Le Blog de Suppaiku, journal bloggué de Madjid Ben Chikh, à Tokyo.

Il était un petit blog…


Greyge! Chérie, j’ai tout fait en gris, en brun et en beige avec une touche de bordeaux, c’est très chic

Oh la la, ça fait deux mois que j’ai rien écrit sur ce blog… J’y suis venu, j’ai opéré quelques modifications, j’ai changé l’image du calendrier du mois mais rien, rien, je n’ai rien publié. Ce n’est pas faute d’avoir écrit, c’est plutôt celle d’avoir trop réfléchi. Je veux passer à la vidéo, j’adore ça, mais je ne veux pas le faire n’importe comment, je veux le faire à ma façon, et puis je veux bien le faire, et puis… voilà, vous voyez ce que je veux dire quand j’écris que je réfléchis trop.
Cela étant, c’est ce qui m’a poussé à faire des choses que je voulais faire depuis un moment, voire très longtemps.

Tout d’abord, j’ai finalement repeint mon salon, les murs sont maintenant impeccablement blancs. Avec mes meubles repeints dans les couleurs De Stijl, je suis résolument sorti du « greyge », ce truc qui nous envahit et nous pourri les yeux avec ses allures de respectabilité bourgeoise, « ma chérie, j’ai tout fait en gris, en brun et en beige avec une touche de bordeaux, c’est très chic », le niveau zéro, quoi. Non, mes murs sont bien blancs, les couleurs des étagères contrastent, les bord du bureau se détachent visuellement, ma table de salon s’impose fièrement. Ce n’est pas bariolé, c’est juste incroyablement vivant. Avec des couleurs, j’ai comme le sentiment d’être sorti des années 2010 et même des années 2020.
Ce n’est pas terminé, je dois m’occuper de mon sofa à qui je vais imposer le même traitement. Et puis mettre, enfin, des photographies au mur. Mon salon sera alors le reflet de ma personnalité puisque quasiment tout sera le produit de mon propre travail. J’aime bien.
J’ai également redisposé les meubles, mon bureau borde la fenêtre sans que j’y fasse face, c’est très bien. Les murs étaient de couleur crème, le blanc diffuse désormais une lumière franche, pleine.

Et puis j’écrivais un billet de blog (que je dois corriger puis publier) sur Moonlighting, la série des années 80. Un long billet, mais alors que je tentais de définir le personnage de David Addison (Bruce Willis), je suis tombé sur un problème: je me référais à Ayn Rand dont je ne connaissais que des interviews et la philosophie mais que je n’avais jamais lue. J’ai donc avalé les 1200 pages de Atlas Shrugged (La grève, 1957), ce long pamphlet libertarien/ ultra néolibéral, un roman finalement très bien construit qui se lit un peu comme La nouvelle Héloïse: un roman philosophique où une histoire sert de prétexte à exposer une conception de l’humanité, des humains… et de la libre entreprise.

Le démocrate socialiste que je suis ne peut pas être insensible à certains aspects de la pensée de Rand. Et pourtant, c’est bel et bien une pensée profondément réactionnaire dans le sens où le « créateur d’entreprise » est présenté comme un être d’exception, presque élu, seul créateur de valeur et de richesse, de progrès. Impressionnant le nombre de personnages aux cheveux blonds dans ce roman…
L’idée de société est balayée au profit d’une somme d’individus égoïstes en compétition les uns avec les autres pour le profit – supposé – de toustes. L’idée n’est pas neuve, elle était exposée déjà par Voltaire dès les années 1730 (« le vice privé fait la vertu publique »).
Ce qui toutefois marque à la lecture du roman, c’est un profond désir de liberté individuelle, et cela est quelque chose qui est au coeur du socialisme dès le début du 19e siècle. Il y a juste que les conclusions sont diamétralement opposées.

Montesquieu à ce sujet m’a nettement plus instruit que Ayn Rand, cette vipère ayant participé aux purges anti-syndicales des années 40, à la chasse aux sorcières à Hollywood, avant de développer dans ses conférences, dès les années 50, une rhétorique racialiste, inégalitaire, répressive et antisociale… au nom de la liberté. Elle a par exemple théorisé l’idée que les natifs américains n’avaient aucun droit sur leurs terres du fait qu’ils ne l’avaient jamais réclamée avant que les européens n’y arrivent, étendant cet argument aux palestiniens ou à d’autres peuples victimes de colonisation.
Pour elle, la terre appartient à celui qui la réclame et la déclare sienne, faisant de la conception européenne de propriété le seul étalon valable, et encore, quand je dis « européenne », je devrais dire « bourgeoise » car pour tout dire, jusque la révolution française, la France « n’appartenait pas » aux français, elle appartenait à Dieu qui en faisait délégation au Roi de France! Bref, selon Rand, quiconque aurait pu l’envahir et la réclamer en prétextant que l’inexistence de toute divinité invalidait le titre du Roi sur le territoire.
C’est ce qui a été fait aux Amériques, et c’est ce que Rand justifie…

