Tout est vert, d’une intensité remarquable. Le temple est déserté, seuls quelques visiteurs traversent la grande allée avant de faire résonner le bruit de leurs pas sur les planchers de bois
Quelques lignes écrites dimanche alors que j’étais à Kamakura dimanche 11 mai.
« Ligne Yokotsuka, 9:17 – Je suis en route vers Kamakura, dans une humeur bien différente de la semaine dernière. Il fait très beau, pas trop chaud, la verdure déborde le long de la voie ferrée, le train avance, j’ai pu apercevoir la mont Fuji, je regarde cela comme un bon présage. Nori depuis deux jours alterne une communication réservée avec une pointe de délicatesse maladroite, et des silences de plus en plus long. Sur le mur Facebook de l’autre, la pierre gravée a laissé la place à un dessin morbide avec des têtes de mort glauques. Je ne l’aime pas, l’autre, dois-je le répéter? Pas par jalousie, juste parce que… anyway. Je reviens à cette histoire de cadeau, les crèmes pour le visage… Nori est jeune, encore, et il aime être aimé pour compenser un grand manque de confiance en lui, mais comme il aime les hommes plus âgés que lui, il a certainement souvent rencontré cette affection qui passe par les choses, cette fausse affection qui achète et qui en réalité vous asservit. Il approche de la trentaine désormais…
Temple Myôhon-Ji, dans Kamakura, 10:27. Il fait beau. Nori reste silencieux. Peut être a-t-il trouvé des bras plus confortables, peut-être est il dans les bras de l’autre, peut-être est il seul, peut être est il reparti à Nara pour la Fête des mères, je ne sais pas. Nori ne se connecte plus à Messenger…
Ici, le soleil est magnifique, tout invite à aimer, un sentiment gratuit. Jusqu’ici, je n’ai jamais vraiment fait de cadeau à Nori. Je me souviens, à Dubaï, je voulais acheter une petite chose. Et puis aussi, je voulais acheter un costume de la péninsule, que je trouvais soudainement propice à des jeux érotiques avec lui. Il y avait Jun, je n’ai rien pu acheter. Le plus amusant est que j’ai vu les boutiques Yale’s et j’ai pensé que c’était un cadeau possible… J’aime offrir en fait, mais sans raison, juste comme ça, parce qu’un truc acheté et donné sans raison a plus de sens qu’un truc acheté pour une raison précise, un anniversaire ou une fête. Offrir un truc un peu au hasard, ça veut dire « voilà, je pensais à toi ». Et je ne cesse de penser à lui depuis des mois… Si j’étais avec lui, j’aimerais lui offrir des trucs. Une glace. Un tee-shirt de Hideki Kimura à Kyôto, j’y ai pensé d’ailleurs. Lui dédicacer un roman. Parler de lui dans ce blog et dire que je l’aime… Je ne sais pas ce que je lui offrirais, il n’est pas là. Il n’est plus jamais là. Mais jamais, non jamais, je ne voudrais acheter Nori, je chéris avant tout ce caractère libre qu’il a, je le veux avec moi pour moi comme je l’aime pour lui, pour ce qu’il est.
Le soleil brille et tu n’es pas là
Le soleil brille et je suis avec toi,
Bien maladroites ces quelques photos
Pour célébrer ta présence,
M’entends-tu?
Autours de moi la nature resplendit. Tout est vert, d’une intensité remarquable. Le temple est déserté, seuls quelques visiteurs traversent la grande allée avant de faire résonner le bruit de leurs pas sur les planchers de bois, le chant des milans qui tournent dans le ciel, les rossignols parfois, les corbeaux et d’autres oiseaux… J’aimerai retenir l’instant, l’emporter avec moi.
J’aimerai tant que tu sois là.
Devant moi, la San-Mon du temple, peinte en rouge et ornée, contraste avec les vert des feuillages et le bleu intense du ciel. Le bonheur est une chose si simple, finalement…
Ma tête est encore pleine de l’avalanche de photographies que Nori m’a envoyées dimanche dernier, il y a juste une semaine, de la passion qui débordait soudain quand il retient toujours tout autant qu’il le peut, cette peur qu’il a de devenir fou…
Je suis assis, tout est beau autours de moi en cet instant d’éternité, et je regrette. Jusqu’à maintenant je ne suis pas parvenu à lui faire comprendre que je suis celui avec qui il pourra enfin s’abandonner, qui ne le jugera pas, et qui ponctuera le tout d’un sourire pour l’inviter à m’embrasser.
Je vais continuer ma route. Un vent frais me caresse les bras dans l’ombre où je me suis assis, sur les marches de ce temple caché sur les hauteurs au milieu de la verdure odorante. Je vais retourner au soleil et traverser la ville. J’ai loué un vélo, je ne sais pas si c’était une bonne idée, mais je n’aurai aucun mal cet après-midi à aller à Enoshima regarder la mer.
Je suis allé au Yagumo-Jinja, y ai acheté un augure, bon, que j’ai suspendu. À Ankokuron-Ji, je me suis aussi recueilli dans la montagne après avoir vu Fuji, j’ai pensé à mon père, et je me suis offert entier à mon destin sous le soleil et le vert des arbres, peut être est-ce cela, la Foi.
À Kômyôji, j’ai tiré un très bon augure(大吉). Je le savais. Je me suis recueilli, j’ai repensé à mon père qui, là où il est, veille à me protéger.
