Quand je suis venu au Japon, j’avais avec moi une énorme valise contenant mes vêtements et ma « chiasse » (ainsi baptisée par Stéphane, une sorte de babiole années 50 avec un bateau, voile en plastique transparent remplie de coquillages…et un thermomètre). Je portais sur moi une veste, un manteau, un pull et une chemise, c’était toujours ça de pris. Je voyageais en business, ayant utilisé mes points pour upgrader. C’était la première fois. En fait, je regrette un peu car, comme c’était plus confortable, j’ai pu presque m’endormir. J’ai pensé en me réveillant que, pour le coup, je n’avais pas profité…
Mon installation a été rapide puisque j’avais opté pour une gaijin house dans le quartier de Iidabashi, une sorte de « petit Paris », avec plein de Français, car il y a, pas très loin, le lycée Franco-Japonais (au bord de la faillite) et L’Institut Franco-Japonais (privé désormais de la quasi-totalité de ses subventions, merci la droite et le « rayonnement » de SA « Feur’rrrannns’ ». C’est par ici que Claudel résida dans les années 20. Je ne sais pas bien qui fut le premier…
Trois semaines plus tard arrivèrent trois boîtes. Des livres, un dictionnaire, des babioles. Dans une, en particulier, des négatifs et mon journal, les cahiers qui vont de 1992 à 2000 environ. Je n’ai pas encore exumé les journaux, je pense que cela vaudra le coup plus tard, quand je le sentirai. Et puis je pense aussi que je pourrais en livrer des extraits, comme le suicide de Philippe sur lequel je suis tombé récemment, que j’ai quasiment revécu. C’est tellement con, se pendre…
Les négatifs, en revanche, je m’y suis rapidement attaqué, avant d’abandonner. Je suis terriblement flemmard, et les négatifs, ça demande du temps, de la patience, d’un type particulier : laisser passer le temps. C’est horrible, non ? Attendre que la machine fasse son travail sans pouvoir ne rien faire d’autre… Mes premiers scans sont bâclés, vite faits.
Depuis trois mois, je m’y suis remis. Il y a eu les « floues », ces photos prises à Londres de nuit, sans pied et en ultra haute sensibilité, forcément floues. Et puis, le mois dernier, ce ballets de visages jeunes, venus d’autrefois. Je n’ai pas été très juste toutefois, je les ai postées sur Facebook, ça mériterait une mise en avant sur ce blog. Vous pouvez y accéder, sur la liste des liens sur le côté. Si si, regardez bien…
Au milieu de ces photos figurent mes trésors, des pellicules ayant énormément souffert, rayées parfois, en vrac très souvent, mélangées… Les manifestations de 1986, la Loi Devaquet. J’en ai déjà scanné environ 145. Je pense qu’en fouuillant bien, j’en trouverai encore quelques une, notamment l’occupation d’un amphithéatre à la Sorbonne, le vendredi 5, environ 30 minutes avant que l’on n’en soit chassés, puis que nous soyons coursés, que Malik Oussekine soit assassiné.
Je vais donc ici vous raconter 1986, d’où je l’ai vécu, sans rien omettre, notamment les enjeux, ce qui se passait en coulisse auquel je ne participais pas, mais que je savais très bien car j’appartenais à une organisation politique qui traversait une crise profonde, mélange de crise idéologique réelle, de leadership et surtout, crise de succession. Et de quelle succession, puisqu’il s’agissait de François Mitterrand…
Les « mouvements » de 1986 ont très vite disparu de la chronologie officielle de la gauche. 86 a ressorti du placard mai 68 qui l’a progressivement écrasé sous son poids, celui de la charge symbolique bien sûr, mais également le poids du nombre : les baby boomers. 1986, est à l’image des années 80, post baby boom mais dominé par les baby boomers. Pour la plupart, nos parents n’avaient pas fait 68. Pour la plupart, nous avions regardé nos professeur post soixant’huitard comme de vieux cons, des ringards.
