Le Blog de Suppaiku, journal bloggué de Madjid Ben Chikh, à Tokyo.

C’est (toujours) bien, Kyoto…


Je suis le grand cheval blanc. J’ai sa force.

Samedi dernier, j’ai écrit un post véritablement désespéré, triste, je me sentais sombrer. Je suis désormais obligé de revenir et de vous parler de ces deux jours à Kyoto qui, à défaut d’avoir fondamentalement changé la situation, m’ont profondément changé et m’ont permis de tourner la page. Mon amour pour Nori n’a pas changé d’un pouce, j’ai en revanche retrouvé le calme que j’avais perdu au cours du mois d’avril. J’ai passé un week-end tournant, un week-end pivot dans mon existence. J’aime Nori, et je ne me soucie plus du tout de la situation difficile, compliquée, car j’ai repris confiance. Je suis revenu à ma solidité naturelle. Il y a ici et là des accès de tristesse car ce n’est pas facile de vivre dans l’inconnu et dans l’attente d’une décision qui peut être ne viendra pas, et sur laquelle je n’ai que très peu de prise si ce n’est d’être aimant autant qu’il m’est permis et qu’il me soit possible.

Ma promenade a Kamakura avait créé les conditions d’une double déchirure, et il fallait que je rompe avec le mois écoulé si je voulais avancer; aussi, pleurer comme je l’ai fait, en public, sans pouvoir m’arrêter, a été un moment salutaire. Je n’aime pas pleurer, je me sens toujours spectateur de mes propres larmes, mais là, je n’y pouvais mais, c’était trop fort. Je prenais conscience du vide et de l’absence de cet autre que je venais finalement à peine de rencontrer et qui se dérobait. Le monde était vide soudain, et je n’étais plus qu’un pantin absurde. Nori me manquait terriblement, la violence de ses silences m’avait anéanti. Pourtant, à Kamakura je me suis progressivement détendu, les temples sont magnifiques et la verdure triomphante du printemps débordait de vie. J’attendais Kyoto avec impatience, caressant peut être aussi le rêve que Nori m’invite à le rejoindre chez lui à Nara, dans sa famille, sans trop y croire non plus…

La première leçon de mon week end est extrêmement simple. Je dois cesser de l’attendre. Car en réalité Nori n’est jamais parti.

Je vous dois des excuses, à toutes et à tous pour vous avoir infligé cette mine vieillie, flasque, abattue, pitoyable, mais je l’assume et elle fait aussi, elle fera à tout jamais partie de ma relation avec lui. La tristesse et le doute sont aussi une part de la relation amoureuse, importante, et la souffrance qu’ils procurent aussi. Je n’aurais jamais supporté ce que j’ai traversé sans éprouver d’amour, et je vais rajouter ceci pour être clair: Nori n’aurait jamais réagi comme il l’a fait s’il n’avait pas éprouvé lui non plus de l’affection à mon égard.

La seconde leçon de mon week end est elle aussi très simple. Nous restons ensembles malgré cette situation ubuesque.

Alors voilà. J’ai pris le Shinkansen le matin, et j’ai envoyé un mail à Nori pour lui dire que j’allais à Kyoto. Un mail simple, bref, juste pour dire que j’avais besoin d’un break après ces dures semaines, et que s’il ne tenait pas à moi c’était mieux qu’il ne me recontacte pas car je ne voulais pas me transformer en une espèce de loser. Il a répondu peu de temps après et je dois dire que de notre relation épistolaire, ce jour a été le jour où nous avons été le plus proches.
Je suis arrivé à Kyôto seul par le Shinkansen de 9:52 pour la première fois de ma vie. Jun n’était pas là. Sitôt le souvenir de Jun passé, tout autours de moi a ranimé le sourire. À Kyôto, je revis, mais peut être dois-je ajouter qu’avoir reçu des messages de Nori m’a aussi aider à retrouver mes marques en douceur. Je suis sorti, j’ai posé mon sac à dos à la consigne, j’ai acheté un Carnet (un sandwich) chez Sizuya, et en route. Il faisait beau, j’avais laissé les chaussures avec mon sac et opté pour des espadrilles.

