Entre deux…

E

Il me fait plus beau.

Ce billet écrit jeudi a rapidement été dépassé par les évènements. Je l’ai donc complété progressivement. Je ne sais pas trop si je dois le publier, et puis si. Alors le voilà.

La psychothérapie m’a appris à écouter les jeux de mots. À peine ai-je tapé ce titre que j’ai pensé, non, je vais plutôt choisir « intime », et puis je suis revenu à ce titre, « entre deux ». Entre deux, cela peut être très intime aussi. Non?

« Entre deux », c’est bel et bien la situation où je me trouve en ce moment. Toujours, toujours dans ma vie ce point a été un moment charnière, difficile, là où je courais le risque d’abandonner, de renoncer, de baisser les bras face à l’ampleur d’une tâche. J’ai travaillé sur ce sujet en analyse. Pousser, pousser, et briser cette résignation ancrée très profondément au fond de moi.
Cela restera toujours une lutte.
Parce que cet inconfort se heurte à un autre conflit dans ma personnalité: un manque de confiance, une solidité chancelante. Ma solidité est le produit de ma volonté, de ma volonté d’homme homosexuel qui a cassé le doute et la honte. Elle n’en est pas moins chancelante car ce stigma laisse des traces et il se double de la pauvreté de mes parents, du racisme vécu par mon père et des silences à la maison. Je hais les silences.

Alors oui, quand le vent souffle sur les eaux fortes de l’océan, je doute. Je ne retourne même pas au port, je décide de couler avec le navire de mon existence et je me réveille dénué de tout sur une plage, la même plage.
Au fil des ans, j’ai quand même beaucoup progressé et si je fais naufrage, je parviens à sauver une partie importante de ma cargaison, mais il n’en demeure pas moins qu’à l’arrivée, il faut tout recommencer. Ou renoncer.

Ces derniers mois ont fait que j’y suis de nouveau, entre deux, un entre deux violent, on dirait que c’est toute la création qui me force cette fois à affronter la haute mer. Freud a écrit, je cite en raccourci, qu’une vie équilibrée, c’était aimer et travailler. Je suis assez d’accord avec cela, c’est une définition assez neutre. C’est bel et bien où j’en suis.

Je dois absolument trouver un autre travail, c’est une nécessité. Mais c’est également un souhait. J’aimerais beaucoup travailler près de chez moi, y aller à vélo quand c’est possible et pouvoir rentrer un peu plus tôt, ne plus avoir cette heure de transports à l’aller, cette heure de transport au retour.
C’est une nécessité également car mon école a beaucoup changé, elle est également entre deux, et le directeur, cette fois-ci, n’est plus motivé. Il veut vendre.
C’est une problème, c’est une opportunité. J’ai 57 ans demain, et c’est difficile de se caser à cet âge, mais j’ai également beaucoup d’atouts. J’ai vu défiler des dizaines de candidats dans mon école et je peux l’affirmer sans aucun doute: je suis nettement le haut du haut du panier en terme de présentation, d’aisance, de qualification ainsi que d’élégance. Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de je-ne-sais-pas-trop-comment-les-qualifier qui postulent… Alors pour me vendre, j’ai fait une vidéo en anglais. J’ai de beaux restes et je m’exprime avec aisance.
Je suis véritablement professionnel.
C’est la première fois de ma vie qu’une recherche d’emploi ne m’effraie pas, je l’aborde de façon plutôt offensive. Après tout, j’ai un travail, donc il n’y a pas d’urgence.

Dans une de mes classes « extra » dans une maison de quartier, la direction ne s’y est pas trompée. Depuis dix ans que j’y enseigne l’anglais, principalement à des personnes âgées, ils ont constaté que j’y étais ponctuel, que les étudiants m’appréciaient. Alors ils viennent de me proposer d’ouvrir une nouvelle classe. De français, cette fois. J’y vois une forme de reconnaissance, ça m’a mis de très bonne humeur.
Cet entre deux ne m’effraie pas, j’accepte le changement à venir. Il veut également dire que mon retour en France n’est pas, pour le moment, à l’ordre du jour. Là aussi, c’est clarifié. La pandémie a bousculé mes plans, on s’oriente vers de grosses instabilités. Ici, je suis relativement stable et je préfère construire sur cette stabilité plutôt que tout chambouler pour le moment.

Souvenir

Il y a presque 25 ans, alors que je traversais ma seule et unique période d’exercice physique (en dehors de la natation), où j’utilisais chaque jour durant une heure ces poids que m’avait donnés mon ami Stéphane, je me suis cassé un ménisque. Ce moment a été dans ma vie une véritable rupture (amis analystes, bonjour). Quelques jours auparavant, j’avais rencontré cet allemand absolument magnifique lors d’une traversée du jardin des Buttes Chaumont près duquel j’habitais.

