J’ai passe les 15 derniers jours a travailler sur ce que vous avez devant les yeux. La touche finale a ete l’inclusion de quelques « tags » pour les moteurs de recherche. Et la, a ma grande stupefaction, et pour ma plus grande honte aussi, le champs lexical qui est apparue sur mon « tableau de bord » s’est revele d’une incroyable pauvrete. Bon d’accord, je n’ai tagge qu’une dizaine de jours, mais c’est revelateur aussi de la pauvrete de mes preoccupations depuis que j’ai quitte le travail… Je vois toutefois quelque chose de tres positif : j’en ai pris conscience… Qui donc est contre les tags ?
Un etrange silence regne entre Jun et moi, un etrange silence qui transperse nos conversations, nos joies, les projets que nous pouvons faire. Je n’ai toujours pas de travail, l’economie est moribonde. Nous n’en parlons pas, mais tous savons l’un comme l’autre que cette situation pourra finir par boulverser notre relation. Deja l’an dernier, nous avions partage ce non-dit. Mais cette fois-ci, l’un et l’autre savons parfaitement que la situation est bien plus grave. Et c’est ainsi que les decisions de quelques uns broient les vies anonymes de millions d’autres. Dont les notres.
Je ne peux m’empecher de penser avec une certaine ironie que ceux-la meme qui ont gere la (de)multiplications des CDS et CDO pendant des annees sans se poser la moindre question qui aujourd’hui analysent mon CV en pensant peut-etre parfois que je ne ferais pas l’affaire.
Ainsi va le monde.
Hier, le Japon fetait sa fondation. Une sorte de date imaginaire qui correspond a l’epoque ou l’Empereur Jinmu (qui n’a jamais existe), descendant de la deesse Amaterasu, a cree le Japon, en 660 av.JC. La realite historique doit certainement se rapprocher plutot d’un lointain ancetre de la famille imperiale ayant administre une province chinoise ou pire, une province coreenne, mais ca, il ne faut pas le dire. La liberte d’expression est totale au Japon, et celle-ci ne s’arrete qu’aux limites fixees par les groupes d’extreme-droite ultra-nationalistes et la mafia dont les interets etroitements lies conduisent a des actions commune de tres haute volee : assassinats d’historiens, agressions de directeurs de maisons d’editions, chantages divers et pressions sur les journalistes, etc. A partir du moment ou l’on dit que l’Empereur est 100% Japonais, que ses decisions sont sacrees (pourquoi donc parler des annees 30, des massacres de Chinois, des femmes de reconfort Coreennes, de la dictature militaire ?), que sa lignee remonte a Amaterasu par Jinmu, que l’on a toujours parle japonais car le peuple Japonais est « homogene », on peut parler de tout ce que l’on veut. D’ailleurs, ces « assassinats » ne sont que le fait d’actes isoles, c’est bien connu (et remettre en cause ces explications conduit aux petits soucis evoques plus haut).
Bon, bref, tout ca pour dire qu’hier etait ferie.
Nous sommes alles a Kamakura. J’ai dors et deja corrige les photographies : je vous livrerai un album tres rapidement dans la journee (la navigation vers les photos est desormais simplifiee puis que vous y avez acces grace a l’onglet en haut de chaque page…). C’est etonnant comment se promener dans cette ville peut avoir quelque chose de regenerant. Hier matin, alors que je m’appretais a quitter la maison pour aller retrouver Jun a la gare de Tokyo (comme d’habitude a la bourre, nous avions rendez-vous a 8 heures et je ne suis sorti qu’a 7 heures 40…), je me suis appercu qu’il commencait a pleuvoir. La grande question dans le metro fut donc : y va-t’y y va-t’y pas ? Je retrouvai Jun sur le quai de la Yokosuka-sen a 8 heures 15. Echange, lui aussi se posait la question, il pleuvait aussi vers chez lui quand il a pris le train. Apres moulte hesitation, alors que le train s’appretait a partir, voila que je le pousse et lui dit, on monte! Nous avions deux stations pour nous decider, jusque Shinagawa. A Shinagawa, nous avons pris la decision de continuer : j’avais vu a la meteo que le departement de Kanagawa serait eventuellement epargne par les passages de pluie.
Et cela s’avera parfaitement vrai vers Kamarura ou nous avons toute la journee profite de genereuses apparitions du soleil.
