
    L’occident avait gagné, il avait gagné contre le communisme et cette victoire devait être l’aube de temps nouveaux faits d’une nouvelle prospérité qui rendrait caduque toute contestation.
    Si réforme il devait y avoir, désormais, ce serait pour parfaire cette société du marché généralisé, dans les pays avancés, s’entend. Donner aux LGBT l’égalité, promouvoir une culture de l’inclusion des minorité, valoriser le métissage comme la nouvelle frontière d’une humanité réconciliée avec elle-même. Le progressisme, cette idéologie se nourrissant du cadavre des utopies d’hier, communisme et socialisme, trouverait son achèvement dans le blairisme.
    Le Tiers-Monde, dont le seul nom autrefois évoquait une idéologie de libération puisqu’il se voulait l’équivalent planétaire du Tiers-État de l’Ancien Régime français, se retrouva progressivement fragmenté par les sciences économiques et la sociologie complaisante qui l’accompagne comme l’avaient été avant lui le chômage ou les classes sociales, « ventilé » en une multitude de catégories. On parla donc de « pays émergents », de BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), de « réformes structurelles destinées à accélérer le développement », on mit leurs problèmes sur le dos de « retards en matière d’éducation des jeunes filles » et on évacua la place qu’y jouent les grandes multinationales dans le pillage des ressources de pays maintenus dans la pauvreté avec la complicité de gouvernements dociles par nous installés, souvent par la force.
    Dans cette espèce de dystopie décrite en long et en large d’articles insipides fardés de statistiques permettant de garantir que l’Afrique serait le nouveau dragon économique du 21e siècle, il n’y avait de place que pour une seule condition: accepter les règles du nouveau courant économique en vogue. Les échecs patents comme en Haïti où la libéralisation du marché du riz a avant tout conduit à la banqueroute des milliers d’agriculteurs producteurs de riz face à la concurrence des riz asiatiques et rendu l’île complètement dépendante des importations tout en créant de la pauvreté, ont systématiquement été passés sous silence et considérés comme un mal pour un plus grand bien dans cette course infinie à l’adaptation qui accompagne cette idéologie chérissant la « destruction créatrice ».
    La prospérité apparente dans les pays « avancés » était alimentée par la chute des prix de certains produits désormais fabriqués à l’autre bout de la planète. Si les salaires ne bougeaient guère, le Bangladesh, la Chine, l’Inde ou la Tunisie produiraient pour nous ces vêtements de rêve en polyamide grimant la laine et en polyester grimant le coton, que ce soit chez H&M ou chez Zara où on copierait les créations d’une mode réduite à des marques interchangeables.
    La crise de 2005-2009 fut une première secousse révélant en elle-même ce qu’il y avait de fragile dans cette économie désormais mondialisée à outrance et dont les peuples ne seraient plus que les spectateurs passifs tout juste bons à produire et à consommer en s’endettant.
    Ces délocalisations, cette concurrence de zones géographiques et économiques désormais planétaires allaient entrainer un boom économique dans les régions d’Asie du Sud Est, celles précisément produisant ce dont les « pays avancés » du Nord consommaient frénétiquement, tout en « contenant les coût », c’est à dire, tout en permettant de faire s’envoler la plus-value extorquée aux travailleurses de ces pays « émergeants ». Les dividendes des actionnaires.
    À un capitalisme de profits s’est alors substitué un capitalisme de cash-flow dont la caricature est certainement le secteur aérien, avec ses dizaines de milliers d’avions dont les 3/4 sont loués ou acheté à crédit par des compagnies low-cost permettant aux prolétaires des différentes zones géographiques d’avoir l’illusion d’une élévation de leur niveau de vie et de partager sur ces goinfres que sont devenus les réseaux sociaux les eldorados de pacotille à coup de selfies et de paysages identiques avides de like.
    En réalité, aucune de ces compagnies ne gagnait d’argent, elles se contentaient de rembourser leur dettes, de les faire rouler avec le cash qui rentrait et les nouveaux crédits accordés pour s’étendre. Le Quantitative Easing et les crédits dérivés y pourvoyaient généreusement sous l’oeil ravis de nos élites et de nos gouvernements, les succès économiques apparents étant la preuve de la justesse de leurs thèses. Dérégulez, et contemplez la beauté de la mondialisation…

    Ce capitalisme du cash flow domine aujourd’hui des pans entiers de l’économie. Amazon, WeWork, on loue son appartement neuf, on peut louer ses vêtements, sa voiture, son téléphone, sa freebox, le terrain de sa maison, et le capitalisme, célébration narcissique de la propriété, est entré dans l’âge de l’a-propriété et de la location éternelle qui nourrissent toutes ces sociétés reposant essentiellement sur le net et n’étant aucunement profitable, les usagers n’étant que les agrégats économiques permettant de rembourser suffisamment de dette pour continuer cette fuite en avant vers plus de dette.
    Régulièrement, elles sont au bord du dépôt de bilan et ne doivent leur survie qu’au montant faramineux des dettes accumulées leur permettant d’avoir accès à de nouveaux emprunts ou à des émissions de nouvelles actions et obligations quand ce n’est pas par le rachat par un plus endetté qu’eux, comme SoftBank.
    Cet accès si aisé au marché des capitaux les entraine à vampiriser des pans entiers de l’économie réelle. Les hangars Amazon balafrent les paysages en transformant les centre-villes en déserts glauques où ne subsistent que les boutiques franchisées du capitalisme globalisé, et ce sera encore pire après la Covid…
    Et puis voilà que l’histoire, la vraie, pas le bourrage de crâne idéologique de « la fin de l’histoire », c’est à dire ce moment où l’Occident s’est regardé le nombril en se trouvant si beau en son miroir cathodique, voilà que l’histoire se révèle plus forte que tous les mensonges, que toutes les dystopies produites par une idéologie en plastique portée par une élite sur-diplômée et idiote au cerveau formaté par des tableurs Excel.
    Le 11 septembre 2001 d’abord, puis les guerres impérialistes sans fin, puis la crise financière de 2006/2009, puis de nouveau des guerres sans fin, puis la crise grecque et le dépeçage de sa population, puis l’éveil de mouvements politiques de plus en plus nourris du ressentiment à l’égard d’états sensés les protéger mais qui fil des ans les ont livrés seuls face aux forces d’un marché déchainé au rythme du « adaptez-vous » et du « There is no alternative » thatchérien.
    Brexit, Orban, Soral, Trump, Zemmour, QAnon, mais également la régression républicaine autoritaire et laïcarde française, une idéologie de boucs émissaires s’installe sur les ruines idéologiques béantes de cette guerre qui a conduit à la victoire idéologique de l’ordre néo-libéral.

    Exit, Keynes et son capitalisme tempéré par une société démocratique forte. Exit le socialisme, le communisme. Il n’en reste qu’une contestation de traines savates sans idéologie, une sorte de pas-contentisme critique de tout qui ne dessine aucun ailleurs politique et alimente indirectement les récriminations envers les élites dont se nourrissent les nouveaux fascismes contemporains.

    Si jusque dans les années 70 l’art s’était révélé le dernier refuge, la dernière frontière ultime d’où naitraient des ailleurs possibles, le développement de l’informatique, des réseaux sociaux et de l’information en continu ainsi que la télé-réalité ont donné naissance à une culture du pastiche et à une culture du moment T. Les chanteurs et chanteuses d’aujourd’hui sont des mouchoirs colorés en papier qu’on jette après usage. Ils naissent sur Instagram ou sur Snapchat, là où s’exprime une culture de nouveau riche hyper consumériste faite d’influenceures sans talent, de pauvres gars, de pauvres filles qui, telle la première du genre en France, Loana, seront oubliés aussi vite que révélés et livrés aux lendemains amers des illusions déçues. On commence même à en voir se tourner vers QAnon, histoire de survivre et de continuer à faire du buzz.

    Et voilà une épidémie dont on ne voit pas la fin. Une économie qui en quelques semaines a commencer à faire vaciller les certitudes du monde que nous sommes en train de quitter sans trop nous en rendre compte. Où en sera l’économie après le deuxième confinement, et dans quel état psychologique, social seront nous? Quelle sera notre représentation du monde et de nous même? Et après le troisième? Qu’en sera t-il de l’épidémie si la nouvelle souche mutante née dans des élevages de visons vient à s’étendre et met les vaccins en développement en échec? Combien de temps cela durera-t-il et que restera-t-il des sociétés de ce monde complexe à qui nous faisons subir une expérience brutale et inédite?

    En forçant la génération du baby boom à s’isoler, cette crise sanitaire acte définitivement la fin de l’hégémonie culturelle et démographique de cette génération, et cela à un moment où ce qui l’a accompagnée dans son essor, l’énergie abondante et pas chère et les matières premières « illimitées » vont commencer à se raréfier.
    La crise dans laquelle nous amorçons notre entrée n’est que l’une des nombreuses crises qui s’annoncent, elle marque de fait le véritable commencement du 21e siècle, un peu comme la guerre de 14/18 a marqué le passage dans le 20e siècle. Et peut-être même la fin du second millénaire pour reprendre une formule centrée sur l’occident chrétien en tant que centralité.
    Il est impossible de savoir dans quel état nous seront à la fin des années 20. Les effets économiques vont être dévastateurs, à commencer par leurs répercussions sociales et psychologiques.
    Et puis, au niveau financier, une catastrophe est désormais belle et bien engagée, les montagnes de dettes accumulées dans une économie financiarisée jusque l’absurde ne pourront pas longtemps tenir dans cette économie maintenue à bout de bras dans une sorte de déflation contenue par une création toujours plus massive de dette depuis près de 20 ans.
    Pour ma part, je continue de parier sur une faillite en chaine des banques centrales sous le poids d’attaques financières comme celle qui a mis la Livre Sterling à terre en 1992, mais avec les sommes folles et la puissance délirante que la finance a accumulé entre temps. On comptait les déficits en milliards, à cette époque. On parle désormais en Trillions, en dizaines de trillions, les crédits dérivés négocient des montants équivalent à des dizaines de fois la richesse mondiale… Cette crise, elle couve depuis plus de 10 ans, mais les montagnes de dettes que les états sont en train d’accumuler pour maintenir l’ordre social durant la pandémie vont avoir des conséquences incontrôlables à moins de remettre les compteurs à zéro, vite, ce « great reset » dont les grands capitalistes acquis à l’ultra-libéralisme commencent à parler en en définissant les contours.
    Ce « great reset » sera-t-il une dépréciation des dettes assortie d’une nationalisation partielle ou totale des banques afin d’éviter des faillites en chaine, à même de permettre de « réamorcer la pompe » comme le disait Keynes? J’en doute… Ou aurons nous droit à une société où des drones nous surveilleront en permanence dans une sorte d’état de siège sans fin destiné à imposer une cure d’austérité et une privatisation quasi-intégrale des états désormais réduits à leur rôle de gendarmes d’une société livrée à tous les appétits financiers pendant que tous les besoins seront satisfaits par de grosses corporations privées fournissant des services externalisés et gérés par des travailleurs uberisés?
    Je livre cette question a votre réflexion.
    C’est là que l’art et la culture entrent en jeu. Quand je dis l’art et la culture, je dis écriture, cinéma, photographie, couture, dessin, peinture, architecture, tous les champs possibles de la création quand elle raconte l’époque.

    Vêtement, style et rupture: le cas Dior

    Je ne m’appesantirai ici que sur le vêtement féminin. L’homme est le parent pauvre de la mode… Le vêtement comme allégorie.

    J’ai toujours aimé les moments charnières, les moments de bascule désordonnée, cafouilleuse et brouillonne mais à l’énergie infinie.
    La Régence par exemple, annoncée par l’art deux ans avant la mort de Louis XIV avec la présentation de L’embarquement de Cythère en 1713 ou, pourquoi pas, 8 ans avant sa mort avec la première traduction des Milles et une nuits par Galland. La fin durègne de Louis XIV était étouffante, vieille, et l’artiste présente soudain une jeunesse légère dans une île où règne l’amour, l’élégance, de petits chérubins se tiennent les parties pendant qu’une guirlande de fleurs partant des reins d’un Satyre sur la barque semble traverser le tableau pour venir inonder le buste de Vénus dont les yeux sont exorbités de plaisir… (cliquez pour regarder)
    L’embarquement annonçait le style galant à travers une oeuvre qui fit un certain scandale, Les Nuits annonçait le succès du roman « oriental » qui, de Montesquieu à Diderot en passant par Crébillon ou Rameau s’imposa comme un genre à part entière tout au long du siècle de Louis XV.

