J’ai passé plus d’un mois, plus d’un mois à ne pas comprendre que personne ne réagisse face à ce qui était d’évidence une catastrophe programmée. J’ai posté mon premier billet sur le Covid-19 le 11 février, et je vous avoue, je vous ai épargné plusieurs débuts de billets, j’avais presque le sentiment de gêner. Ce n’était pas mon travail, de vous saouler avec ça, c’était le leur.
J’ai contenu une rage, une colère sourde car j’appartiens à ce groupe qu’Emmanuel Macron appelle « ceux qui ne sont rien ».
Pour avoir mieux fait le diagnostic de la catastrophe qui s’annonçait, qu’il me permette juste de lui répondre que lui, il n’est qu’un moins que rien, parce que son travail, c’était prévoir.
Dans une économie ouverte, dans un monde où les gens circulent, voyagent, comment ne pas avoir compris que ce virus voyagerait avec les millions de Chinois qui visitent le monde, que nos politiques et les grands groupes ne regardent que comme des cartes de crédit ambulantes et qui ne sont que de simples gens tout heureux de pouvoir admirer Asakusa, la Place Saint Marc ou les bords de Seine, en amoureux? C’est parce qu’Emmanuel Macron et ses semblables se croient différents qu’ils ne comprennent pas que nous, les gens qui ne sommes rien, nous avons des plaisirs simples, un petit voyage ici, une glace les pieds dans l’eau par là, et un avion entre les deux.
J’ai vu une photo qui m’a terrorisé. On y voit une foule de gens, masques sur le visages, certains assis, beaucoup debout, c’est un hôpital quelque part en Chine, murs roses, il y a trop, beaucoup trop de monde, et j’ai pensé que nous, les « gens qui ne sont rien », c’est là qu’on iraient s’entasser avant de souffrir voire de mourir faute de lits, faute de place pendant que Brigitte Macron, Ivanka Trump ou Bernard Arnault auraient droit à une consultation dans le calme d’une de ces cliniques où l’on voit des arbres par les fenêtres et où des diffuseurs d’huiles essentielles sont en elles-même l’amorce de votre guérison prochaine, là où les respirateur ne manquent pas.
J’appartiens à la plèbe, à la racaille, au commun, je suis quelqu’un qui n’est « rien », comme il dit. Ma vie ne compte pas, pas plus que la vôtre, mes frères, mes soeurs de salles d’attente, en quarantaine, en transports bondés la boule dans le ventre, peur d’avoir mal, peur de perdre un ami, l’homme ou la femme de sa vie, un enfant, un père ou une mère. Nous nous attachons à des choses de peu, nous, les gens de rien.
Eux, ils ont passé deux semaines à vendre leurs actions et ils spéculent pour être sûrs que les gouvernements les renflouent, histoire qu’ils puissent racheter ces actions par la suite avec des plus-values, eux, les gens de tout, les gens de bien, tous ces gens qui jamais ne visiteront nos salles d’attentes bondées des hôpitaux où la peur et le supplice des patients n’aura d’égal que l’épuisement des soignants.
J’ai passé un mois et demie à ne pas comprendre qu’on ne teste pas en masse, à l’écrire, à le crier sur Facebook, dans le vide. J’en ai eu presque honte, alors j’ai même arrêté d’écrire sur ce blog parce que je ne pouvais plus écrire que sur ça, je voyais le truc arriver, je le savais. Je ne suis pas devin, je suis logique.
Agnès Buzin déclarant en janvier que la maladie ne se propagerait pas, ça m’avait rendu fou. Il a suffit d’un bateau, un bateau en rade de Marseille en 1346 pour que les deux tiers de la population française et la moitié de la population meure de la peste. Elle est vraiment médecin? Mais il faut la révoquer de l’ordre des médecins! Et la juger également! Elle est ET responsable, ET coupable! Et en plus elle a déserté le navire alors qu’elle savait comme elle a en plus l’indécence de l’étaler dans une interview dans Le Monde, la larme à l’oeil! C’était son travail, d’informer, de préparer au dépistage en masse, de faire mettre en quarantaine qui devait l’être, dès le début. De veiller à ce qu’il y ait des masques et non pas dire, l’idiote, que porter un masque était inutile, ce que des idiots et des médecins médiatiques comme Michel Cymes continuent de dire avec cynisme à la télévision.
