Le Blog de Suppaiku, journal bloggué de Madjid Ben Chikh, à Tokyo.

Faire le deuil de cette année


Ligne Den’entoshi, 14:05, vendredi 2 décembre. C’est décembre, les températures sont désormais plus fraîches. Aujourd’hui aussi, le ciel est gris, il a plus ce matin. Poids inchangé.

Je prends cette ligne de métro tous les jours de la semaine, du mardi au samedi pour aller travailler. Le trajet est long, mais il est simple : je n’ai qu’un changement, et celui-ci consiste en un escalier à monter ou descendre. Je porte le masque dans le métro : de plus en plus de gens font ainsi, il y a pas mal de rhumes/ grippes / pneumonies qui traînent. Me concernant, j’ai de vagues courbatures depuis quelques jours, pas de fièvre heureusement ni de sommeil agité (malgré le cauchemar que je vous racontais hier, mon lit n’était pas en désordre et je n’avais aucune sueurs, ouf!

En revanche, les vacances, dans trois semaines, sont les bienvenues. Vraiment. Cette année encore, Kyôto. Je n’en ai pas vraiment les moyens (donc, je me rationne de plus en plus), mais j’en ai besoin. Cette année a été éprouvante, longue et rapide à la fois. J’éprouve un besoin de revenir sur ce que nous avons traversé depuis quelques jours. Cela peut paraître étrange, mais ce cauchemar me révèle que ce n’est pas réglé, que je dois mettre définitivement cet événement dans le passé, mais que pour le faire, j’ai besoin de revenir dessus une bonne fois pour toutes, le pire étant que je sais pertinemment que cette expérience à de fortes probabilités de se reproduire…

La catastrophe de Fukushima est d’un autre ordre, le désarroi des population également, c’est l’aspect politique, et ce désastre nucléaire n’a rien à voir avec le séisme, contrairement à ce que les médias continuent de dire. Bien sûr, c’est le séisme qui l’a causée, mais ce sont avant tout des chaînes de décisions, des mensonges et des dissimulations sur des dizaines d’années qui sont avant tout responsables. Quelle idée, construire des réacteurs atomiques sur des failles actives, en envisageant un séisme moyen quand depuis les années 80 les sismologues avaient envisagé, statistiques et études à l’appui, la possibilité d’un séisme majeur d’une magnitude supérieure à 8.

Bref, catastrophe mise à part, c’est sur ce que j’ai vécu entre le vendredi 13 au matin et, disons, le lundi 21 au soir, que j’ai besoin de revenir. Je n’aime pas l’idée d’avoir des souvenirs comme enfouis dans ma mémoire, j’ai besoin de mettre la main dessus, de pouvoir en parler. Je me méfie de ce qui est caché, car c’est la porte ouverte à beaucoup de peurs, à la panique en cas de catastrophe. Je sais que j’ai réagi parfaitement quand le séisme à commencé. Mais je me souviens avoir presque paniqué quand nous avons eu une forte réplique début avril. Revenir sur ces deux semaines est donc pour moi primordial. Si vous tombez sur ce billet et que vous aussi avez vécu ces deux semaines incroyables, sentez vous libre de me laisser un commentaire.

Nous n’avons pas eu de thérapie de la catastrophe, nous avons du gérer notre stress. Puisque décembre est au Japon le mois où on fait le ménage, où on nettoie tout, où on tâche de rembourser ses dettes afin que la nouvelle année commence pour le mieux, la plus propre possible, je veux, je désire moi aussi en finir avec ces jours de folie, de peur, d’incertitude. Je vais vous saouler avec cela, eh bien tant pis, mais il le faut. Je ne peux pas comme ça continuer à me mentir et à vivre comme si rien ne s’était passé.

Je veux me souvenir de tout, d’absolument tout. Ainsi, 2011 s’achèvera vraiment, car je pourrai me souvenir de toute l’année, depuis janvier, dans son déroulement continue. Je veux me souvenir de qui j’étais quand j’arrivai à l’école le vendredi 11 mars, que je m’arrêtai à la boulangerie Kobeya à la gare de TamaPlaza, que j’y achetai deux baguettes de campagne, que j’y bavardai avec cette vendeuse originaire du Kansai, près du lac Biwa.

Je ne sais plus ce qui s’est exactement après, ou plutôt si, mais je veux l’écrire puisqu’il s’agit d’un événement désormais clos, terminé.

 Ligne Tôzai, station Kudanshita vers 22:20. Un suicide, encore un, et j’attends mon train. À quelle heure vais-je rentrer?

De Tôkyô,
Madjid

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Commentaires

2 réponses à “Faire le deuil de cette année”

  1. Pour vous dire que j’ai vécu tout ça aussi…ce désarroi de la 1ere semaine, les yeux rivés sur le lustre pour vérifier que la terre avait encore tremblé ou si c’était mon corps qui hallucinait…vous dire aussi que la peur que j’ai ressenti et cette proximité de la mort sont inscrites à jamais en moi et qu’aucun « ménage » ne pourra les éliminer ni donner l’illusion que l’on pourra revivre comme avant, comme si rien ne s’était passé…mettre la poussière sous le tapis ne sert à rien…savoir qu’elle existe et vivre avec…enrager, hurler, pleurer de colère devant tout ce gâchis, cette perte…un deuil encore qui s’ajoute à celui de cette fin d’année.
    Merci pour vos articles !

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