…je suis déthatchérisé, j’ai pas un gramme de formol républicain dans le crâne, et je n’ai pas été Charlie. J’ai 10 ans d’avance.
Michel Onfray: en jeans, les cheveux mal peignés et des lunettes design, un réactionnaire en 2015, c’est très précisément ça. Voici une vidéo partagée par un paranoïaque souveraino-soralien chevènementiste qui pense que « Onfray commence à comprendre », ce qui classe son homme…
On notera chez Onfrau dès le départ le refrain des nouveaux réac, « on ne peut pas dire la vérité » (alors qu’il est publié chez Flammarion, passe à la télévision et a son émission sur FC), il est interdit de parler d’histoire et de faire référence au temps long (par qui, là, mystère), une manipulation de l’histoire pour marquer son point (et exposer des avis qui ne sont que les siens et certainement pas ceux de la communauté historienne…), etc. 14 merveilleuses minutes de réaction, pour notre plus grand plaisir, à commencer par le miens!
Concernant cette histoire d’Europe chrétienne, dont Michel Onfray déclare l’évidence, il y a eu une Europe chrétienne, mais ce n’est pas la civilisation de l’Europe actuelle. L’Europe chrétienne est morte dans les années 1300/1400, frappée par la peste, la guerre fratricide entre la France et l’Angleterre, les troubles dans la papauté, la montée en puissance des états modernes et des monarchies, particulièrement française et anglaise, et un terrible doute métaphysique qui s’est prolongé jusqu’au début du 18ème siècle.
À partir des années 1400, ce n’est plus le christianisme (catholique) qui guide la société européenne, mais des impératifs matériels: la science, la médecine, l’argent et le pouvoir politique. Ainsi vers 1450, Venise et le pape livrent Byzance aux Turcs pour assoir leur pouvoir. Louis XIV, lui, est l’opposé du roi chrétien, il traite avec la Prusse protestante et la Turquie musulmane pour affaiblir le Saint-Empire tandis qu’il installe les jeux d’argent à la cour. On dissèque, on force les lois de la nature, on extermine plus de 60 millions de natifs américains pour mettre la main sur l’or et l’argent du nouveau monde, Machiavel théorise un nouveau type de souverain, cynique, et Spinosa doute de l’existence d’un dieu. Le baroque, quand à lui, est une esthétique de l’illusion qui donne naissance à l’opéra, un spectacle total qui va progressivement devenir un divertissement. À la fin du 18ème siècle, l’Europe chrétienne a totalement disparu.
La civilisation qui se met en place à partir du 15ème siècle, elle, est la civilisation occidentale (tournée vers l’ouest en opposition à la chrétienté tournée vers l’est), mue par une idée de modernité forcément scientifique et matérielle, valorisant l’idée d’une liberté fondée sur l’autonomie de l’individu. Elle est mondiale car elle s’approvisionne dans le monde entier en asservissant le monde, mais aussi parce que son moteur est un bien communément partagé, longtemps contraint par des normes et des valeurs religieuses. Le désir.
En réalité, parler de notre civilisation comme de la même que celle du 12ème siècle est une vision typique de l’extrême droite. Si les hommes du 16ème siècle ont inventé les termes « gothique » pour désigner les cathédrales jusqu’alors désignées de « style français » (en opposition au « style roman »), c’est parce que ce style est au 16ème siècle considéré comme barbare (les Goths). Si on donne à la longue période d’un millier d’année qui la précède le nom de « moyen âge », c’est parce que les hommes du 16ème et de jusqu’au 19ème siècle considéraient que durant cette période il ne s’était rien passé. D’ailleurs, le 16ème siècle est appelé renaissance parce qu’on regardait ce millier d’année comme une période sombre, morbide. Autant dire que l’homme « moderne » (il se définit d’ailleurs comme tel) a perdu les clefs du monde d’avant, preuve suffisante pour constater que la civilisation « chrétienne » a bel et bien péri au tournant du 15ème siècle. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’en reste rien. Nous continuons de nos jours d’utiliser la roue, le feu et le monothéisme se réfère à une divinité connue depuis plusieurs milliers d’années sans que nous soyons exactement dans la/les mêmes civilisations que celle/s qui a vu apparaitre le feu, la roue et la divinité du monothéisme.