Il faut porter un masque même quand on n’est pas malade, parce qu’on ne connait pas son propre statut. Je me protège, donc je te protège.
Ces gens n’ont donc rien appris de l’épidémie de SIDA? Responsables, ET coupables.
Je tempêtais alors sur le Japon parce que j’y vis, mais j’avoue, quand j’ai commencé à comprendre que pour la France c’était la même chose, ça m’a vraiment déstabilisé. C’était pourtant si simple, d’éviter la catastrophe.
J’ai résumé ça sur un post Facebook la semaine dernière, une énième fois après avoir écrit et réécrit la même chose durant des semaines,
« La Corée teste en masse, les gens évitent les lieux bondés, les personnes restées positives restent chez elles en contact avec les hôpitaux. Ça marche. À ça il faut ajouter une très faible mortalité due au dépistage et au suivi précoce des malades.
Tout le reste est bavardage. Il est incompréhensible que le Japon, troisième puissance mondiale, ou la France, sixième puissance mondiale, soient incapables de prévenir une grosse épidémie en dépistant massivement quand la neuvième puissance économique le peut. D’autant plus que quand l’épidémie démarrera vraiment, il faudra dépister. Les épidémiologistes le disent, il faut éviter un trop grand nombre de malades d’un coup afin d’éviter l’engorgement des structures de soin comme cela se passe en Italie ou comme cela s’est passé en Chine. Dépister massivement, suivre les malades et les maintenir en quarantaine de façon contraignante si nécessaire, c’est précisément ça. C’est étaler la contamination dans le temps pour venir en aide à tout le monde. En n’ayant pas décidé de telles mesures, les hôpitaux risquent d’être débordés.
On ne devient pas ministre ou président pour faire joli. On le devient parce qu’on se sent capable de prendre des décisions graves, difficile mais qui si elles sont expliquées et collent au contexte, peuvent aisément être comprises. Regardez les italiens, ils ne se plaignent pas, ils savent que c’est grave. Regardez les coréens, ils ne se plaignent pas, ils se font dépister. Il a été bien plus facile d’imposer des réformes impopulaires qui ne résoudront rien aux problèmes qu’elles sont sensées résoudre dans le novlangue présidentiel, il a été infiniment plus aisé de nier les violences policières et la limitations des libertés à travers des lois successives de contrôle et l’inscription de l’état d’urgence dans la loi, que de décider le confinement, que d’imposer, dès que l’institut Pasteur a découvert et séquencé le virus, la préparation d’une politique de tests en masse, que de se préparer à mettre les gens en quarantaine, qu’à limiter, en accord avec la Chine, les voyages vers et de la Chine pour TOUTES les compagnies aériennes.
Nous avons des gouvernants qui à la morgue et à la suffisance de leur politique, ajoutent l’incompétence et l’imprévoyance.
Les gouvernements, les personnels politiques de ces pays seront comptables pour chaque mort et pour les souffrances infligées.
En attendant, prenez votre santé et celle de vos proches en main. Sortez masqués. Lavez vous les mains fréquemment. Évitez les déplacements inutiles. Protégez les plus âgés parmi vous. Gardez un mètre de distance avec les autres. Ne harcelez pas les hôpitaux, cliniques et docteurs. Suivez votre santé. Ne vous alarmez pas pour une petite fièvre ou un petit mal de gorge, mais portez un masque au cas où. Si ça persiste, contactez les numéros d’urgence. Évitez l’aspirine, préférez le Paracetamol. Si vous êtes fébriles et un peu « grippés », restez chez vous, faites vous un grog, et mettez vous au lit super couvert. Si les symptômes passent ou restent supportables, c’est que ça va mais informez un médecin pour qu’il puisse éventuellement suivre l’évolution.