J’adorais les Buttes Chaumont. C’était un lieu de drague assez différent des autres car on n’y croisait pas que des coups de 10 minutes. J’y ai fait de très belles rencontres. C’est là, notamment, que marchant seul un midi durant la grève de 95, j’avais « écouté » cette magnifique chanson de Pulp, Something changed. Je l’avais entendue, je connaissais bien l’album, mais là, dans ce lieu vert et beau, où un simple arrêt nous livre au vent sur les feuillages, au chant des oiseaux, au tragique d’un ciel gris de novembre ou à la transparence de l’air après la pluie, la chanson appelait l’amour, cet autre que le destin nous offre par on ne sait pas trop quel hasard…
Et un jour, on était en 1998, en mars, j’ai croisé cet autre, un allemand de 25 ans qui avait étudié en France et qui préparait ses bagages pour rentrer en Allemagne. On est allés chez lui, on a fait l’amour, je veux dire que ça n’a pas été une baise, je l’ai aimé avec mes doigts, avec les bras, avec la langue, avec ma bouche, avec mon corps et avec mon âme. Je ne sais pas pourquoi je me sentais comme ça, c’était presque comme la première fois, et plus nous nous aimions, plus lui-même était aimant. Nous avons vibré sur la même onde d’amour.
Sur son lecteur, il y avait l’album de Madonna, Ray of Light, qui venait de sortir.

Quand nous avons fini de faire l’amour, nous sommes restés blottis l’un dans l’autre, nous avons parlé. Il m’a parlé de Cologne, sa ville, où il s’apprêtait à retourner. Des élections allemandes que le SPD venait de remporter. Et puis le temps passant, je me suis assis, j’ai enfilé mon tee-shirt, timidement. On était assis l’un à côté de l’autre. J’ai remis mon caleçon, mes chaussettes, et je me suis levé. Il s’est levé aussi, a remis un tee-shirt et un slip. On s’est regardés, on s’est embrassés. Longuement, très longuement, et puis on s’est remis sur le lit, et puis on s’est re-dévêtus, et on a fait l’amour encore plus tendrement. Ce n’était pas une baise, c’était vraiment de l’amour.
Quand nous nous sommes quittés, il m’a raccompagné à la porte, il m’a regardé partir dans le couloir, et puis j’ai entendu la porte se fermer. Et j’ai eu envie de pleurer. J’ai descendu les escaliers. Dehors, j’ai soudain pensé que j’aurais dû lui demander son adresse en Allemagne, ou à le revoir, je ne sais pas.

Je me suis cassé le genoux quelques jours plus tard. « genoux » a alimenté ma séance d’analyse. Le mot venait, revenait sans cesse. Qu’est-ce donc que « je nous »? Et qui est ce « nous »?

Depuis, Ray of Light reste un album avec lequel j’ai un rapport très particulier. Je l’écoute quand je suis triste, que je me sens seul.
Enfin, jusqu’à ce lundi dernier.

Là, je l’ai écouté à la gym, je me sentais triste depuis des jours, des semaines, et puis je me suis retrouvé à l’écouter pour ce qu’il est, et toute ma nostalgie, toute ma douleur s’est dissipée. Plus jamais, peut-être, je n’écouterai cet album quand je serai malade d’amour. Peut-être, car je ne sais pas encore.
En réalité, quelque chose en moi s’est dénoué, et s’est libéré, finalement. Je suis habité par un stress intense dont je vais vous parler, mais pour la première fois, je ne procrastine pas. Je continue mon chemin. Oui, j’ai enfin dénoué plusieurs de ces noeuds que je connais bien. Alors je suis très stressé car je suis seul face à moi-même et à un avenir qui d’un seul coup se trouve infiniment plus ouvert, incertain, mais terriblement excitant. Le miens, et c’est article en est le produit.

Je me suis inscrit à la gymnastique vers le 25 mai, je crois. Quelques jours plus tard, j’ai été contacté sur Grindr, l’application de drague gay.
Lui et moi, cela fait peut-être un an qu’on échangeait des messages de temps en temps. Je l’avais contacté parce que je trouvais quelque chose de sympa sur son profil, et puis il n’avait pas donné suite, et puis il m’avait recontacté parfois, et puis rien. Ce soir là, ce devait être le dernier lundi de mai (il m’a bloqué sur Grindr en juillet, donc je n’ai plus nos premiers échanges, c’est dommage… et puis de toute façon j’ai effacé mon compte), il m’a demandé si je voulais le rencontrer.
J’ai dit « oui ».
Mais il n’y avait pas de photo de lui sur son profil, juste ce truc spécial dont je ne parlerai pas pour garder son anonymat. On sait jamais. Il m’en a envoyé une, il y est à la gym, mais ça restait assez peu visible. On s’est vus dehors, de toute façon.
Son profil disait qu’il était « blanc », je m’attendais à un de ces geeks qui passent leur temps sur leurs consoles de jeux.
Il est arrivé, et j’ai été surpris par sa beauté.

