Une nouvelle étape dans mon installation : je peux enfin écouter de la musique, et je dois dire que pour le prix payé (JPY4,000), ces petites enceintes asservies (amplifiées) de marque Edifier font un bon travail, j’en suis surpris. J’écris ce post en écoutant du koto, et ce n’est pas de la bouillie…
Chers fans et amis, ce n’est pas sans joie que je peux vous annoncer que d’ici peu je serai en mesure d’alimenter mon blog quotidiennement : je commence en effet à intégrer mon rythme quotidien, entendons je ne me prends plus du tout la tête sur « ce que je dois faire », « ce que je veux faire », etc, bref je rentre tranquillement à la maison le soir, et il ne me manque rien. Donc je fainéante un peu, je me fais à ma vie dans ma maison…
J’ai eu un peu peur d’un coup de blues en fin de semaine dernière, mais je le digère très bien finalement. Je suis en effet dans ma phase de dépression, très net, mais c’est extrèmement relatif. Je mesure au quotidien les contraintes que mon départ de Paris peuvent représenter. Etre dévisager (discrètement) dans le métro. Apprendre mon travail avec ses difficultés : enseigner n’est pas si facile que cela et le format de nos cours n’est pas si évident si on veut faire un travail intéressant, tant pour les élèves que pour moi. J’ai à travailler mon livre, être plus rigoureux. Bref, là aussi, petite retombée d’énergie. Mais comme je le dis par ailleurs, très relative.
J’ai la chance de connaître le Japon avant de m’y installer, je savais par conséquent à quoi m’attendre. Donc, je suis bien en « dépression », mais j’ai connu nettement pire ! Je crois que c’est cela, aussi, s’installer, faire ses marques. Je commence à voir le temps devant moi, le quotidien, les élèves, les collègues, et le Japon autours.
Le Japon autours, c’est une ville immense mais qu’on ne voit que très peu : on y vit généralement enfermé dans des immeubles, des centres commerciaux tentaculaires prévus pour le shopping, la restauration, la distraction, la culture et même pour dormir, le tout dans une ambiance asceptisée par la musique d’ambiance et la climatisation. Ici, Ikebukuro vu de la Sunshine Tower, samedi dernier.
Il y a quelque chose de terne dans le quotidien japonais, ou plus exactement Tôkyôïte. Une monotonie des comportements, des attitudes et des couleurs. J’avais déjà ressenti cela à Kyôto lors de ma petite dépression de novembre en 2004. Un sentiment de gris-beige, je ne sais pas comment l’expliquer.
Mais ce matin, le soleil était là, sa lumière et sa chaleur et je me suis souvenu de Kyôto, et je me suis souvenu qu’au Japon, c’est dans la nature que réside l’énergie vitale. Dans les saisons que l’on attend et que l’on cultive avec amour. A Kyôto, j’avais retrouvé toute ma pêche un jour de pluie. Drôle, non ? J’avais soudain eu envie de revoir Paris sous la pluie, j’avais pensé à Barbara. J’avais alors marché, et soudain j’avais « compris » momiji (les feuilles rougies des érables). Mes dix derniers jours furent intenses…
Vendredi dernier, c’était Hina matsuri, la fête des filles. Officiellement, c’est à dire dans l’esprit des Japonais, le printemps a commencé. Les gateaux s’ornent de cerisiers, les fleurs de pruniers ont disparus et on commence à voir les fleurs de cerisier en synthétique. A Ginza, dimanche dernier, les belles avaient sorti jupes, manteaux, chemisiers, escarpins et/ou robes blanc-cassés. A vestiaire, le noir de cet hiver ! Ici, une pousse : on observe les printemps aux progrès qu’accomplissent chaque jour les bourgeons, et cela alimente les conversations des vieilles dames -nombreuses- de mon quartier
Autours de moi, il y a plein de chants d’oiseaux, de cris d’enfants. Le quotidien de cette ville, c’est cela aussi. Un quotidien déjà connu, déjà entendu ailleurs, à Paris. Mais j’avoue avoir toujours rêver d’entendre des cris d’enfants : ici, le voeux est réaliser, je suis juste à côté d’un petit parc où ils sont nombreux à venir s’amuser.