Une vipère, je vous dis. Mais il n’en reste pas moins que Atlas Shrugged est un des livres les plus importants du 20e siècle. Jobs, Gates, Zuccherberg, les Tea Party, Reagan, Thatcher et l’aile droite du Tory, le Parti Républicain depuis les années 1990, les néo-évangélistes, toutes et tous se sont réclamés et se réclament encore de Rand qui est devenue LA référence de la révolution conservatrice néo-libérale. Et le cinéma, depuis les années 70/80, abonde de héros randiens (elle a elle-même travaillé à Hollywood comme scénariste dans les années 30/40 et avait compris que le cinéma était un moyen important de lutte contre « le communisme » et « l’état »). Et pour tout dire, à sa mesure, David Addison est un prototype de héros randien, à une échelle simple, presque quotidienne.
J’ai donc lu Atlas Shrugged… Et je décode bien mieux Zemmour.
Je suis également en train de lire, enfin, La République Moderne, de Pierre Mendès-France. Je n’en connaissais que quelques morceaux, le livre est passionnant et il décrit très bien le régime illibéral qui se met en place avec Emmanuel Macron, ce en quoi il est contenu dans l’architecture même des institutions de la 5e république ainsi que dans le régime d’inégalités qu’il défend. Il est aussi un véritable plaidoyer pour ne pas séparer la question du socialisme de celle des institutions, condition fondamentale pour établir un régime qui allie égalité et liberté. Je n’ai pas terminé la lecture mais je pourrais presque dire que l’échouage idéologique qui caractérise le parcours de Michel Rocard tient précisément dans son total dédain pour la question institutionnelle.
La clé, c’est bel et bien les institutions, et ce qui ressort de ma lecture pour le moment, et c’était précisément mon avis avant (ma référence a toujours été Montesquieu … et non Mélenchon), c’est que la multiplicité des espaces de pouvoir sont la garantie d’une société de liberté. J’aurais presqu’envie de dire que le principale échec de la révolution Russe, c’est de ne pas avoir avant tout posé la question institutionnelle, en développant un état sensé représenter les Soviet alors que la clé aurait dû bel et bien être de développer un état démocratique avec un parlement, un exécutif, une justice, une administration ET des soviets, tous indépendants et légitimés, pouvant exercer leurs prérogatives et limiter l’empiètement des autres pouvoirs. C’est d’ailleurs une critique formulée par Rosa Luxembourg pour qui la question démocratique était indissociable de la révolution elle-même.
Je lis ce livre car il me semble qu’il est LE livre à lire si on veut reprendre la main. J’écrirai à ce sujet. J’ai plusieurs textes en chantier, et chaque fois que je bute sur une question, j’y travaille, je lis, je rechercher et me documente.
J’aime bien.

Pour ce qui est de ma vie, ça va plutôt bien. De plus en plus de soucis d’argent, je dois vraiment être très prudent, mais cela ne m’empêche pas de vivre. C’est même une motivation supplémentaire pour écrire, lire.
Je suis allé quelques jours à Kyôto il y a une semaine, ça a été un break très nourrissant, une coupure avec l’hiver, avec le covid (je veux dire l’époque covid), avec les soucis d’argent et de travail. J’en suis revenu plus concentré sur ce que j’ai à faire, même si je ne sais pas très bien par quel bout commencer. C’est ainsi que j’ai fait la peinture de mon salon et réagencé mes meubles. C’est un début comme un autre.
Je continue d’aller à la gym, en moyenne trois fois par semaine, mais comme tout augmente sauf mon salaire qui diminue, je vais devoir changer de salle, hélas, pour une salle moins coûteuse. Pas de SPA, pas de piscine, mais bon, ni l’un ni l’autre ne se sont avérés nécessaires. Le principal est de continuer, d’autant que j’aime bien. Des fois, je ne pense qu’à une chose, m’arrêter au bout de 5 minutes, et puis finalement, je continue et je sors deux heures plus tard, satisfait. J’ai une bien plus grande vitalité qu’il y a un an, j’ai perdu du poids, gagné des muscles, c’est vraiment positif.
Je m’aperçois en écrivant que j’ai écris plusieurs fois « j’aime bien ». Ce pourrait être mon motto en ce moment. J’aime la direction dans laquelle je suis engagé. Je ne sais pas trop où elle me mène (si ce n’est mes 60 ans dans trois ans), mais j’aime bien, aussi, me familiariser avec l’inconnu. Ça me rajeunit.
Il pourrait y avoir plusieurs pistes possibles pour démarrer, mais finalement, en y allant à l’inspiration, j’en ai déjà fait plusieurs. La gym, la peinture, et même Atlas Shrugged, j’avoue, ça a été des moments importants. Alors que je peignais les murs, je n’avais qu’une envie, arrêter, saisi par une sorte de découragement parce que les linteaux sur les murs n’étaient vraiment pas faciles à éviter, et puis finalement, j’y suis arrivé. Mieux encore, comme il restait de la peinture, j’ai repeint l’entrée et les toilettes. Pour la gym, chaque fois c’est un peu une victoire avec moi-même.
Et Atlas Shrugged, 1200 pages, j’ai plusieurs fois voulu abandonner, notamment ce long discours du personnage qui sert de fil au roman, plus de 50 pages de propagande libertarienne vengeresse… Mais j’en suis venu à bout et je suis donc désormais l’un des très rares français de gauche à avoir lu Ayn Rand. C’est un énorme atout, et ça confine au tragique tant finalement je constate que sa vision du monde est aujourd’hui complètement dominante, même chez des gens qui se pensent de gauche.
Bref, je suis en mouvement et je ne vais pas tarder à partager ce très long article sur Moonlighting. J’ai également des articles politiques mais même si je les poste ici, je les dédie à un autre site.
Dehors, il pleut.

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Commentaires

Une réponse à “Il était un petit blog…”

  1. Bonjour el Japono,
    Toujours autant de plaisir à te lire.
    Bravo pour cette énergie que tu transmets.
    Bises
    Jami
    PS : les livres ne sont pas une marchandise comme les autres🔥

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