Catégorie : le Blog de Suppaiku, Tôkyô

Journal d’un Solitaire Sociable et Moderne de Paris et Londres à Tôkyô et …

  • IA,Krach financier: J-combien?

    IA,Krach financier: J-combien?

    Ces derniers temps, je scrute l’économie. J’ai par exemple passé des heures à regarder des vidéos et à lire sur les contrats que les entreprises de la tech passent entre elles, des “circular deals” (j’investis chez toi et toi, avec l’argent, tu m’achètes des trucs, et moi, avec cet argent, je deviens actionnaire d’une troisième entreprise qui, avec l’argent, entre dans le capital de ta boite, et toi, avec l’argent, tu etc).
    À ce niveau là, ce n’est plus une bulle, c’est un ballon à un trillion (rien que pour ces investissements croisés car il y a aussi plus de 7 trillions prévus pour produire de l’énergie… d’ici 2030. 7 trillions!!!), un tour de passe-passe comptable digne de Enron, alimentant des valorisations totalement bidonnées enrobées de story-telling, des opérations réalisées entre une bonne dizaines d’entreprises à coup de centaines de milliards de dollars quand la principale entreprise, ChatGPT, croule sous des milliards et des milliards de dettes… . Il y a pas mal d’actualité là-dessus en ce moment.

    Jme suis également penché sur la crise de « la dette privée » aux US et les faillites qui commencent à se multiplier pour des entreprises ne parvenant plus à se refinancer après avoir prospéré pendant une décennie grâce aux taux zéros.
    De leur côté, les banques régionales qui ont prêté ont également titrisé les crédits (elles en ont fait des produits financiers) qui ont été rachetés par d’autres banques et des sociétés d’investissement… Une inquiétude sourde commence à planer sur le secteur bancaire US. Mais bon, Goldman Sachs nous assure que tout va bien, je suis rassuré…
    Je me suis également intéressé aux problèmes (la crise) des « Private Equity », ces entreprises financières rachetant des entreprises avant de les dépecer pour n’en garder que le plus rentable (grâce à de l’endettement généralement) pour le revendre, ou bien rentrant dans le capital de start up et autres entreprises “à fort potentiel de croissance”. Pour se faire, elles lèvent des capitaux sur les marchés en créant des fonds et des « véhicules d’investissement ». Mais voilà, en ce moment, le Private Equity est en difficulté car ces investissements ne sont pas liquides (on ne peut pas les revendre facilement) et finalement ne rapporte rien. Mais heureusement, les PE ont, eux aussi, trouvé “la solution”.
    Pour attirer toujours plus de capital et pouvoir distribuer un peu de (pseudo) dividende et surtout permettre de « rendre » leurs liquidités aux investisseurs quand leur investissement arrive à maturité (sans que le PE ait réussi à faire la culbute, c’est à dire à revendre ou au minimum générer quelque profit), les PE font « rouler » les fonds investis en les “prolongeant“, c’est à dire qu’elles créent un « nouveau véhicule » dans lesquels elles mettent les investissements qu’elles se revendent à elles même, libérant un peu de liquidités dans l’entre-deux. Je schématise à l’extrême car en réalité c’est plus complexe, mais ça vous donne une idée.
    Cerise sur le gâteau, elles sont parvenues à convaincre Trump de déréguler un peu plus et d’autoriser de mettre des investissements en PE dans les plans de retraite. Ça fait bien sur le papier, mais comme je l’écrivais, ce sont des investissements peu liquides, or, l’épargne retraite, si on ne peut pas mettre la main sur ses sous…

    Bien sûr, je ne parlerai pas du Bitcoin qui est un véritable aspirateur à liquidités ne reposant sur rien, c’est à dire un investissement très proche de la très célèbre compagnie des Indes orientales dans les années 1720. Les gens en veulent et en achètent, le prix monte, monte, monte alors que derrière il n’y a… rien. Les banques sont en train d’autoriser l’utilisation du Bitcoin comme hypothèque pour des prêts bancaires. Je vous laisse imaginer si (quand) ça s’écroule(ra)…

    La finance est devenue un gigantesque Ponzi dont on sent bien que le « modèle » va s’effondrer, on prend ici pour mettre là avant de placer encore ailleurs. On ne sait juste pas quand… La financiarisation de tout fait que tous les investissements sont imbriqués les uns dans les autres sur le marché des capitaux et que quand un secteur flanchera, il entrainera tous les autres.