    Les années 1791/1797, avec la disparition du corset, des perruques, et la naissance d’un vêtement fonctionnel et pratique.

    Les années 1905-1913, avec l’orientalisme, nourri de Japon, de Chine, de Russie et d’Empire Ottoman, débouchant sur un retour au vêtement simple sous le coup d’aiguille de Paul Poiret, certainement le plus grand génie de la mode française. Ça n’a l’air de rien, mais c’est lui qui a définitivement supprimé le corset et commencé à raccourcir ces jupes qui jusqu’alors cachaient entièrement la jambe.
    C’est avec la ligne Poiret (illustrée ici par cette photo à droite dans un modèle de 1913 porté par Misstinguett) que s’amorce le changement du vêtiment féminin durant et après la première guerre mondiale. Chanel était douée pour les mondanités avec un goût très prononcé pour l’argent quand Poiret était avant tout un couturier amoureux de sa femme… Il est mort ruiné et oublié dans les années 40 quand Chanel collaborait sans aucune retenue avec les nazis avant d’aller se faire oublier en Suisse une petite dizaine d’années.

    Je vous parlerai donc d’abord de vêtements car à aucun moment le vêtement féminin n’a été à ce point synonyme de bonheur, d’espoir en l’avenir que lors de la présentation de la première collection de Christian Dior en février 1947, une véritable rupture au sujet de laquelle je voulais écrire pour vous donner un peu d’espoir au moment où beaucoup de certitudes s’effondrent les unes après les autres. J’ai toujours été fasciné par ce moment charnière dans l’histoire du vêtement féminin.

    En 1929, la ligne dessinée par Poiret touche à sa fin après s’être transformée de tout en tout. On a du mal à reconnaitre l’original de 1913 et pourtant, jusque 1929 on retrouve le même maquillage et surtout cette obsession d’effacement de la taille, cette simplicité qui caractérise la révolution Poiret.
    C’est que 1912/1913, entre le futurisme, le cubisme, le scandale inégalé lors de la représentation du ballet Le sacre du Printemps au théâtre des Champs-Élysées ou la publication de Alcool, est un moment important dans l’histoire de l’art et de la culture, un moment charnière où toutes les règles et toutes les conventions des décennies précédentes voire même des siècles précédents sont simplement balayées.
    Paul Poiret devient ainsi le couturier qui va véritablement incarner, révéler l’époque car pour tout dire, une fois que les hommes sont morts, ce qu’il reste sont leurs portraits, leurs photos. Les jeunes femmes des années qui suivent n’ont plus la taille piégée dans un corset.
    Au sortir de la guerre en 1918, l’ourlet entame sa remontée, et chez les plus riches on garde la touche orientale que Poiret avait introduit mais progressivement, cette taille effacée et rehaussée au dessous du buste va littéralement tomber sur la pointe des hanches quand au même moment l’ourlet découvre le mollet et le coiffeur, à grand coup de ciseaux, dévoile le cou. La « garçonne » n’a ni taille, ni poitrine, elle a les cheveux courts, elle est vêtue pour travailler.

    Dans la seconde moitié des années 20, l’ourlet dévoile audacieusement le genou et les couturiers jouent de contrastes noirs et blancs géométriques, coiffent les femmes de « cloches », ces chapeaux qui enveloppent la tête comme un bonnet asymétrique, les talons des chaussures se font bobine pendant que le pantalon entre dans la garde robe des plus audacieuses.

    À la veille du crash de 1929, toutefois, un des hasards les plus fascinants, les couturiers rallongent radicalement l’ourlet qui redescend à mi-mollet après avoir commencé à découvrir le bas des cuisses des plus téméraires, remontent la taille à son niveau naturel pour donner une ligne plus douce, plus « féminine » après dix à quinze ans d’expérimentations et d’audaces qui avaient fait de la femme la pointe avancée de l’art déco et des prémices de la société de consommation. La garçonne conduit sa voiture.

    1929…

    Les cours en bourse s’effondre aux USA et, alors que la bourrasque n’a pas encore atteint l’Europe, Paris a décidé de faire une pause, un peu comme pour mieux digérer la décennie 20, ces années folles qui vont briller et continuer à fasciner durant des décennies entières. Bauhaus et De Stijl pour le design, Mallet Stevens et Le Corbusier, Dada puis le surréalisme ou l’expressionnisme allemand dans la peinture et la littérature, la série dodécaphonique développée par Arnold Schönberg, le cinéma de création de Man Ray ou de Marcel Lherbier, la révolution Bolchévique en toile de fond, c’est bel et bien d’une décennie fondatrice du 20e siècle dont il s’agit, née peu de temps avant la guerre et qui se prolonge en bousculant toutes les bornes, toutes les barrières.

    … et 1930.

    Et finalement, passées ces audaces incroyables de la décennie 20, quand la crise des années 30 s’installe, c’est d’abord dans une mode sobre, fluide. Ce sont les vêtements des premiers films parlants, comme ceux que porte Madeleine Renaud dans Jean de la Lune.

    1935

    Roosevelt est élu en 1933 et une énergie nouvelle traverse les USA.
    Les cheveux que les femmes continuaient de porter courts ondulent et commencent à rallonger. Les sourcils ne se brulent plus en épilation définitive. On les épile désormais normalement et l’oeil commence à se faire plus frondeur. La ligne générale évolue peu mais progressivement elle se « durcit », les épaules commencent à s’affirmer, les jupes jusqu’alors si fluides comment à prendre des formes, des plis permanents, la cloche disparait et des chapeaux presque masculins commencent à recouvrir la tête des femmes.

    À la veille de la guerre, les épaules sont définitivement carrées, les cheveux sont plus longs roulés aux épaules, le tailleur a définitivement pris la forme qu’on lui connait encore de nos jours. L’ourlet entame une très timide remontée et les chapeaux commencent à se rouler.

    L’hybridation entre la guerre, le rationnement et les créations de haute-couture vont créer un style un peu oublié, souvent prêté aux années 50 quand il est définitivement planté dans les années 40. Beaucoup de femmes vont être réduites à porter des vestes d’hommes sur lesquelles elles vont mettre une ceinture pour appuyer la taille, elles vont porter des jupes plus courtes, au niveau du genoux, généralement de forme évasée et taillée dans d’anciennes jupes ou d’anciens manteaux importables et usés. Il n’y a plus de bas, elles vont se teindre les jambes avec du marc de chicorée et se dessiner la couture à l’encre. Les cheveux vont se rouler en coque au dessus du front et un chapeau quelconque viendra coiffer le tout, avec quelques fleurs pour rehausser le tout.
    Je vous parle bien sûr de celles qui veulent « suivre la mode », pour les autres, c’est la veste d’homme et la ceinture et une jupe courte. Pour les plus riches, c’est la même ligne, très épaulée, la taille très marquée et l’ourlet court sur une jupe plissée. Les chaussures ont une semelle compensée en bois. Il n’y a plus de cuir.

    A partir de 1945, le gouvernement encourage des maisons de couture à relancer leur création et a l’idée de promouvoir à l’aide de poupées envoyées aux quatre coins du monde. C’est Le Théâtre de la Mode qui connait un grand succès et permet à Paris de retrouver sa place.

    Pourtant. Pourtant, malgré tous leurs efforts, les couturiers semblent passer à côté de quelque chose. Ils sont couturiers, ils ont oublié d’être les artistes fous qu’ils ont su parfois se révéler. Ils ont oublié qu’un vêtement comme une peinture peut aussi se révéler un déclaration de guerre aux malheurs du temps, un manifeste.
    Paris bouillonne d’une jeunesse qui veut vivre. Gréco fait rêver Paris, Sartre donne un sens à la vie après les horreurs des camps et les prémices de la guerre froide, Sartre publie Lévi-Strauss, et Michel Leiris, Genet n’arrête pas de publier, Beauvoir s’apprête à jeter un pavé monumental dans la marre, le jazz se déchaine dans les caves de Saint-Germain, Picasso et Giacometti sont définitivement installés dans la capitale, Vian écrit ses premières chansons à un jeune chanteur totalement fou et appelé Henri Salvador, le cinéma se relève mené par une nouvelle génération d’acteurs et d’actrices, Mouloudji, Montand, Reggiani, Signoret, Philippe, dans les caf’conce, Ferré et Brassens brûlent leurs premières planches, les écrivains américains, les musiciens noirs viennent là pour échapper à l’enfer maccarthyste qui commence à s’abattre sur les USA.
    La France est pauvre, les gens sont pauvres mais il y a une énergie qu’aucune autre ville au monde n’a à ce moment. On continue d’utiliser des tickets de rationnement, même pour un simple bout de tissus. Les vêtements féminins, de leur côté, continuent d’habiller la bourgeoise sans inspirer les autres femmes. Début 1947, les épaules sont radicalement carrées, les ourlets ont rallongé un peu, certains couturiers s’essaient à donner un côté plus luxueux, les frous-frous réapparaissent.

    Christian Dior, après avoir été dessinateur de mode autodidacte dans les années 30 puis avoir été modéliste à la fin des années 30 et durant l’occupation, rencontre un des frères Boussac, les plus importants fabriquant de tissus à cette époque. Celui-ci lui propose de créer sa maison. Christian Dior a une idée de vêtement depuis des années et c’est avec un sponsor incroyablement riche qu’il va pouvoir ouvrir sa maison et lancer sa propre collection.
    Dior est né dans un milieu bourgeois et a rencontré beaucoup d’artistes dans les années 20. Il a fréquenté Cocteau, Man Ray… Il a même un temps tenu une galerie d’art. Il ne lui reste plus qu’à combiner tout cela.
    Il va faire beaucoup plus que des vêtements. C’est un artiste, c’est certainement ce qui le différencie profondément de Chanel, celle qu’il définit presque un peu comme une ennemie, avec sa petite robe noire. Chanel aime le vêtement fonctionnel et féminin à la fois, cette sorte de fausse simplicité bourgeoise, discrète.
    Non, Dior est avant tout un artiste. Il ne sera pas peintre, il sera simplement couturier mais il y emploiera la même force, le même génie, la même folie.

    Christian Dior ne va pas seulement faire des robes. Il va totalement redessiner le corps des femmes. Son geste est incroyablement scandaleux, rétrograde vont dire en choeur les détracteurs.
    Alors que depuis les années 20 la mode avait « libéré » le corps des femmes, Christian Dior va lui imposer ses diktats, et cela à raison d’un nouveau diktat pour chaque collection, en profitant parfois pour bousculer son diktat précédent. Sa première collection est un geste, une sorte de punkitude ultime dont il ne mesure pas une portée qui va même un peu l’effrayer, il définit son territoire et pour tout dire, son geste est d’une telle force que jusqu’à sa mort, il annexe tout le territoire. Mieux, il n’hésite devant aucune audace, et le voilà qui invente la décennie à venir. Dior est fou, et la folie est certainement l’acte le plus beau, le plus salvateur d’une époque désespérée, ruinée, sans avenir, grise, une époque terne les yeux rivés sur la nécessité de relancer la production et « moderniser » le pays dans un climat de guerre froide.
    Dior va malaxer toutes les audaces du temps, et le jazz, et Gréco, et Sartre, et Fitzgerald, et Vian, et Saint-Germain, il va malaxer, mixer l’époque en un geste scandaleux.

