Le Blog de Suppaiku, journal bloggué de Madjid Ben Chikh, à Tokyo.

Exil…


Il sortait souvent le matin vers onze heures, et quand j’allais chercher le pain, vers midi, je le retrouvais sur l’esplanade de la mairie de Bondy en compagnie d’autres Algériens. De quoi pouvait-ils parler…

(Video Myriam Fares, Aman, ℗ 2015)

Un exilé n’a jamais cherché ce qui lui arrive. Quel étrange mot utilise-t-on d’ailleurs aujourd’hui pour parler d’exil.
Migrant. Migrant. Migrant. Comme si le mouvement seul comptait, comme si ce mouvement n’allait jamais s’arrêter. Des êtres de passage. Les syriens sont passés par ici, ils repasseront par là. Migrants.
Réfugié. Réfugié. Réfugié. Comme si la recherche seule d’un toit à se mettre sur la tête comptait, et que tout s’arrêterait ce jour là, ouf. On les a mis sous une tente bien au chaud avec du pain, voila. Réfugiés.

Exil. La séparation. La blessure au fond du coeur qui jamais ne cicatrise. La valise vite faite, les souliers qui font mal, une traversée plus ou moins réussie, la dame qui riait tout à l’heure emportée par les flots. Les souvenirs qui font mal, le sourire à l’arrivée, et puis le vide autours de soi et tant de bruit dedans la tête.
Je ne vous reverrai jamais.
Exil. Le silence. Les mots qui font du bruit, des sonorités inconnues. Des odeurs inconnues. Des visages inconnus. Des rues inconnues. Des gestes inconnus.
Exil. L’exaspération après l’accueil et la photo de la Chancelière. Les regards en coin, la suspicion et la jalousie. Un agent administratif un peu trop tatillon et le sourire de la dame emportée par les flots vous aspire dans son silence insondable pendant que l’agent commence à s’énerver. Repassez demain avec le formulaire, au suivant.
Exil. Les soirs où le vide est plus fort, où les larmes sont plus fortes, où le silence est plus fort, où l’envie de mourir aussi est plus forte. Une envie de partir et de reprendre la valise pour n’importe où. Mais c’est où, n’importe où? C’est ici, et le vide est encore plus vide, les larmes, le silence et l’envie de mourir m’engloutissent, que faire?
Exil. Tu es où? Et toi? Et vous, là-bas? Que faites-vous? Pourquoi suis-je parti, pourquoi n’es-tu pas venu, pourquoi es tu morte et pourquoi ne le suis-je pas?

Exil. Je reviendrai, c’est sûr, quand les bombes se seront tues. Quand les ventres seront pleins. Quand mon pays sera libre et que les jeunes filles refleuriront sous le soleil comme les jasmins.
Exil. Et puis il faut s’habiller, et puis il faut aller travailler dans la ville invariablement grise pour survivre cette vie qui n’en est plus toute à fait une en espérant pouvoir continuer à espérer en quelque espoir.

Ma mère parfois se disputait avec mon père quand une espèce de manie obsessionnelle le prenait. Il allumait la radio, s’y accrochait et triturait le bouton jusqu’a ce qu’une quelconque mélodie sirupeuse moyen-orientale n’en sorte, lointaine, brouillée, c’était Alger ou Le Caire, et cela faisait une sorte de souffle entrecoupé de violons, c’était insupportable ce bruit mais ça lui était suffisant. L’insistance de ma mère n’y faisait rien, cela pouvait durer une heure ou deux, maman partait faire des courses et mon frère et moi partions jouer dans la chambre pour échapper à ce brouillage de voix ou de violons.
Le dimanche matin, il y avait Mosaïque, cette misérabiliste émission « réservée » aux travailleurs immigrés, un ghetto de stéréotypes. Il la détestait, mais je pense qu’il n’en loupait aucune.
Il sortait souvent le matin vers onze heures, et quand j’allais chercher le pain, vers midi, je le retrouvais sur l’esplanade de la mairie de Bondy en compagnie d’autres Algériens. De quoi pouvait-ils parler…

Exil. Pour ces millions de ceux que l’on appelle des réfugiés, mais aussi pour tous les immigrés, l’exil est cette blessure qui jamais ne se refermera. Elle est dans ces sons du quotidiens qui se sont plus, dans celui des mots qui ne sont plus, dans les odeurs et les saveurs qui ne sont plus, dans les gestes et les petites choses qui ne sont plus. Dans ces chansons qui hier encore rythmaient la vie, dans tout ce quotidien dont il ne restera plus qu’un lointain fantôme sur YouTube… Qui sait, parmi celles et ceux qui viennent d’arriver à nos frontières, parmi celles et ceux qui sont morts en chemin, en est-ils qui avaient entendu cette nouvelle chanson de Myriam Fares, la « Madonna du Moyen-Orient », juste avant de mettre un pied dans le bateau qui les emmènerait vers nulle part. Elle ne te plait pas, la chanson, pour eux, la voix de Myriam Fares a le gout du miel, des dattes et du lait.

Je porte l’exil de mon père dedans mon coeur comme un trésor.

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