Une brise légère traverse ma chambre : j’ai ouvert grand les fenêtres, étendu mon futon, ma couette, fait ma lessive. Dehors du soleil. Vers midi, j’ai envoyé un mail à Jun, et j’ai reçu une petite réponse charmante. Une chanson japonaise accompagnée de koto, shamisen et d’une flûte, un corbeau qui passe et coâsse : il est 14 heures 25 à Tôkyô, dans ma ville. Je suis bien.
Ce matin, réveillé à 7h30, je me suis rendormi et me suis levé
vers 9h30. J’ai ouvert alors les rideaux en grand, ouvert les fenêtres et accueilli le grand soleil, suis sorti acheter des viennoiseries et du pain. Ne regardez pas le désordre, s’il vous plait…
Il fut un temps où je serais en ce moment complètement torturé par mon inactivité présente, alors qu’il y a du beau soleil dehors et que demain, hélas, de nouveau s’annonce gris et rafraîchi… Mais vous écrire n’est pas ne rien faire, ni pour vous ni pour moi. J’offre ces instants à l’éternité, la vôtre et la mienne.
Et recevoir, comme hier de Dulcinia, des messages de remerciements pour mes posts me touche profondément : ce n’est pas donné à tous ceux qui en rêvent, vivre au Japon. J’essaie de mettre le plus de choses personnelles pour ne pas me borner à un compte rendu « touristique ».
Je profite de vous montrer cette photo de ma chambre pour vous dire à quel point je m’y sens bien. Le lit rangé dans son oshi-ire, la table basse vidée, c’est un espace vide, clair, empli d’une couleur douce où domine le brun du bois, le crème des tatamis. J’habite où j’ai toujours rêver de vivre. Peut être un jour rêverai-je d’habiter ailleurs, mais au moins aurai-je accompli un souhait : les tatamis, le plafon en lattes de bois, l’alcôve encadrée de poutres aux textures irrégulières. J’habite une belle maison de l’après guerre, et je pense qu’on y a été bien, ici.
Mon quartier sous le soleil de cette belle journée qui prélude un printemps magnifique, attendu.
Des fois, marchant dans ces rues, je me dis que les dernier grand tremblement de terre de Tôkyô avait été précédé de telles pensées. On vit finalement toujours le moment « avant » un autre moment. J’ai enfin compris cette pensée de l’existentialisme : il faut vivre chaque instant comme un moment unique, éternel, comme s’il était le dernier. Je crois que c’est cela, le secret de la vitalité, de l’énergie du Japon, ce petit quelque chose qui manque, par comparaison, à Kyôto. Kyôto a des aspects de « ville éternelle ».
Pas Tôkyô. Tôkyô est parcouru d’une respiration particulière : les immeubles, les maisons cèdent régulièrement la place à d’autres maisons, d’autres immeubles, et parfois à de nouvelles audaces. En trois ans de voyages réguliers, j’ai ainsi vu le quartier de Akihabara se métamorphoser complètement : il se rempli aujourd’hui d’immeubles hauts, en verre et un quartier nouveau est sorti de terre là où étaient de petites échoppes et de vieux immeubles…
Le quartier de la gare de Tôkyô connait le même sort, la même métamorphose. Les petites rues, ces espaces qui doivent bien représenter 60/70% de l’espace urbain, connaissent le même mouvement, et cela, pourtant, n’affecte en rien le calme qui y règne : la nouvelle maison n’est qu’une nouvelle maison, elle aussi sera bientôt bordée de plantes vertes et un jour, vieille, cèdera la place à une autre maison, nouvelle.
La ville est vivante, et le tremblement de terre ne sera fianlement qu’un accident. Tôkyô vit de sa propre destruction, permanente. C’est comme ça…
Voilà pourquoi peut être on s’habitue à l’idée qu’un jour, ça va secouer plus fort. Peut être je dis des bétises… Mais c’est comme cette jeunesse partout, avec ses codes, son effronterie, ses comportements et son énergie, dans un pays vieillissant, gouverné par ds vieux. Le Japon me fait penser à cette parabole des âges de la vie qui eut tant de succès sous la Régence.
