Période Pelleport, 1997. Siouxsie est encore jolie. Amaigrie et certainement malade, mais encore jolie. J’aimais la prendre en photo, un exercice banal de mise au point : ouverture maximale pour « flouter » le plus possible, isoler cette tête, ce « visage ». Elle se prêtait au jeu avec patience…
Tôkyô, Japon, novembre 2006. Depuis hier soir le temps défile sous mes yeux. Visages et lieux. Siouxsie ma chatte, qui m’a accompagné pendant près de 15 ans avant de disparaître, malade, souffrante, malheureuse. J’ai ressenti en la revoyant sur la fin de sa vie la même souffrance en moi, la même blessure que quand elle mourût devant moi. Je m’en souviens comme si c’était il y a 2 minutes. Elle avait comme d’habitude été faire ses besoins et comme d’habitude avait vômi… Je la voyais pourtant continué à chercher quelque chose, à tourner. Elle s’est mise sous un meuble, j’ai voulu l’attrapper elle a soufflé très timidement. Alors je l’ai attrappée, ai préparé un coussin sur le canapé et je l’ai caressée. J’ai compris que c’était la fin, je crois que nous avons pleuré tous les deux. Sa petite vie s’est éteinte doucement, organe par organe jusqu’à ce qu’elle ne respire plus. J’étais épuisé. J’ai pleuré. Je ne me suis jamais senti aussi seul qu’à cet instant, je n’avais jusqu’alors jamais regardé ni la maladie ni la mort ni les êtres comme je l’ai fait à ce moment là. Siouxsie…
En Siouxsie était renfermé un pan entier de ma vie. Je n’ai pas tardé à faire mes bagages, à partir. Il y a eu Londres, puis Paris de nouveau, et puis mes premiers voyages au Japon et ce départ pour plusieurs années, toujours qui sait…
Mes photos ne sont pas des chef d’oeuvres, je n’ai jamais cherché ce résultat. Elles sont des traces, traces de mes promenades, traces de nos bavardages et de mes rencontres, du temps qui a passé (j’utilise sciemment l’auxiliaire « avoir »). Mes amis et moi même y vieillissons sans nous en appercevoir, sous mes yeux.
J’ai simplement, comme naguère quand j’écrivais tant, omis de montrer, de développer, d’exposer, de révéler. Le choc est immense.
Période post-Londres, Bonne Nouvelle. Je mitraille en me balladant à vélo. Cela va durer jusque 2003. 2003… Paris va progressivement ne plus m’intéresser, et ma vie avec… Pourtant, la nuit, un peu saoûl, à vélo, en revenant de chez Nicolas et en bifurquant par le Pont Alexandre III, que de plaisir à retrouver cette lumière, ces murs… L’ombre d’Asnières… En quittant Asnières, je ne me rendais pas compte à quel point je quittais un endroit où j’avais été heureux.
Paris ne m’est jamais parue aussi belle que depuis hier soir. Jamais Tôkyô ne m’offrira ces coucher de soleil, en hiver, au dessus des invalides, quand la Tour Eiffel qui pointe au delà de Saint Dominique s’illumine et donne à Paris son centre de gravité. Paris, Lumière du Monde… Et ces rues que je retrouve au gré de ces promenades que je reconstitue, intactes en ma mémoire, ces rues mystérieuses chargées d’histoire visible.
Je scanne depuis ce matin, j’attends le pluie qui, parait-il va finir par arriver. J’ai scanné 5 films… Ce soir, Kaikai va venir me retrouver. Tout à l’heure, je pensais à Siouxsie qui m’avait finalement retenu 15 ans, m’empêchant tout voyage. Mais aussi auquelle j’étais attaché. Et je me demandais s’il y avait un tel délai d’attachement à un Kaikai, si de nouveau j’aimerais durant 15 ans… Ca vous parait bizarre, si je me demande si je suis au Japon pour 15 ans ? Relisez donc Le Petit Prince, s’il vous plaît…
Asnières. Septembre/octobre 1998. Tarika en avait assez de me voir en colocation à Pelleport quand elle avait un logement vide invendable (c’était la fin du krach) à Asnières. Après quelques travaux de rafraîchissement, j’y emménage. S’ensuivent 1 année de profonde transformation. Je quitte le lycée où je travaillais pour un salaire de misère à faire du secrétariat, je renonce à l’histoire et je commence à travailler dans la finance. Parallèlement, libéré de soucis financiers immédiats pour la première fois de ma vie, j’achète des livres que je dévore, j’écris beaucoup et je refais beaucoup de photos. Je n’habitais plus Paris mais jamais je n’en avais profité autant… Je devais pourtant quitter cela pour réaliser un rêve, vivre en Angleterre. J’ai quitté ce bonheur de trentenaire installé pour une nouvelle marginalité, qui me permettrait toutefois de me ressentir « jeune » comme jamais auparavant… En rentrant à Paris, j’avais tout perdu…
Ciel gris au dessus de moi. Il faudra bien que je sorte de chez moi, je dois rendre mes livres à Iidabashi. Je pense ensuite filer à Ebisu à la Maison Franco-japonaise où je ne suis encore jamais allé mais qui, paraît-il, est intéressante. Ce soir, je retrouve Kaikai car demain est un jour de congé, ici. Qu’allons-nous faire demain matin avant que je ne parte travailler… Mystère…
De Tôkyô,
occupé,
Suppaiku
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