Il est très beau, pas de cette beauté plastique des sites de rencontre, mais d’une beauté simple, méditerranéenne, lumineuse. Il était tard, il faisait bon, ses yeux brillaient à l’unisson de la rivière Sumida le long de laquelle nous marchions. Je me sentais tout timide, moi, trop conscient du poids pris ces dernières années, du manque d’exercice, de l’âge. Ses yeux brillaient quand il me parlait, et toutes mes appréhensions s’effaçaient, je me sentais beau à travers lui. On s’est quittés tard dans la nuit sans même coucher ensemble.
Je suis rentré sans me poser cette question qu’on se pose parfois quand on ne couche pas ensemble la première fois, « qu’est-ce qui s’est passé? ».
On a commencé à échanger sur Line, on s’est revus, mais il n’y a pas eu de sexe. Il se blottissait contre moi, je lui caressais les cheveux, le visage, et il s’endormait quelques minutes.
D’habitude, chez nous, les pédés, on couche vite, mais quelque part, cette absence de sexe m’a fait beaucoup de bien, c’était joli, doux, incroyablement respectueux.

Et pourtant, insidieusement… Je ne vais pas chercher à trouver des explications à l’évolution de la relation en les trouvant dans le rapport à Grindr, je vais plutôt m’attarder sur moi, et en venir à lui.
Lui comme moi avons continué à utiliser Grindr. Moi, j’ai l’habitude de tchatter depuis des années avec des types qui ne m’intéressent pas mais qui sont sympa, et puis il y a certains gars que j’ai rencontrés, on y bavarde, on se revoit de temps en temps.

Avant de rencontrer ce garçon, ma vie était très réglée, et c’est d’ailleurs pour ça que j’ai envisagé la gym. M’occuper de moi, devenir le plus beau cinquantenaire de Tokyo, comme j’appelle ça. Oui, je sais… mais je crois vous avoir déjà dit, je me suis vu l’an dernier, comme dans une vision, et j’étais très beau. Je suis un peu superstitieux…
Bref, je l’ai rencontré au bon moment.

Mais de nos jours, l’addiction aux applications de drague nous détourne de ce qui devrait être la priorité. En fait, si on ne baise pas, la timidité augmente, la gène, la honte et la frustration aussi, et Grindr nous offre le réconfort nécessaire.
Une drogue.
Je n’ai jamais pensé que je ne lui plaisais pas, mais de le voir absolument constamment connecté m’a inspiré une sorte de doute. Pas de la jalousie, non, mais un doute, et si finalement je ne l’intéressais pas… Le même doute qui s’est insinué en lui aussi certainement.
Parfois, il me demandait si je trouvais des mecs intéressants sur Grindr, je disais « non ». Lui, il m’écrivait parfois en language SMS, ou des fois il ne m’écrivait pas durant deux jours. Des Gmorning. Alors je le relançais, enveloppé de doutes.

Pourtant, chaque fois qu’il venait chez moi, il inspectait les alentours comme un chat. Je suis un chat, moi aussi. Et j’adorais sa façon. Il enfilait les chaussons. Une fois, il a voulu essayer un de mes parfums. Il m’a demandé de lui donner une chaîne avec une main de Fatma. La fois suivante, il la portait, il en avait réparé la fermeture.
Il a passé une première nuit. Il s’est blotti contre moi, c’était incroyablement troublant, et beau. Comme s’il voulait me garder.

Au matin, nous nous sommes réveillés, je l’ai regardé, et je l’ai embrassé, et j’ai commencé à le caresser. Je n’étais qu’amour, et je sentais qu’il était là, son corps s’offrait sous ma langue, sous mes doigts. Je n’étais pas du tout dans du sexe, j’explorais son corps, j’en guettais les ondulations, j’entendais sa respiration. J’ai léché son sexe quelques secondes. Je suis remonté lentement vers son cou que j’ai embrassé, et puis je suis allé vers sa bouche.
Soudainement, il m’a renversé sur le dos et s’est mis sur moi, il m’a embrassé, il a léché un téton, il m’a regardé. J’ai été surpris, c’était étrange, si inattendu aussi, je ne sais pas comment dire et… d’un seul coup il m’a rejeté comme une merde et il s’est étendu à côté de moi. Il m’a laissé se blottir contre lui. Et puis il m’a dit que c’était l’heure de se lever.
Il a pris une douche, moi aussi, j’ai cuit des croissants. C’était la première fois depuis longtemps, depuis ma séparation avec Jun, que j’offrais les croissants.

