Earthquake reload, work in progress

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Je vous disais que je voulais revenir sur la journée du 11 mars, la remettre en contexte, en faire un peu plus de l’histoire, un peu mieux mon histoire, et non un moment à part qui crée un avant et un après. Pour y parvenir, je possède un document exceptionnel : ce blog. J’y ai rapporté, à chaud, ce que j’ai vu, vécu ce jour là, mais plus intéressant, j’y trouve également les jours d’avant, hélas, pas suffisamment régulièrement, mais assez pour avoir une idée de mon état d’esprit avant que la catastrophe n’arrive. Et bien entendu ce qui se passa après, ce que j’en pensai et comment je le vécus.
La meilleurs base pour un tel travail est donc un « reload » de la journée pour en faire non plus une journée, mais un support et, aurais-je envie de dire, une œuvre d’art. Je n’hésite pas à employer ce mot, n’y voyez pas de prétention. Pas œuvre d’art, j’entends un travail qui va nécessiter l’emploi de toutes les ressources et tous les savoirs faire que je maîtrise afin qu’il soit original, unique, non comparable. Qu’il soit beau ou pas, intéressant ou pas est, en revanche, le dernier de les soucis. Nous dirons donc que j’ai besoin de le faire. Point.
C’est la première fois que je travail directement sur mon blog comme sur une source. Si pour vous il y aurait quelque problème à l’utiliser comme une source historique fiable (mon témoignage est, comme tout témoignage, forcément subjectif et ne peut constituer une source principale, à la limite, une illustration, une saveur), il constitue au contraire pour moi un allié fidèle car sa relecture réveille les souvenirs, les précise et je peux donc, à mon aisé, commenter, corriger, illustrer, relier à d’autres textes écrits sur le sujet. En ce sens, il est, pour moi, une source principale pour évoquer « mon » onze mars, non pas comme une journée, mais comme une période. Ce travail terminé, je pourrais finir l’année tranquillement et passer à autre chose.
C’est un travail d’autant plus intéressant que justement, ce matin, alors que j’étais profondément immergé dans un rêve dont je ne me souviens plus, je me suis réveillé avec un sentiment étrange et, justement, la maison était en train de bouger assez fortement. Je n’ai pas eu vraiment peur, car c’était une secousse « douce », sans cette espèce de tactactac du vrai tremblement de terre. Cela étant, j’entendais bien la vibration souterraine. Il faut en effet avoir vécu un séisme pour comprendre qu’il ne s’agit pas d’une maison qui bouge, mais d’une sorte de vague en profondeur de la terre, qui roule et passe sous vous, faisant vibrer, bouger, secouer tout ce qui vous environne. Un peu comme s’il s’agissait d’un rouleau compresseur d’une taille variable, sous terre, qui tachait de faire son chemin coûte que coûte. Je l’ai bien ressenti, et malgré la brièveté de ce séisme ce matin, une trentaine de secondes, malgré sa force « toute en douceur », le fait de bien sentir ce « roulement » m’a fait comprendre que ce n’était pas loin : c’était la péninsule de Boso, c’est à dire le sud de Chiba, ce morceau du Pacifique qui rentre dans l’île principale de Honshu et provoquera selon toute vraisemblance le prochain gros tremblement de terre.
Donc, avec ce « work ni progress », je veux laisser une trace intelligente, c’est à dire pensée et non ressentie.
Un éditeur m’avait proposé d’éditer mon blog sous forme d’ouvrage, quelque chose qui partirait, ou arriverait au 11 mars, par exemple. Hormis l’immensité de la tâche, ce qui m’a posé problème est la « problématique », et je n’ai pas trouvé, ce qui me navré et m’ennuie car cette proposition était et généreuse, et intéressante. Mais si j’écris mon blog comme on tient un journal, je ne conçois pas une publication brute, j’ai besoin d’avoir une idée centrale. Beauvoir, ma référence, a publié ses mémoires à partir de son journal, mais elle a totalement retravaillé le contenu, et elle avait quelques objectifs : justifier des choix politiques, raconter les différentes époques qu’elle a vécue et comment elle les a vécu, expliquer, justifier et « fabriquer » Sartre. Au final, une incroyable source documentaire bien plus riche que ses correspondances et carnets publiés depuis. Qu’elle ait souffert pour Algren n’a pas d’importance et qu’elle ait presque songé à tout quitter pour le rejoindre en Amérique non plus. Parce qu’elle ne l’a pas fait, c’était une hésitation intime. En revanche, la rupture avec Camus, la guerre d’Algérie, le récit de l’Amérique sont eux bien plus importants, ils ont une portée universelle car ils expliquent des choix, une façon de penser le monde qui peut être est encore d’actualité.
Mon blog est, comme ses carnets, un travail intime, un instantané du moment, et j’ai donc eu du mal à trouver un angle. Le séisme ne peut être un événement polarisant, en tout cas, ce n’est pas mon approche. En revanche, être capable de travailler sur le séisme lui-même, être capable de me relire, quelque chose que je ne fais jamais, me semble plus intéressant. Car la vraie question est la suivante : pourquoi m’a t’il fallu 9 mois pour être capable de revenir sur un événement marquant de mon existence, où plus de 25.000 personnes ont péri, où une région entière à été rasée par un des plus puissants tsunami jamais enregistré, engendrant par la suite une catastrophe atomique d’une ampleur elle même inégalée, ALORS QUE J’Y SUIS. Voilà la bonne question. Je veux comprendre le mécanisme de l’oubli, de l’intériorisation. Je veux réveiller les fantômes de ce moment particulier de ma vie. Pour qu’ils partent à jamais.
Ce « work ni progress » s’appelle donc EARTHQUAKE RELOAD, et il sera disponible sur ce site dans un onglet à part.
Le samedi 12, mon blog commençait ainsi :
C’est samedi matin. À Tôkyô, le calvaire est terminé. Plus au nord du Japon, ça continue. Je suis dans le métro, je suis fatigué par l’interminable randonnée d’hier soir, et je crois que je n’ai pas encore eu le temps de réaliser. Je crois que c’est comme ça après chaque grand choc…
De Tokyo,
Madjid

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