Le Blog de Suppaiku, journal bloggué de Madjid Ben Chikh, à Tokyo.

Palestine ou Barbarie


Recourir à l’injure d’antisémitisme contre toute personne indignée par le sort réservé à un peuple qui n’a en rien participé à l’extermination industrielle des Juifs ni aux théories racistes eugénistes et réduit à subir une colonisation expiatoire du monde blanc contre ses propres péchés…

(billet écrit vers le 19 avril 2024 et mis à jour avant d’être posté aujourd’hui)

Comment ne pas être dévasté par la situation en Palestine, comment vivre normalement quand un peuple se fait massacrer en Mondiovision, comment ne pas savoir par quel bout poursuivre ses projets? J’écris « dévasté » car c’est tout ce à quoi je crois, à quoi j’ai toujours cru qui est ébranlé. Non pas les idées, mais le regard que je porte sur les gens, sur l’histoire, sur la décence même.

Désormais, l’accusation d’antisémitisme est devenue banale, une sorte de tarte à la crème pour dire « ta gueule » quand on en a envie ou quand on veut disqualifier quelqu’un, ce qui veut dire que d’ici quelques années, cette accusation aura perdu toute sa force symbolique après avoir concouru à tuer toute expression politique, décoloniale ou simplement critique.
Elle aura cessé d’être un tabou, une injure, un révélateur du puit sans fond dans lequel le racisme peut nous entrainer pour n’être plus qu’un mot vide de sens qui ne fera même plus mal et avec lequel, n’en doutons pas, on commencera à faire des blagues.
Accuser d’antisémitisme des personnalités politiques antiracistes historiques, de Mélenchon à Corbyn, c’est jouer avec le feu, surtout quand dans un même temps on prend pour argent comptant les déclarations d’amour la main sur le coeur d’une extreme-droite soit disant rénovée.

Comme si « aimer Israël » et « défendre Israël » épargnait de l’antisémitisme…
Pour l’extrême-droite, c’est pratique, Israël, ça donne la perspective de pouvoir se débarrasser des Juifs. Il lui suffira d’abord d’interdire la double nationalité, puis d’obliger à « choisir », puis de revenir à la traditionnelle suspicion de « secret » et de conspiration à l’égard des Juifs pour finir par réclamer leur « remigration ». Hitler y avait vaguement pensé avant d’en venir à une solution plus « radicale », « finale »…
Bref, c’est faire passer le judaïsme pour une nationalité et non une religion – avec la bénédiction des sionistes qui, en plus de jouer avec l’accusation d’antisémitisme, ont fermement installé ce lien entre judaïsme et existence d’Israël. Un lien rejeté viscéralement par les Juifs progressistes pendant des décennies avant de finalement s’installer dans toute sa banalité.

Il suffit de voir comment l’extrême-droite et la réaction tapent sur les juifs progressistes, justement, en les accusant de tous les mots de la terre, voire de participer à des complots: Georges Soros et Jacques Attali sont ainsi régulièrement accusés de travailler en secret à la création d’un monde apatride et nomade où l’homme occidental sera progressivement remplacé par des africains grâce à l’immigration, des vaccins 5G et la promotion d’une idéologie woke LGBT tendant à encourager la transidentité… Ouf!
On les a entendus, leurs délires, durant la crise sanitaire.
Ainsi, la nouvelle extrême-droite, toute philosémite et amourachée d’Israël qu’elle est, véhicule en même temps une vision du monde radicalement paranoïaque et antisémite.
De fait, ce fameux « grand-remplacement », ce n’est pas l’idée que les africains viendraient et envahiraient l’Europe. Non, c’est l’idée que cette migration est voulue, planifiée, organisée. Et qui organiserait ce « grand remplacement »?
Une élite « mondialiste » cachée, « cosmopolite », « apatride » tirant les ficelles grâce au pouvoir de l’argent qu’elle détiendrait en abondance et de ses sociétés secrètes.
La nouvelle extrême-droite a trouvé depuis une vingtaine d’années le moyen d’être antisémite sans une seule fois prononcer le mot « juif » tout en déclarant sa flamme à l’état d’Israël avec la bénédiction de certains des sionistes les plus virulents.