    Christian Dior ne fait pas de vêtement. Il donne son style à l’époque et réinvente l’image de la femme. Ça peut sembler futile, misogyne de nos jours, et ça l’est. Mais Dior est un homme de son temps, d’une époque et d’un monde où les femmes cousaient souvent leurs propres vêtements, devaient paraitre et qui, au sortir de la guerre, étaient comme tout le monde désespérées par ce monde gris privé d’avenir et plongé dans les privations.
    Dior va leur offrir un rêve, une beauté possible, il va les rendre plus belles que belles. Il va en faire des fleurs.
    On s’arrête souvent sur le mythique tailleur Bar de la ligne « Corolle ». Comme une fleur.
    Mais le secret du New Look, le vrai manifeste, la révolution, c’est la ligne 8 présentée le même jour, elle est ce que tous les couturiers vont immédiatement copier car comme je l’écrivais plus haut, Dior réinvente le corps féminin après des années de carcans quasi-militaires.
    Le tailleur « Bar » (croquis à gauche), la ligne « Corolle » sont le produit de la ligne 8.

     

    Pourquoi? C’est très simple. Le 8 est le secret de cette ligne, il est ce qui va définir le corps féminin pour une quinzaine d’années.
    Pour dessiner la ligne révolutionnaire de février 1947, commencez par écrire un « 8 ». Veillez à faire la partie haute du 8 un peu plus petite que celle du bas. Ce sera la buste et la partie du bas seront les hanches. La partie au milieu, ce sera la taille.
    Plus d’épaule, celles-ci se fondent dans les bras. La poitrine, appelée « le buste », se trouve soudainement mise en valeur. Ces courbes enveloppant le buste viennent se poser sur des hanches galbées. La taille est soulignée et très légèrement rehaussée: voilà un buste posée sur des hanches d’où partent des jambes longues, une longueur accentuée par les deux centimètres de surélévation de la taille et par la longueur de la jupe elle-même.
    C’est féminin. C’est ultra-féminin. C’est une sorte d’abstraction du corps féminin, perché sur talons hauts et coiffé d’un chapeau large au bord replié et asymétrique, les cheveux coiffés en arrière.
    Cette ligne radicalement opposée au vêtement de l’occupation et de l’après guerre va avoir l’effet d’une bombe. La journaliste de Harper’s Bazaar présente lors du premier défilé, Carmel Snow, contacte immédiatement sa rédaction et annonce qu’il vient de se passer quelque chose à Paris, « those dresses have such a new look! ». La ligne « Corolle » et la « Ligne 8 » s’effaceront pour toujours devant cette expression. On parlera désormais de New Look.
    L’un des clous du défilé est donc le tailleur « Bar », devenu une légende de l’histoire de la mode au même titre que les perruques d’un mètre de haut de l’époque de Marie-Antoinette. Bar annonce les années 50 au même titre que le scandale de Dada en 1917 annonçait les années folles et le surréalisme.
    Le tailleur reprend tous les éléments de la ligne 8, mais au lieu d’une jupe droite élancée, voilà une jupe plissée et évasée qui fait de celle qui le porte une princesse aux jambes longues, à la taille fine et au buste généreux sans vulgarité. Bar est un objet parfait (cliquez)

    La mode de Dior, immédiatement taxée de réactionnaire pour le côté « retour à la féminité », n’en est pas moins terriblement moderne. Tout est dans la coupe, il n’y a aucun corset et ce sont des rembourrages et des pinces qui renforcent l’effet taille fine, l’effet jambes longues, l’effet buste. C’est de l’architecture, un travail de coupe. Il s’agit de vêtements très portables pour l’époque et en cela, ils sont très modernes.
    Dans les semaines qui suivent, l’industrie du prêt-à-porter US commence à produire en masse des tailleurs et des robes inspirées du New Look et ce sont icels qui vont le mieux incarner l’arrivée en masse des femmes dans l’industrie des services dans les années 50. Une femme en tailleur de style Dior est l’égal d’un homme, elle porte un vrai costume.

    Le scandale traverse également le monde politique. Il ne fallait qu’un bout de tissus pour faire une robe, « « Bar » en a besoin de près de 6 mètres rien que pour la jupe, et encore c’est compter sans les doublure et les couches de tulle nécessaire à l’effet gonflé. En pleine période de privation.
    Les femmes, elles, se prennent à rêver. Ma mère m’a raconter l’ingéniosité des jeunes femmes pour rallonger leurs jupes. Pour la première fois, on commence à retenir le nom des mannequins qui immortalisent ces modèles dans ce qui s’annonce être le premier âge d’or de la photographie de mode…

    Pour sa deuxième collection, Dior surenchérit et rallonge encore un peu plus l’ourlet pour sa ligne Zigzag. C’était 30 cm du sol, ça sera désormais 25 cm du sol. Les féministes hurlent au scandale. Peut-être cette décision vient-elle de sa propre surprise quand il comprend ce que sa première collection avait de frondeur, de chahuteur, de « punk », finalement.

    Peut-être ressent-il le besoin d’installer définitivement ce qui n’était qu’un geste d’artiste dans la durée. « Vous ne me faites pas peur », semble dire la scandaleuse longueur des jupes. Il se fait photographier, un règle à la main aux pieds d’une mannequin en jupe droite, l’oeil malicieux.
    La nouvelle longueur est un décret, un diktat. Cette année, les femmes portent des jupes encore plus longue. Voilà, je l’ai décidé. Durant les quinze à 20 ans à venir, on parlera chaque saison de la nouvelle longueur des jupes, une tradition héritée du New Look.

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    C’est trop féminin, c’est réactionnaire, c’est trop coûteux. Imaginez, plus de 20 mètres d’étoffe pour faire une robe de soirée. Et pourtant… Pourtant Dior plus qu’aucun autre a su traduire, synthétiser l’envie, l’espoir d’entrer dans une époque nouvelle. En ne se contentant pas de faire des vêtements comme s’y étaient résignées toutes les autres maisons, en décrétant d’un coût d’un seul une longueur d’ourlet plus longue encore que dans les années 30, en suggérant une taille corsetée comme en 1900, en effaçant les épaules comme une provocations à ces épaules quasi-militaires de la décennie 40, en dessinant une ligne qui fait la tête petite et les jambes longues, bref en décrétant que les femmes auraient le corps qu’il exigeait qu’elles aient, Dior ne faisaient pas seulement de vêtements, il dessinait son époque, il la peignait et la rendait désirable, palpable, possible.
    Combien de femmes, qui à l’époque savaient encore coudre, ont commencé à retoucher de vieux vêtements ou à en faire de nouveaux pour se conformer aux délires de l’artistes afin, elles aussi, d’entrer de pleins pieds dans une époque nouvelle, celle dont toute guerre serait bannie.
    Dior, c’est un peu le CNR de la mode, c’est certainement la mode la plus populaire qui n’ait jamais existé parce qu’il y a eu la rencontre entre son génie et les désirs du temps. Rapidement, les actrices, aux USA comme en France, vont adopter cette allure si particulière, et puis dans la rue les jupes vont se faire plus longues et au début des années 50, le New Look s’est définitivement imposé. Les journaux pour dames, ces magazines avec des patrons, fourmillent de ces patrons reproduisant les modèles des grandes maisons qui chacune les unes après les autres ont adopté cette nouvelle ligne.
    Dior n’est peut être pas le plus grand couturier de cette époque, il y en avait tellement, et de géniaux, mais il en est l’inventeur, le génie, l’artiste qui va saison après saison affirmer ses nouveaux diktats que les journalistes et les femmes s’intéressant à la mode commenteront, amusés parfois mais toujours sur le qui-vive car ils savent que Dior est plus qu’aucun autre un artiste plus qu’un couturier. Quand en 1953 il déclare que le New Look est mort, on accueille la nouvelle avec une sorte de consternation.

    modèle de Jacques Fath, 1951

    Toutes les robes sont New Look, toutes les maisons sont New Look, tout le monde « fait » du New Look, jamais les femmes n’ont semblé si élancées, si féminines. Même l’hirondelle de faubourg, la midinette, porte le dimanche ces longues jupes et ces chemisiers qui dans leur style semblent sortis de l’esprit du couturier.

    Modèle de Balanciaga, 1954

    Et pourtant à partir de 1954, ce que pressent Dior, c’est qu’il est temps de commencer à modifier la ligne, le dessin. Les modèles des dernières années ont encore la patte de la ligne 8, mais cette année, le 8 a laisse la place à un H. Dior ne sera pas celui qui accomplira la nouvelle révolution, mais il va ouvrir la voie vers un vêtement plus sobre.
    Un buste moins mis en valeur, des épaules qui réapparaissent discrètement et surtout une taille moins soulignée. Son jeune assistant, Yves Saint-Laurent, sera par la suite un peu l’exécuteur testamentaire de cette intuition, ce qui le poussera à quitter la maison Dior et créer sa propre maison: après la mort du couturier en 1957, Dior était devenue une maison figée sous le poids trop lourd du maitre. Yves Saint-Laurent sera donc celui qui à chez Dior d’abord puis dans sa propre maison à partir de 1960 donnera tous ses aises à cette ligne simplifiée qui chaque saison après l’autre remontera timidement la longueur des jupes jusqu’à, Oh, scandale, dévoiler le bas du genoux. En 1964, la speakerine Noëlle Noblecourt est licenciée pour l’avoir montré, ce genoux…

    André Courrèges, 1964.

    Ce sera toutefois un architecte de formation qui accomplira définitivement la révolution dont Christian Dior n’avait eu que l’intuition avec la ligne H, en réalisant le H parfait. André Courrèges présente en 1964 une mode totalement révolutionnaire qui, exactement comme Dior en 1947, renverse toute la table des habitude et incarne en un vêtement l’esprit du temps, celui du capitalisme de consommation de masse, des matières plastiques, de la modernité globale et de la conquête spatiale.

    Courrèges.

    En deux ans, tous les couturiers adopteront la ligne Courrèges. Mini-jupe, pas de taille, poitrine simplement ignorée, jeux de contrastes de couleurs, matériaux nouveaux.
    Mais bon, là, c’est encore une autre histoire que je vous raconterai un jour s’il me vient l’envie de vous parler de l’esprit des années 80 et de la new wave dont l’inspiration est définitivement à aller chercher du côté des années 1965/67.

    Bon, alors, pourquoi ce long développement sur un style de vêtements féminins, le New Look, alors que je vous parlais au départ de la situation de nos sociétés.
    Eh bien tout simplement parce que cet espèce de cul de millénaire dans lequel nous sommes coincés est avant tout caractérisé par une sorte de fin de fin qui ne veut pas finir. Nous sommes encore et toujours piégés dans des référents culturels anciens dont nous ne sommes pas encore sortis, nous n’avons pas révolutionné la culture. Or, on ne sort pas d’une crise sans une révolution de la culture.

    Modèle de Balanciaga, 1953
    Dior, 1951

    Cette révolution de la culture ne se décrète pas: Dior est la synthèse de révolutions accomplies, il est la queue de comète magnifique du surréalisme dont il a connu plusieurs des acteurs, il est l’ami des peintres de ce temps, des écrivains de ce temps et il va habiller les célébrités de ce temps, de Joséphine Baker à Marlène Dietrich. Il synthétise la richesse de la culture de son temps et tourne la page d’un présent gris pour entr’ouvrir la porte d’un d’avenir possible. Son diktat n’est qu’un diktat de pacotille, il est une proposition magnifique, Mesdames, devenez des fleurs…
    Dior donne ainsi à une époque bouillonnante intellectuellement son visuel le plus tangible, bientôt, ce seront Levy-Strauss et Fanon, ce seront les guerres d’indépendance. Dior n’a rien provoqué de cela, il a juste affirmé par un geste radical que l’époque était ouverte, que tout y était possible. Et que malgré les horreurs de la période précédente, la vie pouvait être belle.