Il m’a demandé si j’étais sous Prep, j’ai dit « non », mais comme il s’apprêtait à partir, je n’ai pas pu lui dire pourquoi, et alors j’ai pensé que ce serait le sujet de notre prochaine rencontre.
Je me suis accroché à cette idée, je n’ai pas voulu penser à ce qui s’était passé dans le lit car c’était la première fois que cela m’arrivait ever.
Si je ne lui plaisait pas, il y avait d’autres façons de me le dire.
J’ai commencé à culpabiliser, à penser qu’il me jugeait par rapport à mon utilisation de Grindr. Qu’il me trouvait laid, vieux, ou tout ça à la fois Qu’il me prenait pour un gros obsédé du sexe. Je me suis presque dégouté, et pourtant, je ne pensais qu’à lui depuis notre rencontre.

On a continué à nous voir, mais je l’ai senti moins « tactile » qu’avant. Et pourtant toujours aussi curieux de moi, me posant des questions sur mes relations notamment. Mais quand nous n’étions pas ensembles, nos échanges par messages étaient de plus en plus à sens unique. J’ai commencé à ramer, je pense que certains de mes lecteurs connaissent et voient ce que je veux dire. Mon utilisation de Grindr a commencé à tourner à l’espionnage, et je n’aimais pas cela, et plus j’espionnais, plus je doutais de moi, de nous. Il l’a remarqué, il m’a bloqué.
Et puis on se voyait, et mes doutes s’évanouissaient.

Autrefois, les choses étaient plus simples. On se rencontrait, et puis on se revoyait. Tout ce qui pouvait se passer ne regardait pas vraiment l’autre, on pouvait donc dérouler la relation tout doucement. Très vite pourtant, il m’a titillé à propos de Grindr, et chaque fois je lui ai répondu qu’il y passait beaucoup de temps., que moi je n’y rencontrais personne Il m’a toujours répondu que c’était pour chercher des amis.

Je ne veux pas mettre ce garçon en cage, je veux un amour entier, sincère, franc, et s’il décide de ne pas voir d’autres mecs, je veux que ce soit de son fait, pas à ma demande. Je m’en fiche, qu’il rencontre d’autres mecs, enfin, pas vraiment, mais en fait, si.
C’est la première fois que je suis totalement dans cette disposition dans ma vie. Quand on aime une personne, et je suis amoureux, on la prend comme elle est, et on voit comment les choses se passent.
Avec amour et tendresse.
Je regrette de l’avoir traqué sur Grindr. D’un autre côté, je ne savais pas vraiment ce qu’il cherchait. Il me plaisait, sa beauté, sa douceur, son sourire, sa gentillesse. J’adorais particulièrement sa douceur, cette façon qu’il avait de se coller à moi dans le sofa, cette façon qu’il avait presque de ronronner… Cet épisode, la nuit, restait un mystère qui a commencé à me hanter en toile de fond.
Cela mériterait une conversation.

De mon côté, si je suis allé très peu à la gymnastique en juin, mais j’ai continué et j’y suis allé de plus en plus souvent. J’y ai passé de plus en plus de temps, j’ai repris mon alimentation en main, j’ai perdu du poids, je me sens beaucoup mieux, plus vif.
Je me sens engagé.
J’avais pris la décision d’aller à la gym avant de le rencontrer, mais je ne sais pas, notre rencontre a été comme une confirmation de cette route, celle d’être le plus beau cinquantenaire de Tokyo. Je vais à la gym malgré ce sentiment d’impasse dans laquelle je suis avec lui, et cela me perturbe. J’ai repris ma route, quoi qu’il arrive.
J’aimerais juste prendre cette route avec lui.
Je lui ai écrit de plus en plus souvent, des bonjour, des bonne nuit, des comment ça va, des comment était ta journée, des comment était ton weekend. Ses réponses se sont faites de plus en plus lapidaires, avec des abréviations.

Le rameur

Je suis parti à Kyôto avec Jun, comme toujours. Pour la première fois, j’ai pensé que peut-être mes prochaines vacances seraient avec ce garçon, et j’ai pensé que si cette histoire marchait, il me faudrait le présenter à Jun.
Il m’a demandé la semaine dernière pourquoi depuis ma rupture je n’avais pas eu d’autre petit ami. Je n’ai pas su quoi répondre. J’y ai repensé depuis: en fait, je n’ai jamais rencontré un garçon qui vaudrait la peine d’être présenté à Jun. Et j’ai compris que lui, je pourrais.