On vit un moment très difficile, on s’en remettra même si hélas certains parmi nous, peut être même moi, ne seront pas là après. Le plus important, c’est que chacun contrôle le moment. Écoutez les militants SIDA qui ont eu à vivre des années face à une maladie sans traitement. Informez votre médecin en cas de doute.
Notre ennemi, c’est le déni et la passivité. Le gouvernement nous laissant dans la brume de ses propres indécisions et des conséquences de sa propre politique de réduction des budgets santé, c’est à nous de faire le travail.
On lui demandera des comptes plus tard.
Amitiés, et prenez soin de vous et de vos proches. »
C’était juste après les annonces d’Emmanuel Macron jeudi dernier.
Au Japon, toujours pas de confinement. Pas de politique massive de tests. Peut-être « à partir de la fin du mois ». Découverte de la « théorie du troupeau » qui préconise de laisser filer une épidémie pour permettre une « immunité de groupe », à part que les hôpitaux ne sont pas du tout équipés pour faire face à ça, et que surtout, ben parmi les malades, il semblerait qu’il y ait plus de jeunes que prévu.
J’ai eu peur pour mon travail. Le chômage. J’ai eu peur pour l’économie. La récession. J’ai eu peur de devoir rentrer en France en urgence. Tout perdre. Et puis j’ai commencé à avoir peur pour ma santé, peur de mourir. Il y a trois semaines, j’ai explosé de colère face à mon étudiante Yûkô, j’ai passé une nuit à pleurer, oui, et puis la peur de mourir s’est estompée, la colère s’est diffusée en moi jusqu’à se neutraliser totalement, jusqu’à être submergée par un immense sentiment d’amour. J’ai d’abord pensé au papa de mon ami Stéphane, un vieux monsieur de 79 ans. J’ai pensé à mon frère à qui j’ai écrit ce que j’avais à lui écrire pour qu’il se protège, j’ai compris qu’il ne comprenait pas que le problème n’était pas la maladie mais l’engorgement des hôpitaux, mais c’est pas grave. J’ai eu peur pour Jun, je ne veux pas qu’il ait mal. J’ai eu peur pour les autres et je me suis mis à les aimer tous parce que nous, les gens qui ne sommes rien, on est dans cela ensemble.
Je lis à l’instant qu’un médicament serait efficace contre le virus et qu’en plus ce serait un médicament japonais. Le plus vite nous sortiront de cette épidémie, le mieux ce sera, même s’il va falloir du temps pour cela car il va falloir le produire, ce médicament.
Mais les griefs que j’ai nourris contre le gouvernement français ne seront que plus nets et précis car je n’ai contre ces gens plus aucune colère.
En 2022, on leur fera payer tout ce qu’ils sont, tout ce qu’ils représentent, tout ce qu’ils nous ont fait et ce à quoi ils nous ont réduits, leur morgue, nos yeux crevés et l’épuisement des soignants, les contaminations un jour d’élection, on leur enverra l’addition. Non pas par ce que nous sommes en colère, mais par amour pour ce que nous sommes.
Nous ne sommes peut être pas grand chose mais nous valons tout l’amour que nous nous portons, nos grands sourires et nos petites disputes, le soleil qui se lève au petit matin et nos yeux émerveillés par la couleur du ciel devant un petit café, la première cigarette et la fierté d’avoir arrêté de fumer, cette joie d’avoir retrouvé un travail et les petits gâteaux qu’on s’autorise avec la première paye, la fille qui grandit et qui un jour vous dit « papa, je vais me marier », la soirée télé avec les amis, nous valons toutes nos vies car elles sont ce qui nous fait, nous « les gens qui ne sont rien ». Et la simple idée de n’en perdre qu’un, de n’en perdre qu’une seule dans un hôpital surchargé parce qu’un gouvernement n’a même pas été capable d’envisager une épidémie après avoir coupé les budgets, pire, à fait montre d’une totale impréparation, d’une totale incompétence en allant jusqu’à utiliser un conseil des ministres consacré au coronavirus pour décider de faire passer en force une réforme impopulaire, on s’en souviendra.