    En fait, il y a trop, beaucoup beaucoup trop d’argent, de l’argent qui a été créé à partir de rien pour empêcher les faillites après la crise financière de 2008 et qui est allé se nicher un peu partout. Il y a encore 10 ans, on parlait en dizaines de milliards et désormais, parler de trillions ne surprend plus personne.
    Les taux zéros, la multiplications jusqu’à l’infini des possibilités qu’offrent les crédits dérivés ont permis de prolonger ce système financier qui n’en est plus un, un système zombie qui se mange lui-même, nourrit des investissements inutiles en laissant de côté des pans entiers de l’économie. Et où les détenteurs de capital se servent au passage d’un argent que eux garderont quand tout cela s’effondrera. Le meilleur exemple est WeWork, une pseudo-entreprise de la tech qui après avoir été valorisée plus de 50 milliards de dollars s’est retrouvée en quelques semaines ne plus valoir rien du tout, si ce n’est quelques dizaines de milliards de dettes, mais dont le CEO, après avoir été évincé, a quand même empoché plus de 200 millions de dollars.

    Ça ne pourra pas continuer bien longtemps. Un bruit, une rumeur, un rien fera s’effondrer tout ce gros machin né de la fin des accords de Bretton Wood en 1971 et de la financiarisation qui l’a suivie. Et que dire des dettes des états, causées principalement par des politiques en faveurs des plus riches et le renflouement de l’économie en leur faveur, notamment en 2008.

    Et de fil en aiguille, c’est l’IA qui m’a intéressé, puisque c’est par là que j’avais commencé. De plus en plus d’études démontrent que l’IA ne va rien révolutionner du tout et que de nombreuses entreprises ont même perdu de l’argent avec elle, et qu’elle sont en train d’en revenir.
    Qu’en réalité, l’IA se trompe beaucoup sur les tâches complexes, et que pour les entreprises, c’est juste impossible.
    Il y a également les coûts en infrastructures, nettement supérieurs au programme Apollo, tout en sachant que les cartes graphiques nécessaires aux serveurs ont une durée maximum 5 ans après quoi elles sont obsolètes, ce qui veut dire que l’investissement, collossal, en trillions de dollars, doit être continu. Et cela sans prendre en considération le côté énergie: on ne produit simplement pas assez d’électricité pour ces monstres voraces en énergie. D’ailleurs, aux USA, on commence à rouvrir les anciennes centrales nucléaires uniquement pour produire l’énergie des Data Centers.
    On estime les besoins d’investissement en énergie entre 3 et 7 trillions de dollars à l’horizon 2030… ce qui, indépendamment du caractère financier, est impossible techniquement.
    Et c’est dans ça que nos gouvernements ont décidé de mettre l’argent à coups de subventions et d’exonérations fiscales. Pour l’IA seule, on parle d’un investissement total de 4 trillions en infrastructures (data centers) d’ici 2030… On fait les math: on en est à environ 7 trillions pour l’énergie et 4 pour les Data Center.
    Aberrant.
    Je ne développerai pas sur l’impact environnemental puisque les Data Center sont voraces en eau.