On s’est vus à mon retour. Il est arrivé, sur le pont rouge à Asakusa, et quand je l’ai vu arriver, j’ai pensé que c’était lui, « c’est lui ». J’ai compris que j’étais vraiment amoureux. On s’est promenés, j’ai pris des photos de lui.
On est allés chez moi après, il a été incroyablement doux. Il est parti travailler à la dernière minute.

J’ai fini par mettre mes sentiments sur le tapis, ses réponses étaient étranges. Il m’a bien confirmé qu’il avait eu des sentiments pour moi mais qu’il n’était pas parvenu à saisir les miens. Il y avait un mur entre nous dans ses réponses. On a longuement échangé ce soir là, c’était lundi la semaine dernière, et puis on s’est vus le mardi soir, une longue traversée dans Kôtô, il avait oublié quelque chose, je crois. Il m’a posé des questions, mais en roulant à vélo, c’était étrange… et très beau à la fois.
Je nous ai aimés, tous les deux, roulant l’un à côté de l’autre ou l’un derrière l’autre.
On s’est vus jeudi soir, il est resté dormir. Il a été très aimant, il s’est blotti contre moi.

On ne s’est pas vus depuis (billet écrit jeudi, on s’est vus vendredi). Les échanges par message sont toujours aussi bref de sa part, il est toujours sur Grindr: j’ai supprimé mon compte Grindr à la mi-août et j’ai donc créé un compte d’espionnage, pas de photo, pas de profil, gps aléatoire, sans trace. Lundi, il m’a menti, il m’a dit qu’il avait répondu tard car il s’était endormi. Ce n’était pas vrai.
Mardi soir, je me préparais à aller à la gym, il m’a contacté presque pour me dire qu’il était libre, je lui ai répondu, faisant demi-tour sur mon vélo et renonçant à la gym, et il m’a répondu 30 minutes plus tard, « je veux te voir aussi, mais ça va être difficile, désolé ». J’ai répondu que c’était dommage, demandé quand on pourrait se voir, il a répondu qu’il ne savait pas mais qu’il me répondrait quand il serait libre, bsoir. À 4 heures et demie du matin.

J’ai supprimé ce compte d’espionnage. J’ai traversé des montagnes d’une profonde solitude, une profonde tristesse. Et puis lundi, à la gymnastique, j’ai compris que je m’égarais, mais que cet égarement avait été salutaire car il m’avait permis de simplifier le problème car jamais, à aucun moment, je n’ai éprouvé de colère à son égard, et je me suis aperçu que malgré tout, c’est une vraie relation, que nous avions.
Plus de trois mois, quand même…
La question étant de savoir si c’était une relation qui me convenais et que je pourrais continuer dans ces conditions.
Je pensais que nous pourrions y aller lentement, lui, visiblement voulait aller vite. Et puis il y a ce truc qui est arrivé, cette fois, au lit, dont j’ai compris que c’était ce qui avait changé mon comportement., me faisait souffrir.

Il m’a jeté d’une façon très brutale (pas violente, juste à ce moment là, en plein rapport sexuel, c’est très violent, humiliant), et non, je ne le méritais pas. Personne ne mérite ça. Ce truc m’a empêché de lui dire que j’étais séropositif, qu’il était le premier garçon que j’aimerais présenter à Jun, et que je l’aimais suffisamment pour ne rien réclamer, que j’étais prêt à vivre quelque chose avec lui s’il était prêt et s’il le désirait, et que s’il ne le désirait pas, je ne lui en voudrais pas.

J’avais envie de lui parler vraiment, après notre dernière rencontre, mes idées ont fusé, envie de dire tout, tout ce que je viens d’écrire dans ce billet de blog. énorme stress, pensées bouillonnantes.
Et puis à la gym, lundi, mes pensées se sont faites de plus en plus claires, de plus en plus douces à son égard. Je voulais avoir une longue conversation, lui dire tout ça, et lui dire que finalement j’avais trois options.
Le laisser tomber et retourner sur Grindr.
Continuer comme ça, mais en me réservant l’option de rencontrer quelqu’un d’autre.
Et la très improbable décision de cesser de lui écrire et d’attendre qu’il me contacte, de venir vers moi, d’apprendre à m’envoyer des messages plus affectueux, s’il tenait à moi.

Car je ne doute pas un instant qu’il tient à moi. Pourquoi maintiendrait-il notre relation au point de nous voir régulièrement…

Il y a eu nos deux derniers échanges, le mensonge du lundi soir, la réponse zapée du mardi, j’ai supprimé mon compte espionnage. Je passe à autre chose dans ma vie, je sors un peu de l’entre deux. Et j’ai d’abord choisi d’attendre qu’il me contacte. Je ne lui ai donc plus répondu mercredi.

