Londres, 2004. Bar gay Compton’s, Soho W1, un dimanche en fin d’apres-midi. Cliquez pour agrandir.
Dans le métro, vers 15h20.
J’en peux plus. J’en peux plus de mon boulot de survivants pour un salaire de survivance. J’en peux plus de cette impression de ne jamais sortir de la banlieue. Tama-Plaza, je t’en foutrais, moi… Quitter Bondy pour atterrir à Tama-Plaza, quelle ironie. Bien sûr, je pourrais être satisfait, après tout, j’habite au Japon, et tout le tralala, mais dans les faits, j’ai fui une banlieue à l’âge de 18 ans –et encore mes professeurs pourraient certifier sans trop de difficultés que dès l’âge de 15 ans, ils ne m’y voyaient plus, dans ma banlieue. Oui, Paris m’offrait une évasion à pas cher, le paradis du lèche-vitrine et des façades, la foule vivifiante contre le morne horizon d’un centre commercial en bordure d’autoroute. Alors Tama-Plaza…Un boulot avec rien autours… J’habite en bordure de Tôkyô, dans un arrondissement qui pourrait s’apparenter à une première couronne. Tama-Plaza, ce serait un peu comme Cergy ou Marne-la-Vallée. La zone, en quelque sorte. Une zone de classe moyenne. Un territoire pour le commerce sans culture et où l’histoire semble bannie au profit du présent vide des consommatrices. Une banlieue-dortoir, le paradis de Starbuck et MacDonalds. Je suis un promeneur. Je suis malheureux.
Promenade avec Nicolas en 1998 au cimetiere du Pere-Lachaise. Cliquez pour agrandir.
Dans le train, vers 19h55.
Je regarde les offres d’emploi, de nouveau. Le marché reprend dans ma « branche ». Mais est-ce vraiment ma branche, ou ne serait-ce pas plutôt un autre visage de la nécessité. Cette fois, un appel du confort, un aspect « pratique ». J’ai tellement envie de déménager, j’ai tellement peu d’argent. Mon loyer actuel, pourtant raisonnable, semble démesuré. Je réduis mon train de vie mois après mois et ne voit pas trop venir la différence. Finis les sandwichs au travail, les bentos. Je dis cela, mais je ne veux pas dire que je suis pauvre. En France, avec un loyer de 700 euros, je serais dans la même situation si mon salaire ne dépassait pas 2000 euros minimum, comme beaucoup de gens. Mais en France, les transports sont moins chers, et dans Paris, les distances, moins grandes, permettent d’éviter les sur dépenses alimentaires, c’est-à-dire les plats préparés. Cela peut être plus facile d’y faire des économies. Mais je m’aperçois à quel point j’ai été chanceux de vivre dans un appartement pour lequel je n’avais pas à payer de loyer. Ça change tout, on est immédiatement d’un tiers plus riche. Mes cours particuliers m’aident bien. Peu, mais c’est toujours cela.
Ce qui est le pire, ce sont les distances. Il m’est impossible de faire les trajets à vélo, comme à Paris. Je suis devenu sédentaire, alors que je ne l’ai jamais été et que je n’aime pas cela. Mais pour moi, prendre le métro est et reste un geste utilitaire, et je déteste le métro. Ce que j’ai toujours aimé, dans la marche et le vélo, c’est pouvoir tourner. Pas parce que c’est nécessaire, non, mais parce que l’idée m’est passée par la tête. À vélo, c’est un véritable plaisir car on peut se tromper : corriger le tir est très rapide. J’ai appris à aimer Paris de cette façon, en connaissant intimement ses recoins, ses impasses. Et puis, j’appartiens (je parle au présent car je ne pense pas qu’on change si facilement) à la race des PD de nuit. J’ai toujours aimé la drague nocturne. Et à mes promenades de jours ont longtemps succédé mes errances de nuit. Je dis errance car je pense que les homos de la nuit ont quelque chose de particulier, un rapport très intime avec la solitude. La nuit, on rencontre de drôle de gens, de drôles de types avec lesquels on ne rentrera pas forcément, et avec lesquels il ne se passera rien, si ce ne sont de longues conversations épuisantes. Des tapins. Des junkys. Des SDF. Des sans papiers. Des types qui ont été plaqués par leur femme. Toute une foule qui s’ennuie et qui finit toujours par s’agglomérer là où il y a un peu de monde. Chez « nous ».
Mon ancien quartier, ici cote 2e arrondissement, une nuit. Laquelle… ? Allais-je/ revenais-je des quais de la Seine, des jardins du Louvres… ? Vers 2002/2003.
La drague de nuit est un exercice solitaire en mileu urbain. Le silence règne, au milieu des voitures et d’êtres fantomatiques. Avec mon vélo, il m’arrivait de passer à l’un, à l’autre, et puis d’abandonner : Paris m’a souvent détourné de mon but. Une brume épaisse, une terrasse bienveillante ou une âme solitaire entrevue le long d’un boulevard, et j’oubliais bien vite ces lieux qui continueraient à exister très bien sans moi… Il m’arrivait aussi souvent de prendre des photos. Maintenant, j’habite trop loin des quartiers que j’aime pour m’y promener : où j’habite, une promenade ressemble à une expédition. Et je ne parle pas de mon école… Je rêve de déménager… et en attendant dépérit, condamné à une sédentarité que je déteste, à des trajets en métro obligatoires qui me dépriment.
Pourtant, et c’est le mérite de la stabilité retrouvée, je recommence à beaucoup bouger, et en tout cas quand je le peux. J’ai commencé par exemple à faire le trajet en vélo pour mon cours particulier du lundi. Je suis décidé à garder ce rythme. C’est peu, mais cela transforme l’entreprise en promenade. Je me suis acheté un vélo de ville pas cher cet hiver, mais heureusement, je n’ai pas jeté mon vélo acheté chez MUJI : je vais le customiser. Il en a besoin : la chaîne est rouillée et les pneus sont morts. Mais un vélo « sport », c’est bien plus confortable sur de longs trajets ; et puis, avec Jun, nous allons pouvoir nous balader à deux.
Professionnellement, on verra bien, mais en tout cas, c’est vrai que je suis fauché, que la distance me tue : je rentre chez moi à onze heures, je mange vers onze heures trente et je dors donc en général vers une heure – deux heures. Je suis un « du matin » qui déborde sur la nuit. J’aime me lever à 6 heures et demie, mais me coucher également dans la nuit ne me fait pas peur. Mon rythme professionnel bouscule ce rythme naturel : plus de une heure de train le soir tard et un dîné par-dessus, ça lessive…J’aime en effet dîner vers 7 heures. Comme ça, après, je peux « voir » ce que je vais faire. C’est râpé d’avance.
Londres, 2000. Mais ou donc ? Cliquez pour agrandir.
Je ne sais pas trop par quel bout attaquer. Le vélo, c’est pas mal. Un régime et des exercices, ce serait idéal (j’ai beaucoup grossi quand j’étais au chômage). Lire et écrire, voir des films « chiants », c’est vital (tiens, ça me fait penser, j’ai vu Harvey Milk – pas chiant- et The Time of Harvey Milk, le documentaire… étonnant, ce type d’histoire d’avant le SIDA…)
Mais je crois quand meme tenir le bon bout…
Je vous laisse avec quelques photos « argentiques », la suite de mes scans.
Madjid
Un petite déprime du au passage d'année ?
Un petite déprime du au passage d'année ?
Belles photos. Est-ce que tu arrives à en faire de cette qualité en numérique ?
Belles photos. Est-ce que tu arrives à en faire de cette qualité en numérique ?