Et me voilà qui dis « nous ». Ce sera en effet le pronom personnel que j’utiliserai car je ne veux pas « nous » trahir. Je portais un regard très critique sur la grève car je savais ce qui se jouait derrière. Mais bien que militant socialiste, je n’ai pas joué la carte de mes camarades. Tout d’abord, je n’étais pas syndiqué à l’UNEF-ID, ce qui faisait une énorme différence. Je n’étais ni permanent à l’UNEF-ID ni à la MNEF, la mutuelle étudiante. J’appartenais à un mini-syndicat, créé par la CFDT, ramassis d’anarchistes et de quelques rocardiens « de gauche » comme moi, PSA, Pour un Syndicalisme Autogestionnaire. Autant dire, un truc qui compte pas. Même chez les rocardiens « de droite », Manuel Valls, Alain Bauer ou Stephane Fouks, les plus nombreux, tous dans la majorité de l’UNEF-ID, où il y avait des postes à pourvoir. Je portais un regards critique sur cette extrême naïveté des étudiants qui voyaient de la spontanéité dans tout ça. Il n’est qu’à regarder les chars dans les manifestations pour vite comprendre qu’il y avait de l’argent, et cet argent, il venait bien de quelque part…
Mais malgré le fait que je trouvais cela bien naïf, j’ai aimé ces masses de gamins, car « nous » étions des gamins, leur joie, leur pragmatisme aussi, leur soucis de faire de belles affiches, de beaux tracts, d’expliquer sans s’énerver, de convaincre. J’ai aimé la profonde honnêteté des grévistes. J’appartiens à une ancienne génération où l’on disait « camarades ». Tous les grévistes étaient mes camarades. Et qu’importe si Mitterrand était derrière, et si l’UNEF-ID avait des arrières pensées… Je rappelle juste en passant qu’à l’origine était une loi qui auraient autorisé les Université à définir leurs objectifs elles-mêmes, à fixer leurs tarifs de façon autonomes et à nouer des partenariats avec des entreprises. Cette réforme a été conduite au Japon où les frais d’inscription ont en 20 ans été multipliés par au moins 25. Parfois, comme en économie, par 50. Une inscription en fac de lettre, la moins chere, coute ici 5000 euros dans le public et pres de 10000 euros dans le privé. Par an. « Nous » avions raison de nous y opposer.
Je dirais donc « nous », car tous étaient mes camarades, nous avons vécu la grève ensembles et nous avons été tristes ensembles un jour de décembre 1986.
Alors, à « NOUS », ma génération.
Pour comprendre les mouvements de 1986, j’ai eu la chance d’adhérer en 1985 dans la section socialiste qu’il fallait, dans le 10e arrondissement. Une section qui n’avait jamais été chapeautée par une des tête ministérielles parisiennes, car la mairie était bien gardée à droite, monsieur Claude Gérard Marcus. La section avait longtemps été dominée par le CERES de Jean-Pierre Chevènement. Une section très très très à gauche. Et puis, « tournant de la rigueur » aidant, les militants favorables à une « rupture avec le capitalisme en 90 jours » avaient déserté, laissant ceux qui acceptaient le nouveau cours « républicain » du tandem Motchane/Chevènement et ceux qui ne l’acceptaient pas s’entre-déchirer. Instable, la direction de cette section était à la merci du premier assaut venu. Et qui ne tarda pas. Ça devait être vers 1983. Une coalition étrange, faite de minoritaires mitterrandistes et d’anciens CERES en ruptures prit le contrôle à l’issue du Congrès (de Bourges ?, je ne sais plus bien). Parmi les minoritaires mitterrandiste, une étrange coalition… Il faut maintenant parler des grandes manœuvres.