Il y a des temps pour chaque chose, c’est la loi de la vie. A Tôkyô, ces âges de la vie commandent aussi la ville elle même. Un jour, Shibuya ne sera qu’un souvenir, un quartier vieux et ringard comme Ueno peut l’être, un quartier pour les vieux déclassés qui s’y seront amusé du temps de leur jeunesse… Ca vous effraie ?
Je trouve cela rassurant… A Kagurazaka règne le calme du quotidien, loin de la mode…
Avec Jun, le week end, je continue de goûter des parcelles du pays, comme en témoigne la vidée jointe au titre de ce post. Samedi dernier, nous avons été à Ikebukuro.
Comme il me disait qu’avec moi, n’importe quel quartier lui convenait pour sortir, je suis rassuré, je ne reverrai pas Ikebukuro avant longtemps… Le quartier ressemble un peu au quartier de Umeda ou de Namba à Osaka : un gros noeud ferrovière sans logique et autours duquel tout s’organise…
Le quartier d’Ikebukuro. Le grand bâtiment blanc, Seibu, c’est le centre commercial qui chapeaute la gare d’Ikebukuro : des lignes de métros, des lignes de trains JR (Japan Rail) et des lignes régionales qui vont vers le nord de Tôkyô, vers Saitama, le département « banlieue dortoir » de Tôkyô. Un gros noeud entouré de commerces, pachinko, karaoke, restaurants.
Deuxième fois de ma vie où je visite Ikebukuro, et toujours la même impression, peut être renforcée par le dorama 池袋西口公園(Ikebukuro, porte ouest du parc). Un côté Saint Michel vers 1980. Assez zone, assez jeune mais pas trop, une foule qui marche.
Pas du tout la foule post-adolescente de Shibuya, pas les costards cravate émèchés de Shinjuku. Un gros noeud assez moche, bruyant comme Umeda et Namba, donc. Mais sans l’énergie, la pêche et les couleurs de la capitale du Kansai. Pas de crabe géant qui remue les pattes ni de gros monsieur à lunette qui fait du tambour en guise d’enseignes, pas d’odeurs d’Okonomiyaki, pas de filles bariolées de couleurs avec des chignons sur la têtes… Nous sommes venus ici avec Jun pour aller au « parc de distraction » de Namco. C’est bof bof, même si…
…j’ai bien aimé l’ambiance 戦後(après-guerre) du lieu. On a mangé des gyôza au pays du Gyôza, fait un tour dans une maison hantée… J’ai préféré la vue du Sunshine Tower : on voit tout Tôkyô. L’ascenseur est spectaculaire, on monte au 68ème étage en même pas une minute… environ trente secondes. Et comme on est au Japon, le plafond de l’ascenseur, sitôt les portes fermées, vire au bleu et on entend une musique genre Grand Bleu…
Samedi, nous devrions aller au musée de la Tour Mori, à Roppongi Hills : il y a une exposition sur la fascination artistique réciproque qui lie Tôkyô et Berlin depuis un siècle. Il y a aussi un point de vue tout en haut de la Tour Mori où on peut voir Tôkyô.
Je suis un peu triste pour Jun, de lui faire subir des soirées et non des journées. J’espère que vite le soleil se couche plus tard, que nous puissions aussi partager un coucher de soleil sur Tôkyô.
Ce soir, je compte lui préparer un repas français. Je dois faire les courses, et puis j’ai aussi un peu envie de me promener.
Je n’ai aucune idée de ce que je vais faire à manger. Je n’ai même pas de four. Car au Japon, on ne « connait pas » les fours…
Samedi dernier, vingt deux heures, nous descendons un escalator, je lui explique que ça me fait bizarre, une ville où on passe son temps sous les lumières artificielles, de centres commerciaux en métros, de métros en bureaux… Ca le fait rire, il me dit なるほどね/bien sûr… Il comprend un peu, il est venu en France une fois… Ah, voir le ciel, les arbres, manger dans un restaurant avec vue sur la rue sans Richard Clayderman en fond sonore…
De Tôkyô, philosophe,
Suppaiku
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