
Le vieux matou sait très bien qu’il n’a plus beaucoup de temps devant lui parce qu’une partie du temps est déjà derrière
C’est vendredi et voilà le temps qui se fait gris, un typhon arrive, encore un.
Je viens de relire pour éditer mon texte de mardi. Il y avait des coquilles, j’espère les avoir corrigées toutes, j’ai aussi « aéré » la présentation en créant des paragraphes.
Je tiens à ce texte, c’est un des plus entiers et spontanés que j’ai écrits depuis des années. La première partie est sortie d’un jet, la seconde aussi. J’y tiens comme je tiens à lui.
La question qui vous taraude, peut-être, sera de savoir où ça en est.
Tout d’abord, mes amis ont eu une réaction mitigée, c’est normal, ce sont mes amis, et ils ne veulent pas me voir embarqué dans une histoire sans issue. Je les ai rassurés. Ils me font totalement confiance de toute façon.
Et puis j’ai reçu trois remarques identiques, que ce garçon était aimant. Et si je suis parvenu à faire passer ce message, j’aurai réussi quelque chose car en effet, ce garçon est aimant. Et c’est pour cela que même si je le presse, un peu trop peut-être, à me dire ce que je suis pour lui, c’est parce que je ne doute pas non plus qu’il m’aime. À sa façon, avec des appréhensions qui peuvent être la différence d’âge, la peur de s’engager trop rapidement, que sais-je, mais je n’en doute pas un instant. Je suis très égoïste, aussi, et je dois lui laisser sa part, sa place, sa temporalité. Et s’il ne m’aime pas au point de vouloir faire quelque chose avec moi, il en a le droit, et ça n’enlève pas des sentiments.
Quand je suis avec lui, ce qui m’étonne le plus depuis notre rencontre, c’est comment je me sens « entier », je ne cherche pas à prouver quoi que ce soit.
À ses côtés, j’ai son âge.
Ce n’est pas que je me sens jeune, au contraire, je n’ai jamais autant mesuré ce qui nous sépare de ce côté-là, mais je me sens copain. Je peux lui dire ce que je veux, ça ne me fait pas peur du tout. Il se fait sérieux des fois, et puis il sourit merveilleusement d’autres. Je me sens égal à lui. Je ne suis pas du tout un « daddy » comme on dit, même si mon âge pourrait le laisser penser.
Dans ma vie, je n’ai rencontré qu’un seul garçon avec lequel je me suis senti et je me sens toujours comme ça. À cette époque, je n’avais pas compris que ce « truc » que je lui avait trouvé le soir de notre rencontre au hasard du mois de juin 1984, ce « truc » que j’appelais ainsi parce que je ne parvenais pas à le nommer, c’était un vrai crush, et c’était un amour naissant. On est devenus amis, et je n’ai jamais osé penser à cette époque que je l’aimais. C’est la vie, et je ne regrette pas du tout.
Eh bien ce garçon m’a fait le même effet. Je ne m’attendais pas à lui. J’en ai rencontré, des garçons, mais aucun, depuis toutes ces années, n’a fait « pop ». Je vous l’ai écrit, quand je l’ai vu arriver sur le pont rouge à Asakusa, mi-août, j’ai compris que ce « pop » ressenti la première fois où je l’ai vu, ce n’étais pas qu’un « pop ».
Comme je vous l’ai écrit, lui, c’est un chat. Moi, je suis un vieux matou avec la tête remplie de souvenirs, de rencontres, d’expériences, de trucs drôles et moins drôles, comme n’importe quel vieux matou. Le vieux matou sait très bien qu’il n’a plus beaucoup de temps devant lui parce qu’une partie du temps est déjà derrière. J’aimerais beaucoup que ce garçon soit mon dernier amant et mon plus grand amour, avant de le laisser partir vers sa vie tout en ayant construit une complicité et une affection solide comme un roc.
Un copain pédé m’a texté, a trouvé cette rencontre belle (je pense que la beauté de cette rencontre parle plus à des pédés car ils peuvent percevoir immédiatement ce qu’elle a de rare), et je lui ai donc rapporté ce qui s’est passé depuis. Je vous reproduis ici mon (long) message:
« Hier matin, j’aurais aimé me réveiller près de lui, j’étais down, je lui ai balancé la sauce, je te raconte pas. Pas méchant, mais au sujet de Grindr, de son statut, du fait que je ne sais pas où on en est, la totale, et puis aussi qu’il était dans mon blog.
Il a réagi modérément sans nier, m’a dit que c’était trop tôt pour une relation. Etc
Une fois cela fait, j’ai été plus calme. Ça passe ou ça casse.
Il est resté silencieux. Moi, j’étais en mode c’est fini. Ça me faisait du bien en fait.