En fait, je suis totalement incapable de concevoir de coucher avec un autre mec, c’est comme ça… Je pense qu’il vaut la peine de lui faire confiance. Il y a deux trois choses dont je dois lui parler, je n’en ai pas eu l’opportunité.
C’est bête.
Peut-être il ne pense pas à moi, peut-être il va penser que je ne veux plus le voir, auquel cas cela veut dire qu’il n’y a pas de confiance de sa part, et que je ne sortirai jamais du rameur.
Je suis amoureux. Je lui ai dit. Il le sait. Il peut lire ces messages que je lui ai écrits depuis des mois, ces messages qu’il ne faisait que parcourir ou survoler à force de tchatter ailleurs ou de faire autre chose. J’espère qu’il va bien. Je sais qu’il n’est pas si heureux que ça, qu’il doute, qu’il ne sait pas trop. Il me l’a dit.

Il me fait plus beau.

Alors voilà. Je suis bien dans un entre deux. Entre nos derniers échanges et de possibles nouveaux échanges. On verra. J’espère juste avoir été doux comme il l’aimait, et je sais que je l’ai été. J’espère avoir été honnête autant que je le pouvais, même s’il y avait des choses à dire et que les circonstances ne s’y sont pas vraiment prêtées. J’espère qu’il tient plus à moi qu’il ne le soupçonne lui-même, et je pense qu’il y a un peu de cela. On est partis sur un très bon pied, après tout. Je lui fais confiance, et accepter l’entre deux, c’est accepter aussi qu’il ne me contacte plus, ou qu’il me contacte.

Je suis dans un entre deux car pour la première fois j’ai envisagé très sérieusement un au delà de Jun. Ce garçon a été entier. Il m’a dit qu’il était méfiant, que sa dernière relation avait été un veritable échec. Moi, je crois avoir été marqué par la brutalité de Nori (pour ceux qui se rappellent de ce pervers narcissique qui m’a vraiment fait du mal) et donc avoir préféré « contrôler » et savoir où nous allions. Et je regrette vraiment de ne pas lui avoir dit pour mon statut VIH, ça aurait été plus clair. Mais vraiment, ce truc au matin, quand il m’a jeté, ça a créé une sorte de blessure que je n’ai pas perçue sur le moment. Elle est toujours là, il pourra peut-être la cicatriser, ou je devrai faire le travail seul. Mais ça va.

Je suis dans un entre deux professionnel. À tous égards. Ma séparation d’avec Jun a été néfaste pour l’écriture, j’ai recommencé à cacher mes sentiments sur ce blog, quelle bêtise.

Ce garçon a réveillé mes sens.
Du bout des doigts, je vous raconte cette relation étrange et fragile que lui et moi avons avons tenté de réparer comme on a pu, car je ne doute pas un instant qu’il a lui-même essayé.

Notre dernière soirée, on s’est tiré les tarots. Oui, je sais…
On a fini par se poser la question de l’un pour l’autre. Son tirage était plutôt bon, le miens prévoyait un parcours tortueux. Il a mis beaucoup d’efforts pour m’expliquer que ce serait dur mais qu’au bout j’y arriverais, « it will be okay ». On a beaucoup ri. Le matin, j’ai parlé de sexe, du fait qu’on ne baisait pas, de baisers., du fait qu’il ne m’embrassait pas de lui-même, de caresses, du fait qu’il avait cessé de me caresser. Il a été très tendre.

Un entre deux à la gym, enfin, que j’incorpore de plus en plus dans ma vie comme un moment particulier, un rendez-vous avec moi-même.

Voici que s’achève ce billet très intime comme je sais que certains d’entre vous les apprécient. Ce soir, je vais aller à la gym, comme tous les jeudis soir. Et je me demande si je ne vais pas lui envoyer un bonsoir. À tout hasard. Je suis incroyablement calme quand à cette relation, je crois qu’en l’écrivant j’y vois très clair.

Addition aujourd’hui, mardi 20 septembre

Je lui ai finalement écrit un bonsoir, le jeudi soir, et nous avons échangé, et il m’a dit qu’il passerait peut-être le vendredi matin. On a donc aussi échangé le matin suivant, je ne savais pas trop s’il passerait, il était hésitant, paresseux me disait-il, mais de lui avoir écrit la veille au soir avait été une bonne idée.
Je n’avais plus peur de le perdre, je n’avais plus peur de rien du tout, je ne pensais plus être « entre deux », j’étais arrivé à bon port. Les mots allaient venir, simple, sans aucune crainte aucune.
J’étais simplement très amoureux…

Et puis oui, il est passé. J’avais préparé un café, j’étais sur l’ordinateur en train de commencer à mettre ce texte en page, j’ai reçu son message. Je l’ai aperçu par la fenêtre. Je suis allé lui ouvrir la porte et en le voyant je me suis senti une extraordinaire familiarité avec lui. Le mur était cassé. Il a le plus beau sourire du monde.