Par ailleurs, on peut dire, contrairement à ce que Michel Onfray affirme, que notre civilisation est en déclin sans se faire traiter de « réac-pétainiste-nazi » comme il se plait à jouer, en pure produit du terrorisme intellectuel typique de la génération des pseudo-intellectuels de la génération boomers. Le déclin à la Onfray est au contraire une spécialité qui marche plutôt bien, comme en atteste les ventes des livres de Zemmour, Finkelkraut ainsi que les succès électoraux de la famille Le Pen ainsi que la place hypertrophiée du débat sur l’école et « le retour aux fondamentaux », le débat sur « l’islam »… La France se lève, se lave, déjeune, se distrait et se couche dans la contemplation d’un déclin rabaché jusqu’au trognons par des Marianne, des TF1 et des hommes politiques qui l’agitent comme une sorte de chantage pour imposer encore plus de sacrifices sociaux.
Ce qui fait le réactionnaire dans un tel discours, celui de Onfray comme celui des autres, c’est la part de regret, de nostalgie et d’arrangement avec l’histoire pour appuyer son propos et dire comme il le dit ici que notre civilisation va disparaître parce que d’autres vont la remplacer.
Eh bien oui, la civilisation occidentale touche à sa fin. Mais elle touche à sa fin sous ses propres contradictions. Parmi celles-ci, l’usage intensifs des matières premières qui épuisent les écosystèmes, et surtout notre incroyable dépendance à ces matières premières dont tous les scientifiques sérieux perçoivent l’épuisement à un horizon de 30 à 40 ans.
Cela étant, à bien y regarder, cette civilisation qui a réduit le monde entier à des commodités échangées sur les marchés futures de Chicago après avoir tenu une bourse de l’esclavage à Londres et colonisé la totalité des pays du sud, bah, c’est pas tant que cela un mal qu’elle touche à sa fin.
La question qui se pose est quelle est la civilisation dans laquelle nous entrons. Autours de quels principes. Et comment sera t-elle viable dans l’environnement dégradé qui s’annonce et la surpopulation évidente qui va en découler. C’est ce que hurlent dans le désespoir les scientifiques depuis plusieurs décennies.
Alors la vision d’un islam et d’une Chine dynamique qui vont accélérer notre déclin, qu’on me permette de l’écrire comme je le pense: c’est réactionnaire, puisque l’étranger est désigné comme un rival et que cela sous tend que nous n’avons plus de ressors moral (et là, on notera l’histoire rapportée par notre Michel Onfray National d’un jeune homosexuel qui va avoir un enfant grâce à l’utérus de sa mère pour étayer, Michel Onfray visitant pour le coup les égout dans lequel Banania, Zemmour et Soral pataugeaient en l’attendant), et il est bien entendu complètement à la ramasse au sujet des défis qui attendent l’espèce humaine. Comme tous les réactionnaires, Onfray est un ringard, parce que son monde est une chimère reposant d’un passé recomposé n’ayant jamais existé mais destiné à expliquer ses peurs au présent. La peur du cosmopolitisme, d’une civilisation pluri-culturelle, dans une société démocratique et ouverte.
Je jubile. L’année Charlie, les masques tombent. Comme pour étayer tout cela, Michel Onfray fait la couverture pour une interview dans la revue du GRECE (extrême-droite intellectuelle) Éléments (avec une autre interview de Patrick Buisson). Après Finkelkraut samedi dernier sur France-Culture , Onfray, à qui le tour?
Je suis vraiment très fier de n’être ni Charlie, ni républicain, vous savez. Parce que finalement, de Valls à Sarkosy, de Soral à Fourest en passant par Onfray, Finkelkraut et sa copine Renaud Camus, Banania et autres Val, Zemmour ou Buisson, il abhorrent tous la démocratie parce que pour eux, le peuple n’est qu’une masse informe qui a forcément tort et qu’il faut guider, dresser, contrôler. L’idéologie dominante, la bien pensance, ce sont eux. Ils sont les gardes chiourme du libéralisme de marché dans la république autoritaire.
Il y en a qui vont mettre 10 ans à se vider la pensée de la lecture de Finkelkraut, Onfray et consors… Pour ma part, je suis déthatchérisé, j’ai pas un gramme de formol républicain dans le crâne, et je n’ai pas été Charlie. J’ai 10 ans d’avance.
Comme je regrette de ne pas être à Paris le 31 octobre…
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