Le Blog de Suppaiku, journal bloggué de Madjid Ben Chikh, à Tokyo.

Modernité et modernité


La voix ferme annonce, comme s’il s’agissait d’une évidence, qu’une ville nouvelle est la promesse d’un avenir meilleur, et voici qu’après quelques autres certitudes assorties d’images d’un désert standardisé où volent trois oiseaux venus de nulle part et tandis qu’une musique digne d’une super production hollywoodienne s’emballe, des arbres sortent du sable aride, une mosquée gigantesque sort de terre, suivie par des logements à l’architecture moderne.

Article publié sur Al Huffington Post Algérie. La voix ferme annonce, comme s’il s’agissait d’une évidence, qu’une ville nouvelle est la promesse d’un avenir meilleur, et voici qu’après quelques autres certitudes assorties d’images d’un désert standardisé où volent trois oiseaux venus de nulle part et tandis qu’une musique digne d’une super production hollywoodienne s’emballe, des arbres sortent du sable aride, une mosquée gigantesque sort de terre, suivie par des logements à l’architecture moderne.

Ainsi commence la présentation de la vidéo pour le projet de ville nouvelle de Hassi Messaoud.

Qu’un pays doté d’une réserve de change estimée à 200 milliards de dollars et qui peut encore espérer tirer ses ressources du pétrole et du gaz pour une dizaine d’années se lance dans de grands projets d’investissements qui lui permettront d’assoir son développement est une bonne chose. C’est même d’une nécessité.

Vivant au Japon, je les vois, ces villes nouvelles sorties du néant, et contrairement aux moqueurs algériens, moi, je sais que c’est possible.

Mais encore faut il sortir de la mégalomanie de « la ville nouvelle promesse d’un avenir meilleur », et redescendre sur terre en se posant la question de ce dont les algériens ont réellement besoin. Entourée de taudis, une ville nouvelle n’a jamais fait le bonheur de qui que ce soit, même pas de ses habitants. Et avec ses 200 milliards de réserve de change, son pétrole, son cuivre, son gaz, l’Algérie a largement les moyens de préparer son avenir et de devenir une très grande puissance économique.

Clair, l’Algérie a besoin de logements, de beaucoup de logements. Avant même de penser à faire surgir du néant des villes nouvelles, il serait urgent de s’occuper de cela autrement qu’en laissant prospérer la corruption de certains industriels du bâtiments et celles des politique dans la gestion opaque de leur attribution.

Il y a un très grand point commun entre l’Algérie et le Japon. Les séismes. Ici, on en attend un très gros, on sait qu’il arrive et que ce jour là, il faudra s’accrocher. Pour nous aider, les architectes et les ingénieurs ont recherché, calculé, étudié puis expérimenté, puis généralisé puis évalué, puis corrigé pour encore améliorer des techniques de constructions antisismiques. On continue de parler de tremblement de terre pour ce qui nous frappa en mars 2011, mais il faut bien avoir à l’esprit que malgré une magnitude proche de 9 sur l’échelle de Richter, il y eu peu de victimes dues au tremblement de terre, les plupart d’entre elles ayant été victimes du tsunami.

En cherchant sur YouTube, vous serez surpris de voir les tours osciller, absorber le choc. Vous serez étonnés de voir les maisons vibrer, se tordre, le mobilier tomber, avant de se stabiliser.

Quand on voit un chantier pour un immeuble d’habitation de 15 étages, on les voit, ces foreuses qui creusent le sol sur des dizaines de mètres pour bétonner, renforcer, ces tiges d’acier, ces pylônes porteurs épais, en béton renforcé dans lesquels la quantité de sable est limitée. Régulièrement pourtant, une nouvelle loi vient encore renforcer la législation. Pour les maisons individuelles, généralement construites en bois, à la moindre secousse, on se sent comme dans une bulle en caoutchouc, tout a été calculé pour bouger et absorber l’énergie dans le but d’éviter de casser.

Au Japon, ce n’est pas le séisme qui tue, mais le possible incendie à cause du gaz, ou, comme en 2011, un tsunami. D’ailleurs, même pour le gaz, désormais, les compteurs sont équipés d’un interrupteur qui coupe tout aux premières secousses.

Si je fais ce long détour par le Japon après vous avoir évoqué la « ville nouvelle promesse d’un avenir meilleur », c’est parce que la crise du logement, l’abondance de liquidités et la corruption se télescopent en Algérie pour provoquer, en cas de séisme majeur, une véritable catastrophe, bien pire que celui qui avait frappé Boumerdès en 2003 et avait fait près de 5000 morts.

Rappelons nous les images, ces immeubles effondrés, les corps enchevêtrés sous les décombres. Quelque chose a-t-il changé? Je regarde les photographies, les vidéos sur internet, et les techniques de constructions que je vois feraient pâlir n’importe quel ingénieur du bâtiment japonais. Pas de profondes fondations pour tenir la structure en lui permettant de bouger, des pylônes porteurs d’une vingtaine de centimètres de côté, des murs montés en brique rouge. Ces immeubles ressemblent à des châteaux de cartes que la mégalomanie des dirigeants, ceux là même qui fantasment sur la « ville nouvelle promesse d’un avenir meilleur », s’emploient à faire pousser plus haut: On construit désormais sur une bonne dizaine d’étage, à Alger. N’importe quel japonais qui verrait ces chantiers vous le diraient: Ça cassera.

Des dirigeants politiques conséquents, honnêtes, au lieu de spéculer sur les différentes façons de saupoudrer des miettes de rente pétrolière en subventions et autres logements à la modernité clinquante, devraient avant tout faire une mise à plat des besoins réels, et parmi ces besoins, et malgré un coût évident, la nécessité de construire selon les meilleurs normes antisismiques. Ce qui passe par des partenariats technologiques avec les meilleurs, c’est à dire les japonais. Cela coûterait cher, mais avec 200 milliards de réserve de change, la manne pétrolière, il y a une marge. Cela développerait aussi une expertise dans ce domaine qui, à terme, pourrait s’exporter dans d’autres pays, et c’est cela, le développement économique.

Alors, oui, on pourra rêver à faire surgir le futur des sables du désert, en respectant la population et non en lui vendant cette modernité de pacotille faite d’immeubles en carton pâte aux couleurs pimpantes avec laquelle on achète la paix sociale pour détourner le peuple de la vraie modernité.

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