Kamakura n’est pas Kyoto. Je me suis trompe, comme de nombreuses personnes, a son sujet. Kyoto est une grande capitale defunte, sorte de cadavre somptueux que je pourrait me plaire a visiter. Il y regne derrier la poussiere et la rouille, comme un mystere d’eternite. Kyoto ressemble a Paris, prononcer son nom se suffit presque a soi-meme. Kyoto… et voila que ressurgissent mille ans d’histoire. Mais une promenade dedans la ville n’empeche pas d’y ressentir parfois comme un certain malaise, comme si l’on se promenait au milieu des cadavres de celles et ceux morts pour la posseder. Cette ville est emprunte d’une magie particuliere dont on ne sait s’il s’agit d’une magie benefique ou malefique. J’incline a penser qu’il y a un peu des deux. Une ville authentiquement fascinante surgie de la main de l’homme.
Il est faux de penser que Kamakura est une petite Kyoto aux portes de Tokyo. Que l’une comme l’autre soit chergee d’histoire, bien sur. Que l’une comme l’autre deborde de temples et de jardin, que les bouddhas s’y disputent le faveurs des touristes, certe. Mais Kamakura ne semble pas surgit de la main de l’homme. Kamakura est comme une concession que la nature aurait accordee a ss habitants. Il fut possible a Kyoto de tracer des grandes avenues a l’imitation de la Chine. Pas a Kamakura ou la montagne domine. Kyoto fut victime des ambitions des puissants et les cadavres s’y amplirent par dizaines de milliers. Pas a Kamakura qui ne craint aucours de son existence que les dechainements de la nature, tsunamis et tremblements de terre. Kamakura ne fut la capitale qu’une centanine d’annee, et encore, une sorte de sous capitale, la capitale de la junte militaire des Shoguns Minamoto, entre la fin du 12eme siecle, et le debut du 14eme siecle.
Pourtant, si Kyoto (Heian a cette epoque) est le lieu ou se forge une authentique culture antique japonaise, le fond de culture, ses racines, Kamakura est le creuset de la culture moderne. Durant ces 130 et quelques annees se creent le fond de culture populaire et la langue japonaise moderne. La culture de Heian se vulgarise (au bon sens du terme) et atteind enfin les province de l’Est. La litterature de Heian commence a se diffuser au sein de la nouvelle caste montante, les guerriers a chevaux (les samurai). C’est l’epoque ou le bouddhisme devient une religion veritablement populaire avec le succes de la Joudoushu (voie de la terre pure), qui prone un bouddhisme simple par la croyance en un bouddha -en fait un « nyourai », sorte de saint, qui renonce a la bouddheite pour guider les hommes-, Amida (अमिताभ Amitābha en sanscrit). Amida est un redempteur qui par sa tres grande generosite viendra chercher les hommes a leur mort et les aidera a renaitre dans la Terre Pure de l’Ouest ou ils pourront suivre les enseignements de Bouddha et gagner ainsi l’Eveil. Il est la Lumiere Pure qui guide les ames egarees dans un Age boulverse : il y a en effet dans le bouddhisme l’idee que la vie des civilisations est dominee par des cycles. Nous serions dans l’ere de l’egarement et de la confusion ou l’enseignement des Bouddhas serait inaudible aux mortels. Amida offre un remede par la renaissance en Terre Pure. Pour se faire, on doit invoquer son nom un certain nombre de fois, « Namu Amida Bu(tsu) ». Cette religion plus simple que les bouddhismes arrives precedemments, tous plus ou moins esoteriques, eut un grand succes et fournissait au peuple une expication simple aux evenements du temps : un coup d’etat a la cour (a Heian) avait renverse le pouvoir aristocratique des Fujihara qui dominaient depuis plus de 300 ans, fournissants premiers ministres et imperatrices. Pire, le clan qui avait fait ce coup d’etat, etait considere comme un clan de rien, un clan de guerriers, le clan Taira (en lecture « sino-japonaise, Heike). Dominant une vingtaine d’annee, fournissant une imperatrice et un descendant, ils firent regner la terreur, incendiant les monasteres de Nara et du mont Hiei, destituant les aristocrates. Ils durent rapidement faire face a une la coalition menee par les deux brillants freres Minamoto Yoshitsune et Minamoto Yoritomo (Minamoto, Genji en lecture sino-japonaise) et qui finit par rassembler tous les mecontants et recevoir un appui discret de l’Empereur lui-meme. Les guerres se succederent et Heian fut incendiee plusieurs fois. La fin du clan Taira est pire que le naufrage du Titanic, et s’apparente beaucoup plus a la fin de L’Empire, avec ses trahisons, ses suicides et ses combats perdus d’avance face a la haine accumulee. Tous perirent, le jeune prince heritier inclus, a la celebre bataille de Dan no Ura (dans l’Ile de Shikoku). Minamoto Yoritomo prit le pouvoir et s’installa dans sa province, a Kamakura. Il fit pourchasser son frere qui se suicida apres avoir fuit dans le nord du Japon.