    Pour conclure, je vous invite à écouter Sam Altman, le CEO de ChatGPT, un illuminé. Quand on l’écoute vraiment, on est effaré par la vacuité de ses propos, par leur caractère absolument dénué de tout fondement. Je veux dire par là que s’il était un auteur de science-fiction, cela ne porterait pas à conséquence, mais pour quelqu’un qui siphonne le système financier à coup de trillions de dollars…
    Il dit qu’avec l’IA, on va guérir le cancer, qu’on va résoudre la pauvreté, qu’on va résoudre la crise énergétique et créer l’abondance dans une sorte de délire positiviste que jamais aucun de ses interlocuteurs ne vient contredire. Il réinvente “le futur”, cette vision hallucinée du capitalisme conquérant des années 50. Mais…
    Comment, pourquoi spécifiquement avec l’IA, pour quel type de société, on ne le saura jamais car les pseudo-journalistes qui l’interrogent sont eux même acquis à cette vision techno-futuriste. Mais il le dit, et ses fidèles applaudissent. Et de conclure, donc, que c”est pour tout cela, pour notre bien, qu’il a besoin de trillions de dollars (qui bien entendu n’iront pas, pendant ce temps, dans les laboratoires, les hôpitaux, les centres de recherche, les universités, qui eux travaillent à résoudre certains des problèmes auxquels fait face l’humanité…).
    Il est un Elisabeth Holmes, l’escroc présentée comme un génie durant plusieurs années, la fondatrice de Théranos. Mais à la puissance mille, lui, c’est des trillions… Elle aussi, allait révolutionner tout, elle aussi, était présentée par les mêmes “journalistes” comme une visionnaire alors que cinq minutes suffisent pour comprendre l’incroyable vacuité de ces mots creux qui font bander les crétins dans les Ted Talk.
    Sam Altman parle comme un gamin qui dit que quand il sera grand, il sera astronaute, et qu’il ira sur Jupiter, et qu’il se mariera avec sa maman parce qu’elle est gentille, mais comme il sait programmer et qu’il est adulte, on le regarde avec admiration et sérieux alors que ça ne repose sur rien, absolument rien, que ce n’est rien d’autre qu’un de ces délires que le capitalisme affectionne car cela créée de la valeur (Marx fait une distinction très nette entre richesse et valeur, cette dernière étant la marque distinctive du capitalisme). C’est de la hype, et nous fabriquons la plus gigantesque bulle financière de tous les temps.
    Quand elle explosera, ce sera 1929, en version mondiale.
    Ah, oui, pendant ce temps là, Trump, qui travaille à enrégimenter la société américaine avec l’aide de ses camarades techno-fascistes de la Tech, est en train de mettre la main sur les terres rares de la planète entière…
    Alors Lecornu, hein…

  • Premier octobre

    Depuis dix jours, j’ai 60 ans. Durant des dizaines d’années, je n’osais y penser, durant la dernière dizaine, je pensais m’y être préparé, et puis voilà. J’ai 60 ans. Le milieu de l’automne de ma vie.
    L’âge ne me fait pas peur, je suis en pleine forme et pour le moment, mon corps ne m’empêche de rien. Je ne ressens pas la fatigue, je peux continuer à ne dormir que cinq à six heures par nuit et me lever en pleine forme. Je peux marcher plus de 15 kilomètres sans aucune difficultés.
    Il y a juste ce sentiment de vertige. La vie est vraiment éphémère, à 20 ans on la brûle par tous les bouts, certain d’avoir devant soi une éternité. À soixante, on est conscient qu’il ne reste plus grand chose, que ça passera encore plus vite et qu’un jour le monde s’engloutira avec nous – que l’on croit en un après ou pas, qu’importe puisque cette réalité du présent disparaitra.
    Cela pourrait être un objectif intéressant, pour ce blog. Écrire au quotidien l’avancée irréversible vers la fin de ma vie. Il faudra que je le double d’un Google blog histoire qu’une fois parti il ne disparaisse tout de suite. Le site que vous avez devant vous, je le paie, et son nom de domaine, et l’hébergement, et c’est de plus en plus cher. Alors quand je ne serai plus là il y aura le jour où ce blog disparaitra. C’est dommage.
    Bien, on va dire qu’octobre, ce sera un mois que je consacrerai à remettre à plat ma présence dans le monde.
    J’avoue, quand je pense aux années qui viennent, des questions béantes surgissent et je ne vois pas trop comment les appréhender. Rentrer en France, mes moyens de subsistance, où vivre, etc etc Je serai resté un post boomer, un « X » jusqu’au bout… ça aussi, c’est un sujet intéressant, car cela me rapproche des « Z ». Les boomers ont eu le privilège d’avoir un surnom et d’être scrutés. Nous, les « X » ou les « Z », on est juste affublés d’une lettre de fin de parcours comme des espèces de zombies venus après la partie. Des party pooper.
    À suivre…

  • Palestine. Palestine. Palestine.