La victoire de 1981 avait changé la donne à gauche. 2 groupes issus de l’extrême gauche trotskystes s’apprêtaient à rejoindre le parti. Le premier groupe est le plus connu, il est une scission de la LCR. Il avait été approché très tôt par des proches de Mitterrand. Ils navigueraient dans la mouvance des fidèles de la mitterandie. Le second groupe ne rentra pas dans la foulée de 1981 mais commença son rapprochement vers 1984/85, les lambertistes du PCI, plus proche de Lionel Jospin, donc de l’appareil du parti. C’est une génèse importante car jusqu’aujourd’hui les réflexes d’alors opèrent encore. Vous comprendrez mieux quand je donnerais des noms.
Enfin, ma section, très à gauche, avait été visée très tôt par la LCR qui l’avait « infiltrée » et y comptaient des taupes et de vrais adhérents. Je raconte cela très librement maintenant. J’ai gardé ce secret jusque très récemment. Je sais que quelqu’un à parlé, que le réseau a été dénoncé, je sais qui a éventé, pour quelles –médiocres- raisons, aussi. Je sais également que Jacques Kergoat, l’organisateur de ce réseau a cru que c’était moi. Je me souviendrai toujours le voir parler au « cafteur » et m’ignorer. J’y vois une marque d’homophobie notoire et cela m’a blessé car je n’ai jamais balancé leur infiltration. J’avoue que je demande au passage bien pourquoi…
Enfin ! Des documents internes de la LCR que me fit lire le cafteur montraient à quel point la LCR méprisait celles et ceux qui dans le PS travaillaient pour eux, qu’elle considérait comme des socialistes, pas des révolutionnaires. Je peux pourtant vous assurer que ceux que j’ai connus se dévouaient pour la LCR et s’y dévouaient. Enfin. Ça vous donne l’ambiance de la section du PS du 10e vers 1983/84. 1984 fut terrible pour la gauche en général, pour le PS en particulier. Un FN a 11% devant le PCF et un PS à juste 20% lors des européennes, les 2 millions de manifestants pour l’écoles privée, Mitterrand a 20% dans les sondages… Fabius remplaça Mauroy. Le but n’était plus de « changer », comme ils l’avaient fait jusqu’ici, parfois avec courage. C’était « durer » et éviter la bérézina en 1986 aux législatives. C’est là qu’entrent en scène les ex-liguards approchés par l’entourage de Mitterrand. Les plus connu sont Julien Dray, et « Harlem Désir ». SOS Racisme vit enfin le jour, avec Mitterrand – conseillé par Attali- pour parrain, Séguéla à l’habillage et Dray aux commandes. Fabius, le « plus jeune premier ministre donné à la France » et protégé de Mitterrand ouvrit le robinet, les caisses de Matignon. Avec le recul, je trouve ça pas si mal au niveau coup de comm’. Il aurait juste fallu de la transparence, mais après tout, la droite recevait bien de l’argent des grandes entreprises et de « fondations » dont on a appris plus tard qu’elles étaient financées par la CIA…
Le local de la nouvelle association fut vite trouvé. Si je ne me trompe pas, ce fut rue des petites Écuries. Dans le 10e arrondissement. Autant vous dire que la section PS accueillit un certain nombres de ces nouvelles recrues du socialisme démocratiques. L’un d’eux était le trésorier de la section, Bernard Pignorol. C’est pas rien, la trésorerie… C’est un fichier d’adhérents. C’est l’argent. He he he…
Quand je parviens à adhérer dans cette section socialiste bunkerisée car en guerre interne intra-mitterrandie, je n’en revins pas. Les mitterrandistes s’entre déchiraient, divisés en deux tendances. Pro et anti SOS. C’est surtout la secrétaire de section, fabiusienne pourtant, qui avait la plus dure tâche. C’est que la trésorerie était inaccessible. Elle fut rendue 15 jours plus tard, dans trois sacs poubelles, avec du liquide, des chèques et un trou de 30,000 francs. Ce fut jugé discrètement en commission des conflits… Enfin bon, c’était interne, mais ça donne une idée de l’ambiance.