Il ne me viendrait pas à l’esprit de remettre en cause la nationalité française des juifs (bon, j’avoue, pour Meyer Habid ou Enrico Macias…), les Juifs français sont français, je ne regarde pas les Juifs comme un bloc, mais comme des individus et je rajouterais même que je ne les regarde pas « en tant que Juifs ».
Je la connais, cette tenaille, la crainte d’être suspecté, chassé, agressé voire tué par des individus ou des états, et ce tiraillement entre l’attachement au pays où l’on vit, où on a ses habitudes, et l’amour pour un pays de repli au cas où, où on a de la famille et un lien symbolique qui tient en son nom même avec tout ce qu’il charrie de promesse.
Après tout, moi-même, je regarde un peu l’Algérie comme ça, et certainement pour les mêmes raisons. On y reviens un peu plus tard, à l’Algérie, d’ailleurs…
Et pourtant, je me suis fait traiter d’antisémite, et j’ai vu des personnes que j’apprécie, qui ont fait de la défense du droit des palestiniens un élément central de leur militantisme se faire traiter de nazis, d’antisémites quand il ne cherchent qu’a reconnaitre à un peuple les droits universels qui leur sont refusés.

Le plus immonde est que la raison de tout cet emballement tient en une manipulation du langage tendant à faire démarrer un conflit à la date de l’attaque militaire du Hamas le 7 octobre 2023. Pourtant, à la fin août 2023, 172 palestiniens avaient d’ores et déjà été tués par Israël dans les seuls territoires occupés de Cisjordanie dans une indifférence coupable. En 2022, c’est un total de 142 pour la seule Cisjordanie. Depuis le 7 octobre, ce sont plus de 400 Palestiniens qui ont été assassinés en Cisjordanie par des colons ou des soldats israéliens. Je rappelle ici que la Cisjordanie n’a pas participé à l’attaque du Hamas et que ces assassinats sont liés à l’éviction des Palestiniens réalisée avec la complicité active des autorités israéliennes.
Démarrer le conflit au 7 octobre 2023, malgré toute la brutalité de cette attaque militaire ayant frappé principalement des civils, est alors une grossière manipulation.

Israël dépossède, expulse, exproprie et tue les palestiniens depuis avant même sa création. Plus de 700.000 palestiniens expulsés en 1948, leurs villages rasés et leurs plantations détruites. Et cette violence s’est perpétuée sans jamais cesser, elle s’intensifie, même.
Lors de la signature des accord d’Oslo, moins de 100.000 colons israéliens peuplaient le Cisjordanie. Ils sont aujourd’hui plus de 700.000 et leur présence n’a été rendue possible que par la spoliation, la rapine et l’expropriation des palestiniens avec la protection de l’armée israélienne qui chaque fois tue les palestiniens essayant de défendre leur maison, leur terre.
Autant que le massacre en cours à Gaza, le génocide d’une nation entière en direct et en mondovision, les souffrances infligées à un peuple, c’est ce long continuum, le silence et la chape de plomb de la censure de nos gouvernements qui m’écoeure.

L’insulte d’antisémitisme ne m’atteint pas parce que je sais qui je suis et ce que je pense.
Que les apprentis sorciers de notre époque ne craignent qu’une chose: que les simples gens comme moi un jour finissent par se taire, écoeurés. Ce jour là, il ne restera plus que des fascistes, des évangélistes millénaristes rêvant qui n’aiment Israël que pour le voir rayé de la carte après l’Armageddon qu’ils appellent de leur voeux, et des nazis repeints en « amis d’Israël », exactement comme dans l’Allemagne de 1932, quand après avoir bâillonné la gauche il n’e restait’a plus resté plus que les Nazis.
Il sera un peu tard…
En attendant, qu’Israël gagne ou non cette guerre, cet état est frappé d’une honte indélébile et intime qui tôt ou tard causera sa perte.
Ses complices blancs quand à eux, lavant leur propre honte dans sa fange, révèlent au monde entier le visage d’un monde qui peut se réclamer de tout, sauf de la civilisation.

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Commentaires

3 réponses à “Palestine ou Barbarie”

  1. Merci pour cet article auquel je souscris. 🙂

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