Paru dans la revue Minorités.org / L’agence/ le 22 mars 2011.
La suite des aventures de Madjid depuis Tokyo.
J’ai lu un très bon billet sur ce blog, « La fin du monde n’aura pas lieu ». Excellent car il a réveille l’historien en moi, ou le « fouille merde » que l’on est quand on travaillé en Back Office sur produits derivés, et que l’on travaille bien. « Investigation », qu’on appelle ça. Le billet est très intéressant car son auteur, Alex, y relate la réunion d’information organisée à l’ambassade de France en milieu de semaine dernière, avec l’ambassadeur, un representant d’Areva et un membre de l’IRSN.
On y apprend pas mal de choses. Le principe de précaution qui aurait dicte le mail dont je rapportais la teneur et qui a fait fuir des milliers de Francais sur les 9.000 qui résidaient au Japon. Que certains services sont relocalisés à Osaka « par mesure de précaution ». Et que l’ambassadeur fait confiance aux autorités japonaises.
La tonalité de la réunion était à l’appaisement, à la relativisation de la menace. En gros, ce n’est pas un nouveau Tchernobyl, et la responsabilité incombe aux journalistes qui ont dramatisé la situation à outrance, obligeant le gouvernement francais et l’ambassade à ajuster une strategie pour ne pas être accusés de ne rien faire. Inciter les gens à partir. Distribuer des pilules d’iode. Mais en fait, meme en cas de déterioration de la situation, nous ne courerions aucun risque a Tokyo.
Ce billet, principalement inspiré par le contenu de la réunion, a au moins l’aventage de concourir à calmer les esprits. Jun et moi sommes partis à Kyoto mardi 15 en comptant rentrer lundi 21, histoire d’avoir le recul, à savoir si ça empirait ou pas. Car si ça empirait, en fait, il y aurait certainement eu l’état d’urgence. Moi, cela m’a laissé le temps de me documenter. Et d’arriver à une conclusion sensiblement differente de nos amis de l’ambassade, et qu’un « fait divers » en cours me confirme.
La structure même de la centrale interdit en effet un scénario de type Tchernobyl. Ni les materiaux, ni la structure meme ne le permet. Plutot un scénario à la Three Miles Island. Voila qui est rassurant, et qui va dans le sens du discours de l’ambassade. La où il y a un hic, c’est qu’il y a une difference entre Three Miles Island et Fukushima. Hormi le fait que cette centrale soit vétuste, que les USA ont demande a plusieurs reprises depuis 2001 son démantelement à cause de fissures maquilles et de rapports falsifiés (ayant entrainé des démissions importantes a TEPCO entre 2003 et 2005), cette centrale utilise depuis fevrier 2011 un combustible particulier, compose d’uranium recyclé (retraité) et de plutonium, hautement instable (d’où de tres hautes performances), le MOX.
Le MOX
Un combustible produit par une société Française, AREVA, qui en produit 95% de la quantité mondiale dans son usine MELOX. Ce combustible a la particularité de monter très vite en température et de mettre beaucoup plus de temps à refroidir. Il est aussi hautement radioactif du fait de sa très haute instabilité. À l’ambassade , il y avait un responsable AREVA dans la salle, a-t-il parlé de l’utilisation de MOX à Fukushima?
D’ailleurs, on pourrait se poser la question : que vient faire un responsable d’AREVA dans une communication de crise ? Et savez vous que le principal souci dans cette centrale est le reacteur numéro 3, le reacteur contenant 30% de MOX, que TEPCO ne parvient toujours pas à maîtriser ? En parcourant le net, je me suis appercu que quand il s’est agit de poser la question à l’Assemblee nationale, ce ne sont pas des experts, qui ont fait une déclaration sur l’accident, mais la présidente d’AREVA elle-même. Curieux mélange où le suspect se trouve également juge et partie, et expert.
Le nouveau discours dominant consiste à pointer l’incompétence des journalistes. Soit, ils ont exageré, mais peut on leur reprocher d’avoir eu à l’esprit les deux grands accidents de l’histoire, à savoir Three Miles Island et Tchernobyl ? Depuis quand la diplomatie se calque-t-elle sur l’opinion publique ? Si l’évacuation des ressortissants français obéissait à une pure logique de « marketing politique » comme cela est suggéré dans le blog d’Alex, c’est une honte !
