Et voilà le Japon redevenu un souvenir, un souvenir lointain. Quelque part, c’est bien, ces 12 heures qui nous en séparent. On se retrouve alors dans un espèce d’inter-temps, inter-espace, une sorte de zone transitoire où le temps est aboli (en 12 heures, on n’avance que de 5 heures… très étrange impression la 1ère fois), où la France se re-présente sous des jours particuliers si vous voyagez avec une compagnie française. Pour moi, ça a été le steward maladroit qui faisait la liaison pour la première fois, ignorant de la culture, de la langue et des usages, mais terriblement souriant et serviable. Français, quoi. On pardonne beaucoup aux Français quand ils sourient… Ce sera donc dans quelques années un steward professionel ET souriant. Je ne voudrait pas enjoliver AIR FRANCE, mais la qualité médiocre de la prestation « classe économique » (quoi qu’elles fassent, les compagnies ne proposent qu’une piètre performance dans cette classe) est fortement compensée par la décontraction élégante du service, la disponibilité. Et vraiment, un touch nonchalant extrèement représentatif de la culture française, « dans la vie faut pas s’en faire », disait Maurice Chevalier. Avec le sourire, avec attention, avec des sièges extrèmement confortables aussi. Mais qu’est-ce que c’est long… Alors pendant qu’on regrette que tous les Français aient oublié cette décontraction souriante à la française au profit de la sauvagerie malpolie, sale et ronchonne, on aborde le ciel Européen, et soudain, dépité, le Japon devient un pays lointain, inabordable et le séjour un improbable rêve. On se réveille à l’aéroport, 3 avions qui arrivent en même temps, 2 douaniers, une heure d’attente qui ressemble à une éternité, aucune explication, aucune excuse quand 2 autres douaniers arrivent pour s’occuper des 6 à 700 passagers qui viennent d’arriver, bienvenue en France. Enfin, c’est ce qu’on pense parce qu’aucun panneau, aucun agent, aucun sourire ne nous le dit. Au Japon, partout, des お帰りなさい/okaerinasai ようこそ/youkoso (heureux de te revoir / bienvenue). A Roissy, on attend, debout, dans l’anonymat triomphal en béton du pays de Michel Houellebecq.
Heureusement, des amis sont venus me chercher. Heureusement, j’ai immédiatement embrayé sur le travail, dés lundi. Pas eu le temps de penser, comme ça.
Juste dans le coeur un truc en forme de vide. Je suis parti du Japon avec le sentiment de laisser ma vie derrière moi. Je n’ai pas dormi, en effet.
J’avais retrouvé -quelle surprise-, dans un bar gay de Shinjuku, une vieille connaissance du temps de mes 16/17 ans, quand j’allais me promener aux Tuileries le dimanche comme on faisait en ce temps là, du temps du placard entr’ouvert et du « pas beaucoup de bars ». Lui, il était de Villemomble, moi, de Bondy. Non, on n’est jamais sorti ensemble, mais on a fini par se parler à force de se croiser dans le même train, aux Tuileries, au Piano-Zinc (c’est dingue comme ce bar ressemblait aux bars de « mama-san » au Japon, très intime) ou au Swing… c’était une autre époque, « avant » le SIDA, entre 82 et 84. La maladie avançait, en cachette, allait nous tomber dessus, tuer notre convivialité souriante. Nos bars allaient fermer, nos discothèques péricliter. Enfin…
Bref, je retrouve ce garçon avec son ami, à Shinjuku. Il vient me parler, en français, « dis, tu ne t’appelles pas …? », qu’il me dit… On discute, on convient de se retrouver à Kyôto le samedi, vieille de mon départ pour Paris. Ainsi convenu, ainsi fait, on s’est retrouvé sur le pont Gion, et on a cherché un bar gay. C’est incroyable comme tourner en rond dans ce genre de quartier me met mal à l’aise, je n’aime pas me sentir étranger, tourner avec un plan, je n’aime pas être un touriste ou un gaijin. Sûr, c’est mon père qui m’a transmis cette répulsion. Qu’y puis-je, je deviens alors irritable, égoïste, insupportable, et en fait, j’ai envie de fuir. Mais on a fini par trouver.アーップル/apple.
Au troisième étage d’un immeuble de 4, un ascenceur, un couloir, plusieurs portes, 25m² à tout casser. Ambiance intime, bar, tabourets et toute l’électronique pour le karaoke. Important, le « menu », première boisson accompagnée d’une sorte de tapas. Va pour du poulet mariné… J’ai bavardé, et j’ai lancé le karaoke. J’ai bu, aussi et passé une très bonne soirée. Lui et son copain sont partis vers une heures, moi, je suis resté, resté, à plusieurs, on a cherché un autre bar où boire encore après 4 heures du matin. Mon japonais est certainement plus qu’approximatif mais comme je ne suis que touriste, ils ont tous fait d’incroyables efforts. Même soûl, je parviens à parler.
Il était 6 heures qund je suis rentré à l’appartement, j’ai pris une douche, j’ai déjeuné. J’ai laissé ma clef de vélo à Nicolas. Ma dernière traversée de Kyôto à vélo était pleine du bonheur de la retrouver encore et toujours. Les villes, au petit matin, sont des territoires vastes et ouverts, on ne pense qu’à les étreindre et les posséder : ils n’attendent que nous pour exister. Et puis je suis allé vers l’aéroport. Je suis arrivé en avance. J’ai attendu, fait un peu de net grace au WIFI.
Voilà, je vous ai raconté mon samedi 24 septembre au soir et mon dimanche 25. De Paris, rien de fondamental, je suis passé chez moi poser mes bagages et le soir, nous sommes allés chez Stéphane. J’ai tenu jusque 21 h 30. Je suis rentré. Chez moi, je me suis dit, « ben, au boulot ». Je ne suis pas Rastignac, mais moi aussi, désormais, je suis habité par une énergie qui dit « et maintenant, à nous deux, Paris ».
Souvenirs… (1)
S