Poupees anciennes de forme « occidentales »
Le Japon n’occupe plus le devant de la scène. Les chanceux ont bien profité des années 80, les curieux et ceux que j’envie le plus ont vu le Temple Kyômizu à Kyôto sans un touriste il y a une centaine d’année. Le Japon d’aujourd’hui n’attire plus que pour certains signes savamment entretenus non seulement par la presse occidentale mais également par la presse japonaise.Il attire des post-adolescents attardés qui refusent de vieillir et sont près à s’enfermer dans les mondes du manga, de l’animé, du jeu vidéo et plus récemment du dorama et de certaines idoles particulièrement formatées pour répondre aux attentes de ces puceaux à vie. Vous me direz « pourquoi pas », et je vous répondrai certainement « pourquoi pas en effet ». Mais quand vous regardez le caractère abyssal de la dette japonaise, plus de 220% du PIB (pour vous donner une idée, dites vous que c’est le 2e PIB du monde, juste après les USA…) financées grâce aux économies de la génération du baby boom, et quand vous regardez le vieillissement, plus de 35% de la population a plus de 60 ans, et quand vous prenez en compte ces 20 dernières années où règne une déflation qui a érodé la valeur de tout, vous vous dites, mais jusqu’à quand ça va durer ? Car il ne faut pas se leurrer, le temps du Japon est arrivé. Pas celui de la grandeur, non. Celui de la chute totale, le moment où ce pays va régler l’ardoise de la plus folle bulle spéculative de tous les temps, et qui a produit la plus volumineuse dette souveraine de tous les temps. Je veux parler de la faillite de l’état japonais.
En fait, et malgré les réels efforts du présent gouvernement de couper les dépenses inutiles du clientélisme de l’ancien parti au pouvoir, le Japon sera obligé cette année d’emprunter plus qu’il ne remboursera. Cela s’appelle, techniquement, une faillite. Mais vu le caractère particulier de sa dette, une dette financée par l’épargne, le gouvernement japonais pense avoir encore la possibilité de se tourner vers les marchés internationaux. La semaine dernière, des émissaires du ministère des finances ont donc fait le tour des capitales européennes. Cette information, bien entendue, n’a à aucun moment été diffusée à la télévision. Surtout ne pas parler de cet échec. Les lendemains seront très brutaux. Pourtant, autant Bloomberg que le Financial Times rapportent les faits. Les observant depuis des mois, je regarde la mise en place de cette spirale de la mort qui se met en place, non sans y voir vu au passage l’effet de considérations politiques évidentes. La droite voulait privatiser la poste, le plus gros portefeuille d’épargne au monde, celui qui permet de financer cette dette gigantesque et la gauche a gelé cette privatisation. On ne lui fera pas de cadeaux malgré des coupes budgétaires généralement saluées. Mais couper les crédits du bâtiment pour créer une allocation d’aide à l’enfance et réaliser la gratuité totale de la scolarité jusqu’à 16 ans n’a jamais plus aux agences de notations. Standart and Poors vient donc d’abaisser la notation de la dette japonaise à long terme de AAA à AA. Ce n’est pas une grosse dégradation. Cela ne se traduira que par une augmentation de quelques points de bases sur le marché obligataire. Mais sur les sommes en jeu, quelques points, ça alourdit énormément la dette. Et cette dégradation de la dette sera le prétexte pour abaisser encore un peu.