On a bu un café, et puis il a parlé de backgammon, et puis de tarot. On s’est tiré les cartes.
Et puis je l’ai attiré à moi, il s’est mis la tête en creux dans mon épaule, et j’ai commencé à parler. Les mots se sont déroulés, simples. Cette histoire dans mon lit, l’incroyable violence que j’avais ressentie, le sentiment de honte, de salissure. Je lui ai dit que personne ne méritait cela, et qu’il ne devrait jamais refaire cela, ni à moi, ni à personne d’autre.
Il ne se souvenait pas, m’a-t-il dit, que la brutalité que j’avais ressentie venait de sa force. Vous verriez comment il est foutu… J’ai insisté, il s’est tu et a fini par me dire qu’il regrettait ce mal qu’il m’avait fait, mais que vraiment, ce n’était peut-être que de la fatigue de sa part. Il m’a répété plusieurs fois ses excuses. Je crois qu’il a compris que cela avait changé mon rapport à lui, m’avait fait douter.

… et que cela m’avait retenu de lui dire que j’étais séropositif.

Il m’a écouté, il m’a posé des questions, il m’a parlé d’un ex qui lui avait caché sa séropositivité ou qui peut-être n’en savait rien. M’a posé des questions sur les traitements, sur les risques de contamination. Il s’est assis, s’est fait sérieux, m’a demandé les circonstances, comment j’avais réagi à cette annonce. J’étais incroyablement bien, je lui répondais. Une distance nous séparait, j’ai frôlé son doigt et l’ai caressé, il m’a caressé le doigt, et puis il a fini son café, je l’ai attrapé encore, et il s’est blotti encore plus près au creux de mon épaule et m’a serré contre lui, il a continué à me poser des questions.
L’heure a tourné rapidement, j’ai dû partir au travail. J’aurais aimé ne jamais me séparer de lui. Au moment de nous séparer, il m’a embrassé pour de vrai. C’était un vrai baisé. Et il m’a accompagné jusqu’au métro.
On s’est écrit dans l’après-midi.

Et ce weekend la distance est réapparue. Un message de sa part samedi après-midi vers 6 heures. J’étais avec Jun, on allait au restaurant pour mon anniversaire. Toute la soirée j’ai pensé à lui, au fait que je dinais avec mon ex quand le moment appelait cette intimité particulière. Et je n’ai pas arrêté de penser que je voulais le voir. Ce soir là. D’être avec lui, de lui donner du temps, mon weekend.
Aucun message dimanche non plus. J’ai commencé à m’inquiéter. On s’était quittés bien le vendredi, il était souriant, l’échange l’après-midi et le soir avaient été des échanges normaux.
Il était proche.

J’ai pensé qu’il avait peut-être besoin de temps, qu’il en avait sûrement besoin, qu’il avait sa vie, qu’il avait peut-être même une relation pas très claire, pas clarifiée, je ne sais pas, voire qu’il faisait partie de ces garçons qui ne peuvent plus décoller de Grindr au risque de ne plus penser à la réalité.
C’est sa vie, et je l’accepte totalement et il n’y a aucun sacrifice de ma part. Il est incroyablement doux avec moi, je sais qu’il tient à moi, il sait ce que je ressens pour lui, et c’est à lui de faire ou ne pas faire le pas qui fera de nous deux amants. Il est entre deux, moi, je suis déjà à ses côtés.

Lundi était férié, et là encore il n’y a pas eu de message de la journée. J’ai recréé un compte espion Grindr (pas de photo, un âge bidon, aucune information), mais là, j’ai constaté que, les heures passant, il ne se connectait pas. Et ça m’a inquiété. Je sais, c’est bête, mais je préfère le savoir sur Grindr ou avec un autre que pris dans un accident ou malheureux.

Et puis finalement le soir il m’a répondu, qu’il avait été mal tout le weekend. Je lui ai demandé pourquoi, il n’a rien répondu. Il a été assez distant, je me suis presque senti coupable. Ça, s’est toxique… Mais bon je ne rentre pas dans ce jeu. Il m’a demandé si le restaurant avait été bon. M’en voudrait-il d’être allé au restaurant sans lui, avec Jun? Est-il jaloux?
Alors que nous échangions, j’ai vérifié sur mon compte espion. Et bien entendu, là, il était de retour sur Grindr.

