2.5° le matin

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Prunier ume en fleur

Je me souviens, enfants, des paysages, là-bas, il y avait des haies, on y cueillait des mûres, on s’y cachait.

7 heures 20. Il va neiger aujourd’hui. On est en plein coeur de l’hiver. Ici et là, on entrevoit les premiers signes du printemps qui vient, fleurs de pruniers, camélias, cerisiers précoces, mais cela reste timide encore car ce sont des fleurs d’hiver après tout. Février, c’est un mois étrange, le plus court de l’année, mais qui semble s’étirer dans l’hiver à n’en plus finir.
À Tokyo, l’hiver est plutôt beau, avec de beaux ciels au bleu profond et cette lumière du soleil affûtée et tranchante dans le froid sec qui gerce la peau. Les arbres sont décharnés. Il y a quelque chose d’agressif, de glacial dans les paysages où les branches semblent presque découper l’azur, le déchirer. Je m’y suis habitué.
Au début j’aimais beaucoup ce temps ensoleillé de l’hiver, et puis je l’ai détesté. Je suis beaucoup plus mesuré maintenant. Je lui préfère simplement l’été, ou même le printemps, à moins que ce ne soit l’automne. Tout, sauf cette saison décharnée qui n’en finit pas, incapable du tragique triste de nos paysages pluvieux dans le gris interminable de l’hiver parisien, avec ses chaussées comme des miroirs sous la pluie. Paris est tragique en hiver, tragique à se tirer une balle dans la tête, à en finir avec une interminable dépression dont on ne saisit pas bien les causes quand elles sont évidentes.
Temps de merde!
Non, ici, il fait beau, et pourtant le vent glacé et sec vous déchire les mains et les arbres semblent morts à tout jamais. Ce n’est pas tragique, c’est cruel. Alors, on attend le printemps, ses cerisiers et ces premières feuilles au vert éclatant sous le ciel bleu d’avril.
Ben non, on ne l’attend pas tant que ça, le printemps, parce qu’il a fallu reboiser après la guerre, et en vitesse parce qu’ici, on a tout reconstruit à la va-vite, il en a fallu, du bois, alors on a planté du cyprès et du cèdre, beaucoup de cèdres, énormément de cèdres, et les cèdres ont grandi, et quand le printemps enfin vient nous délivrer de l’interminable hiver, on commence à avoir le nez qui coule, des maux de tête, les yeux qui rougissent, on doit prendre des médicaments pendant un mois, deux mois, on doit éviter de faire sécher le linge dehors – surtout les draps, sous peine de passer deux jours entre vomissements, maux de tête et rhinite.
Le printemps tourne au cauchemar, et chaque année, ça empire car les arbres grandissent et la saison des pollen se prolonge. Pour moi, même si ce n’est pas la pire allergie dont je souffre, c’est environ un mois comme ça et se gaver d’antihistaminiques, on ne peut pas dire que ce soit spécialement bon pour la santé…
Il y a bien des projets de couper les arbres et planter d’autres variétés, mais au Japon, on préfère construire des aéroports au milieu de nulle part ou des centres commerciaux. Ça me fait doucement sourire quand j’entends des japonais me dire qu’ils aiment la nature tant ce pays a été bétonné, abimé par l’avidité, la corruption et l’égoïsme stupide d’une population réduite à l’état de consommateurs béats.
Bon, j’écris ça, mais la France n’est pas mieux placée.
La dernière fois, en me promenant à pieds dans la campagne de la Sarthe, j’ai découvert ces immenses hangars moches qui servent de façon interchangeables d’entrepôts, de centres commerciaux ou de supermarchés « express », en périphéries des petites villes ou au milieu des champs, avec leurs parkings géants, leurs ballets de camions et de consommateurs. Ça fait comme des balafres dans le paysages.
Je me souviens, enfants, des paysages, là-bas, il y avait des haies, on y cueillait des mûres, on s’y cachait. Il ne reste plus que de vastes champs entrecoupés de routes qui mènent à ces constructions moches qui un jour seront abandonnées, ne laissant derrière elles qu’une désolation grise qui ravira les photographes urbains, « trop cool, j’aime les friches industrielles ».
Ben ici, c’est comme ça, mais à la puissance 1000, parce que les français sont rebels, ils se révoltent, des fois, alors les politiques et les bourgeois ne peuvent pas toujours faire comme ils veulent. Pompidou et ses amis promoteurs voulaient faire passer une autoroute en plein Paris sur le canal de l’Ourcq, les habitants les en ont empêché. Le quartier Grenelle, le quartier Place des Fêtes, le centre de Paris et les bords de Seine n’ont visiblement pas mobilisés, ils ont été démolis.