Et c’est le moment que le Japon choisit pour commencer à internationaliser sa dette. En pleine crise Greque (un scénario très similaire, au passage). Or quand un pays est dans le collimateur des agences Fitsch, S&P et consort, ces mêmes agences qui ont noté AAA, voire sponsorisé des CDO pourries en empochant des commissions au passage ou noté AAA Bernard Maddof, dites vous bien qu’on ne vous lâche plus. Le Japon a bénéficié de sa solide économie et a tiré sur la corde de la dette autant qu’il le pouvait. La montée en puissance de nouvelle économies bien plus dynamiques, innovantes et accueillantes a progressivement laminé cette position. Pire, le Japon a mis en place un protectionnisme culturel très fort dont les visites de Koizumi à Yasukuni (un sanctuaire dédié aux victimes de guerres et où sont gardé des restes de plusieurs criminels de classe A, des Hitler locaux) sont un peu le symbole extrême. De façon plus banale, « les fruits japonais sont les meilleurs », « la riz japonais est le meilleur du monde », « les agences de voyages organisent mieux les voyages », « les Japonais sont très polis », « il n’y a pas de voleurs ». Et qu’importe si les fruits japonais sont fades et ont grandit sous serre comme les fraises en décembre. Et tant pis si le riz japonais est 5 fois plus cher qu’un riz Thailandais sans empêcher son producteur de vivre dans une quasi-pauvreté. Et ce n’est pas grave si Miki Travel à Paris les promène au Mont-Saint Michel pour 3 fois plus cher, pour une visite express où l’arrêt aux boutiques de souvenirs dure aussi longtemps que la visite elle-même. Et ce n’est pas grave si, quand vous tombez dans le métro, vous ne rencontrez que de l’indifférence. Et qu’importe si le patchinko, les machines à sous, les obsédés sexuels qui se masturbent au contact des femmes dans le métro aux heures de pointe, les bars à hôtesses et l’industrie du sexe où chaque année des femmes disparaissent n’intéressent pas la police. Depuis leur enfance, les Japonais reçoivent une éducation nationaliste. Il y a 50 ans, l’ouverture sur le monde était la règle. Mais progressivement, les gouvernements toujours plus réactionnaires qui se sont succédés ont popularisé que tout cette culture de l’ouverture n’était pas « la vraie » culture du Japon, mais une culture d’importation. Les vieux parlent de la guerre. Les jeunes quasiment pas, mais ils savent en revanche que la pays a été occupé. Il y a juste qu’on ne leur a pas dit pourquoi. La télévision abonde de programmes vantant l’exceptionnalité japonaise. Raciale. Esthétique. La langue elle-même. Il sont finalement peu nombreux, ceux qui savent que le japonais ressemble au Coréen, d’un point de vue grammatical.
Ce pays qui se regarde le nombril en se trouvant si beau est devenu comme un pays inutile, qui ne sert à rien. Que le Japon vienne à faire faillite, ça ne changera pas grand chose, finalement. Ça tanguera un peu sur les marchés, mais le Japon n’est pas les USA. Un pays fermé, ça n’intéresse personne. Un pays qui n’envoie quasiment pas d’aide à Haiti, qui n’en a quasiment pas parlé à la TV n’intéresse personne. Un pays où on apprend des langues étrangères jusqu’à l’obsession, mais qui refuse de regarder les étrangers comme des égaux n’intéresse personne.
Au Japon, en revanche, une faillite aurait des conséquences inimaginables. Un pays fragilisé par 20 ans de crise, avec une jeunesse en errance. Sans compter qu’il en découlerait la disparition pure et simple de l’épargne, ou tout au moins une partie… Les « spécialistes » qui découvrent la « crise grecque » me font rire, finalement, même si ce n’est qu’une façon de parler, et que ces types payés des fortunes pour aller bavarder sur France-Info ou dans des colloques ne sont que de pauvres crétins. Ils ont « découvert » les subprimes en 2007, quand le marché était dors et déjà retourné, et certains en avaient acheté à tour de bras sans même le savoir quand ils se gavaient de CDO (Collateralised Debt Obligation) notées triple A… Pourtant nous sommes en démocratie, l’information est disponible. Sur Bloomberg, par exemple, dès 2006, certains « vrais » spécialistes avertissaient qu’on allait droit dans le mur. Sur FT également. Eh bien nos experts en bavardage sont incroyablement muets concernant le prochain effondrement de la deuxième puissance mondiale. Il y en a même qui voient la croissance y revenir, « tirée par les exportations vers la Chine ». Pourtant, à mots très feutés -normal, c’est une information délirante, incroyable, impensable-, sur Bloomberg comme sur le FT, je regarde l’iceberg approcher depuis des mois. Mais non, on continue comme de si rien n’était…220% de dette publique, ça ne mérite pas la une. La Grèce, avec ses 70%, c’est beaucoup plus préoccupant…
Remarquez, je dis ça, mais en fait, je souhaite que le Japon fasse faillite. Pas parce que c’est bien. Mais parce que simplement ce pays s’épuise à force de tout faire à l’envers. Les Japonais d’ailleurs ne sont pas dupes. Ils n’ont pas renvoyé le parti PLD, après 60 ans de règne, par hasard. Une étudiante me disait il y a une semaine que de plus en plus de gens parlent du Japon comme si quelque chose planait dans l’air, comme si la machine était arrêtée. À la télévision, les émissions de divertissement on envahit l’ensemble de la programmation, un peu, semble t’il, comme en négatif de la réalité. On rigole beaucoup, à la télévision, et on exhibe des marques de plus en plus chères.