    Balanciaga, 1957

    C’est avant tout cela, le travail de l’artiste. Il n’y a pas d’art, il n’y a pas de création qui soit coupée de son temps. Dior fait rêver un monde à un moment de doute profond, l’après-guerre, le rationnement, la guerre froide, des grèves violente, en dessinant l’opulence, une certaine forme de beauté sublimée.
    Ont suivi les génies de la couture, Balanciaga et Fath, mes deux préférés, le baroque et l’exubérant, ils sont les deux artistes du « plus que » New Look. Balanciaga réalise des synthèses impossibles, il va chercher dans les années 20 leur allure longiligne pour les renforcer de ce dessin tout en courbe du New Look quand Fath va déployer tout son génie des plis pour donner à la silhouette une allure plus fine et plus féminine encore.
    Dior est finalement l’inventeur du mythe des années 50. Marylin est New Look, super New Look, même…

    Marlène Dietrich en Dior

    Le moment que nous traversons ne débouchera pas sur un nouveau New Look. Ce moment est passé, pas plus qu’il ne débouchera sur un nouveau dadaïsme, un nouveau surréalisme, Courrèges et sa mode de l’espace ne reviendront pas, pas plus que les merveilleuses en robes romaines transparentes que l’on pouvait apercevoir dans les rues du Paris post-révolutionnaire à la nuit tombée.
    Il n’y aura pas plus cette année magique 1912/1913 qui a fait frémir la culture bourgeoise sur ses gons, entre la copulation païenne du Sacre du Printemps et la révélation du corps féminin tel qu’il est quand Paul Poiret retire le corset aux femmes, ni Kandinsky, ni Arp ni Appolinaire ni Debussy. Il n’y aura plus ce moment, 1968, où la culture va définitivement basculer dans la culture de masse, la culture jeune, sans règle ni tabou.

    Dior

    Il y aura autre chose, il y aura ce sur quoi nos expérimentations déboucheront, en littérature, en cinéma, en vidéo, en peinture et en dessin et un jour un génie qui, venant synthétiser tout cela, accomplira, je n’en doute pas un instant, le geste ultime que fut le New Look, mais à sa façon et avec ce qu’il saura le mieux maitriser. Comme il y a 700 ans Pietro della Francesca a révolutionné l’art européen en représentant le premier des portraits de bourgeois et en utilisant la perpective, comme Bocaccio a révolutionné la littérature européenne et inventé la langue italienne par la même occasion après l’épidémie de peste.

    Le New Look, ou l’âge d’or de la photographie de mode

    Nous vivons une telle époque. Pour le pire, et il y aura beaucoup du pire. Racisme décomplexé, totalitarisme et autoritarisme, crise économique et crise sociale ravageuses, épidémie sans fins aux effets psychologiques dévastateurs. Mouvements politiques aberrants, comme le QAnon. Crise climatique. Crise énergétique. Bouleversement de notre civilisation, raidissement de nos élites. Guerres.
    Et pour le meilleur, ce meilleur que certains défrichent modestement, solitaires pour les uns, jetés à la vindicte pour les autres. Un travail modeste.
    La différence viendra des plus jeunes. Iels ont dix ans, iels ont 15 ans, 20 ans, ce seront iels qui feront la différence, qui créeront car ce sont iels qui auront la capacité de casser les certitudes, les habitudes, les croyances héritées du 20e siècle voire celles du 2e millénaire. Ils en auront la capacité, ils n’en auront peut-être pas même le choix mais quoi qu’il en soit ce sera leur tâche.
    Quand cette épidémie sera derrière nous et que nous émergeront dans son monde dévasté économiquement, socialement, psychologiquement et prêt à s’adonner à toutes les aventures parmi lesquelles les pires, ce sera dans leur monde que nous entreront.
    Dans les soirées de l’interminable confinement, et alors qu’il leur aura été impossible de vivre dehors, réinventant les audaces folles de la clandestinité, ils auront réfléchi, dessiné, ils auront commencé le long défrichement de l’époque qui vient, cette époque qui commence maintenant et qui un jour, sous les yeux embués de celles et ceux qui assisteront à la première présentation d’un quelconque artiste sachant plus qu’un autre incarner son temps, se révèlera avec toute son évidence une époque nouvelle.

    Ne désespérons pas du temps que nous traversons. Donnons-lui l’art et la culture qui le raconteront.

  • Pandénomics

    Pandénomics

    Mardi matin, devant mon ordinateur, vers 8 heures 30. C’est assez tôt, même si ça ne l’est pas vraiment. Ce matin, je me suis levé vers 7 heures. Cela faisait très longtemps que je n’étais parvenu à être prêt si tôt, sans trop forcer et en prenant mon temps. Ce soir, je termine le travail à 21 heures. Une longue journée m’attend. J’ai de nouvelles lunettes, une paire pour dehors, une paire pour la maison. Et cela aussi, cela faisait longtemps. Bien sûr, j’avais des lunettes, mais j’ai cassé une paire dans l’hiver et depuis, je n’étais pas allé les faire remplacer: il y a eu le coronavirus. Résultat, j’ai utilisé de vieilles lunettes d’il y a dix ans, les verres un peu rayés et surtout beaucoup moins adaptées à mes yeux. Là, les caractères sur l’écran sont nets.

    Voilà donc un billet ultra quotidien qui s’annonce, un de plus. Quelque part, je devrais en écrire un comme ça tous les jours, un journal, avec un peu tout ce qui me passe par la tête. Par exemple, mon poids qui ne varie pas. Bien que je n’aie pas été particulièrement concerné par le confinement, de mars à juin, j’ai fortement réduit mon activité quand au même moment mon niveau de stress a été particulièrement élevé. Le résultat, ça a été une prise de poids assez importante, or je ne souhaite pas que cette situation s’éternise, c’est un poids que je veux perdre. Ce n’est simplement pas bon pour la santé. Depuis août, je suis parvenu à stopper la prise de poids et j’ai même perdu deux kilos, mais depuis trois semaines le poids ne bouge plus. Bon, c’est bien, mais d’un autre côté cela traduit mon âge: il y a vingt ans, en mangeant comme je le fais, j’aurais bien perdu 5 kilos.

    Ça fait partie du package, le métabolisme change…

    Dimanche, je suis allé à Kamakura avec Jun, ça faisait très longtemps ça aussi, peut-être la dernière fois, c’était en fin de confinement. Il n’y avait strictement personne. Là, il y avait pas mal de monde, mais on le voit bien que les touristes étrangers sont absents, et puis, ici et là, des boutiques définitivement fermées.

    Ce serait une ironie très difficile à digérer, si cette épidémie de « coronavirus SARS-Cov2 », d’une violente infection les premiers mois tournait à une sorte de rhume avec complications respiratoires pour 0,1% des gens, comme n’importe quel autre rhume. En gros, s’il mutait comme la plupart des autres coronavirus avant lui. On aurait essuyé une espèce de tempête effrayante, une gigantesque bourrasque qui en avançant aurait perdu de sa force pour ne laisser derrière elle que ruine et dévastation.

    Parce qu’il faut bien avouer, même si ce virus devait devenir un simple rhume, on ne reverra jamais le monde qu’il a emporté avec lui. Le monde de l’instamake « Kim Kardashian » aux quatre coins du monde, devant des pyramides et des chutes d’eau, acheté à coup de billets d’avion bradés.  Il y aura bien des tentatives de « retrouver » cette « normalité », mais tout, dans une civilisation comme dans le vivant, nécessite de l’énergie, et l’énergie du tourisme mondial s’est évanouie entre janvier et mai de cette année.

    Ce n’est pas un mal même si ce n’est pas un tant que ça bien un bien non plus.

    Cette épidémie va laisser en occident une emprunte au moins aussi forte qu’une guerre, mais en bien plus pernicieuse. L’emprunte d’une guerre invisible, qui n’aura pas eu lieu, tiens, revoilà Baudrillard, une guerre délétère, larvée, un poison à infusion lente qui aura instillé le doute envers les gouvernements, le doute envers le monde, qui aura mis un coup de projecteur cru sur tout ce qui nous entoure et qui ne marche pas, à commencer par notre abondance de pacotille, toutes ces choses achetées en Chine ou ailleurs et acheminées jusque chez nous dans ces tankers que nous avons vus immobilisés dans des ports, tous ces avions avec leur luxuriance dorée des « First Class Privilège » entassés dans des aéroports les uns derrière les autres réduits aux vulgaires boites de tôles qui volent qu’ils sont en réalité, un spectacle au moins aussi pitoyable à regarder qu’une bite qui à débandé marinant dans son jus au fond d’une capote.

    Ce dévoilement du réel, bien que nous allons tout faire pour ne plus y penser, il va rester là, inscrit quelque part au fond de nous, et à la première difficulté il se rappellera à nous. C’est lui qui a avalé l’énergie de voyager loin et de faire du shopping.

    Et puis il va rester la dévastation, le chômage, ces secteurs désormais sinistrés pour de bon, le tourisme, la restauration, et tous les secteurs liés. Il va rester les montagnes de dettes accumulées par les états et rachetées à tour de bras par les banques centrales, des dettes qui ne vont pas tarder à se rappeler à notre bon souvenir, on peut faire confiance « au marché ». Et la représentation politique d’aujourd’hui.

    En décrétant un plan de relance (nul au demeurant), Emmanuel Macron se dévoile tel qu’il est: un homme du passé. Dans une époque qui plus que tout a besoin de vivre d’un « avant » et d’un « après », un « plan de relance », c’est vide, car ce dont notre époque a besoin n’est pas d’ordre financier.

    C’est du domaine de la civilisation.

    Inconsciemment, on sait que nous allons à vau-l’eau, que ça ne va faire qu’empirer, que le climat, la population, la santé, toute cette illusion de sécurité que le vingtième siècle avaient bâtie, on sait que tout cela est fini. On sait que les antibiotiques fonctionnent moins bien et que nous sommes à la merci d’une bactérie résistante. On sait que les ressources s’épuisent et que tout notre mode de vie dépend de leur abondance « illimitée ». On le sait mais on ne veut pas le savoir, ou plutôt on ne voulait pas le savoir, on voulait faire semblant et sucer la sève jusqu’au trognon à coup de voyages low cost ou de pétrole de schiste, et badaboum, un simple virus est venu nous rappeler notre condition.

    Pire, le confinement nous a révélé une situation contradictoire. Nos pays riches ont pu s’offrir le luxe d’un confinement, avec garantie de salaires et d’emplois – un luxe que les pays du Sud n’ont pas eu les moyens de s’offrir puisque le Nord vit de leurs richesses- et en même temps, alors que nous découvrons son coup prohibitif, nous commençons à comprendre à travers la transparence du novlangue de nos dirigeants politiques qu’un second confinement est simplement impossible, inenvisageable. Et que nous sommes désormais totalement seuls face à ce qui vient.

    2008 avait été un typhon, brutal mais court parce que, comme je l’écrivais à l’époque dans ce blog, le capitalisme était dans le cycle long de la prospérité de son âge global, de l’internet, d’ailleurs, l’iPhone a été lancé à ce moment là, joli symbole. Il n’a donc pas été très difficile de se remettre de 2008 et dans les « pays émergents », comme la Corée, ça a même été le début de leur « âge d’or », de leurs « années 60 ». Certains objecteront le chômage ou la baisse du niveau de vie, oui, bien sûr, mais le capitalisme se fiche de ça, les profits, eux, se sont envolés.

    2020, c’est la dévastation d’une guerre, mais sans la guerre. Une sorte de bourrasque douce, invisible, et plus rien n’est comme avant. Les travailleurs et les travailleuses qui avant étaient parvenues à survivre sont désormais en mode survie, prêts à accepter des heures supplémentaires. Moi, mon salaire est amputé de plus de 10%. On n’a pas le choix, la révolution néolibérale nous a atomisés, et le chômage de masse étend son nombre sur notre quotidien, fragile.

    L’effet de cette pandémie sera très long, très profond.

    Alors que je déjeunais dans un petit restaurant de Kamakura, dimanche midi, je voyais par la vitrine les gens aller et venir et je me demandais si ça avait été comme ça, aux USA, en 1930, je veux dire, est-ce que le quotidien d’icels qui avaient encore leur travail était le même. On nous parle tellement des chômeurses, mais finalement si peu des autres, des travailleurses.

    Je ne crois pas que cette pandémie soit comme la crise de 1929, mais plutôt comme la première guerre mondiale. Il y aura beaucoup moins de morts bien sûr, mais pour un Nord habitué au cocon de la tranquillité, se voir plongé dans une peur épidémique, c’est un sentiment de fragilité inédit, nouveau. Et une fois encore, cette expérience aura été une expérience mondiale.