En attendant, prenez soin de vous, de vos proches, dites leurs que vous les aimez, dites vous que vous vous aimez, réconciliez vous, soyez gentils, devenez un peu plus l’image de la société à laquelle nous aspirons. Moi, je vais aller travailler puisqu’ici il n’y a pas de quarantaine, la boule au ventre comme tous ces « gens qui ne sont rien », le masque sur la visage et l’oreille à l’affut d’une moindre toux.
Gardons la leçon de ces jours que nous traversons comme d’autres avec moi et plus encore que moi gardons la mémoire de l’épidémie de SIDA qui nous a blessés mais dont nous nous sommes relevés après nous être bagarrés. On s’en sortira. Plus forts, et plus beaux. Dignes de nous.
Je vous aime.
Je vous lis depuis quelques semaines, et précisément, je crois, parce-que vous êtes l’inverse de quelqu’un qui ne « serait rien » : vous pensez, vous avez des sentiments, et savez nous les restituer.
Courage à vous
Merci beaucoup. J’éprouve le même sentiment pour vous, pour tous mes lecteurs. Nous sommes nos vies.
Courage à vous aussi.
Madjid
« Nous ne sommes rien, soyons tout ! »
D’ici 2022, il reste du temps pour rassembler, compiler, exposer au grand jour et au plus grand nombre les décisions de ces dirigeants, larbins du néo/ultra-libéralisme à outrance, champions du pantouflage et du conflit d’intérêt. Toutes ces réductions d’impôts, exonérations de charges, qui mettent volontairement dans le rouge les services publics histoire de pouvoir les montrer du doigts quand on vends leurs restes aux multinationales qui n’attendent que ça. Le foutage de gueule du crédit impôt recherche, et le torpillage de la recherche publique, la réduction du stock national de masques (parce que les chinois peuvent produire beaucoup, vite, et pas cher…), etc, etc… Il y a largement de quoi occuper les journalistes d’investigation confinés (il doit bien en rester encore quelques uns capables dans ce pays).
Et ce discours ou Macron voudrait nous faire croire qu’il a viré communiste. C’est la cata, mais c’est pas sa faute, hein ? C’est cette voie sur laquelle notre société s’est engagée…. Mais bien sûr ! Et la marmotte elle mets le chocolat dans le papier d’alu… Ruffin relevait l’emploi de la forme passive, qui en dit long. Comme si « la société » avait sa volonté propre. Comme si elle n’avait pas été conduite à la schlag dans cette direction du toujours plus de profit, toujours plus d’individualisme, toujours tout pour les mêmes happy few…
Bon, je m’arrête là, en espérant que la progression des cas de COVID-19 n’explose pas trop vite au Japon.
« Nous ne sommes rien, soyons tout ! »
D’ici 2022, il reste du temps pour rassembler, compiler, exposer au grand jour et au plus grand nombre les décisions de ces dirigeants, larbins du néo/ultra-libéralisme à outrance, champions du pantouflage et du conflit d’intérêt. Toutes ces réductions d’impôts, exonérations de charges, qui mettent volontairement dans le rouge les services publics histoire de pouvoir les montrer du doigts quand on vends leurs restes aux multinationales qui n’attendent que ça. Le foutage de gueule du crédit impôt recherche, et le torpillage de la recherche publique, la réduction du stock national de masques (parce que les chinois peuvent produire beaucoup, vite, et pas cher…), etc, etc… Il y a largement de quoi occuper les journalistes d’investigation confinés (il doit bien en rester encore quelques uns capables dans ce pays).
Et ce discours ou Macron voudrait nous faire croire qu’il a viré communiste. C’est la cata, mais c’est pas sa faute, hein ? C’est cette voie sur laquelle notre société s’est engagée…. Mais bien sûr ! Et la marmotte elle mets le chocolat dans le papier d’alu… Ruffin relevait l’emploi de la forme passive, qui en dit long. Comme si « la société » avait sa volonté propre. Comme si elle n’avait pas été conduite à la schlag dans cette direction du toujours plus de profit, toujours plus d’individualisme, toujours tout pour les mêmes happy few…
Bon, je m’arrête là, en espérant que la progression des cas de COVID-19 n’explose pas trop vite au Japon.