Bref, sous peu, vous allez en entendre parler, du Japon. Comme je vous l’ai dit, je le souhaite un peu car je ne peux m’empêcher de souhaiter cette colossale faillite. Car je fait confiance au Japon pour, une fois délesté partiellement de ce fardeau, se renouveler et redevenir un pays qui compte pour de vrai. Il faudra qu’il accepte enfin les investissements étrangers, toujours extrêmement difficiles (alors que les entreprises japonaises ne se gênent pas pour profiter du libre-échange dans le reste du monde…). Il faudra qu’il accepte le monde tel qu’il est, avec le Japon dedans, et non comme aujourd’hui, un monde à l’extérieur et le monde japonais à part. Le slogan de la candidature du Japon pour les jeux Olympiques était « unify our worlds ». Je pense que le « s » est un fantastique lapsus qui traduit bien quel est le problème qu’affronte ce pays. Si le Japon avait beaucoup plus tôt internationalisé sa dette, jamais il n’aurait pu aller si loin dans l’endettement, d’autant que cet endettement n’a été causé que par une politique clientéliste qui a enrichi les plus riches et n’a pas empêché une grande partie de la population de s’appauvrir, comme on le constate au quotidien à Tôkyô, et encore plus en province.
Le plus ironique dans cette histoire est que le seul pays qui sera en mesure d’apporter au Japon les capitaux nécessaires pour assurer sa renaissance sera… la Chine. Pour beaucoup, ce sera inconcevable, impossible. Et pourtant je suis persuadé que les USA laisseront le Japon sombrer sans rien faire car les USA risquent eux-mêmes la faillite de leurs finances publiques et ne pourront en rien « backer » le Japon.
Le Japon s’est ouvert au monde sous la pression américaine, et de 1854 à 1868 l’ancien système a agonisé, incapable de se renouveler. Puis, le Japon a entrepris sa modernisation avec une remarquable intelligence, mais dans un esprit d’hostilité au monde qui l’a conduit à développer son armée et une idéologie de plus en plus nationaliste qui l’on conduit à mener une politique expansionniste dès les années 1910. Il s’est, de façon logique, rapproché de l’Allemagne nazi. Une nouvelle fois défait en 1945, c’est sur le terrain économique qu’il a mené sa bataille. Et avec un succès remarquable. Là encore, il est allé trop loin et après avoir créé une fantastique bulle financière qui continue de peser à travers la création d’une masse monétaire gigantesque, il est désormais au bord d’une nouvelle catastrophe, mais il continue, comme l’armée japonaise en 1945 a continué jusqu’au bout.
Mais cette fois, il n’y aura ni Perry, ni Hiroshima. Pour la première fois, le Japon va devoir penser son avenir tout seul. Et je comprends que cela lui fasse peur. Car le nœud du problème est comment se penser dans le monde. Pour un pays qui s’est si longtemps regardé comme à part du monde, c’est une terrible révision. Et si la clef de la survie est à trouver dans les capitaux désormais abondants d’une Chine que le nationalisme a si longtemps méprisée, cette totale révision sera amère et n’ira pas sans instabilité, ni même sans violence.
Et puis un jour, on verra dans le nouveau quartier à la mode de cette époque d’après l’effondrement, de jeunes Japonaises aux bras de riches salariés Chinois sous les regards amusés des passants. « Nihao !».
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