    L’économie repartira, bien plus vite que tout ce que les « analystes » disent, mais avec un volume de liquidités aberrant, et un volume de dettes juste absurde, qui équivaut au moins autant aux manipulations monétaires du début du 14e siècle. Je veux dire, je ne veux pas vous affoler, mais votre argent, il ne vaut rien. Vraiment rien. Car la banque centrale qui en garantit la valeur a acheté un volume de dette inimaginable, et ça équivaut à dire que votre billet est garanti par… une dette. Il y a 60 ans, c’était de l’or. Ça vous laisse entrevoir le chemin parcouru.

    Le prochain accro sera fatal, et je « continue » de le voir vers 2024, après une période d’euphorie au moins inoubliable que les années 20, un truc nouveau riche, tape à l’oeil, du Kardashian à la puissance 100.000, et même que pense que cette fois, on est mûrs pour les padding années 80, ça ira très bien avec le second terme de Donald Trump. Une sorte de golden era financé à crédit, avec une bourse battant records sur records, quand au même moment, exactement comme dans les années 20, des pans entiers de la société seront simplement à la dérive.

    Cette idée d’un décrochage vers 2024, ça fait 10/15 ans que j’en parle avec Thomas, c’est une marotte. La pandémie, elle, a brassé nos sociétés en profondeur, et cela me fait bien plus peur que l’effondrement des bourses et la banqueroute des états ou la faillite des banques centrales.

    En France, en une semaine, on a vu une député représentée comme une esclave parce qu’elle est noire et qu’elle défend un antiracisme politique, on a vu une journaliste du Figaro retweeter une influenceuse voilée avec le commentaire « 11 septembre » avant de voir ressurgir le débat sur la peine de mort.

    Ça ne présage rien de beau.

    Au Japon, on a un nouveau premier ministre. Le même, avec une tête différente.

  • Et puis aussi…

    Et puis aussi…

    Métro, vers 13 heures. Dehors, un temps pas possible, humide, moite, poisseux, une cocote minute géante. J’ai écrit un billet ce matin, entamons l’écriture d’un second. Ça fait longtemps en effet que je ne le fais plus, écrire dans le métro, ça a été pourtant un truc que je faisais régulièrement autrefois. Dans le métro, je ne parviens pas à lire, mais écrire m’est incroyablement facile, je parviens à isoler ma pensée, je me réfugie dans mon monde et les mots sortent tranquillement.

    Quand je suis sorti de chez moi, tout à l’heure, la chaleur était étouffante, la pluie venait de s’arrêter, le sol était encore humide, les nuages cédaient la place à un ciel limpide recouvert ici de nuages blancs, là de nuages gris et ailleurs, parsemé de légères traînées blanches. Cette humidité, c’est celle de la fin de l’été, très différente de la saison des pluies en juin car en juin on sent bien le soleil brûlant alors que désormais c’est l’air qui est chaud. C’est une saison que j’aime bien même si elle est très éprouvante car il faut utiliser la climatisation, et l’air conditionné me donne des courbatures aux épaules ainsi qu’une sensation de corps lourd, le matin.

    Vous me direz, mais pourquoi donc utilises-tu la climatisation? La réponse est simple.

    Les maisons japonaises anciennes étaient ouvertes, parois coulissantes autours, parois coulissantes dedans, en été l’air y circulait. De nos jours, il stagne dedans, et la chaleur monte. Avec l’humidité on a carrément l’impression que la peau brûle. Chaque année, des centaines de personnes meurent chez elles de la chaleur, et je pense que l’importation d’une architecture venue de pays bien moins chauds y est pour quelque chose. Voilà pourquoi la climatisation est nécessaire.

    Le train vient de sortir de son tunnel. C’est un train de la ligne Tôkyû qui traverse Tokyo en tant que métro. Je jette un coup d’œil aux nuages et c’est incroyable la variété de formes, de textures apparentes en cette saison, c’est un peu comme un télescopage. Le ciel est magnifique avec un bleu profond, le bleu de l’été encore, très vif, avec cette dominante « jaune » dans la lumière. Encore un mois comme ça, et puis…

    Cet été, la météo a été abominable. D’abord une interminable saison des pluies, particulièrement dans l’ouest du pays où plus d’une centaine de personnes ont perdu la vie dans de très violentes chutes de pluies. À Tôkyô, il a plu quasiment tout le temps en juillet, et quand il ne pleuvait pas, il faisait gris. Avec le coronavirus, ça a été d’un déprimant incroyable, surtout qu’alors l’épidémie est repartie. C’est pour cela que j’ai eu besoin d’une coupure, de vacances, bien plus que les autres années.

    Alors les prix des fruits et légumes cette année se sont envolés. J’ai vu des paquets de 4 pommes de terre de taille moyenne à près de 3 euros quand il y a deux mois on les trouvait à même pas un euro. Trois carottes à 2 euros, trois tomates à deux euros… Il semble qu’on soit enfin en train de revenir à des prix plus habituels mais ça reste plus cher. Pour moi qui aime manger des légumes, c’est vraiment pas une bonne nouvelle quand au même moment je continue de vivre une baisse de salaire liée au coronavirus. Pas importante, mais quand même.

    D’un autre côté, comme je ne vais plus au restaurant du tout quand Jun vient le week-end, j’économise pas mal de ce côté là. Et puis j’ai découvert que la fonction « déshumidificateur » de la climatisation rafraîchissait autant que le fonction « climatisation » et nécessitait bien moins d’électricité. J’ai eu le mois dernier ma facture d’électricité la moins chère pour un plein été.

    École, vers 14:35. J’ai donné une leçon, la prochaine est à 16:30. Beaucoup moins de travail depuis plusieurs mois, on a même eu un passage à vide d’environ deux mois où la plupart des étudiants ont annulé, et puis depuis deux mois ils reviennent, mais on reste à environ 60%. Il y a un programme de soutien pour un an je crois, un peu comme du chômage partiel, et c’est pour cela que j’ai une coupe dans mon salaire. En gros, j’ai moins d’heures travaillées, et quand je ne suis pas à l’école car je n’y ai pas de classe, je suis payé 60%. Je crois aussi que l’état paie la part employeur de la protection sociale. J’attends septembre avec impatience et un peu d’appréhension aussi car ça va vraiment être le mois où on verra si les étudiants reviennent ou pas. S’ils reviennent et qu’on atteint les 80%, on sera sur la bonne voie, s’ils ne reviennent pas, il y aura certainement des conséquences. J’ai une certaine appréhension mais j’ai digéré cette éventuelle situation.

    Si aujourd’hui je mets deux billets en ligne, si depuis lundi mon régime alimentaire est parfaitement recadré, que pourrais-je rajouter demain pour donner à cette semaine quelque chose en plus, de l’ordre d’un progrès? Me lever vers 6 heures, peut-être. Et prendre ma flûte. Je n’y ai pas touché depuis l’achat: elle est arrivée mi-février et puis très vite il y a eu ce virus et j’ai eu l’esprit retenu ailleurs. Le virus, l’économie et la finance, la politique… Concernant la politique, les intuitions étaient parfaitement justes, au passage, et ce n’est pas fini car l’automne et l’hiver, entre la récession qui arrive, le chômage qui va s’envoler, le virus qui semble s’installer avec les restrictions qui vont avec, avec l’hystérisation du débat (le dernier en cours, le changement de titre du bouquin de Agatha Christie 10 petits nègres, et toute cette hystérie digne des pires comiques troupiers de droite à la Jean Lefèvre, « pauvre France » « ma bonne dame, gna-gna-gna), la mousse médiatique autours du Harlequin de la philosophie testostéronée Michel Onfray, avec sa bande de vrais mecs bien ringards, ça va être chaud. Imaginez, un pseudo-élève de Paul Ricoeur d’un côté, pur produit hybride du marketing, du vide idéologique de notre temps, des intérêts de quelques grandes fortunes et d’une ambition dévorante, le candidat de la droite Orléaniste Emmanuel Macron d’un côté, et en face un pseudo-philosophe, qui a écrit 2 fois plus de livres en 20 ans que Nietzsche, Balzac et Hegel réunis en une cinquantaine d’années, le roi de la compilation de bouquins qui réduit la pensée à une pochette surprise qu’on trouve au hasard à l’entrée des toilettes d’un café de quartier… Ça en ferait, un beau débat de deuxième tour.

    Vous allez adorer l’automne, entre virus, chômage de masse et visite régulière de la fosse septique politique.

    Le plus marrant, c’est qu’ils sont tous les deux de droite, réactionnaires, mais l’un ce sont les banquiers et l’autre c’est la réaction, la vraie, bien faisandée, chuif’frrrancêê, moi!

    Au Japon, ce sont déjà les mêmes qui sont au pouvoir, mais avec une petite différence: ils gouvernent ensemble, ce qui est un peu logique finalement.

    Tout ça pour dire que oui, je ne me suis pas trompé du tout, on y va tout droit, c’est en vitesse automatique et maintenant c’est un peu comme à la foire, on klaxonne, et puis on chante, et on picole un bon coup en appuyant sur le champignon. La classe moyenne va se réveiller avec un de ces maux de crâne, alors, elle qui rêvait du centre… en focalisant sur l’Islam, les incivilités des jeunes de cités, des racailles, le voile, tout en martelant, à coup de baisses d’impôts dépensées aussitôt en alimentation bio et équitable qu’il faut s’adapter et que les prolo ne veulent pas comprendre, qu’il faut savoir faire des sacrifices… Ils ne veulent pas voir qu’au fond d’eux, ce qui les écœure chez Zemmour, ce n’est pas ce qu’il dit, c’est qu’ils le dise parce qu’en réalité, et chaque jour je le constate dans des contacts Facebook, ca fait belle lurette qu’ils sont devenus aussi réactionnaires que Zemmour, avec leur crispation républicaine et leur acceptation de tous les grignotages de nos libertés publiques dans un rétrécissement sans fin de l’espace démocratique. Après tout, c’est la classe moyenne qui a choisi Pétain, la bourgeoisie, seule, n’aurait jamais pu l’imposer. Les rentiers. L’ordre. Le calme. Les traditions.

    Bon, le soleil tape, dehors. Si demain matin je parviens à me lever réellement à 6 heures ou même avant, alors, j’ai pas mal de travail qui m’attend et ce sera alors une belle journée.

    Rajout avant publication, ce soir. J’ai enfin commencé à écrire un truc important. J’ai donné naissance à Pierre. Une journée très productive.

  • Welcome back

    Un grand soleil, des températures agréables, une belle journée pour recommencer à écrire dans ce site après avoir changé son apparence. Il y aura d’autres changements mais globalement vous en avez la nouvelle mouture.
    J’aimais beaucoup le précédent template, mais après plusieurs années, je le trouvais daté, et trop et pas assez complexe à la fois. J’ai donc opté pour une sorte de retour esthétique aux sources du blog et en même temps pour une certaine sophistication. Il y a moins d’options de mises en page, mais j’aime résolument le côté fonctionnel de ce nouveau design, « blog », la possibilité de retrouver une présentation directe vers les billets tout en offrant une présentation extrêmement lisible, « magazine », au vrai sens du terme, extrêmement claire, ce qui constitue un atout réel pour les « pages ».
    J’ai opté pour le noir et blanc.
    Vous me direz, cela n’a rien de nouveau, mais en cette année d’entrée dans une crise économique partie pour s’enraciner malgré une vive reprise prévisible, je vois enfin le moment bascule de la culture, le moment où tout va changer dans la culture, dans l’esthétique, dans les désirs. Ce confinement aura été l’équivalent du « choc pétrolier ».

    En 1974, on savait que quelque chose venait de se passer, mais d’abord, dans un premier temps, on a voulu reprendre la vie d’avant et ce n’est que vers 1976 que l’esthétique a commencé à changer et qu’enfin les années 80 ont pointé le bout de leur nez, avant que la « grande glaciation » des années 1979-1982, avec l’envolée du chômage dans des proportions inconnues depuis la seconde guerre mondiale, avec le début des politiques monétaristes et néo-libérales de marché en Grande-Bretagne d’abord puis aux USA et la profonde récession elle aussi inédite depuis les années 30 ne viennent définitivement créer une rupture et rendre les années 70 inintelligibles, ringardes, des espèces de dinosaures incompréhensibles, une décennie moche, vieille, lente et avachie.
    Ainsi à partir de 1976, il y a eu comme une énergie nouvelle, que ce soit avec la disco ou avec le punk puis la new-wave, avec l’émergence de la post-modernité dans des champs aussi variés que la peinture, l’architecture ou la littérature et le design, et c’est ainsi toute la culture de l’occident, et pour commencer la culture européenne du sud, Italie, France, Espagne, qui a été saisie d’une envie et d’un frisson de neuf.

