Ces touristes americains auront « fait » le Japon, et auront certainement ete inviter a « percer l’ame japonaise »
A l’hotel ou je suis, il y a ce groupe de touristes americains menes par une japonaise a l’accent fait de sejour aux USA et d’une longue etude a l’aide de katakanas.
Hier, elle leur expliquait le programme de la semaine. Beaucoup de lieux touristiques, et je ne comprends jamais tres bien pourquoi on doit suivre un guide « humain » quand tous les guides « papiers » vous expliquent ces lieux en long en large et en travers.
Elle leur parlait des jardins en utilisant le « nous » habituel que les japonais utilisent toujours quand un etranger leur pose une question personnelle. Vous aimez ce jardin? Nous, les japonais, nous aimons ce jardin. Oui, mais vous, personnellement, vous l’aimez? Silence…
Dans le musee de Edo-Tokyo, pres du parc Kyosumi, on peut visiter des maisons de Edo, l’ancienne Tokyo, ces maisons a piece unique, d’une surface de 9 metres carres, au sol fait de plaches et recouvertes d’une natte en tiges de riz tissee, avec une simple ouverture pour la fenetre. Cette « esthetique » dont parlait cette guide est bien lointaine de ces maisons frustres ou logeaient une grande partie de la population. Un peu comme en Europe ou le pauvre bougre ignorait tout des decorations et abstractions conceptuelles de Versailles.
Le tourisme transforme le citoyen moyen de classe moyenne en un individu coupe de son histoire et de ses origines pour le recomposer en un individu abstrait qui ne concoit son propre passe que comme un passe de classe moyenne ayant acces aux codes de la culture passee. Il n’est pas rare d’entendre dire ainsi qu’ « autrefois les dames portaient des robes a panier », que « les hommes se poudraient le visage » tout comme les japonais devisent en long et en large sur l’importance du zen alors qu’il s’agit dans tous les cas d’une culture d’elite. Au Japon, le peuple etait avant tout incroyablement animiste, superstitieux et ignorant des fondements du bouddhisme sur lequel repose l’art des jardins, la ceremonie du the et l’arrangement floral etaient avant tout le privilege des classes superieures. Mais le tourisme fait rever les petites filles et les petits garcons qui, en grandissant, utiliseront un « on » bien pratique dans lequel ils entendront inconsciemment un « nous » ignorant la triste realite de leurs ancetres qui grataient la terre pour en arracher trois racines vaguement comestibles.
Ces touristes americains auront « fait » le Japon, et auront certainement ete inviter a « percer l’ame japonaise » en ces jardin et cette esthetique que ne comprennent pourtant pas 90% des japonais. On devrait organiser des tours passant par des restaurants de viande grillee, de nouilles chinoises puant le gras de porc, par des bains publics dans des quartiers delabres, et dans ces banlieues interminables faites de maisons prefabriquees, de parkings aleatoires devant des temples en beton et de vieux baraquements rouilles qui voisinent des centres commerciaux tentaculaires perches sur une gare Tokyu ou Tobu hantee de salaries en costumes noirs identiques un peu fripes achetes 100 euros: les touristes y perceraient certainement un peu plus de l’ame japonaise…
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