Elle était devenue un totem, un truc fondamental, central de mon identité. En la coupant, je l’ai remise à sa place. Un simple souvenir de ma cinquantaine.
La semaine dernière, finalement, après y avoir longuement pensé durant des jours, des semaines, j’ai finalement coupé la moustache, zuuup! Un coup de tondeuse ici, un coup de tondeuse là, et voilà. J’ai été très surpris de son incroyable docilité, elle n’a même pas protesté, la lame lui est passée dessus sans aucune résistance. Ça a été désarmant.
Vous m’objecterez qu’il n’y a rien de bien extraordinaire là dedans, ben oui, je sais. Mais une moustache fait partie de ces choses auxquelles on s’habitue au point de les regarder comme une part intégrante de soi. Ma première réaction, quand je me suis regardé a été de ne pas du tout reconnaître l’individu qui me fixait dans la glace.
C’est qui, ce type?
Ainsi, au fil des ans, j’étais devenu cette moustache. Elle était devenue un totem, un truc fondamental, central de mon identité. En la coupant, je l’ai remise à sa place. Un simple souvenir de ma cinquantaine.
Si quelqu’un pouvait conseiller à ce journaliste de Médiapart de retirer cette vilaine boucle d’oreille qui pendouille à son oreille droite, il a l’air de s’y accrocher, et pourtant…
Comme toujours, j’ai documenté la journée, je me suis filmé, photographié. J’ai mis le temps mais désormais ce visage, oui, c’est bien le mien. Bien plus que celui du type avec la moustache.
J’ai repris possession de moi. Ça ne veut pas dire que je ne vais pas en faire pousser une autre, non, même si je ne le pense pas. J’aime tourner des pages. Ça tombe juste au moment où je reprends l’écriture sur ce blog, ce n’est pas un hasard. Très curieusement, j’ai moins écrit depuis que j’ai commencé à la porter, la moustache.
Il n’y a bien entendu aucune relation de causalité directe entre elle et l’écriture, mais un peu quand même. C’est en effet beaucoup plus simple de s’occuper d’une moustache (ou du design d’un site) que d’écrire. Je schématise, mais il y a un peu de cela.
L’idée me vient à l’esprit, il y a donc forcément quelque chose de vrai.
Je vous avait aussi parlé de cette « vision » de moi à 60 ans. Eh bien, dans cette « vision » de moi, je n’avais pas de moustache. Ça, j’y ai repensé après l’avoir coupée, en me cherchant dans le miroir, face à cet étranger. Soudain, je me suis dit, ah, oui…
Alors, j’ai pensé qu’inconsciemment raser cette moustache c’était accueillir sereinement ma soixantaine.
C’est le dimanche avant que ça a fait tilt. J’ai eu envie de revoir L’armée des douze singes après en avoir parlé avec des étudiants.
Dans la scène où l’héroïne donne une conférence, alors qu’elle dédicace son livre, un vieux monsieur à moustache vient lui parler et veut lui partager « ses propres recherches ». Il porte une moustache.
Et la, j’ai pensé « euh non, je ne serai pas comme ce vieux bonhomme ». C’était la première fois que je le remarquais, un personnage totalement secondaire qu’elle n’écoute même pas, d’ailleurs.
Dans le film The day after tomorrow, il y en a un autre que le héros veut également envoyer balader avant qu’il ne s’aperçoive qu’il a à faire à un vrai spécialiste.
La conclusion a été une sorte de « bon, d’accord ». Je n’ai rasé la moustache que mardi mais inconsciemment les dés étaient jetés deux jours plus tôt.
Je me vis bien, sans elle. Je me fiche de savoir si ça me rajeunit ou si ça me vieillit. Personnellement je me trouve plus vieux sans qu’avec.
Je suis juste heureux de passer à autre chose.
Je me sens trop peu maitre de ma situation, c’est un des moyens d’avoir un peu plus de contrôle, et au delà, de remettre de la motivation.
Le clone, donc, a tiré sa révérence. Il passe à autre chose.
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