Marche jusqu’à la Kamogawa, et là première selfie. La veille au soir, avant de me coucher, j’avais rasé la moustache. M’étant couché très tard la veille et levé très tôt le matin, après deux semaines éprouvantes nerveusement, j’avais le visage boursouflé mais le sourire était revenu. En route vers Fushimi, j’observai un étrange phénomène un arc-en-ciel circulaire autours du soleil. Une vieille dame me dit que c’était un tremblement de terre qui arrivait. J’envoyai un cliché à Nori. Il ne répondit pas à ce sujet, continuait de me détailler son parcours jusque Wakayama. Embouteillages. Ce n’était plus grave. J’envoie à Nori des photographies de fleurs, pourquoi ne me parlerait-il pas de voiture?

J’arrivais au Tôfuku-Ji, empli de verdure, c’était simplement magnifique. La grande San-Mon était ouverte au public. J’ai donc fait la grande visite, pris des photos, en envoyant à Nori qui, de son côté, m’envoyait des photographies de Wakayama. Le midi, j’ai mangé, seul, à mon restaurant habituel, des nouilles soba avec du hareng. J’ai repris ma route, le temps était magnifique.

Fushimi, pour moi, c’est de là que tout part dans ma vie au Japon. Les esprits monothéistes obtus et peu ouverts à la spiritualité ne comprendront jamais ma relation avec ce sanctuaire, celui-ci seulement. Je ne crois pas en Dieu, mais je Lui fais confiance, et je sais qu’Il me protège. Pour moi, dans l’existence, il y a des moments, des choses, des instants, qui sont autant de signes et qui éclairent les choix. Et une fois le choix fait, il faut Lui faire confiance.

Peu de temps après avoir été contaminé, en 2003, durant l’été, j’ai fait un rêve étrange. Il y avait un grand cheval blanc et un petit cheval blanc. Quelque chose de royal les accompagnaient. Quand je me suis réveillé, j’ai pensé que tout irait bien. Et vous constatez que finalement, onze ans plus tard, tout ne va pas si mal. Lors de ma première visite à Fushimi, dans une petite cabane un peu en retrait, j’ai vu le grand cheval et le petit cheval. Les mêmes exactement. J’ai été très ému, et j’ai compris que j’étais sur le bon chemin. Depuis, je vais à Fushimi chaque année.

L’an dernier, comme je suis allé en France, je n’ai pas pu terminer l’année à Fushimi. C’était donc important d’y aller cette fois-ci. Il faisait beau, et je ne sais pas pourquoi, j’ai pris un omikuji, ces papiers que l’on tire au hasard et qui prédisent l’avenir. Le mien n’était pas bien fameux, en fait, une description de tout ce que j’ai vécu depuis le début de l’année. Je l’ai attaché pour m’en débarrasser, et j’ai entamé ma marche. Plus j’avançais, plus j’étais heureux, et de son côté, Nori était comme survolté, il n’a pas arrêté de m’envoyer des photographies, il était heureux. J’ai prié comme il se doit, et j’ai même parlé à deux touristes français qui passaient par là. Mon visage, les photos en attestent, s’est métamorphosé. Je suis revenu à la vie parce que ce lieu a quelque chose de fantastique. Il est, en soi, une traversée, et en me débarrassant de ce mauvais présage avant la traversée, j’ai laissé derrière moi ma tristesse, les épreuves, tout en comprenant que tout ne sera pas facile. En fait, j’ai laissé derrière moi ce qui n’allait pas, et désormais l’avenir est incroyablement ouvert.

Je suis le grand cheval blanc. J’ai sa force.