Ce que la population retint est qu’en 20 ans, la capitale etait en cendre, une nouvelle caste avait pris le pouvoir et surtout une famille de rien s’etait elevee a tout avant de retourner au neant… Des moines traversaient le Japon en racontant cette epopee, illustration de la vanite des hommes, en donnant naissance au premier roman en langue moderne, le 平家物語, le Recit du clan Taira (traduit en francais par R. Sieffert, Le dit de Heike, POF), et fournissant plus tards mains recits pour le Kabuki, le Noh et les marionettes Joryuri, ainsi que de nos jours maintes series TV (dernier en date, le Taira dorama de la NHK, en 2007, centre sur Minamoto Yoshitsune).
Cette rupture brutale s’apparente en faite a la fin de l’Empire Romain, a la fin de l’Antiquite. A une nuance pres, ce sont des Japonais qui ont cause la fin de cet epoque.
A l’age aristocratique baigne de poesie et de fleurs, a cette culture resoluement feminine succeda un age masculin. Kamarura en fut le centre. Mais ce qui distingue le plus Kamakura des epoques qui suivront (il y aura d’autres clans guerriers qui prendront le pouvoir) est en fait une certaine continuite. Les genji (Minamoto) sont des gueeriers certe, mais de rang aristocratique. La culture de Kamakura est en fait une culture extremement riche, raffinee. Certains specialiste de l’Art Bouddhique Japonais y voient meme l’age d’or de l’art Japonais. La caracteristique principale est une certaine forme de sobriete et le developpement de techniques nouvelles importees de Chine et qui permettent de constuire plus grand, plus fin encore. Il est certain que le statues de cette epoque sont particulierement raffinees, couvertes de drapes qui semblent danser au vent et aux visages veritablement effrayants, parfois.
Kamakura est donc une ville pleine de temples mais, comme nous avons a faire a des guerriers, les jardins y sont moins nombreux qu’a Kyoto, comme si cette « culture de la promenade » avait cede le pas… C’est en fait la vraie richesse de Kamakura : Kamakura est une negociation entre l’homme et la nature. Kamakura e semble pas recouverte d’une couche de poussiere, comme Kyoto. Ici, l’air vient de la mer et vivifie une nature intrepide et vivace. Les forets sont partout. L’eau coule de partout. Les temples sont renfonces dans des trous gagnes sur les montagnes et les collines. Les saints et sanctuaires habitent ces innombrables grottes dont on ne sait jamais lesquelles sont naturelles et lesquelles ont ete creusees. La magie de Kamakura est une magie vivante, une magie d’aujourd’hui.
En fait, si Kyoto me ressource, je me demande si Kamakura ne me revivifie pas. Le secret est de n’y pas rechercher Kyoto, mais de s’y laisser habiter par la nature.
C’est ce que Jun et moi avons fait hier. Nous avons en cela ete aide par une meteo qui se revela un tel contraste avec que que nous attedions que nous goutames ces eclaircies avec delectation, les sens aiguises par ces fleurs de pruniers que nous voulions admirer et qui s’offrerent ainsi genereusement. Nous sommes parvenus, encore une fois, a visiter deux temples que nous ne connaissions pas. Et nous avons pu constater a quel point des lieux que nous connaissons tant changent au gre des saisons… Je ne le repeterai jamais assez : visitez Kamakura, reservez y une nuit a l’hotel, ne perdez pas votre temps au Daibutsu et sortez un peu de centre… Ecrivez-moi, je vous donnerai des conseils…
Merveilleux mercredi, donc, ou, a defaut de celebrer une legende, nous avons deguste une tranche de nature copieusement tartinee d’histoire.
De Tokyo,
Suppaiku