    Palestine. Palestine. Palestine.

    C’est quoi, vivre en 2025, quand on assiste en direct à la destruction minutieuse et vicieuse d’un peuple? Toutes les belles idées et tous ces beaux principes dont nous avons été abreuvés à l’école volent en éclat devant cette monstruosité doublée de débauche technologique dont Hitler, sa bande de salopards et leurs financiers auraient été friands.

    (suite…)
  • Le tsuyu, saison des pluies?

    Le tsuyu, saison des pluies?

    Cette semaine, donc, le soleil brûle… Une saison des pluies… sans pluie ni même de « front des pluies ». On est sous un énorme anticyclone, comme en août…

    (suite…)
  • Les guillemets de « Guillaume Dustan »

    Les guillemets de « Guillaume Dustan »

    Bien que célébré voire même traduit, « Guillaume Dustan » n’aura finalement rien laissé si ce n’est un héritage vide et problématique en terme politique à l’image de notre époque toute en simili.

    (suite…)
  • Didier Lestrade Mémoires

    Didier Lestrade Mémoires

    TESTAMENT DU DERNIER GAY

    Il m’a fallu un peu de temps pour m’arrêter sur un sous titre à ce billet. L’idée de testament s’imposait, mais c’est sur le « de qui » que j’ai plus hésité. J’avais d’abord pensé au « Testament d’un enfant du 20e siècle », cherchant à trouver à tout prix une équivalence aux « mémoires d’une jeune fille rangé », mais non… Et puis il me semble bien que c’était déjà pris… Ni Didier Lestrade, ni ces Mémoires 1958-2024 ne s’en rapprochent. Il fallait autre chose.

    J’ai alors pensé à Testament d’un pédé du 20e siècle, là, on s’en rapprochait. Mais pour tout dire, je ne parviens pas à coller le terme de « pédé » à Didier. Didier n’est pas « pédé », ça, ce sera pour ma génération et la génération venue un peu plus tard.

    Alors je me suis arrêté à « Gay », parce que Didier appartient à cette génération pour qui être gay représentait non seulement la sortie du placard, mais aussi un espoir et l’affirmation haut et fort d’une identité, d’une culture, celle-là même qu’il tentera d’explorer entre 1980 et 1987 à travers ce magazine devenu culte, MAGAZINE.

    Restait à choisir le bon article. J’aurais pu titrer « testament d’un gay », mais j’ai alors repensé à son avant-dernier livre, I LOVE PORN. À plusieurs reprises, j’avais surligné dans la marge « le » gay.
    L’article défini souligne l’idée d’archétype, de modèle standard, et pour tout dire, cela fait près de 15 ans que j’ai « décidé » qu’avec l’épidémie de VIH, c’est tout un pan de notre histoire et de notre culture qui, avec la disparition de milliers et de milliers d’entre nous dans la force créative et la force de leur âge, s’était évaporé. Non, pas évaporé. Effondré.

    Pour moi, « les gays » sont morts quelque part dans les années 80, et tout ce qui en subsiste est une culture zombie. Ce n’est pas étonnant que « les gays » votent Le Pen voire même qu’ils militent au Rassemblement National.
    Ce n’est pas étonnant non plus que l’usage de drogues chimiques aux effets dévastateurs se répande dans le silence d’une communauté qui n’en est plus une.
    Il n’y a aucune surprise au fait que les « gays » d’aujourd’hui se fondent dans le consensus néo-libéral et consumériste, qu’ils aiment Macron ou Le Pen autant que l’ordre, et qu’ils regardent les arabes et jusqu’aux trans avec suspicion.