Je suis ensuite allé rapidement allé à l’hôtel, près de la gare de Kyôto, l’hôtel Daiwa. Pris une douche, changé de vêtements, et immédiatement ressorti, j’ai filé vers Gion. Vite, manger une glace au thé vert… Et puis après, je suis allé à mon restaurant habituel où j’ai été accueilli par le patron qui se souvenait de moi et de mon quasi-abonnement à misonikomi-udon quand je viens en hiver…

Je suis allé ensuite, c’était la nuit, à Shôren-in pour voir les illuminations, puis au Kôdaiji. Nori et moi avons échangé des messages jusque dans la soirée, et puis il m’a demandé de ne pas en envoyer car c’était gênant, il dînait. Je suis revenu à pied à l’hôtel, ça a bien pris une heure et demi, Nori s’était tu, mais entre temps, j’ai pu commenté sa photographie de couverture sur Facebook. J’ai repris une douche et j’ai édité les photos de la journée, puis je me suis couché. Mais son silence avait ravivé les craintes des semaines précédentes, et puis j’avais découvert en soirée que l’autre était arrivé à Nara… Une sourde inquiétude qui a troublé mon sommeil et m’a empêché de dormir. Je me suis réveillé plusieurs fois, vérifiant si à tout hasard Nori m’avait envoyé un message… Rien.

Le lendemain, il pleuvait. Malgré son silence, je lui envoyai une photo ici, un bonjour là… Je postai aussi sur Facebook. Ça m’embête tellement de vous avoir montré ce visage défait, la semaine dernière. En fin de matinée, j’ai été contacté par un ami de l’époque du japon.org. On s’est retrouvés, et nous avons visité ensemble le KenNin-Ji. Nous avons beaucoup bavardé. Quelle chance, vivre à Kyôto, même si cela n’a pas été un parcours facile pour y arriver. Ensuite, nous sommes allés manger une glace, au même endroit, et cette fois et la patronne, et un garçon m’ont reconnu, j’y suis allé si souvent.

Nori avait été absent toute la journée, si ce n’est vers midi au sujet du fort tremblement de terre qui avait frappé Tôkyô le matin. Alors que je lui envoyai un mail pour lui dire que j’allais attraper mon train, il m’envoya un message sec. Je lui répondis en mode automatique des messages que je regrettai et que j’effaçai immédiatement mais que peut être il a lu… Puis une photo dans le train. Alors que j’arrivai à Tôkyô, enfin il m’ecrivit. Et il me fit parvenir une photo de ses petits neveux avec sa belle sœur, et une autre photo qui me bouleversa et me bouleverse encore : les koinobori que je lui avais donnés étaient là, offerts en cadeau aux enfants.

Une autre leçon de ce week end est que Nori est un garçon aimant. À sa façon, mais aimant.

Nori est revenu avec l’autre le lendemain matin. L’autre a publié une photo de eux deux, j’ai envoyé un message bref pour dire que ça faisait très boy friend, tous les deux. Mais Nori m’a dit que non. Alors que nos échanges continuaient, je lui ai demandé de m’envoyer une photo de mon boy friend, s’il en avait une, espérant que… Et il m’a envoyé sa photo.

Discutant avec Yann de ces moments où Nori ne communique pas, de l’histoire sur Grindr, Yann m’a dit qu’il ne fallait pas lui faire confiance. Et alors il m’a envoyé des copies d’écran d’un site de rencontre, Gaydar, et Nori était connecté. Mon cœur s’est allégé. Ce qui la semaine dernière aurait été un coup de massue ne m’a pas du tout frappé. Et je pense que cela ne veut pas dire que Nori ne m’aime pas.

Ce matin, j’ai vu sur la page de l’autre une pierre avec l’inscription Vance + Nori. J’en ai parlé à Nori, il m’a répondu « c’est une photo de l’an dernier » de façon simple. Le soleil était magnifique, je n’ai pas épilogué, c’est inutile, je suis désormais beaucoup plus réaliste. Plus tard, j’ai envoyé une selfie et une photo de fleurs, des œillets mauves. Nori m’a contacté vers trois heures trente, il se sentait malade et quittait le travail. Je lui ai écrit un bref message. Il m’a recontacté vers 5 heures, m’a envoyé une photo. La regardant, j’ai mesuré mon affection et j’ai mesuré la sienne dans ses yeux, je ne mens pas. J’ai répondu de façon peut être trop affectueuse. Il ne répond plus de nouveau. Mais je sais qu’il reviendra, il y a juste que contrairement à moi qui peut désormais dire mes sentiments de façon simple, lui est dans une réalité bien plus complexe. Peut être préférerait il m’oublier…

Je ne sais pas la suite de cette histoire. J’aime le regarder, j’aime quand il partage ses passions. J’aime la gentillesse qu’il sait exprimer. Je sais aussi que cette relation n’en est pas une au sens habituel. Mais après tout, c’est le cœur même de La Nouvelle Heloïse, alors pourquoi ne chercherais-je pas à vaincre? Je sais désormais que ce ne sera pas facile, mais pourquoi pas?