    Ce n’est pas un jugement de valeur, c’est juste que touchait à sa fin le cadre idéologique et esthétique de la longue période qui avait commencé en Suède en 1932 avec la victoire du Parti Social-Démocrate et sa toute première expérimentation d’une politique d’intervention publique keynésienne, avait été suivie par la victoire de Franklin Roosevelt aux USA et le New Deal à partir de 1933, et avec enfin à partir de 1945 la généralisation des politique de redistribution, d’impôts progressifs, de contrôle des capitaux et d’état providence, des politiques et une société contestées dès les années 60 par une génération du baby boom qui en avait bénéficié plein pot et qui se trouvait désormais avide de reconnaissance individuelle, avant qu’elles ne se trouvent fragilisées par la crise du capitalisme puis la fin du système de Bretton Wood et le développement concomitant de l’inflation et du chômage après trente années de stabilité.
    Le choc pétrolier n’a pas été la cause, mais le révélateur d’une crise profonde et le travail des monétaristes et des néolibéraux a précisément été à partir de 1979 de comprendre ces changements économiques et culturels profonds pour pouvoir surfer ainsi sur ce besoin d’individualisme exprimé par la génération des boomers revenant de leurs expérimentations baba-cool et du gauchisme en leur offrant un bonheur individualisé fait de baisses d’impôts, de boursicotage, de frénésie d’investissement immobilier et de « réussite sociale » qui donneraient aux années 80 leur allure d’années fric.

    Mais en réalité, la transformation culturelle a été bien plus profonde, elle a touché jusqu’à l’image du corps, avec le triomphe de la gym, puis des produits light, puis des corrections plastiques (lèvres, poitrine), puis la consommation de stupéfiants de façon presque banale dans des segments jusqu’alors écartés des addictions comme la crise des opiacés aux USA le montre très bien.
    La transformation a également été le théâtre d’une reconfiguration du capitalisme à l’échelle du monde, d’abord pour les capitaux dès les années 70/80 avec l’apparition des crédits dérivés, puis avec la dérégulation de l’investissement et du commerce mondial, et enfin avec cette incroyable bulle du tourisme planétaire qui a également donné naissance à son excroissance hôtelière, transformant des centres villes en villes musées d’où les habitants ont progressivement été chassés et où s’affirmerait le triomphe de cette esthétique égotiste faite d’« Instamake », de « selfies » prises là où des millions d’autres en ont pris d’identiques et immédiatement partagées sur des réseaux sociaux brassant le vide de sens de la vie d’individus isolés n’exprimant leur bonheur que dans des choses et des comportements conformes.
    Même la pensée y a eu droit avec les Ted Talks, ce stand up du bavardage où l’élocution, les gestes et même le vocabulaire sont clonés et formatés à l’envie pour raconter le triomphe de la volonté individuelle sur toutes les contraintes, exprimer la nécessité « d’être soi », d’oser être « ce que l’on est vraiment » dans un brassage parfois aussi indigeste que sirupeux de réussites ou d’indignations destinées à finir partagées sur les réseaux sociaux entre deux chats et un gif « trop drôle » de telle ou tel le personnalité politique.
    Quand au corps, une simple comparaison avec les années 70, des années réputées « permissives » mais finalement habillées de vêtements enveloppants et rigides, l’esthétique de cette véritable transformation culturelle l’a déshabillé, exhibé, « libéré » tout en le rendant encore plus dépendant de contraintes de poids, de morphologie – la liposuccion de la taille et sa réinjection dans les fesses et la poitrine fournissant à cet égard l’un des caractères les plus pathétiques.

    Nos « penseurs » ont vanté de leur côté la victoire de la société post-industrielle, mais force est de constater que jamais l’homo-économicus occidental n’avait dans son histoire été entouré d’autant de choses renouvelées à une vitesse exponentielle, faisant de nos sociétés des sociétés hyper-industrielles mais à la production invisibilisée car délocalisée et nourrissant ainsi la généralisation du mode de production capitaliste, son mode de consommation ainsi que son esthétique nouveau-riche jusqu’aux confins de l’Asie, et de l’Afrique…
    La classe moyenne, elle, désormais rassasiée d’hédonisme, peut enfin donner désormais dans la conscience. Elle se rassasie dans l’écologie, elle rêve d’un Green New Deal qui lui permettrait de consommer, vivre « éthique » et « responsable » sans que cela ne vienne bouleverser les habitudes consuméristes acquises au cours de 40 dernières années.
    Elle veut « corriger les excès », « les inégalités » « criantes », mais fait la moue quand toutes celles et tous ceux que le modèle néolibéral a mis en rade redressent la tête, – des « populistes », qu’elle dit.

    Jamais dans les années 60, dans leurs rêves les plus fous, les néolibéraux qui se voyaient alors comme une tribu assiégée en voie de disparition et terrassée par le triomphe du consensus keynésien, n’avaient espéré un tel spectacle, celui d’un monde dominé par leur triomphe, cette pensée égotiste, narcissique et égoïste où la seule alternative se réduirait finalement à savoir le montant des aides « aux plus démunis ». La tribu néolibérale, les Hayek et les Friedman, a triomphé il y a quarante ans, elle n’est plus tribu, elle domine. Nous sommes dans leur monde et tout le monde pense comme eux.
    La tribu assiégée, isolée, elle est du côté du socialisme, du communisme et des idéologies d’émancipation, de nos jours.

    Dans leur victoire, les néolibéraux néolibéraux ont commencé à discuter, s’opposer, et ils sont désormais scindés en deux groupes principaux, un peu comme les keynésiens l’étaient dans les années 60, au sommet de leur triomphe, quand ils se querellaient, entre ceux qui voyaient dans le Keynesianisme un outil pour aller vers un socialisme démocratique (le projet Meidner) et ceux qui commençaient à en envisager les limites, préfiguration lointaine de la « troisième voie » blairiste, avec au milieu les tenants d’un keynésianisme renouvelé qui donnerait naissance à l’école de la régulation (DSK…) avant de terminer sa course dans la troisième voie.

    Un premier groupe est composé d’une sorte de magma libre-échangiste et néothatcherien, plus ou moins héritier de la troisième voie blairiste, se réclamant du « progressisme », plus ou moins pro-européen et gay friendly voire même des fois « antiraciste ». Il couvre en France un large spectre politique qui va des Républicains au Parti Socialiste, et Emmanuel Macron en est certainement la figure politique la plus aboutie, celui qui incarne le mieux ce fantasme lepeniste réalisé, l’UMPS.
    L’autre groupe a réalisé sa mue ultra-liberale, parfois autoritaire et toujours anti-libre-échangiste. Il s’agit d’un néolibéralisme plus ou moins libertarien, très souvent réactionnaire au vrai sens du mot, viriliste souvent, opposé à toute intervention de l’état et anti-fiscal. C’est Éric Zemmour, Elisabeth Levy, Marion Maréchal Le Pen ainsi que les stars du net et de TVLiberté, Charles Gave, Olivier Delamarche ou Agnès Verdier-Molinié.
    Ces deux groupes, à bien y regarder, portent sur le monde un même regard mais sous un angle différent. Ils sont la droite recomposée, décomplexée. Leur grand point commun est une acceptation sans condition du capitalisme et du status quo de domination impérialiste.
    Quand la crise va pointer son vrai visage, c’est la variante ultra-libérale et autoritaire assumée, nationaliste, qui a le plus de chances de fournir l’un des cadres idéologiques alternatifs au consensus incarné par Emmanuel Macron.

    Bon, fin d’aparté. Je venais sur ce sujet car en réalité le néolibéralisme est aujourd’hui en crise, son ciment idéologique vole en éclat sous le double poids de sa victoire et de ses effets. La réalité de cette crise, c’est que comme en 1974, tout ce qui aura été détruit ne sera pas reconstitué. Ainsi, le tourisme ne remontera jamais à avant.
    Toute l’économie internet de pacotille va également rentrer en crise, les Instagram, les Facebook, YouTube et autres TikTok, car il y en a trop et qu’ils ne rapportent rien. Or, nous sommes en train de nous diriger vers une crise monétaire qui commencera vraisemblablement par un choc inflationniste plaçant les banques centrales devant un cruel dilemme: augmenter les taux et déclencher une récession qui fera s’écrouler le système financier, ou voir la valeur de leur monnaie s’effondrer et livrée à la spéculation et donc être forcées de monter les taux d’intérêt voire même les conduire à leur propre faillite.
    Non? Le Japon, endetté à 250%, vient de lancer un plan de relance équivalent à 20% de son PIB, et il en prépare un deuxième du même ordre.
    Non? Les banques centrales ont désormais entre 5 et 8 trillions de dollars d’actifs à la valeur aléatoire et rachetés pour fournir des liquidités aux banques. C’est la raison pour laquelle les bourses ne se sont pas écroulées: il y a une avalanche d’argent dans le système. C’est d’ailleurs pour cela que certains économistes commencent à craindre une crise monétaire et un choc inflationniste. Car problème est que ce qui garantit la valeur de la monnaie est très, très douteux. Il y a 100 ans, c’était de l’or. Maintenant, ce sont des dettes…

    Alors oui, nous entrons dans une sorte de période intermédiaire économiquement, après un choc psychologique dont nous ne parvenons pas encore à percevoir la portée, comme pour toutes les vraies ruptures.
    Et puis, un peu comme dans les années 1910, il y a des velléités de guerre, l’ambiance se fait anti-chinoise. C’est dur, pour une grande puissance, malgré la présence de ses troupes aux quatre coins du monde, malgré un budget de l’armement qui dépasse le budget de toutes les autres puissances réunies, de se sentir dépassée, surtout quand c’est par un pays que l’on regardait avec condescendance il n’y a pas trente ans.

    Dans le moins mauvais cas, si nous parvenons à éviter une guerre qui, cette fois-ci, pourrait très bien être nucléaire non pas par volonté, mais par un simple enchainement de causes et de conséquences, exactement comme ce fut le cas en 1914, dans le moins mauvais cas, donc, nous nous acheminons vers une reprise économique un peu comme en 1975, vive mais déséquilibrée. Et puis, il se passera un quelconque évènement qui verra le château de carte faire badaboum.

    Ainsi, le contexte est définitivement très différent de 2007/2009: les pays émergents avaient alors permis d’amortir le choc, et le quantitative leasing (ces politiques des banques centrales) n’en était encore qu’à ses débuts. Pour sauver les banques, on comptait encore en centaines de millions. Désormais, on parle en trillions. On ne plaisante plus.