    Les gays sont morts et il ne reste plus que des zombies qui chaque jour pillent la mémoire des fantômes de ceux partis trop tôt dans le silence étourdissant de la société. Ce silence qu’ACT UP a brisé à coup de zaps, de die-in et de cornes de brumes.

    Alors, si je saisis une sorte d’archétype du gay… De gauche et progressiste. Qui comprends sans qu’on lui fasse un dessin le lien entre anti-racisme et affirmation sexuelle. Se mobilise quand il le faut en de gigantesques marches malgré l’homophobie ambiante. Qui affirme sa masculinité en allant à la gym, non pas parce qu’il est masculiniste comme le sont de nos jours les « gays zombies » transphobes, mais parce que leur corps renvoie sur le carreau le stigmate homophobe de la « tantouze efféminée ». Qui parle de lui et de ses « copines » au féminin.
    Oui, si je repense à ce qu’était l’archétype « du » gay, alors, Didier en est le dernier, et oui, ses mémoires sont le testament d’un gay de sa génération.

    La singularité du parcours achève de m’en convaincre et c’est sans hésitation que je me suis arrêté au « testament du dernier gay ». Je suis persuadé que tous les vieux « gays » comprendront ce que je veux dire et qu’ils reconnaitront dans ces « mémoires » une partie de leur propre existence.

    Didier est « le » gay. Il en a partagé la culture et les espoirs à l’orée des années 80, il a été aux premières loges du véritable tsunami qu’a été l’épidémie de SIDA, il vit les désillusions de notre époque et tente avant de partir de défricher une voie nouvelle.

    Pour ce faire, Didier nous invite à un récit déconstruit-reconstruit autours de quelques thèmes qui sont ceux qui ont jalonné sa vie. Il l’écrit, d’ailleurs, il ne fait jamais quelque chose plus de 5 ans. MAGAZINE, 5 ans, ACT UP 5 ans, TÊTU 5 ans…

    Mais rapidement apparaissent des constantes.
    La musique, d’abord et plus que tout, même et surtout au temps d’ACT UP. Elle est le fil conducteur du livre, du début à la fin. Ces mémoires sont une véritable playlist – comme l’était aussi I Love Porn!
    Le vrai truc de Didier, c’est la musique, il a une culture musicale incroyable, particulièrement des musiques noires américaines, le tout complété d’une culture plus vaste puisqu’il a plongé dans la pop dès son enfance, sous l’influence de ses « grands frères » qui fournissent l’autre trame du livre. La famille est là, du début à la fin.

    Il y a le récit de l’enfance, l’Algérie et le Lot, le divorce des parents, et une description du monde rural et agricole des années 60 qui parlera aux gens de nos âges.
    Moi, c’est la Sarthe que j’ai retrouvée, cette campagne d’avant le « démembrement » et la « modernisation » de l’agriculture. J’ai revu ces haies qui entouraient les champs, plus petits, là où on allait cueillir des mûres en été et ramasser les noisettes en automne, un paysage qui a totalement disparu.

    Viennent les interrogations sur la sexualité, Robert Conrad (ça, je pense qu’on est 100% de pédés de notre génération à avoir fantasmé sur son torse et son pantalon ajusté dans Les Mystères de l’Ouest), la « crise de follitude », et puis le départ de la maison familiale, et puis Paris, et surtout son frère Lala Jean-Pierre, véritable boussole du jeune Didier, et puis le punk, et puis la new wave et puis le disco et puis les GLH et puis…

    Didier, un jeune boomer venu de sa province, va s’épanouir à Paris à la fin des années 70 et faire partie de celles et ceux qui ont fait les années 80 (que je place entre 1977 et 1987). Il les rencontre toutes et tous, et cela lui servira à faire MAGAZINE.
    En cette décennie post-moderne qui voulait que tout se télescope, se mélange et soit nouveau, Didier se révèle un défricheur du temps, exactement comme il le sera dans les années 2010 avec Minorités.