Alors que la Fabiusie, sous-tendance de la mitterrandie rentrait dans la guerre civile dans la section du 10e car une de ses sous-factions menaçaient des équilibres de dominations longuements élaborés après la chute du CERES, partout ailleurs l’autre sous tendance, SOS Racisme, dont le nom de code interne etait Gauche Socialiste, était à son apogée. Le tout Paris mitterrandien la célébrait, elle qui était à la pointe d’une stratégie de reconquète du pouvoir élaborée à l’Élysée et chez des proches de Jean Poperen. La gauche de salon clubait. La Prochaine à Gauche (Poperen), Les Gays Pour la Liberté (Fabius), ça se démenait ferme. Le robinet coulait à verse. Je me souviens d’un concert à la mutualité, une soirée « jeunes créateurs », avec Sapho pour finir. J’étais plutôt pour : la droite n’avait elle pas fait le Mouvement Initiative et Liberté (MIL), un truc RPR-FN, ou Magazine Hebdo, « l’hebdomadaire de la reconquète », dirigé par Jean-Jacques Aillagon et ratissant dans toutes les droites, FN inclus ? Je me rappelle, une manifestation pour l’école privée, des religieuses avec une pancarte « non a l’avorteuse » en fin de cortège. Ou ces jeunes habillés 40 et vendant des journaux d’extrème droite, place de la Concorde en queue de cortège d’une manifestationde droite. Ou ces posters avec la tête de Savary , ministre de l’Éducation, en ligne de mire. La droite était blindée d’argent, celui des patrons, celui des puissants, celui de la ville de Paris dont on a appris petit à petit comment ça fonctionnait… Mitterrand a décidé d’utiliser les mêmes armes. Mais il avait arrêté sa stratégie sous un autre angle. A la droite qui exhibait ses « jeunes » quadras, les Juppé, Barzach, Toubon, Madelin, Mitterrand était décidé à opposer de vrais jeunes, et renvoyer la droite à ce qu’elle était : une bande de vieux ringards. SOS Racisme fut un succès. En un an, les scores des Européennes étaient oubliés, la manifestation pour l’école privée aussi. Dans les enquètes, la gauche retrouvait une certaine sympathie. Les mégas restructurations de 84 touchaient à leur fin. 85 serait « moderne » (Fabius, 37 ans) et « jeune », « anti-raciste » (SOS). Mitterrand piaffait face à Mourousi, visblement conquis.
Dans la section du 10e, c’était nettement moins rose. Une coalition « anti-SOS » composée de tous les courants avait repris les affaires en main. Cécile Marcovitch, la secrétaire de section, épouse du conseiller du 19e Daniel Marcovitch, tentait de garder le contrôle, mais une telle coalition demandait des talents de politicards qu’elle n’avait pas. C’était une femme bien, Cécile. C’est la première personne qui m’a parlé du SIDA et des préservatifs en termes scientifiques, simples et intelligents. C’était ma dentiste. En fait, en créant cette coalition, elle avait mis en selle tous les prétendants au pouvoirs. A commencer par un jeune, Philippe Aymard, qui devint secrétaire de section au congrès de la fin de cette année (Toulouse ?). J’avais présenté la motion de Mauroy, on était deux dans mon cas. Cela faisait de moi, de fait, le représentant de la « motion Mauroy ». Je devins donc secrétaire à la propagande, et je me retrouvais Mitterrandiste tendance Mauroy. En fait, je voulais voter le texte Rocard, Mauroy ayant choisi de fusionner son texte avec Jospin, mais la leader rocardienne, qui manoeuvrait sec, me le déconseilla. Elle plaçait ses pions. Je peux le dire sans gène : si un jour je veux devenir président de la république, je sais comment faire. Ah, Violette Bakovic… Une dépressive notoire, rescapée de l’UNEF et de l’UEC, soixant’huitarde, féministe. Une culture inimaginable. Je dois le reconnaître, je lui dois beaucoup. Elle était « grave », alcoolique, prenait des anti-dépresseurs, mais elle était de l’histoire vivante. Je peux rire en privé, avec ceux qui l’ont connu avec moi, Alain, David. Mais si je croisais un des tétards du PS se moquant d’elle, je ne sais pas ce que je ferais, mais je le ferais.