    De cette phase intermédiaire, il est impossible de deviner ni les contours politiques, esthétiques, littéraires ou artistiques, mais ce que nous venons de vivre, comparable à la première guerre mondiale par la brutalités des effets à venir, par une morbidité jusqu’au coeur des économies monde du nord, par le doute de plus en plus prononcé de cette croyance illusoire en un « progrès » qui nous fait encore nous rattacher à « un vaccin d’ici 6 mois », cachées derrière une normalité de façade s’annoncent des transformations profondes qui s’installeront quand le système financier, maintenu à bout de bras par une dette abyssale et une émission monétaire inédite s’effondrera en un 1929 planétaire …

    Alors à partir de maintenant et jusqu’à ce que la finance rende l’âme, l’expérimentation va réémerger. Des fractures ont d’ores et déjà pris place.
    Les boomers ont basculé sans s’en rendre compte dans la catégorie des personnes âgées « à risque ». Imaginez, la génération pour qui le concept même de jeunesse a été inventé, la génération qui a défini le cool, le jeune, le sympa, aujourd’hui obligée de se planquer comme des petits vieux à l’hospice. Le choc symbolique est rude.
    Tous ces boomers, objets de moquerie il y a encore peu de temps, et désormais vieillards à part entière, c’est une rupture importante car elle va permettre à la jeune génération de s’émanciper politiquement, esthétiquement et culturellement des modèles antérieurs, et c’est bien. Les boomers n’avaient-ils pas marqué leur époque en parvenant à bousculer les générations précédentes. Alors, place aux jeunes!
    Une autre rupture, beaucoup plus commentée, est le décollage du travail à distance. C’est un changement qui doit être pensé, car des perspectives émancipatrices majeures s’esquissent à travers la déconnexion entre le lieu de travail et l’entreprise.
    Esthétiquement, la distanciation sociale, partie pour durer, va de son côté être l’occasion d’expérimentations esthétiques dans le domaine du net absolument fascinantes, avec l’émergence de nouveaux métiers, mais également une égalisation des conditions entre journalistes et « amateurs »: depuis deux mois, ils nous laissent entrevoir une grande similitude en matière d’étagère et d’absence de maquillage.
    La crise, en limitant encore un peu plus les revenus chez les plus jeunes va être encore plus généraliser la débrouille.
    Les idéologies vont recommencer à remuer, à se bousculer. Il est clair que la droite, en France, c’est tout ce qui va des Républicains au Parti Socialiste et que les espèces de tentatives de « fédération de la gauche » sont des scories toutes droit sorties du passé. On ne fait pas du neuf avec du vieux, surtout quand ces vieux ont échoué, et encore plus quand il s’agit d’une nouvelle époque.
    Bref, il ne reste plus que la droite, dans toutes ses variantes.

    J’ai voulu signifier un peu tout ça, mon humeur de l’époque après avoir digéré de l’information financière en flot continu depuis deux mois. Ce que j’écris, mes conclusions, elle sont les miennes, je ne les ai lues nulle part, parfois un peu ici ou un peu là. J’ai remis mes cycles en ligne car je n’y changerais pas une ligne sur ce que j’écrivais sur les années récentes et l’horizon à trois quatre ans.
    Ce que j’aime dans le moment que nous traversons, c’est le sentiment d’une histoire en pleine action. Certes, je peux moi même en être victime, et j’ai vraiment eu peur de perdre mon travail par exemple, et je ne serais pas épargné demain par une guerre, nucléaire particulièrement. Mais à regarder comme un objet, atteindre cette distance entre le moment et moi-même est quelque chose que je parviens à faire, que j’aime faire et que je trouve passionnant.

    J’ai le sentiment assez étrange que c’est désormais mon temps qui s’ouvre, qu’il est à l’image de cet article, brouillon, décousu, un mélange de trucs mais aussi que tout y est à sa place car dans les années qui viennent, plus que l’écologie, c’est l’économie qui va être la clé de tout, car c’est l’économie prédatrice, inégalitaire et profondément immorale qui nous a fait ce que nous sommes dans les pays du nord, des individus isolés, narcissiques pour un grand nombre, de plus en plus fragilisés pour pas mal, mais tous unis par le désir de ne pas sacrifier une once du peu de confort que nous avons. Et à travers la crise du capitalisme qui ne fait que commencer depuis deux ou trois ans, c’est également notre civilisation qui s’apprête à traverser sa plus grosse crise car ce sera alors une crise écologique, sociale, technologique, morale.

    En ce sens, notre culture va progressivement épouser les contours de cette crise. Nous ne sommes plus dans le monde d’avant. Nous sommes désormais un pied dans le monde de pendant. L’art, la musique, l’écriture et la politique sont désormais et la matière première et le terrain d’expérimentation, un incroyable champs de bataille dans lequel, éventuellement, nous inventerons ce qui suivra.
    Et où beaucoup, déjà, est esquissé…
    J’ai donc décidé d’incarner tout cela par le retour à la forme banale du blog tout en le faisant dans un site soigné, sophistiqué, beau et simple. Un vrai plaisir. Pour vous comme pour moi.
    En attendant des jours meilleurs, bienvenu dans mon blog d’après.

    (billet écrit rapidement, sans relire, juste pour goûter de nouveau le plaisir du blog, du billet instantané)

  • Discours « Churchilien »? 13 avril

    Discours « Churchilien »? 13 avril


    « Le » discours « churchillien » d’Emmanuel Macron a donc été un interminable et insupportable gloubiboulga insipide, verbeux, et qui d’un strict point de vue rhétorique ne dépassait pas le niveau d’une rédaction d’un élève de CE2 s’essayant parfois, au début et vers la fin, à « faire du Elisabeth » avec des trémolos et sans jamais s’empêcher d’en remettre une ou deux couches juste histoire de bien nous faire comprendre que « je » compatit.

    C’était décousu, et au milieu de ce vide, ça a dû créer de la panique chez les enseignants à qui Jean-Michel Blanquer avait annoncé que les écoles seraient fermées jusqu’en juin et qui ont appris au détour d’une lamentation que les écoles rouvriraient le 11 mai.

    Et revoilà à n’en pas finir ce « je » protecteur permanent, celui avec lequel il a commencé à inonder Tweeter et dont la seule référence historique que je connaisse soit Pétain, avec des élans de trémolos et des tartines de compassion qui faisaient le plus bel effet avec son bronzage.

    Au delà du verbiage imbuvable, avec des énumérations insupportables de professions devenant pour l’occasion des premières, deuxièmes et troisièmes lignes pour coller à sa vision martiale pseudo-militaire, au delà d’une fausse reconnaissance des défaillances aussitôt assaisonnée d’un « c’est comme ça dans le monde entier » et de « on ne pouvait pas prévoir » destinés à le dédouaner et le déresponsabiliser de tout, juge et partie à la fois, voilà un « on en tirera les leçons » aussitôt pondéré par le rappel que c’est lui qui s’en chargera le moment venu.

    Un discours imbuvable, donc, un brassage de vide total destiné avant tout à combler son propre vide, à tenter de reprendre la main en tentant de se placer pour un après qui aura les contours des préparatifs pour l’élection présidentielle.

    La seule vraie annonce finalement, c’est la façon dont la fin du confinement va se passer. En demandant aux personnes âgées de rester chez elles, en annonçant un retour à la normale dès le 11 mai ainsi qu’une politique de tests « ciblée sur les personnes présentant des symptômes et les personnes à risques » et non pour toute la population qui le souhaite, Emmanuel Macron annonce sans le dire sa décision de laisser circuler le virus pour atteindre une immunité de groupe en pariant que si seuls les moins âgés et les jeunes sont contaminés les hôpitaux pourront faire face. Ce faisant, il permettra le redémarrage de l’économie, une petite musique qui a ponctué ce « discours » à plusieurs reprises.

    Un redémarrage qui, toutefois, se fera « dans le respect des gestes barrière », ce qui veut dire sans manifestations, bien entendu.

    Pour moi, cette stratégie non dite de l’immunité de groupe, c’est la seule annonce que j’ai entendue.

    Tout le reste, c’étaient 24 insupportables minutes, la montagne qui accouche d’une puce.

    Décidément, n’est pas Churchill ni Elisabeth qui veut.

  • MERCI MACRON: 3 avril

    MERCI MACRON: 3 avril

    https://www.youtube.com/watch?v=OT1BMiXqhjI

    Le ministère de la propagande du gouvernement français lance sa campagne « merci » sur fond pré-électoral « bleu et rouge » de « France Unie », une sorte de mauvais poisson d’avril.
    Alors oui, merci.
    Merci pour avoir aidé à délocaliser. À défiscaliser. À supprimer 130.000 lits d’hôpitaux en 20 ans. Pour avoir réduit le budget de la santé de 12 milliards d’euros en 30 ans. Pour avoir supprimé des dispensaires, de petits hôpitaux, des centres de soins.
    Oui, merci. Pour avoir privatisé les laboratoires, réduit les budgets de la recherche et laisser filer la production de médicaments dans des pays à bas coût. Pour avoir réduit l’impôt sur les sociétés et sur les plus-values et donc appauvri l’état, l’avoir obligé à couper les budgets tout en remerciant les spéculateurs.
    Encore une fois, merci. Pour avoir refusé de payer les heures supplémentaires des soignants, des pompiers. Pour avoir introduit la tarification au soin à l’hôpital pour encore plus réduire les budgets.
    Oui, merci. Pour avoir dit de nous que nous étions « ceux qui ne sont rien » et que le secteur social « coûtait un pognon de dingue ».
    Merci pour avoir bradé un conseil des ministres sur le coronavirus pour faire passer en force la loi sur les retraites.
    Mille fois merci. Pour ne pas avoir managé l’épidémie depuis décembre alors que la ministre « savait ». Et pour avoir organisé le premier tour de l’élection municipale.
    Et puis merci encore. Pour réduire encore plus les libertés publiques en peau de chagrin et suspendre, fait inédit dans l’histoire, notre constitution au moment où nous en avons le plus besoin.
    Et encore merci pour le discours de guerre, la désignation de boucs émissaires dans les quartiers populaires où à la promiscuité des logements se double les humiliations policières au cœur de déserts hospitaliers.
    Merci, merci pour suggérer que la moindre critique, la moindre opposition est un acte de trahison.
    Merci pour tout, oui, vraiment.
    Vous devriez nous remercier de vous supporter mais rassurez-vous, vous n’en aurez pas besoin.
    On ne vous supporte plus.
    Et quand le temps sera venu, nous aussi, nous vous remercierons.

  • Sortir du contingent: 29 mars 2020

    2314. Bon, j’ai assez parlé du bilan. L’incompétence du gouvernement, ses mensonges, ses dissimulation, le manque de tout, la répression, le discours raciste en temps de confinement, les hôpitaux livrés à eux-mêmes sans médicaments avec un personnel épuisé et contaminé, non testé et devant choisir qui pourra vivre ou pas, les aides massives aux banques et le detricotage encore plus poussé, hypocrite, en urgence, du droit du travail. Il y aura beaucoup de morts et de souffrance, et ce gouvernement en sera tenu responsable pour avoir menti, préfère l’argent à la vie, Mme Buzin sa carrière etc etc Il y a une crise économique qui vient et qui sera terrible avec la Grèce pour modèle et des lois déjà votées, des drones et des policiers suréquipés pour réprimer. Il y aura ces banques, asphyxiées et sauvées avec notre argent aujourd’hui, qui exigeront des coupes budgétaires, la privatisation de tout, et il y aura nous, abattus, comptant nos morts, assommés, et ils en profiteront.
    Voilà, c’est écrit.
    Alors maintenant je vais donc cesser d’alimenter la machine à déprimer, c’est inutile. On se fait suffisamment de mal, on est suffisamment tristes. On ne peut rien face à ce qui est.
    Il nous reste tous les possibles qui commencent maintenant. Et ça commence par nous détoxiquer de cette épidémie. J’arrête donc volontairement de relayer les informations toxiques, ce qui ne veut pas dire que je les ignore. Éventuellement, avant chaque post, je vais mettre un chiffre. Le nombre de morts, histoire de dire que oui, je sais.
    Et que cette bande est responsable ET coupable.
    Si on parvient à nous détoxiquer du présent, si on parvient à continuer à penser, à garder une certaine distance, si on garde pour nous l’amitié, la gentillesse et une forme d’optimisme malgré la nécessaire résignation à ce qui est, en acceptant le deuil des rêves du passé, on en sortira plus forts, plus unis par une culture nourrie d’une expérience commune. A cette condition nous pourront vaincre. Non pas Macron, mais nos illusions vaines, la croissance, le retour à « comme avant », celles-la même qui nourrissent l’élection de types comme lui.
    On vaut beaucoup mieux.
  • Au temps du Coronavirus 1/ 36,7

    Au temps du Coronavirus 1/ 36,7

    J’ai passé plus d’un mois, plus d’un mois à ne pas comprendre que personne ne réagisse face à ce qui était d’évidence une catastrophe programmée. J’ai posté mon premier billet sur le Covid-19 le 11 février, et je vous avoue, je vous ai épargné plusieurs débuts de billets, j’avais presque le sentiment de gêner. Ce n’était pas mon travail, de vous saouler avec ça, c’était le leur.

    J’ai contenu une rage, une colère sourde car j’appartiens à ce groupe qu’Emmanuel Macron appelle « ceux qui ne sont rien ».