    Et bien sûr, rapidement, il est Impossible dans de telles mémoires de ne pas mentionner ACT UP, même si tout a déjà été raconté dans ACT UP, une histoire.

    Et c’est là que réside, précisément, la différence avec ses autres livres.
    En fait, Didier a déjà tout dit, tout raconté. Ces mémoires sont donc autre chose. À 67 ans, il n’a plus rien à perdre et il n’espère plus grand chose, si ce n’est transmettre et raconter. Il n’a plus peur de personne ni de rien.

    Didier parle désormais des autres et de ses relations avec eux sans fausse pudeur, tel qu’il le sent. Il ne dégomme pas, il ne règle aucun compte, il le dit juste comme il le sent. Il se replace et les replace dans leur contexte. Et alors par moment, on pense fortement aux Confessions de Jean-Jacques Rousseau.

    Didier, comme Rousseau, est un mec de son temps, et comme lui, il est une sorte d’erreur de casting. Didier n’a même pas son bac et va évoluer dans des cercles où le cursus universitaire valide vos ambitions.
    Comme Rousseau, il en a traversé les illusions et s’est inséré dans les groupes, bandes et coteries des cercles artistiques et journalistiques puis militants, dans ce qui fait le véritable système de cour de la distinction élitaire française, mais sans en avoir ni vraiment les codes ni les prétentions. Comme Rousseau, il s’y est donc progressivement cassé les dents, jusqu’à se faire virer de TÊTU, le magazine qu’il avait imaginé et contribué à faire naitre… Et à essaimer des inimitiés et rancoeurs qui le poursuivent jusqu’aujourd’hui.

    Et finalement, comme Rousseau, c’est dans la nature qu’il voit le ressourcement nécessaire contre la corruption de la société et le dérèglement climatique.
    Bien souvent, on pense la corruption comme des histoires de pot-de vin et d’argent sale. Mais la corruption, ce peut être aussi négocier un rabibochage politique contraire à certains principes, comme le faisait la petite coterie de D’Holbach et Diderot, ce qui les conduira à littéralement excommunier Rousseau avant de le disqualifier et le critiquer à longueur de temps.
    C’est que Rousseau a « osé » ne pas se compromettre, ni composer… Au passage, un bel arriviste, Diderot, tiens…

    Didier, finalement, refusera les allégeances et surtout, lors de la querelle sur le bareback, plus encore qu’il accusera « Guillaume Dustan », il pointera la responsabilité de l’ensemble des responsables d’associations, refusant de se mouiller et prendre partie par peur d’aller dans le sens contraire de la hype représentée par « Guillaume Dustan » et sa coterie (je repense ici aux gigantesques piles de livres Le Rayon, neufs et surtout d’occasion, chez Joseph Gibert. Des pilules de silence, comme l’écrivait Sartre aux sujet d’une certaine littérature prétendument subversive dans l’entre-deux guerres…).

    Didier manie l’art de nous raconter sa vie dans l’époque et pour son époque. Une personnalité se dessine, celle d’un garçon qui a fait ce qu’il voulait faire avant de faire ce qu’il pensait devoir faire. Tout cela avant de prendre la décision incroyable, 25 ans après avoir quitté la province pour monter à Paris, de faire le chemin inverse et de tout recommencer à zéro.
    C’est l’époque où il quitte ACT UP, déçu, avant de se faire virer de TÉTU. C’est l’époque où il co-organise les soirées KABP / Otra-Otra – où il va se faire un plaisir de refuser l’entrée à « Guillaume Dustan » et sa coterie. Je rapporte la chose car il est clair que Didier, dans ses mémoires, n’attend plus les fleurs de quiconque et veut raconter les choses comme elles se sont passées, en tout cas de son point de vue. Et qu’importe si ça fâche…

    Je n’aurais pas fini de parler du livre sans dire à quel point les hommes ont compté dans sa vie. Les hommes sont partout, qu’ils aient été amants, acteurs de films porno ou rêvés.

