Le Blog de Suppaiku, journal bloggué de Madjid Ben Chikh, à Tokyo.

Algérie VS OMOTENASHI


Quand j’ai lu le fait divers de cette pauvre employée AIR ALGÉRIE jetée en pâture sur les réseaux sociaux après avoir tenu des propos déplacés, faisant certainement suite à une conduite impropre du passager qui a filmé, j’ai imaginé ce que cela aurait donné au Japon.

Article publié sur Al Huffington Post AlgériePuisque le net Algérien a beaucoup bruissé au sujet d’une agent au sol de Air Algérie à l’aéroport de Oran, je vais vous présenter l’expression japonaise OMOTENASHI.
Cette expression a été popularisée lors de la candidature de Tôkyô pour les jeux olympiques de 2020, comme l’essence même de toutes les vertues japonaises. Cette expression résume très bien ce que l’on ressent quand on vit ou voyage au Japon, produit d’une culture et d’une façon de vivre en société assez radicalement différente de ce qui fait la vie en occident et dans le bassin méditerranéen.
OMOTENASHI est une expression bien difficile à traduire, pour tout dire, mais pour résumer, disons qu’il s’agit de l’attention que l’on porte à l’autre, ce que les touristes de passages résument généralement par une « gentillesse » japonaise. Pour en comprendre l’origine, il faut avoir à l’esprit que contrairement au monde occidental et méditérranéen, le Japon n’est pas monothéiste, tout comme une grande partie de l’Asie. Point de Dieu transcendant qui juge et pardonne, point de pardon, point de chatiment ni de récompense et, pour tout dire, point d’interdit. La morale est essentiellement bouddhiste, la seconde religion du Japon, mais la plupart des japonais sont avant tout « shintô » et donc incroyablement libres.
Et pourtant les gens sont incroyablement policés, il n’y a pas de vol, et on se sent incroyablement en sécurité.
C’est qu’en réalité, là où le monothéisme produit une intériorisation des régles et conduit donc les individus à s’auto-contrôler, au Japon, on a essentiellement un contrôle social. Doux, invisible mais incroyablement présent. Les Japonais ne volent pas « parce que Dieu l’interdit ». Ils ne volent pas parce que ça ne se fait pas, et que ça va déranger la personne volée. Le « moi social » est ainsi ce que vous rencontrerez si vous passez par le Japon. Jamais vous ne rencontrerez le « moi réel », là, il vous faudra du temps, et parfois l’expérience vous laissera un goût amer car le « moi social » est incroyablement policé, alors que le « moi réel », ben… c’est le « moi réel »! On appelle cela le « tatemae », et on parle alors de « ura » (l’arrière, le moi réel) et « omote » (devant, le moi social).
Chacun peut mener sa vie comme il l’entend du moment que les apparences sont respectées, et ainsi les quartiers « de plaisir » près des gares cohabitent avec l’existence paisible de la ville car en dehors de ces quartiers, on sait se tenir.
OMOTENASHI, c’est donc cet art de se conformer à une règle sociale rigide où toute morale est absente car uniquement basée sur le rapport à l’autre. Les japonais ignorent la morale et la transcendance, ils ont donc réglé la question de la vie en société d’une autre façon. Chacun à sa place, et faisant ce qu’il a à faire, en tenant compte des autres.
Si ce qui compte est le rapport à l’autre et la place qu’il occupe, alors, vous comprendrez un peu mieux cette gentillesse particulière aux japonais, OMOTENASHI. Ce n’est pas de la gentilesse, c’est une obligation sociale. On ne vole pas, et on doit être prévenant, voilà, c’est comme ça.
Quand j’ai lu le fait divers de cette pauvre employée AIR ALGÉRIE jetée en pâture sur les réseaux sociaux après avoir tenu des propos déplacés, faisant certainement suite à une conduite impropre du passager qui a filmé, j’ai imaginé ce que cela aurait donné au Japon.
Ici, le client est roi. J’imagine un passager insistant (mais qui jamais n’insultera, ça ne se fait pas, tout le monde pourrait me regarder, je me taperait la honte – en gros, les japonais pensent comme ça). L’hôtesse ne pouvant satisafaire la demande se serait fendue d’excuses les plus plates avec la mine affligée assortie, taihen moshiwake gozaimasen!, et elle aurait joint ses mains sur son ventre et se serait inclinée devant le passager. Normalement, un passager normal DOIT accepter cette marque d’humilité. Mais de nos jours, au Japon aussi, tout fout le camp et le tatemae ne résiste pas à la cohabitation avec des séries américaines et des mangas violents: maintenant, les passagers insistent! Pour sortir de cette impasse, plutôt que de l’envoyer balader (Algérie) ou appeler la sécurité (France), elle en aurait rajouté une couche en demandant au passager de bien vouloir patienter, chôchô o-machikudasai!, et elle aurait contacté son supérieur. Celui-ci serait arrivé avec un assistant, aurait confirmé la mauvaise nouvelle, la mine éplorée, pendant que la première employée aurait aquiessé de la tête en faisant un visage au bord des larmes et… tous les trois se seraient inclinés devant le passager. KO! Mais comme ce qui compte n’est pas de gagner, mais juste de maintenir l’ordre sans aucune violence, l’employée l’aurait invité à s’assoir, lui garantissant qu’elle l’appelerait quand il y aurait du nouveau tout en lui proposant un thé vert, ocha wo nomimasen ka?
Nulle gentilesse, juste une façon radicalement différente de régler les conflits, basée sur le rapport à l’autre et l’être ensemble. On retrouve cela partout, au supermarché où la caissière s’incline en fermant les yeux avec un sourire de Joconde quand c’est votre tour en vous parlant avec le plus haut niveau de politesse , dans la rue après avoir demandé une adresse quand la personne vous souhaite un bon chemin en s’inclinant ou, très fréquent, vous propose de vous accompagner. Aucune gentillesse, juste un autre rapport aux autres.
À moins que la vraie gentillesse en société ne soit justement cela, une aide dénuée de tout caractère passionel, de tout caractère individuel et de tout aspect moral, mais simplement dévouée au bien social. Notre employée de AIR ALGÉRIE a encore un long chemin pour y parvenir, mais plutôt que de se délecter, vengeurs, sur sa chute dans les médias sociaux, on devrait méditer sur l’exemple japonais. Cette employée est à l’image de l’Algérie, tout comme les employés de l’aéroport de Haneda sont à l’image du Japon. OMOTENASHI.
Otsukare-sama.


Billet publié sur Al HuffPost Algérie & sur Nedjma.

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