Il faisait 2,5° quand j’ai commencé à écrire, il va faire froid, aujourd’hui.
Cette nuit, j’ai fait un rêve bizarre dont j’entr’aperçois un sens. Les rêves parlent. J’étais à la campagne, chez ma mère. Je savais qu’elle venait de sortir de l’hôpital, alors je l’attendais chez elle. C’était bien rangé. Donc, ce n’était pas vraiment chez elle… Mais bon, c’était chez elle. Je ne comprenais pas qu’elle ne soit pas là. Et puis, un livreur est arrivé, il a livré du pain. Je lui ai demandé s’il savait quand elle viendrait, il m’a répondu qu’il ne savait pas. Et puis finalement mon frère, qui lui m’a dit qu’elle avait bien quitté l’hôpital mais qu’elle était maintenant ailleurs, dans un centre de repos, et qu’un de mes cousins était avec elle.
Progressivement, mon rêve s’est dissout dans l’impression de sommeil, et je me suis réveillé comme enveloppé dans ce rêve, comme si je ne voulais pas m’en arracher, alors, je l’ai emmené avec moi et je me suis levé.
Fatigué d’abord, car il était seulement 5 heure 40, et puis finalement je n’ai pas tardé à émerger, la conscience de ce rêve encore très présente. J’ai déjeuné tranquillement, et puis j’ai commencé à écrire ce billet.
J’ai fait un rêve d’absence, et plus que de l’absence de ma mère, c’est de ma propre absence que j’ai rêvé, ce qui m’a guidé vers ce billet sans même vraiment y penser.
J’ai longuement écrit, hier, mais c’était autre chose. Un travail un peu long que je prépare et sur lequel je vais revenir après avoir publié ce billet. Mais j’ai eu envie de me retrouver après cette très longue absence. C’est peut-être elle, d’ailleurs, qui m’a rappelé toute à l’heure que je devais renouveler l’hébergement de ce site. J’avais encore trois semaines devant moi, mais je l’ai fait.

Ces trois dernières années, ma situation financière s’est dégradée, pas d’un coup, mais petit à petit, insensiblement.
En 2020, j’ai beaucoup perdu mais je suis parvenu à garder la tête hors de l’eau car au niveau de mon travail principal cela restait relativement stable, et puis c’est devenu de plus en plus précaire, j’ai vu mes quelques économies fondre.
Je n’ai pas réduit mon train de vie et me suis juste contenté d’ajuster, confiant dans une amélioration, mais je suis maintenant dans une situation très précaire. Cela soulève beaucoup d’interrogations, et le renouvèlement de mon titre de séjour, loin de m’apaiser comme c’était toujours le cas jusqu’ici, a augmenté les doutes et le sentiment de nécessité de changer des choses, de changer tout, de tout remettre à plat.
Il neige aujourd’hui, et je repense à Théophile Gautier,

Mars qui rit, malgré les averses,
Prépare en secret le printemps.

On est en février, certes, mais je sujet est bien l’hiver, cette saison durant laquelle la nature, loin de vraiment dormir, se transforme et se prépare. Tous les cerisiers portent déjà leurs bourgeons, petits certes, mais bien là.
C’est un peu moi en ce moment.
C’est peut-être un des principaux bénéfices de la gymnastique, ce travail en dedans, sur la durée, et j’en sens des effets dans tous les aspects de ma vie. Je dois m’y mettre comme je m’y suis mis, même si c’est ingrat au début.
Ce n’est donc pas un hasard, si j’ai fait ce rêve d’absence, cette nuit, après avoir longuement écrit hier. Au fond de moi, l’idée de continuer, de ne pas me poser de questions, et de faire ce que j’ai choisi de faire.
Et je vous avoue, le truc que je prépare est le truc le plus casse-gueule que j’ai jamais préparé, et puis comme c’est guidé par l’écriture (mais pas seulement), ce sera le fil qui me conduira vers d’autres projets. C’est en tout cas ce à quoi je pense depuis quelques temps sans m’y mettre, en y pensant beaucoup, et que j’ai démarré hier. J’ai longuement pensé, j’ai jeté le plan d’un premier texte et commencé l’écriture.
Le défi est de l’écrire d’abord, de le terminer bien qu’il s’agisse d’un travail en 8 parties, de l’éditer puis de le publier, texte, audio et vidéo. Autant dire qu’il s’agit d’un vrai travail. Le deuxième défi, c’est de ne le publier que quand j’aurai commencé l’écriture du texte suivant car il s’agit d’un projet de podcast/vidéo, ce qui nécessite un travail sur la durée.