    C’est bel et bien la vie d’un gay, du dernier des gays, tentant de ne pas se trahir et de rester fidèle à une époque dont il ne reste qu’une nostalgie mal digérée. Il n’échappe pas à des idées et des représentations assez typiques du boomer qu’il est, mais fidèle à ce qu’il a toujours été, Didier préfère nous le lire comme il le pense plutôt que d’arrondir les angles en applaudissant au rouleau compresseur du « Queer diffusion ».

    S’il rappelle ses choix politiques fondamentaux avec une insistance parfois un peu maladroite, que ce soit la Palestine ou l’antiracisme, c’est parce que l’époque l’exige et qu’ils ne sont plus nombreux, les homosexuels qui s’engagent vraiment sur ces causes politiques.
    Si par moment, exactement comme dans I Love Porn, on peut être gêné par sa façon de parler de son adoration du corps noir, si on a lu ses livres précédents on sait que c’est d’abord d’une véritable adoration pour le corps masculin en générale, pour la beauté masculine, dont il s’agit.
    C’est également sa façon d’envoyer chier les gays qui évoluent dans des cercles exclusivement blancs. Ou les racistes.
    Et puis il y a l’écriture. Ce n’est pas de la belle écriture, c’est une langue directe qui très vite se fait conversation au coin du feu, c’est Didier qui nous parle. Ce sont ses Confessions.

    Depuis la sortie du livre, un étrange silence radio s’est installé. La critique est aux abonnés absents alors qu’un militant de cette pointure, cela devrait faire parler.
    Taire, dans les cercles de l’édition et les cercles intellectuels, c’est le meilleur moyen de tuer.
    Et peut-être aussi chez certains, tout faire pour que ce serpent de mer des archives de la mémoire LGBT échappe au seul qui parmi nous aurait la légitimité de le piloter, ou même ne serait ce que le co-piloter…

    Mais quand Didier ne sera plus, alors là, ils l’encenseront, ils écriront des tartines et puis qui sait, de la même façon que les socialistes parisiens ont donné à une promenade le nom de Clews Vellay sans que ledit parti n’aie une seule fois présenté de véritables excuses pour l’affaire du sang contaminé ni même reconnu sa défaillance face à l’épidémie, on donnera son nom aux archives de la mémoire LGBT et on reconnaitra le talent de défricheur culturel, de militant hors norme, de jardinier et amoureux des plantes, de chroniqueur musical rare.

    Les coteries et courtisans de toute sortes n’aiment le talent et le génie que quand ils ne les éclaboussent pas, c’est à dire quand ils sont morts, quand ils peuvent écrire des biographies insipides et passer à la télévision.

    En attendant ce moment, ces mémoires sont une invitation à découvrir ou redécouvrir un parcours hors norme, unique, et au delà à relire Didier Lestrade dont toute la vie pourrait se résumer en quelques mots: il a beaucoup fait et beaucoup donné.

    Merci Didier.

    Didier Lestrade, Mémoires 1958-2024, Stock ed., 2025

  • Regrets

    Regrets

    Je veux ce billet comme une porte ouverte sur l’infini d’une mer à explorer et les flots d’amour qui la bercent.
    Je veux ce billet comme la source d’un récit qui ne se tarit pas, rempli de la vie qui est encore là et qui coule en moi, qui m’irrigue et me guide. Je veux ce billet pour vous raconter je ne sais trop quoi, et je le veux ainsi.

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  • To Hal Brands, Bloomberg Columnist about “the threat of China”

    To Hal Brands, Bloomberg Columnist about “the threat of China”

    As a EU citizen, it always stuns me to know your country continues this barbaric tradition of death penalty, and that your newly elected president has decided to enforce it even further. Like China?

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  • Autre rêve étrange

    Autre rêve étrange

    J’ai fait un (double) rêve étrange… “Je suis avec un mec qui me plait, je crois qu’il a des cheveux bouclés, bruns…”

    (suite…)