Ligne Yokotsuka, chemin du retour, vers 17:05. Il a fait beau toute la journée. À vélo, je me suis approché de Enoshima mais il était trop tard, le magasin de vélo fermait vers 17:00, c’était trop juste. J’ai toutefois longuement profité de la mer. S’il fait beau dimanche prochain, j’irai à Enoshima. Ce matin en train, vers midi au Ankokuron-Ji, cet après-midi en ombre vers Enoshima et il y a encore quelques instants à partir de ce train, toute la journée le mont Fuji m’a accompagné… Vers 15:30, alors que Nori avait été silencieux pendant près de 24 heures, j’ai reçu une avalanche de photographies. Il était à Shinjuku-Gyoen. Certainement avec l’autre. Qu’importe. Il m’a donné l’impression de ne pas regarder les photos que je lui avais envoyées, mais plus tard, il m’a envoyé une photo comparative de deux téléphones, de deux écrans, en me disant que le Sony était bien mieux pour les couleurs. Sur l’écran était une de mes photos… Il regarde donc mes photos…
À vélo, alors que je regardais la mer, que je pensais à toute cette chance qui caractérise ma vie, j’ai soudainement pensé que je voulais être heureux, et puis que finalement oui, dans une certaine mesure j’étais bien le petit ami de Nori, le petit ami qu’il aurait eu s’il n’avait pas emménagé avec l’autre. Il vit avec l’autre et ne semble pas près à s’en débarrasser, puisqu’il partage tant avec lui. Les soirées, peut-être les nuits, son corps peut-être aussi, je ne sais pas, je ne sais rien, qu’importe… Je ne suis pas jaloux, cette maladie m’est passée.
Mais moi, dans cette histoire, qui suis-je. À bientôt 49 ans, alors que le VIH représente malgré le traitement une menace sur mon existence, j’accepte d’être en stand-by, de n’être l’amant de personne, de continuer mes promenades en solitaire sans partager les sourires. Jun et moi nous parlions, Jun était là, peu, mais là.
Mes weekend sont désormais remplis de silence. À la monotonie de mon existence avec Jun a succédé une peur de mourir et d’être seul, car le temps, mon temps, m’est compté. Pourquoi me délaisses-tu Nori…
Nori ne communique plus réellement avec moi, si ce n’est avec ce type d’avalanche de photographies ou des conversations techniques. C’est gentil… Mais moi, qui suis-je dans sa vie… Une pilule de douceur lui permettant de supporter sa vie avec l’autre?
La nature était magnifique aujourd’hui, et je n’ai personne à part vous à qui la raconter… Pendant des années j’ai vécu seul sans me soucier de partager, trop malheureux en moi, et puis j’ai mûri et désormais je suis malheureux de ce trop plein de choses à donner qui me restent en bordure du cœur… S’il me donnait du temps, de sa présence. Mais je ne l’ai plus vu depuis un mois, et chaque fois désormais que je lui demande de nous voir, le silence s’installe comme depuis hier soir où pourtant bien simplement je lui demandais s’il voulait prendre un verre quelque part. Un silence qui a duré plus de vingt heures…
Je n’écouterai les conseils de personnes, les avis, vos avis, oui, si vous voulez… Mais je suis happé par un piège qui me dépasse. Je suis amoureux. Nori, lui, est persuadé d’être dépressif, il se protège et continue sa vie, Yann m’a envoyé des copies d’écran des sites de rencontre ou je peux voir que Nori est connecté. La vie doit être chiante, avec l’autre, Vance, il s’appelle…
Alors à ses silences, destinés à cacher tel ou tel aspect de son existence et son incapacité à m’en parler, et qui par instants cachent des moments d’abattement intense (il a du quitter son travail vendredi car il somatisait), alternent avec ces avalanches de photographies accompagnés de textes sur les vertus de son téléphone… Je ne le blâme pas. Quand il y a deux semaines il restait scotché devant son clavier à essayer de me dire quelque chose, c’est moi qui l’ai poussé à me parler de n’importe quoi. La communication est revenue laborieusement comme cela. Et je suis heureux qu’il continue d’être là. Là, j’écris et je reçois de ces messages high tech sur les vertus comparées de tel ou tel écran. Étant un peu Geek moi-même, ça ne me gêne pas du tout, et en fait il y a des fois c’est très intéressant. Il y a juste que tout sujet personnel est banni. Tout au plus ai-je droit, parfois, quand je ne l’attends pas, à une photo de lui. Je ressens ses oscillations d’énergies. J’aimerais en parler avec lui, le fait qu’il devrait accepter ses phases dépressives et non les réprimer, en parler, et ne pas chercher à les contrer trop violemment… Anyway, je n’ai aucune possibilité de ce côté là non plus. Ni amant, ni ami, ni copain, ni sex friend, ni mari, ni lover, je suis dans la boîte imaginaire où il me maintient enfermé avec d’autres regrets peut-être mais où j’ai l’immense privilège de continuer à exister (Nori n’aime pas les regrets), et où il est écrit « le boy friend que j’aurais eu si je n’étais pas resté avec l’autre ».
J’ai la tête dans cette histoire, mais combien de temps cela va-t-il durer ? »
Fin de ces notes prises ce dimanche entre Tôkyô est Kamakura.
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