Quelle chaleur, mais quelle chaleur…

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Quelle chaleur, mais quelle chaleur...J’aime l’été au Japon, ce qui me distingue de la majorité des Japonais qui ne supporte pas cette moiteur et cette forte chaleur. Ce matin, il pleuvait encore un peu quand j’ai ouvert le grand store et la fenêtre, une chaleur humide est entrée l’espace d’une seconde, j’ai refermé immédiatement. Si je n’avais pas une grande bande de gaze qui m’enveloppait, en dessous de laquelle sont mélangées des crèmes destinées à calmer les derniers restes de cette fantastique inflammation qu’est un zona, je pourrais me passer de l’air conditionner et m’abandonner, comme je le faisais il y a dix jours encore, à la sueur et des envies de dormir et bailler. Mais il faut reconnaître que ce n’est pas très agréable en ce moment, et cela me donne plutôt l’impression de macérer dans de la graisse… Alors, va pour l’air conditionné. À la maison, à l’école, dans le métro. Je vais m’acheter un ventilateur, moins gourmand en électricité ; je n’aime pas l’air conditionné, j’ai parfois l’impression d’être dans un frigo. Pas à cause de la température, non, un vrai frigo : un lieu fermé et glacé balayé par un air pulsé et sec. Le ventilateur fera mon bonheur.
Hier encore, visite à l’hôpital. Il faisait très chaud, comme tous les jours, je suis arrivé en sueur. Mon zona est globalement terminé, je n’ai donc plus l’antiviral qui coûte la peau des fesses. Au Japon, les soins sont remboursés à 70 %, j’ai dépensé plus de 12,000 yens en 8 jours, ce qui fait un coût de plus de 36,000 yens réels… Quand j’entends le candidat du FMI aux élections présidentielles, Dominique Strauss Kahn, réclamer des reformes des systèmes de santé en Europe, j’aimerais bien qu’il m’explique ce qu’il entend par là : sous-entend-il que le peuple coûte trop cher et doit savoir accepter d’avoir mal ? Un rapport présenté cette semaine constate que les baisses d’impôts des 10 dernières années (dont près de la moitié date de l’époque de Lionel Jospin) coûtent chaque année 100 milliards d’Euro : qui propose donc de remonter une partie de ces impôts ? Les privatisations de sociétés qui font des bénéfices privent l’état du dividende qu’elle apportaient. Je me souviens qu’en 1991, ces dividendes avaient rapporté 30 milliards de francs au budget (environ 5 milliards d’euros, en monnaie de l’époque, économiquement une très mauvaise année). Comme toujours, on fera de la rigueur en déremboursant encore plus, en privatisant encore plus (le patrimoine immobilier, par exemple). On appauvrira l’état et les salariés pour protéger une élite qui, comme la Béthencourt, pratique l’évasion fiscale et reçoit 30 millions d’Euro de remboursements d’impôts au titre du bouclier fiscal.
Quand j’écris, comme je le fais à plusieurs reprises depuis plus d’un an, que la crise est terminée, je le pense et je le confirme. Ouvrez donc la presse économique, le Financial Times, Les Échos ou La Tribune : les grandes entreprises font des profits records et les dividendes versés cette année aux actionnaires retrouvent leur niveau pré-Lehman. Il y a juste que nos élites ne veulent pas payer la facture de leur crise. Les états les ont renflouées, leur évitant des faillites, aux états désormais de payer la facture. C’est à dire à nous. Et gare à ne pas perdre de temps, le spectre d’une crise grèque menace tous ceux qui n’obéiront pas. Milton Friedman a gagné sur toute la ligne. Abondance de liquidité d’abord puis, quand le système est sauvé, retour à l’orthodoxie. Un certain nombre d’états vont donc traverser un ralentissement, voire même une récession «classique» suivie d’une croissance molle, et louper le cycle des affaires (Jugglar) en cours dans lequel, comme toujours, seuls les USA vont profiter malgré le fait qu’ils sont les principaux responsables de la crise. Mais il faut aussi constater que l’administration Obama est une administration consciente des problèmes qui se posent aux USA. Je ne pense pas qu’ils aient une réelle politique alternative, mais toujours est il que seuls le gouvernement américain a utilisé une partie (environ un cinquième, ce qui est très peu finalement) de la relance pour des investissements publics. Car elle est là, la vraie différence entre Keynes et Fridmann : Friedman ouvre le robinet puis ressert quand le système est remis à flot ; Keynes investit en escomptant que sur la longue durée l’investissement rapportera ce qu’il a coûté, et même plus. Bref, les USA devraient, malgré tout, faire de la croissance dès cette année. L’Europe, non. Au contraire, les chômeurs, les smicards, les classes moyennes vont devoir passer à la caisse pour que des comme la Béthencour se paient des gigolos, des îles et des robes de couturiers. Une époque pourrie par ses élites, décadente.
Toujours est il que j’ai bénéficié de ce reste de l’après-guerre, l’état-providence, et mes médicaments / bilan sanguin / consultations ne me sont revenus qu’à 12,000 (105 euros) quand leur coût réel est de 36,000 (315 euros).