Nous étions fin 85. La section était enfin stabilisée, dirigée par des mitterrandistes dans une coalition SR (Socialisme et République, Chevènement), Motion 2 (Rocard). SOS était écarté. Vue l’histoire des sacs poubelle, cette coalition contraire aux résultats du congrès ne fut pas suspendue. Normalement, les rocardiens auraient dus en être exclus, SOS inclus. Mais la section du 10e était devenue à Paris, fief de Lionel Jospin premier fédéral, « la section du 10e ». On aurait pu avoir la paix, SOS était écarté. Eh bien, non ! SOS décida de faire adhérer en masse. Fodé Silla ? 10e ! Malik Boutih ? 10e ! Malek Lounès? 10e! Tous, ils sont venus. Et je vous assure qu’avant la formation interne SOS, Fode Silla, on aurait jamais pu imaginer. Il ne parlait pas, et quand il parlait, c’était lamentable… Et je vous épargne le niveau de la Boutih…
Jospin voulait se débarrasser de ces envahisseurs qui roulaient pour Fabius. C’est que la guerre était déclarée. Il nous laissa élaborer des systèmes procéduriés incroyables pour retarder les adhésions. Il faut dire que SOS en avait, des adhérents. Cette guerre intestine ne nous empêchait pas de militer, au contraire, il fallait vaincre la droite, et trouver des adhérents pour contrebalancer. Certains nouveaux adhérents ne revinrent jamais, hallucinant devant l’excès de procédure à l’égard des SOS. Comment pouvaient ils comprendre. Alors on militait encore plus, histoire de mettre les nouveaux adhérents avec nous. Moi, à la propagnade, j’élaborais des tracts, des tournées de collage, des diffusions de tracts. Le MJS était un hâvre de paix, contrôlé par Philippe Aymard. C’est à cette époque qu’adhéra Alain, qui devait devenir un de mes plus proches amis. Moi, j’étais toujours avec David. Engueulade lors de notre première conversation quand je lui disais que pour moi, la solution en Israle-Palestine passait par une confédération, avec liberté de circulation. Et puis on avait rebavardé, il avait été étonné que mes propos ne soient pas « pro-arabes », mais simplement accés sur le droit, et une certaine obsession d’obtenir un règlement qui ne lèse personne. Même aujourd’hui, je ne vois que la solution confédérale, bien que je suis parfaitement conscient que la situation des Palestiniens, à Gaza en particulier, rend très improbable une telle solution, en tout cas à court terme, tant la réalité vécue doit suffire à elle seule à alimenter à l’égard d’Israël en général, et des juifs en particulier, une haine dont il faudra des générations pour sortir.
David et moi étions inséparables. A l’époque, c’était Didier. Un jour, je crois un an plus tard, il est venu chez moi, il avait le gay pied avec lui, et il m’a confessé son homosexualité. J’y repense aujourd’hui, j’en suis encore très touché.
J’ai mis 6 mois à me outer vraiment au PS. Je dois dire que si je devais chosir entre 100 personnalités politiques avec Philippe Aymard dedans, je choisirais sans hésiter Philippe Aymard. Je me souviens de discussions chez lui, il ne tolérait pas mon homosexualité, il la « banalisait », comme un truc normal, etre brun ou mesurer un metre soixante six : il m’a posé des questions sur mes rencontres, le Sida. C’est l’hétéro le plus « normal » qu’il m’aie été donner de rencontrer à cette époque. Un type bien. Aparatchique atypique, mais aparatchique. David aussi avait trouvé sa place dans le CA de la section, mais comme moi, il se rapprochait de Violette. Rocard ou la décomposition de la mitterrandie…
Ce devait être au printemps. Violette nous invita chez elle, David et moi. L’heure était grave. Pour contrer Fabius et SOS, Jospin préparait l’entrée de ex-PCI lambertistes. Cambadélis et consors. Violette savait qu’on aurait droit à des nouveaux parachutages, que ça allait être sanglant. L’opération avait la bénédiction de la Fédération de Paris, Jospin avait tout préparé et le nouveau premier fédéral, Jean Marie Le Guen, était aussi dans cette manoeuvre.