Venant d’un gouvernement soit-disant gaulliste, nous nous retrouvons dans la liquidations des restes politiques du president, à savoir une certaine idée de la France et de sa grandeur, en offrant aux Japonais une vision pas très héroïque de ses ressortissants. À moins que… Je vous parlais d’un fait divers : en ce moment, le bras de fer entre la France et le Japon continue au sujet des sauveteurs. Le Japon les veut à 80 kilometres, à Sendai. La France les veut à 350 kilometres.
Et là, ça me pose un probleme. Soit ce n’est pas « plus dangereux qu’un vol Paris New York », et dans ce cas, la France fait des simagrées. Soit la France a de veritables raisons de vouloir envoyer ses sauveteurs à 350 kilometres, et tout le discours rassurant tenu lors de cette réunion sort fragilise. Pour information, Tokyo est à 220 kilomètres.
Mon sentiment reste le même et n’a pas changé depuis la semaine dernière. Je reste d’abord pour rester avec mon ami. La France ne reconnaît pas le mariage entre personnes de même sexe, il ne pourrait beneficier d’un rapatriement. Partir à Kyoto était aussi un moyen d’être ensemble au cas où la situation aurait empiré. Ensuite, je reste à Tokyo (revenu depuis lundi) non pas parce que c’est « moins radioactif que l’Italie », mais parce que je ne peux pas partir d’un pays ni d’une ville qui m’a accueilli à la premiere difficulté. C’est malpoli.
Une grosse saleté
Je suis parfaitement conscient, pourtant, que TEPCO ne parvient toujours pas à stabiliser le réacteur 3, gavé d’un produit que mon pays, la France, a vendu le mois dernier à TEPCO, avant de vider le pays de ses ressortissants à la premiere fuite. Je me sens solidaire, et je me sens aussi un peu responsable. Et parfaitement conscient que le vrai risque n’est pas Tchernobyl — ce que je sais depuis presque le debut. Non. Mais autre chose. Une grosse saleté. Des dégagements radioactifs pendant des semaines.
À chaque fois, les communiqués de presse diront que c’est très peu, et AREVA vous le martelera, comme elle le fait déjà sur son site remodelé en site solidaire (le site de BP avait pris le meme type de couleurs au moments ou ils ont salopé le Golfe du Mexique l’an dernier). Rachel Maddow avait montré comment les entreprises adoptent des strategies de communications d’absorption en cas de pepin, destinées à guider le vocabulaire utilisé : ainsi, vous apprendrez, avec AREVA, a parler de « crise nucleaire », et non de « catastrophe ». Et tous les gens « contaminés » par cette communication utiliseront ces termes, et mettront en exergue la catastrophe humanitaire engendrée par le tsunami.
En ne faisant pas le lien, bien entendu, entre ces gens qui ont déjà souffert d’avoir eu leur vie balayée en deux secondes par la nature et qui plus tard ne pourront pas retourner vivre dans des terres radioactives polluées par la main des hommes. Le Tohoku sera ainsi victime de deux catastrophes humanitaires. Oui, une grosse saleté qui va contaminer les cultures, grosses consommatrices d’eau, comme le riz à Akita ou à Ibaraki où l’on a déjà noté de fortes contaminations.
On vous dira que c’est peu, mais faites donc le compte. Manger un Paris New York arrosé d’une sauce rayon X trois fois par jours, sur 10 ans, ca fera beaucoup, et c’est precisemment ce risque que les vrais experts, eux redoutent.
Alors bien sûr, nous n’en sommes pas là. Peut-être tout le MOX ne s’évaporera pas et TEPCO parviendra à le refroidir avant de le refroidir plus fortement, voir de piéger dans un sarcophage. Je reste assez optimiste, c’est ma nature. Mais realiste.
La communication concernant ne doit pas passer entre les mains d’un groupe industriel. Les Japonais se mefient, en toute discrétion, de la communication du gouvernement, de la presse, et de TEPCO. Je n’accorde pas plus de confiance à la communication de la France où les intérêts industriels se mèlent à une politique qui, comme ailleurs, est d’abord faite de gesticulation.
Ceux qui me connaissent seront surpris par ce que je vais écrire, mais en cette histoire, je n’ai confiance qu’en Dieu. Et au passage, dans divers rapports américains qui pointaient le danger de cette centrale à qui AREVA n’a pas hesité, tout en ayant connaissance de ces rapports, à vendre un combustible hautement instable qui inquiète le Quai d’Orsay au point d’avoir conduit à une évacuation de la quasi-totalité des Francais du Japon et a une crise diplomatique au sujet des sauveteurs.
Madjid Ben Chikh
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