Le soir, il m’a contacté pour me demander si j’étais chez moi, j’étais dans le train. J’ai pensé qu’il passerait chez moi. Il ne l’a pas fait, ca m’a abattu vraiment.
Il m’a recontacté vers minuit, m’a dit qu’il était passé près de chez moi et qu’il avait pensé s’arrêter.
Il m’a proposé un footing tous les deux. J’ai halluciné, ca m’a… et puis j’ai dit oui.
On a été un peu distant au début, et puis on a un peu parlé en courant. De trucs très banal. Il m’a fait courir 40 minutes. Je n’avais pas fait ça depuis l’enfance!
Il ne m’a pas dit que j’avais écrit des trucs cons, ou des mensonges, ou autre chose. Il a juste pigé que c’était ma façon à moi. Et puis il a pu voir qu’on pouvait courir ensemble. Peut-être aussi il y avait de ça.
Mon pouls a dépassé 160, on a décidé de stopper. On a commencé à parler de trucs. Et puis il m’a un peu parlé de Grindr. En fait c’est vrai qu’il cherche des amis (…) . Il m’a dit que s’il écrivait « single », c’était parce que (…). Je lui ai fait remarquer en riant que c’était Grindr, quand même. Il a souri. Je lui ai dit que vraiment je ne l’espionnais pas, que je l’avais un peu fait et que je m’étais trouvé nul.
Quand on se quitte maintenant, chaque fois c’est lui qui m’embrasse.
Il m’a dit que j’écrivais trop de messages, trop longs. J’ai ri, je lui ai dit que c’était un gap générationel.
Il m’a écrit ce matin. Un message.
Il est parfait pour moi. Totalement. Il est doux et attentionné, moins dans les mots et plus dans les gestes. On flirte. Il veut peut-être vérifier que si on sort ensemble, ce sera pour vraiment faire des choses ensemble, des choses sur lesquelles on sera totalement raccord. Moi, je dois accepter qu’à mon âge, c’est peut-être le passage obligé pour être avec un mec de cet âge. Il ne cherche pas du tout un daddy. Je crois qu’il cherche vraiment un copain. Et moi aussi.
Je l’ai invité demain soir au restaurant. Il n’a pas encore accepté. Mais j’ai vu son sourire quand je lui ai proposé.
C’est le mec le plus tendre que j’ai jamais rencontré. J’aime jusqu’à ce truc d’un jogging de nuit, ou une traversée à vélo. C’est tellement entier.
On verra, moi, j’ai un bouquin à écrire. »
Ce qui traduit le mieux mon état d’esprit depuis ce jogging, c’est la dernière phrase. J’ai un bouquin à écrire. Et je sais que ce garçon est bel et bien dans ma vie, que j’espère que la lecture de mon billet de blog, s’il s’y lance, ne va pas le repousser. Chacun doit accepter l’autre comme il est, n’est-ce pas.
Depuis hier, il se fait silencieux de nouveau. Il n’a pas répondu à mon invitation renouvelée pour ce soir. Je ne vais pas, je ne vais plus l’assommer de messages. Je vais aller à la gym toute à l’heure (aujourd’hui est férié). Il est occupé chez lui aujourd’hui et il est également en congé, peut-être aura-t-il envie de faire autre chose que de venir au restaurant avec moi, et je comprends totalement.
En France, on est beaucoup plus casual, on n’a d’ailleurs pas de mot pour dire « date ». Qu’est-ce que je n’aime pas ce mot, « date »…
À Paris, on va au restaurant, c’est tout, c’est un truc qu’on fait et qui n’engage pas, surtout une première fois.
Peut-être même, d’ailleurs, ai-je une idée différente du mot « relationship ». Pour moi, je suis « in relationship » avec lui. Je ne vois pas d’autre mec, ça ne m’intéresse pas, je veux passer du temps avec lui, mais ça reste un processus assez différent de dire « en couple ». Je me sens « in a relationship » avec lui mais je sais pertinemment qu’on n’est pas en couple.
Cette façon de me dire que c’est trop tôt pour dire qu’on est « in a relationship », cela traduit une différence de perception. Je dois donc l’accepter. Le vieux matou peut faire ça. Je dois donc également comprendre le poids qu’il y aurait s’il me disait soudain qu’il aimerait y être…
Je n’insiste pas, pour ce soir. C’est un peu ennuyeux car s’il se décide à la dernière minute, je ne sais pas s’il sera possible de trouver une table… Mais s’il ne me contacte pas, c’est parce qu’il sait qu’il doit me répondre, donc, je le laisse tranquille. Il m’a dompté mercredi. Je dois l’accepter aujourd’hui.
Me livrer comme je l’ai fait m’a fait beaucoup de bien, et sa réaction le soir a été exactement celle qui va avec mon tempérament.
Ça va être l’heure d’aller à la gymnastique. Le plus beau cinquantenaire de Tôkyô, je vous dit!
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