Fait-il partie de ces garçons qui rencontrent des mecs sur Grindr et qui ne peuvent pas le dire, qui culpabilisent, surtout s’ils aiment quelqu’un? C’est comme ça qu’il s’est fait larguer de sa précédente relation, m’a-t-il dit. Est-il dépressif? Bipolaire? Lui inspirerais-je de la peur, peur de ne pas être à la hauteur? M’aime-t-il simplement pour des cuddles de temps en temps mais pas autre chose? Pourtant, vendredi en le quittant, c’est vraiment de l’affection que j’ai senti. Son Grindr dit qu’il est « célibataire », qu’il cherche « une relation, des amis, un coup rapide », il y a ajouté un album photo qui n’existait pas.
J’ai eu son âge, je sais ce qu’on fait sur ces applications. Je sais aussi qu’on s’y perd, qu’on passe à côté de trucs bien.

Je reste avec cette question à laquelle je n’ai pas de réponse: qui suis-je pour lui. On se voit deux fois par semaine, il parcourt une vraie distance pour me voir, il me donne du temps. Et chaque fois, je sens que c’est fragile. Je peux donner mais je ne comprends pas le mur entre lui et moi, cette incapacité à s’ouvrir. À me dire qui je suis pour lui…

Hier soir, je lui ai proposé de nous voir ce soir. « Le typhon arrive ». Je lui ai demandé à quelle heure il finissait vendredi, que je voulais sortir quelque part avec lui.
Je voudrais célébrer mon anniversaire avec lui. Silence durant des heures… « Je te dirais, je ne sais pas vraiment », qu’il a répondu plus tard. Moi, j’étais déjà au lit… J’ai écrit bonjour ce matin, je lui ai écrit en rentrant. Aucune réponse. Il est sur Grindr, par contre.
Je vais re-déconnecter ce compte espion. Je l’ai créé ce weekend car j’étais inquiet, ce silence était inexplicable après cette heure passée ensemble vendredi en fin de matinée. Et sa sécheresse depuis l’est encore plus.

Alors que je termine ce long billet, je reçois un message.. Il pleuvote et la température a baissé… Je lui répète que ma proposition est toujours valable. On verra la suite…

Pour le moment, cette relation ne me pèse pas, au contraire, même si je suis rempli de questions et que je ne vois pas trop ce qu’il attend de moi (on se voit deux fois par semaine…), j’aime sa compagnie quand on se voit. Ce qui m’ennuie n’est pas qu’il soit sur Grindr, c’est cette façon de ne pas pouvoir voir où nous allons, ce sont ses échanges froids, distants, comme si quand je lui écrivait ça le gavait…
On verra.

Voilà, vous savez où j’en suis. Dans quelques minutes, j’aurai 57 ans. J’aurais aimé me lever près de lui demain matin. Et j’aurais aimé pouvoir être sûr de le voir ce vendredi pour passer une soirée ensemble.

Il en sort cet article, et de cette relation, hormis le fait que je continue de m’occuper de moi, que je suis parvenu à passer toutes les appréhensions que j’ai toujours eu à parler à quelqu’un que j’aimais sans me sentir ridicule comme je l’ai ressenti toute ma vie, ce qui est beaucoup et montre que l’affection que l’on a pour quelqu’un peut être un réel outil, j’ai retrouvé le goût de l’écriture, j’ai même renoué avec des intuitions d’écritures que je croyais enfouies parce qu’il m’a libéré de la contrainte de « rechercher un mec ». Cela mérite de ma part cet effort que je fais, je l’espère pendant suffisamment de temps pour qu’il se décide enfin à s’ouvrir enfin.
C’est un garçon bien dans le fond. J’espère qu’il se verra beau en moi comme je me vois beau en lui. Et puis sinon, ben… Je serai triste, mais c’est la vie.

Commentaires

  • Toujours autant de plaisir à lire tes romans de vie. Celui-ci relève déjà plus du difficile exercice du Journal impressionnante introspection el japo🎶
    J’espère de beaux dénouements, en attendant tu nous as mis en attente de la suite hein😘

  • Merci d’exister.
    Ton texte est un cadeau un don un baume. On se sents bien en le lisant.. Apaisée
    Ton écriture même est un acte d’ amour.
    C est peut être une des raisons qui m ‘ ont fait aimer ton blog.
    Tu es toi même bon et bienveillant.
    J aime tes écrits personnels. Vrai entier sans fard. Heureuse de voir que des noeux se dénouent. Que certaines peurs disparaissent.
    Je te souhaite tout le bonheur du monde comme dit la chanson.

    • Ton message me touche beaucoup. Je te remercie du fond du coeur d’avoir pris le temps de lire.
      J’aime partager ce qui me touche et me remue, j’ai mis du temps à apprendre à me raconter, c’est parfois difficile mais j’aime cela, et j’ai progressivement compris au fil du temps que mes lecteurs et lectrices retrouvaient leurs propres sentiments, et j’aime ce sentiment de partage, ce sentiment d’être ensemble.
      Bises.

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