Vous me direz, ça ne résout pas les problèmes professionnels et financiers.
Oui… Mais en réalité, ce sont eux qui depuis quelques mois m’ont paralysé. Dois-je ne pas faire ce que je désire faire parce que la priorité serait de chercher un travail, sachant que chercher un travail est une activité à temps plein, qui absorbe, alors que j’ai toujours un travail qui me permet, tant bien que mal, de vivre, tout en m’offrant le temps nécessaire pour faire autre chose?
Il y a un moment, il faut décider, et j’ai décidé. Je sais que c’est un peu risqué, mais je ne vais pas me précipiter de ce côté là. Les choses vont évoluer dans mon école. Je garde mes trois classes supplémentaires et j’ai une nouvelle classe en mai qui va m’apporter un extra, donc il n’y pas le feu.
Et le truc que je prépare, cela fait longtemps – deux ans? trois ans? – que j’y pense en le retournant dans tous les sens, et je pense que là, c’est bien mûr, que je le « vois ». Et comme je l’ai écrit plus haut, c’est un fil qui me guidera vers d’autres trucs au fil du temps. Je me suis surtout résigné à ce que ce soit un exercice solitaire.

Dehors, il neige. Je me suis levé de bonne heure, il est 8 heures 40 et je vais publier ce billet. Cet après-midi, je pars de chez moi vers 2 heures et demie, j’ai donc encore beaucoup de temps devant moi, du temps que je n’aurais pas si je devais travailler plus, du temps que j’ai pour travailler pour moi. Et pour vous. Du temps pour être présent, là où je dois être, à ma place.

Il neige, je n’ai pas du tout envie de sortir!

Commentaire

  • Bonjour Madjid
    Celà fait un moment que j’ ai quitté les réseaux sociaux. Plus de twitter Instagram LinkedIn…. Je n’ y reviendrais sans doute pas ou pas avant longtemps. Celà m’a causé beaucoup d’ ennuis très sérieux
    Un moment aussi que je n’ ai pas visité ton blog.
    Et bien je viens de te lire là et c’ est toujours très réconfortant. Comme retrouver un vieil ami qu’ on a pas vu depuis longtemps. Un ami bienveillant et accueillant.
    Je me souviens de t’ avais remercié d’ exister et bien aujourd’hui encore plus.
    C’est toujours un plaisir de te lire.
    Lecture fluide et douce comme un ruisseau qui coule. J’ai l’ impression que tu es près de moi et que je te connais bien. Bien sûr je m’ y retrouve et je me sent moins seule comme tu me l ‘a écris lors de ta réponse à mon premier commentaire . Mais je crois que c »est aussi une immense gratitude qui es née avec act up. Et je t’ associe avec le act up de l’ époque. Chaque année il y avais un sidaction. Toujours les mêmes à l ‘antenne. Des hétéros blancs. J’étais adolescente. Un soir vers la fin de l’ émission, aux alentours de minuit soudain on a entendu un groupe de jeunes hommes homosexuels taper du pied et crier en boucle »toxico oubliés,toxico assassinés » j’en ai pleuré. Abondamment. On parle de nous on existe on nous aime on est solidaire de nous et c’ était la première fois . Quand je dis nous c est mes voisins les frères de mes copines…. Les habitants du ghetto…
    Cette scène est resté intact dans mon esprit. Gravée pour toujours
    Affectueusement.
    PS: Hâte de lire le roman de ta vie et le regard que tu portes sur tes parents ton frère tes amours tes enmerdes😉 tes états d âme ……

    Ce texte est personnel
    N est pas destiné à être publié.

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