Nous héritâmes d’abord de Maître Terquem, avocat de SOS, prélude à l’arrivée de Cambadélis. Violette demanda du renfort « rocardien », et fit appel à Alain Bauer (je vous avait dit qu’il y aurait des noms de stars, en l’occurrence le futur numéro 1 du Grand Orient et aujourd’hui conseillé de Sarkosy). Nous échappâmes au PCI/ Convergence, qui se rabattirent sur le 19e. Pauvre Daniel Markovitch…Nous gardâmes SOS, heu, Gauche Socialiste, ça me revient.
Le décor est planté. Deux tendances menées par des anciens trotskystes, plus la LCR. Plus un PS regardant déjà vers l’après-Mitterrand. Plus un président en opération « rajeunissement ».
Après sa victoire en 86, Chirac démarra sur les chapeaux de roues. Privatisation, souplesse des licenciements, ça n’arrêtait pas. Le discours était musclé, on sentait que fallait récupérer les électeurs du FN. La droite commença son truc du « Le Pen, c’est la faute à Mitterrand à cette époque ». Ce qui est faux. Mitterrand connaissait bien la droite, il en venait. Pour lui, Le Pen, c’était le problème de la droite. Ah, si nous avions appliqué ce principe en 2002… C’est Chirac, c’est Aillagon (Magazine Hebdo), c’est Pasqua (qui l’a d’ailleurs déclaré publiquement), qui ont négocié, parlementé avec Le Pen. C’est la droite qui s’est alliée avec lui. À Aulnay, à Dreux. Dans les beaux quartiers. Mitterrand voulait donner le droit de vote aux étrangers. Ça unifiait la gauche, ça radicalisait la droite. Ça amusait Mitterrand. Il jouait avec la contradiction de la vieille droite. Son antisémitisme latent, son racisme vulgaire. Il posait des questions qui fâchaient… la droite. Regardons les bien, maintenant qu’ils ont le pouvoir. Le Pen n’existe plus, pourtant, ils ont révisé les lois sur l’immigration 11 fois, ils veulent un débat sur « l’identité nationale ». L’extrème droite est dans la droite. La gauche a perdu parce qu’elle n’a pas osé se reformuler et reprendre sa marche en avant. Mitterrand, toute vieille fripouille qu’il était, savait son destin lié à celui de la gauche. Il s’évertuait à la rendre fière d’elle même, gagnante. Regardez donc ses « héritiers »… La droite a de beaux jours devant elle…
Quand Chirac décida de toucher à l’école et à l’université, Mitterrand avait posé ses pions. Il ne lui restait plus qu’à « faire des réserves ». De l’Université de Villetaneuse, Isabelle Thomas, membre de l’UNEF ID où elle était dans la tendance de SOS et à la Gauche Socialiste, lançait son « appel aux étudiants de France ». L’UNEF ID était décidée à adopter profil bas. Ce qui permit aux ex-PCI, adhérents de l’UNEF communiste, ainsi qu’aux Chevènementistes eux aussi à l’UNEF, de se lancer dans l’aventure, en « indépendants ». Ces deux factions rejoignirent l’UNEF-ID à la suite des grèves.
Maintenant, si je souhaite écrire, c’est parce que malgré cet arrière fond digne d’une partie d’échec que Pasqua n’a toujours pas pardonné à Mitterrand, c’est l’ensemble des jeunes de cette époque qui s’est mis en mouvement. Ne prenant pas part à ces conciliabule, j’étais un dans la masse. Mon truc, c’était prendre des photos. En même temps que je les dévoile, si vous vous reconnaissez, si vous reconnaissez quelqu’un, signalez-le moi. Ce fut une belle aventure collective, mai en décembre, et « nous étions beaux ».
(a suivre)
Madjid
Album de photographies des mouvements de 1986, à Tolbiac Paris I