Le Blog de Suppaiku, journal bloggué de Madjid Ben Chikh, à Tokyo.

Gaza, Palestine encore…


Ces Palestiniens réduits à l’état de réfugiés sur leur propre terre, leur histoire écrasée, niée, spoliés de leur destin…

Allez on y va…

Ce n’est pas la destruction, que je souhaite à Israel

Ça ressemblerait trop à la divinité guerrière qui inspire son gouvernement. Non, c’est une honte intime, une honte aux proportions bibliques et inédite dans l’histoire de l’humanité, de celle qui suinte sur l’âme, qui hante les rêves des nourrissons quand ils s’endorment et les empêche de dormir, de celle qui vous réveille au milieu de la nuit après vous être débattu dans un immeuble qui ne cesse de s’effondrer alors que règne autours de vous l’odeur rance de corps en décomposition, une honte qui se rappelle à chaque instant et vient flétrir la moindre caresse, le moindre sourire.
Après tout, c’est écrit dans ce livre qui inspire le gouvernement fasciste israélien, il n’y a que la Divinité qui détient la clé du retour en terre promise. Ce n’est pas moi qui l’ait créé, ce Golem, cette monstruosité qui a pris le peuple juif en otage pour en faire l’agent d’un processus d’annihilation qui n’a rien à envier à la colonisation des Amériques.

J’ai honte d’être moi-même…

… un produit de cette civilisation, je me demande si pour le salut de mon âme il n’eut pas mieux valu que je naisse sans rien au milieu d’un pays dévasté par le pillage de ses ressources, au moins mon âme eut-elle été en paix. Maintenant, je dis ça, et me voilà petit bourgeois confortablement nourri et éduqué m’accaparant une souffrance qui n’est pas la mienne pour en faire un de ces effets de style fait de la bonne conscience ) pas cher du bourreau quand il refuse de reconnaitre ses actions.
Oui, j’ai honte pour moi. Pour nous tous.

Concernant la déportation et l’extermination des Juifs résultant du travers suprémaciste, antisémite et eugéniste de notre civilisation, parmi les oeuvres qui m’ont marqué et que je ne parviens pas à oublier, il y en a deux qui s’imposent et rencontrent un écho face au nettoyage ethnique et au génocide que subit le peuple palestinien.

Mauss, de Art Spiegelman.

L’auteur a recueilli et mis en bande dessinée le témoignage de son grand-père, survivant de la déportation et de l’extermination. Un récit traversé par cette phrase qui sans cesse revient comme un refrain, « je crois que c’est là que ça a vraiment commencé ». Je cite de mémoire, et puis comme je l’ai lu en anglais…
Chaque fois, un nouveau seuil est franchi qui ferait presque du précédent un moment de répit, de bonheur, mais en fait non. C’est juste qu’on s’habitue à tout…

On l’enseigne très mal, ce qui s’est passé

Ce faisant on nourrit le révisionnisme historique car, ben non, les Juifs qui sont morts entre 1941 et 1945 n’ont pas forcément visité de chambre à gaz ni même été mis dans des fours.
Mais qu’est-ce qu’on est bête, à vouloir à tout pris s’accrocher à cette image d’un Reich bien organisé, propret et moderne. Non, en fait, ça a été encore pire que ça.

Un très grand nombre de Juifs ont agonisé durant des semaines, des mois, transbahutés d’un camps à un autre dans des wagons à bestiaux, déplacés au gré de l’avance russe à partir de la fin 1943. Imaginez, vous êtes deux cents dans un wagon, debout, les uns serrés aux autres, vous êtes sales, vous ne pouvez pas bouger, vous avez été mal nourris et vous êtes faibles, il n’y a rien à boire, rien à manger, vous ne portez que cette tenue en coton sale qui vous poisse le corps et dans laquelle vous chiez et vous pissez, l’odeur des autres est infecte.
Autrefois, dans un autre monde, vous étiez employé.e de banque, dentiste, épicier.e, ouvrier.e, rabbin ou danseur.se, vous voilà réduit à un en dessous de l’animalité, et puis c’est l’hiver, il neige, le train avance lentement et s’arrête.

Parfois, il y a une visite de la Croix Rouge.

Alors on fait descendre tout le monde, vous ensevelissez les montagnes de cadavres de celles et ceux qui ont agonisé à côté de vous dans le wagon dans des fosses, et puis on vous « répare », on vous donne une tenue un peu moins sale après vous avoir lavés, et puis la Croix-Rouge vous inspecte, gare aux bavards.

Et puis c’est de nouveau un train…
Dans le wagon, c’est la loi de la jungle pour survivre. Un morceau de sucre, un vieux crouton de pain ou quelques flocons de neige pourront peut-être vous sauver, alors on troque ce qu’on peut. Mais pour la grande majorité, il n’y aura pas de terminus, ou alors ce sera, là, oui, la chambre à gaz et le four crématoire.
C’est en lisant Mauss que j’ai réellement appris, compris la lente mécanique de la solution finale et comment elle s’est poursuivie au delà de tout ce qu’on peut imaginer dans une démence obsessionnelle malgré l’évidence de la défaite.

Qu’on me permette un parallèle, alors.

Shoah, de Claude Lanzmann

Je vois Gaza, je pense à Varsovie

Je vois ces colonnes de Palestiniens de Gaza, réduits à l’état de réfugiés sur leur propre terre de Gaza, en Palestine, leur histoire écrasée, niée, spoliés de leur destin depuis près de cent ans aujourd’hui réduits à vivre dans un territoire inhabitable privé d’eau, d’électricité et de nourriture, sans chiottes, sans douches, plus d’écoles à Gaza, plus d’hôpitaux à Gaza, des accouchements et des opérations dans des conditions d’hygiène d’un autre temps sans anesthésie ni matériel adapté dans Gaza, des dizaines de morts et blessés recensés, des milliers d’autres qu’on découvrira un jour sous les milliers de tonnes de gravas, des charniers…

Varsovie, oui.

Je ne souhaite la mort de personne, mais oui, qu’une honte aussi profonde qu’un puit sans fond frappe ces bourreau qui font payer un peuple qui dans l’histoire ne leur avait jamais rien fait pour mieux signifier à leurs anciens bourreaux qu’ils appartiennent à leur civilisation.
Et que l’on soit bien clair. Que cette honte sans fond me frappe et emporte la civilisation qui m’a vu naitre avec. Une civilisation qui commet et laisse commettre de tels crimes n’est pas une civilisation, c’est une monstruosité.

Une honte indélébile, profonde, suintante, infinie… Peut-être alors comprendrons-nous le mal que nous faisons, que nous laissons faire, que nous dissimulons, envers un peuple qui a vécu en paix avec les Juifs durant des siècles et dont les ancêtres étaient eux-même parfois des Juifs restés puis convertis, qui ne leur avait fait aucun mal et avec qui même peut-être les Juifs désireux de trouver un refuge auraient pu bâtir un destin commun.
Peut-être, alors, il sera encore temps. Ou il sera trop tard. Ne restera que cette honte avec une envie de vomir qui ne nous quittera pas, pour les siècles des siècles…

Amen

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