Samedi soir, nous sommes donc allés à une exposition au Musée d’art contemporain de la tour Mori. Jun est assez peu familier avec l’art contemporain, mais il a visiblement apprécié. Beaucoup d’installations audiovisuelles. L’une d’elle, みち子さんの教会, l’église de Michiko, était une sorte de documentaire, agrémentée d’une narration extrêmement intime autours du personnage de Michiko, une vieille femme dont le mari a construit une petite église (en tôle ondulée) dans laquelle ils ont vécu près de 40 ans et où ils ont célébré des mariages. Le documentaire flirte entre fiction, réalité, on ne sait trop si on droit y croire, mais un incroyable sentiment de gentillesse traverse la vidéo. J’ai repensé à des films de Kawase Naomi, et je me demande si cette intimité, ces narrations en images ne sont pas une caractéristique de l’art japonais contemporain. Une performance aussi, avec l’artiste composant et recomposant l’espace en permanence, entre danse, théâtre et arts plastiques. De gigantesques sculptures mécaniques faites de haut-parleurs, platines, lampes, etc, et générant des rythmes à travers leurs mouvements, une sorte de contre-emploi de ces objets électriques et électroniques renvoyés à l’âge de la mécanique. C’était plutôt amusant. J’ai bien aimé également une longue narration en photos de Takamine Nozomu, un ancien du Dumb Type, la problématique des Coréens du Japon, son mariage, l’identité, le sentiment d’être minoritaire, d’être rattaché ou privé d’attaches, la place des attaches, le regard de l’autres. J’ai adoré une installation vidéo faite d’un trajet en automobile, de nuit, diffusée sur un mur d’écrans, avec une différence de quelques dixièmes de seconde d’un écran à l’autre, composant une sorte de mozaïque animée, le son, lui, composant une véritable symphonie de bruits ; l’effet de cette oeuvre est littéralement hypnotique.
Cette exposition était intéressante mais il y manquait quelque chose ; tout y était comme une sorte de méga-galerie d’art. Je sais bien que l’art contemporain n’a rien d’homogène, loin de là. Mais il manquait quelque chose, un liant, qui aurait pu rendre l’expérience plus vivante. Beaucoup de ces oeuvres étaient là, simple constat de la création japonaise. J’ai toujours ce problème avec l’art contemporain : il est une fantastique invitation à s’emparer du monde, et il est présenté dans des espaces morts où il est interdit de se servir des oeuvres, de les toucher et même de les approcher. Je me souviens, une fois, d’une discussion à ce sujet avec une employée, à Beaubourg. Je comprends bien, que l’oeuvre va s’abîmer si tout le monde la manipule ; mais pourquoi une oeuvre ne devrait-elle pas subir le temps, l’usure ? Privée de tout contact, elle pourrait être aussi bien remplacée par une expérience interactive en 3D sur ordinateur ou sur internet. Enfin, l’exposition m’a permis de rentrer dans le week-end en douceur.
Dimanche, une traditionnelle promenade dans l’est de Tôkyô, de Kiba à Nihonbashi en passant par Kyosumi, la Sumida… Il faisait très chaud mais c’était agréable. Le soir, j’ai préparé la cuisine. Nous avons regardé le dernier épisode de la saison 4 de The L World. Je sais, on retarde… Dans l’est, on trouve de plus en plus de restaurants et cafés, izakaya, mais aussi de boutiques de vêtements, accessoires, de style « Showa. » Ainsi, la photo en ouverture de ce billet, c’est une pancarte publicitaire qui trône en devanture d’un restaurant dans le quartier de Ningyôchô. Avec Jun, nous appelons cela « bobo » parce que c’est un retournement des styles, une amour du vieux recomposé qui fait vraiment penser à l’est Parisien vers 1990 / 1995. J’aime bien, et décidément, si l’ouest de la ville ne m’inspire guère et si Roppongi m’insupporte, c’est résolument à l’est que je me sens chez moi, au milieu des vieilles maisons bancales, des plantes vertes qui bordent les routes, dans ces quadrillages de rues soit parallèles soit perpendiculaires où l’on croise des chats qui avancent pépères, avec l’odeur des temples qui domine en fond le dimanche. Des rues pleines d’esprit et d’histoire.
Hier, j’ai donné ma leçon hebdomadaire à Yûko, une ancienne élève à Ginza. Elle m’a offert une salade de pomme de terre et des manjû et un suama. J’aime les manjû (ceux-là était fourrés d’une sorte de pâte rose ou jaune, très bonne, et enveloppés d’une sorte de gélatine transparente, le tout servi dans une feuille de palme roulée. J’adore suama. Suama, c’est du mochi, c’est-à-dire du riz malaxé jusqu’à ce qu’il devienne une pâte élastique, parfumé. Mon suama était un suama rose, mon préféré. C’était gentil de sa part. J’ai du les manger hier soir car ça ne se conserve pas (le mochi durcit). Déjà la veille, durant notre promenade dans Kôtô-ku, nous avions fait une pose chez un célèbre pâtissier japonais de Monzen Nakachô : un yaki-dango (des boulettes de mochi frais un peu grillé sur une brochette) dans une sauce sucrée parfumée à la sauce de soja (j’en suis fou) et un onigiri aux haricots rouges. Le tout incroyablement frais : les dango tout en tendresse, bien élastiques, et le riz de l’onigiri un peu ferme comme il faut, les haricots, eux, al-dante, j’aurais envie de dire. Ce qui fait qu’en deux jour j’ai consommé une quantité incroyable de gâteaux… Il faut toutefois noter que les gâteaux japonais n’utilisent pas de matières grasses. C’est toujours ça…
De Tôkyô
Madjid

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