Quand Nori m’évite, que cherche-t-il à éviter? Ses propres sentiments? Sa colère? Mes questions? Une vérité difficile? Sa solitude? Le fait qu’il ne peut pas se débarrasser de l’autre parce que peut être s’est il piégé lui-même dans cette histoire de déménagement? Un peu tout cela à la fois?

Nori ne voulait pas que je sache qu’il avait déménagé avec l’autre. Nori voulait dès le départ devenir mon amant régulier. Nori me disait qu’il aurait aimé un boy friend comme moi. Nori ne m’a pas dit que l’autre le rejoindrait à Nara. Nori n’arrête jamais de me dire que l’autre n’est pas si boy friend. Il me dit que c’est moi. Quel étrange jeu, mais en réalité, depuis que je suis avec Nori, ma vie, dans le fond, reprendre le cours qu’elle n’aurait jamais du quitter. Je vais être médicalisé au Japon. J’ai osé affronter la réalité de ma relation avec Jun. Et surtout, j’écris mon blog comme jamais auparavant, et j’ai décidé de faire de ce journal le journal de ma vie réelle, sans fausse pudeur. Aussi contradictoire que cela puisse paraître, et cela je le savais depuis ma rencontre avec lui, Nori me challenge. Voilà que ce gaisen (garçon qui ne couche qu’avec des étrangers), qui a certainement couché avec la moitié des expatriés et de vacanciers homosexuels de Tôkyô, qui saute sur tout ce qui bouge, fait de moi une personne meilleure. Pas parce que je veux coucher avec lui, ça, c’est le plus facile, mais parce que je le veux avec moi, et ne me demandez pas pourquoi, je ne le sais pas moi-même. Je veux le mériter, et cela depuis longtemps.

Moi, j’ai bien mieux à faire que courir les mecs, j’ai passé ma jeunesse à cela. Je veux lui donner sa chance, c’est ainsi que je le pensais dans cet hôtel de Dubaï. De mon côté, la rupture avec Jun est encore fraîche, j’ai une vie à reconquérir. Et j’ai beau raisonner, écouter les explications de mes amis qui s’inquiètent, des autres qui trouvent que je me leurre, je suis profondément monogame quand j’aime. Et j’ai beau tout penser, tout envisager, mon cœur est pris. J’aime Nori. Je peux voir ces prises d’écran que Yann m’a envoyé, je m’en fiche, cela ne veut rien dire, les messages que je reçois de lui débordent d’affection. Peut être un jour me fatiguerai-je. En attendant, je vais prendre à la lettre ce que Nori me dit, à savoir que je suis son boy friend. Je vais accepter cette espèce de retraite et en profiter pour m’occuper de moi. Cela ne pourra pas me faire du mal, finalement…

Voilà. Ce soir, il ne m’écrit pas. Mais je sais qu’il est là et qu’à un moment il me recontactera. En ce moment, cela me suffit. La preuve, je vous écris longs billets, de ceux que j’avais perdu l’habitude d’écrire, je vous associe à mon intimité comme jamais auparavant et, à travers ce journal, Nori est déjà dans ma vie comme aucun autre avant lui. La suite, c’est ce que lui et moi nous ferons, et elle ne m’inquiète pas. Comme je vous ai dit plus haut, j’ai confiance.

Bref, j’ai beau avoir affiché une mine défaite la semaine dernière, je suis moi-meme artisan de ma propre situation. Ne le blâmez pas. Je suis un grand garçon.

Madjid

PS Et alors que je termine ce billet, voilà qu’il me contacte…

PS2 Alors que mon serveur ne pouvait être joint et que je ne pouvais pas publier ce billet, Nori était en ligne. Je ne sais pas ou cela va, mais j’aime sa présence et désormais je ne suis plus troublé. Je vous invite à relire La Nouvelle Eloise…

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