    Pour avoir mieux fait le diagnostic de la catastrophe qui s’annonçait, qu’il me permette juste de lui répondre que lui, il n’est qu’un moins que rien, parce que son travail, c’était prévoir.

    Dans une économie ouverte, dans un monde où les gens circulent, voyagent, comment ne pas avoir compris que ce virus voyagerait avec les millions de Chinois qui visitent le monde, que nos politiques et les grands groupes ne regardent que comme des cartes de crédit ambulantes et qui ne sont que de simples gens tout heureux de pouvoir admirer Asakusa, la Place Saint Marc ou les bords de Seine, en amoureux? C’est parce qu’Emmanuel Macron et ses semblables se croient différents qu’ils ne comprennent pas que nous, les gens qui ne sommes rien, nous avons des plaisirs simples, un petit voyage ici, une glace les pieds dans l’eau par là, et un avion entre les deux.

    J’ai vu une photo qui m’a terrorisé. On y voit une foule de gens, masques sur le visages, certains assis, beaucoup debout, c’est un hôpital quelque part en Chine, murs roses, il y a trop, beaucoup trop de monde, et j’ai pensé que nous, les « gens qui ne sont rien », c’est là qu’on iraient s’entasser avant de souffrir voire de mourir faute de lits, faute de place pendant que Brigitte Macron, Ivanka Trump ou Bernard Arnault auraient droit à une consultation dans le calme d’une de ces cliniques où l’on voit des arbres par les fenêtres et où des diffuseurs d’huiles essentielles sont en elles-même l’amorce de votre guérison prochaine, là où les respirateur ne manquent pas.

    J’appartiens à la plèbe, à la racaille, au commun, je suis quelqu’un qui n’est « rien », comme il dit. Ma vie ne compte pas, pas plus que la vôtre, mes frères, mes soeurs de salles d’attente, en quarantaine, en transports bondés la boule dans le ventre, peur d’avoir mal, peur de perdre un ami, l’homme ou la femme de sa vie, un enfant, un père ou une mère. Nous nous attachons à des choses de peu, nous, les gens de rien.

    Eux, ils ont passé deux semaines à vendre leurs actions et ils spéculent pour être sûrs que les gouvernements les renflouent, histoire qu’ils puissent racheter ces actions par la suite avec des plus-values, eux, les gens de tout, les gens de bien, tous ces gens qui jamais ne visiteront nos salles d’attentes bondées des hôpitaux où la peur et le supplice des patients n’aura d’égal que l’épuisement des soignants.

    J’ai passé un mois et demie à ne pas comprendre qu’on ne teste pas en masse, à l’écrire, à le crier sur Facebook, dans le vide. J’en ai eu presque honte, alors j’ai même arrêté d’écrire sur ce blog parce que je ne pouvais plus écrire que sur ça, je voyais le truc arriver, je le savais. Je ne suis pas devin, je suis logique.

    Agnès Buzin déclarant en janvier que la maladie ne se propagerait pas, ça m’avait rendu fou. Il a suffit d’un bateau, un bateau en rade de Marseille en 1346 pour que les deux tiers de la population française et la moitié de la population meure de la peste. Elle est vraiment médecin? Mais il faut la révoquer de l’ordre des médecins! Et la juger également! Elle est ET responsable, ET coupable! Et en plus elle a déserté le navire alors qu’elle savait comme elle a en plus l’indécence de l’étaler dans une interview dans Le Monde, la larme à l’oeil! C’était son travail, d’informer, de préparer au dépistage en masse, de faire mettre en quarantaine qui devait l’être, dès le début. De veiller à ce qu’il y ait des masques et non pas dire, l’idiote, que porter un masque était inutile, ce que des idiots et des médecins médiatiques comme Michel Cymes continuent de dire avec cynisme à la télévision.

    Il faut porter un masque même quand on n’est pas malade, parce qu’on ne connait pas son propre statut. Je me protège, donc je te protège.

    Ces gens n’ont donc rien appris de l’épidémie de SIDA? Responsables, ET coupables.

    Je tempêtais alors sur le Japon parce que j’y vis, mais j’avoue, quand j’ai commencé à comprendre que pour la France c’était la même chose, ça m’a vraiment déstabilisé. C’était pourtant si simple, d’éviter la catastrophe.

    J’ai résumé ça sur un post Facebook la semaine dernière, une énième fois après avoir écrit et réécrit la même chose durant des semaines,

    « La Corée teste en masse, les gens évitent les lieux bondés, les personnes restées positives restent chez elles en contact avec les hôpitaux. Ça marche. À ça il faut ajouter une très faible mortalité due au dépistage et au suivi précoce des malades.

    Tout le reste est bavardage. Il est incompréhensible que le Japon, troisième puissance mondiale, ou la France, sixième puissance mondiale, soient incapables de prévenir une grosse épidémie en dépistant massivement quand la neuvième puissance économique le peut. D’autant plus que quand l’épidémie démarrera vraiment, il faudra dépister. Les épidémiologistes le disent, il faut éviter un trop grand nombre de malades d’un coup afin d’éviter l’engorgement des structures de soin comme cela se passe en Italie ou comme cela s’est passé en Chine. Dépister massivement, suivre les malades et les maintenir en quarantaine de façon contraignante si nécessaire, c’est précisément ça. C’est étaler la contamination dans le temps pour venir en aide à tout le monde. En n’ayant pas décidé de telles mesures, les hôpitaux risquent d’être débordés.

    On ne devient pas ministre ou président pour faire joli. On le devient parce qu’on se sent capable de prendre des décisions graves, difficile mais qui si elles sont expliquées et collent au contexte, peuvent aisément être comprises. Regardez les italiens, ils ne se plaignent pas, ils savent que c’est grave. Regardez les coréens, ils ne se plaignent pas, ils se font dépister. Il a été bien plus facile d’imposer des réformes impopulaires qui ne résoudront rien aux problèmes qu’elles sont sensées résoudre dans le novlangue présidentiel, il a été infiniment plus aisé de nier les violences policières et la limitations des libertés à travers des lois successives de contrôle et l’inscription de l’état d’urgence dans la loi, que de décider le confinement, que d’imposer, dès que l’institut Pasteur a découvert et séquencé le virus, la préparation d’une politique de tests en masse, que de se préparer à mettre les gens en quarantaine, qu’à limiter, en accord avec la Chine, les voyages vers et de la Chine pour TOUTES les compagnies aériennes.

    Nous avons des gouvernants qui à la morgue et à la suffisance de leur politique, ajoutent l’incompétence et l’imprévoyance.

    Les gouvernements, les personnels politiques de ces pays seront comptables pour chaque mort et pour les souffrances infligées.

    En attendant, prenez votre santé et celle de vos proches en main. Sortez masqués. Lavez vous les mains fréquemment. Évitez les déplacements inutiles. Protégez les plus âgés parmi vous. Gardez un mètre de distance avec les autres. Ne harcelez pas les hôpitaux, cliniques et docteurs. Suivez votre santé. Ne vous alarmez pas pour une petite fièvre ou un petit mal de gorge, mais portez un masque au cas où. Si ça persiste, contactez les numéros d’urgence. Évitez l’aspirine, préférez le Paracetamol. Si vous êtes fébriles et un peu « grippés », restez chez vous, faites vous un grog, et mettez vous au lit super couvert. Si les symptômes passent ou restent supportables, c’est que ça va mais informez un médecin pour qu’il puisse éventuellement suivre l’évolution.

    On vit un moment très difficile, on s’en remettra même si hélas certains parmi nous, peut être même moi, ne seront pas là après. Le plus important, c’est que chacun contrôle le moment. Écoutez les militants SIDA qui ont eu à vivre des années face à une maladie sans traitement. Informez votre médecin en cas de doute.

    Notre ennemi, c’est le déni et la passivité. Le gouvernement nous laissant dans la brume de ses propres indécisions et des conséquences de sa propre politique de réduction des budgets santé, c’est à nous de faire le travail.

    On lui demandera des comptes plus tard.

    Amitiés, et prenez soin de vous et de vos proches. »

    C’était juste après les annonces d’Emmanuel Macron jeudi dernier.

    Au Japon, toujours pas de confinement. Pas de politique massive de tests. Peut-être « à partir de la fin du mois ». Découverte de la « théorie du troupeau » qui préconise de laisser filer une épidémie pour permettre une « immunité de groupe », à part que les hôpitaux ne sont pas du tout équipés pour faire face à ça, et que surtout, ben parmi les malades, il semblerait qu’il y ait plus de jeunes que prévu.

    J’ai eu peur pour mon travail. Le chômage. J’ai eu peur pour l’économie. La récession. J’ai eu peur de devoir rentrer en France en urgence. Tout perdre. Et puis j’ai commencé à avoir peur pour ma santé, peur de mourir. Il y a trois semaines, j’ai explosé de colère face à mon étudiante Yûkô, j’ai passé une nuit à pleurer, oui, et puis la peur de mourir s’est estompée, la colère s’est diffusée en moi jusqu’à se neutraliser totalement, jusqu’à être submergée par un immense sentiment d’amour. J’ai d’abord pensé au papa de mon ami Stéphane, un vieux monsieur de 79 ans. J’ai pensé à mon frère à qui j’ai écrit ce que j’avais à lui écrire pour qu’il se protège, j’ai compris qu’il ne comprenait pas que le problème n’était pas la maladie mais l’engorgement des hôpitaux, mais c’est pas grave. J’ai eu peur pour Jun, je ne veux pas qu’il ait mal. J’ai eu peur pour les autres et je me suis mis à les aimer tous parce que nous, les gens qui ne sommes rien, on est dans cela ensemble.

    Je lis à l’instant qu’un médicament serait efficace contre le virus et qu’en plus ce serait un médicament japonais. Le plus vite nous sortiront de cette épidémie, le mieux ce sera, même s’il va falloir du temps pour cela car il va falloir le produire, ce médicament.
    Mais les griefs que j’ai nourris contre le gouvernement français ne seront que plus nets et précis car je n’ai contre ces gens plus aucune colère.

    En 2022, on leur fera payer tout ce qu’ils sont, tout ce qu’ils représentent, tout ce qu’ils nous ont fait et ce à quoi ils nous ont réduits, leur morgue, nos yeux crevés et l’épuisement des soignants, les contaminations un jour d’élection, on leur enverra l’addition. Non pas par ce que nous sommes en colère, mais par amour pour ce que nous sommes.
    Nous ne sommes peut être pas grand chose mais nous valons tout l’amour que nous nous portons, nos grands sourires et nos petites disputes, le soleil qui se lève au petit matin et nos yeux émerveillés par la couleur du ciel devant un petit café, la première cigarette et la fierté d’avoir arrêté de fumer, cette joie d’avoir retrouvé un travail et les petits gâteaux qu’on s’autorise avec la première paye, la fille qui grandit et qui un jour vous dit « papa, je vais me marier », la soirée télé avec les amis, nous valons toutes nos vies car elles sont ce qui nous fait, nous « les gens qui ne sont rien ». Et la simple idée de n’en perdre qu’un, de n’en perdre qu’une seule dans un hôpital surchargé parce qu’un gouvernement n’a même pas été capable d’envisager une épidémie après avoir coupé les budgets, pire, à fait montre d’une totale impréparation, d’une totale incompétence en allant jusqu’à utiliser un conseil des ministres consacré au coronavirus pour décider de faire passer en force une réforme impopulaire, on s’en souviendra.

    En attendant, prenez soin de vous, de vos proches, dites leurs que vous les aimez, dites vous que vous vous aimez, réconciliez vous, soyez gentils, devenez un peu plus l’image de la société à laquelle nous aspirons. Moi, je vais aller travailler puisqu’ici il n’y a pas de quarantaine, la boule au ventre comme tous ces « gens qui ne sont rien », le masque sur la visage et l’oreille à l’affut d’une moindre toux.
    Gardons la leçon de ces jours que nous traversons comme d’autres avec moi et plus encore que moi gardons la mémoire de l’épidémie de SIDA qui nous a blessés mais dont nous nous sommes relevés après nous être bagarrés. On s’en sortira. Plus forts, et plus beaux. Dignes de nous.

    Je vous aime.

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