Il n’y a pas de gauche sans horizon démocratique, et une gauche qui se nourrit des bavardages républicains sans s’apercevoir que même l’extrême-droite s’est convertie à la république n’est pas une gauche, c’est une droite honteuse qui, comme nous le voyons désormais, présente toutes les caractéristiques de la droite autoritaire avec des relents de néo-conservatisme américain, le côté religieux en moins, peut-être, tradition catholique gallicane oblige, parce que la république et « ses valeurs » ont remplacé en France les mantras évangélistes chers aux Tea Party.
La musique est pour moi ce que la madeleine était à Proust. Un son, une mélodie, quelques paroles d’un opéra ou d’une chanson me transportent ailleurs. C’est un trait de ma personnalité qui s’est construit durant mon enfance, c’était ma façon de m’évader, de me construire un ailleurs.
Vous avez lu, ou vous n’avez peut-être pas lus, mes deux articles « réinventer la France« . Deux ans pour mettre noir sur blanc cette remise à plat, une série d’intuitions mal pensées, maladroites, il me fallait me débarrasser définitivement de cette couche de crasse laissée par mes quelques années passées au PartiSocialiste, il y a bien longtemps, mais qui laissent des traces et sont comme des béquilles bancales qui empêchent de penser.
Je suis, je reste un réformiste, je crois l’avoir toujours été, mais pour autant je ne suis pas un niais, j’ai aussi toujours pensé qu’il n’y avait pas de réforme possible sans un mouvement venu du fond de la société.
Cette dictature de la pensée appelée « république » (je ne parle pas de république réelle, je parle de cette espèce de bobine usée qui tourne en boucle depuis quelques années) est tout ce dont j’ai toujours eu horreur, elle est même, en réalité, tout ce dont la gauche a toujours eu horreur. J’y reviendrai dans la conclusion de ces deux articles, mais disons pour résumer qu’après avoir passé plus de 150 ans à se battre pour imposer la forme républicaine de gouvernement à une droite trop souvent tentée par le bonapartisme, le royalisme, le pétainisme et les coups de forces dont le dernier remonte à mai 1958, la gauche a fini par perdre de vue que pour elle la république n’était qu’un outil lui permettant d’avancer sa propre frontière à une société forcément oligarchique, d’espérer et de construire la démocratie. En 1848, la gauche ne se disait pas républicaine, mais démocrate et socialiste, et cette appellation suffisait amplement à un Karl Marx qui ainsi pouvait distinguer la revendication républicaine, forcément bourgeoise puisque se contentant d’oligarchies, à la revendication d’une démocratie réalisée, forcément sociale, « La Sociale », comme on a continué à le dire pendant si longtemps.
Cette espérance d’une démocratie réalisée à longtemps été l’horizon de la gauche et même de l’extrême-gauche comme la lecture des écrits de Rosa Luxembourg ou de Léon Trotsky nous le rappelle. C’est cette espérance qui a nourri la contestation de cette gauche républicaine et autoritaire, le Parti Communiste. C’est cet espoir qu’a su comprendre et détourner François Mitterrand pour construire le Parti Socialiste. Ce n’est pas un hasard si dans la foulée de 1981 nous avons eu sur la France un véritable vent de liberté. Cela n’a rien à voir avec Mitterrand, mais c’est simplement que des années de militantisme dans la société dans une vision démocratique des transformations ont soufflé sur la France et permis de bouger des lignes.
Il n’y a pas de gauche sans horizon démocratique, et une gauche qui se nourrit des bavardages républicains sans s’apercevoir que même l’extrême-droite s’est convertie à la république n’est pas une gauche, c’est une droite honteuse qui, comme nous le voyons désormais, présente toutes les caractéristiques de la droite autoritaire avec des relents de néo-conservatisme américain, le côté religieux en moins, peut-être, tradition catholique gallicane oblige, parce que la république et « ses valeurs » ont remplacé en France les mantras évangélistes chers aux Tea Party.
Dans ce fatras idéologique qui voit la gauche totalement laminée idéologiquement, il est difficile d’avoir un discours heureux, optimiste. Or, il n’y a pas de gauche sans optimisme. C’est la certitude de changements possibles qui fait la gauche, la vraie. Regardez ces ouvriers danser en 1936, ces résistants danser en 1944, ces millions de grévistes imaginer un autre avenir en 1968, et cette foule se précipitant place de la Bastille en 1981. Il est difficile d’envisager l’Europe dans un pays qui se regarde le nombril en pensant que sa forme de gouvernement, la république, autant dire une banalité, suffit à « incarner » l’alpha et l’omega de toute chose quand vue de loin la France n’est plus qu’une puissance ringarde tout juste bonne à produire des inégalités sociales, à autoriser le blocage des sites internet sans décisions de justice, à « nettoyer » les camps de Rroms en en blessant au passage, à « nettoyer » ses statistiques de chômage pour éviter d’en compter 6 millions, à interdire des manifestations, à mener des opérations militaires aléatoires qui n’enrichissent que les marchants d’armes privatisés et se soldent en général, comme en Libye, par des guerres civiles qui justifient d’autres interventions militaires, tout ça pour aboutir à ce que la photo finale qui passera dans la presse internationale ne comprenne même pas le président français, et que ce soit la chancelière allemande qui donne son opinion.
Elle est belle, la république… Elle est devenue l’instrument d’une mise au pas des libertés acquises et des droits sociaux obtenus en plus de 100 années de luttes par une gauche qui ne voyait en elle que l’outil par lequel la démocratie avancerait. Elle est désormais la fin de toute chose. Toute velléité d’organiser la société sur ses propres revendications est assimilée à du communautarisme, la gauche utilise aujourd’hui les mêmes termes que la droite à l’époque où François Mitterrand promettait de donner du pouvoir aux régions, des droits aux homosexuels, renforcer les droits des femmes, légaliser les sans-papiers. Il faut bien avoir en tête que ce programme n’était pas le programme de Mitterrand, mais c’était le résultat d’années de luttes régionales, des homosexuels, des femmes et des premiers mouvements de travailleurs immigrés qui s’étaient imposés comme conditions à remplir par le candidat pour être élu.
Il n’y a pas de gauche possible sans société civile forte, autonome, sans mouvements qui revendiquent sur leurs propres bases, et c’est au politique de traduire cette autonomie en politique. Cette autonomie de la société sur le politique, c’est l’exercice même du pouvoir, c’est convaincre son voisin, parce que je le connais, il me connait et c’est la meilleure base de discussion. Regardons la situation ridicule de ces femmes voilées à qui on veut bientôt interdire de travailler avec un voile, d’aller chercher leurs enfants à l’école. Dans un pays qui s’apprête à relaxer un violeur célèbre, dans un pays où la différence de salaire entre hommes et femmes avoisine les 30%. Dans une démocratie réelle, c’est unies, voilées ou pas, que les femmes avanceraient leur agenda, à commencer par, qui sait, une peine de prison pour les patrons qui ne respectent pas l’égalité salariale. Cette laïcité tant rabâchée et mise en avant comme le b-a-ba de la république n’est qu’une diversion. Nous sommes sommés de mettre notre destin entre les mains de politiques… Joli résultat…
J’ai donc commencé à écrire ces deux articles « réinventer la France » le jour même de l’attentat à Charlie Hebdo, deux jours après être revenu de vacances; tout était clair dans ma tête, cohérent, et même la forme, à savoir recréer une époque à travers l’utilisation de sa musique. Car s’il y a bien un moment où la France a commencé à penser « démocratie », c’est bien la décennie 80. Quand en effet je lie « gauche » et « démocratie », je fais un rappel basique sur ce qu’est la gauche, en France. La gauche, c’est quand en 1789 s’est posée la question du véto royal (le roi pourrait-il s’opposer à une loi votée par l’assemblée): ceux qui ont dit « non » se sont rangés à gauche. Il y a la l’origine du combat démocratique: la séparation des pouvoirs ne justifie pas qu’une personne non-élue s’oppose à la volonté du nombre. Les implications de cette lecture sont immenses et on y trouve l’origine de la revendication de démocratie sociale, d’autogestion, de démocratie directe, de nationalisations… Quand une entreprise prend la décision de délocaliser, sa décision « individuelle » a des implications sur toute la société. Il n’y a pas de gauche réelle sans horizon démocratique, il n’y a pas de démocratie possible dans la délégation du pouvoir. La vraie séparation des pouvoir, c’est l’autonomie de la société et du pouvoir politique.
À la fin des années 80, alors que la version autoritaire du socialisme s’est effondrée, on a commencé à envisager le monde avec une incroyable liberté. Ce n’était pas une idéologie constituée, mais beaucoup d’intuition. Nous avions notre magazine, c’était L’Autre Journal de Michel Butel. Une sorte de deuxième gauche en réinvention d’elle même, trempée dans le pluri-culturalisme, le rêve d’un monde multi-polaire où les différentes zones de civilisations dialogueraient et échangeraient d’égal à égal sur le modèle d’une Europe inventée sur le modèle démocratique, divisée en trois fédérations, Ouest, Mid et Est, avec des zones extra-européennes ouvertes, scandinave, euro-méditerranéenne, encourageant les autres espaces à suivre ce modèle, le grand Maghreb, un espace Afro-Maghrébin… Ça semble délirant de raconter cette vision d’un avenir possible, mais il y avait, à la fin des années 80, une gauche, ma gauche, qui regardait, espérait le monde comme ça. On avait compris que la crise n’était pas un passage, mais simplement la réorganisation du capitalisme et une amorce de son inexorable déclin. Nous imaginions donc des scénarios autres, démocratiques c’est à dire respectant la volonté des peuples, du local vers le global, en faisant du métissage, comme de la démocratie non pas la fin mais le moyen d’une réinvention globale car nous savions que le 21ème siècle s’annonçait comme une épreuve monumentale en terme environnementaux, démographiques et économiques.
La guerre du Golfe a en France sonné le glas de l’avantage que cette idéologie non-formulée, embryonnaire, ayant digéré Marx et Lipovetsky dans une improbable synthèse, pouvait avoir sur les décombres du communisme « réel » et d’un capitalisme alors en pleine restructuration. La guerre du Golfe en a révélé le caractère utopique. Utopique parce qu’on ne bâtit pas du mieux avec des mots. La démocratie est un combat, elle est une lutte.
J’ai donc écrit sur ce tournant de 1990 (« réinventer la France« ) parce que c’est de là qu’il nous faut reprendre, mais avec tout ce que nous avons appris entre temps sur notre défaite. Pour renouer avec cet esprit heureux qui nous manque aujourd’hui.
La république autoritaire triomphe: la démocratie est une idée neuve.
En 1990, c’est Vanessa Paradis, notre nouvelle Brigitte Bardot réinventée par Gainsbourg et Mondino, qui passait en boucle dans les cafés…
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