Le Blog de Suppaiku, journal bloggué de Madjid Ben Chikh, à Tokyo.

De ma fenetre a Lehman Brothers, l’an dernier


C’etait il y a deux ans, je perdais mon emploi a NOVA. Je me mettais a « secher » l’ecole, presque, un gros pincement au coeur, ou plutot une grosse barre dans le ventre… S’ensuivit une experience difficile dans une ecole de francais a Ebisu, puis le chomage. Des entretiens professionels aussi. La bulle venait d’exploser, je le savais, je serrais les fesses comme on dit. Je le savais car je les ai vues arriver, ces CDS. Elles empoisonnaient le quotidien de mes collegues de Londres (de l’autre cote du couloir!), a BNPP. En premiere ligne du salopage, Bear Sterns et Lehman. Les autres aussi y allaient a coeur joie, mais tout au moins semblaient-ils suivre leurs bebes. Lehman et Bear se contentaient d’en vomir tous les mois un peu plus… et que ca y allait… Je me souviens avoir lu des articles a l’epoque sur ce sujet, et en avoir discute avec ma collegue Odile. Ces produits etaient tous adosses a de l’immobilier. Comme j’etais d’avis que la bulle gonflait depuis 1999/2000, je redoutais un « reajustement » qui conduirait forcement a des depreciation pour les banques qui detiendraient de ces prets ou pire, qui seraient tiers partie (assureur) de ces CDS… Ma connaissance etait tres limitee, mais l’historien avait parfaitement bien compris -je pense que des comme moi, il devait y en avoir moins de 0,0001% dans la branche. Tous ces types qui creent et tradent ces trucs ne connaissent rien a l’histoire. Pour eux, les bulles, c’est toujours avant. Alors qu’en fait, les bulles, c’est jusqu’a. Jusqu’a eux.
Et puis il y a eux.
Je ne raconterai pas dans le details mes eboires avec Lehman quand je travaillais a BNPP, mais en tout cas, une chose est sure: ils donnaient l’impression de ne pas savoir travailler. J’ai mieux compris le probleme quand j’ai commence a y travailler, en janvier 2008. C’est qu’a force d’interviews, j’avais fini par decrocher un poste a Lehman Brother. Celui-ci a evolue avec le temps. Il a fini par etre, aussi, tres interessant. Interimaire, je n’avais pas un salaire extraordinaire, mais c’etait beaucoup mieux que l’ »eikaiwa », les ecoles de langues ou on vivotte, ou je vivotte, pour un salaire de misere, sans assurance.
Je ne parlerai pas de mon travail ici. Mais j’ai un terrible manque d’un vrai travail. D’un truc qui m’occupe les meninges et qui se presente comme un defi, sans cesse renouvele.
Je merite mieux, beaucoup mieux, que ce que je fais, professionellement. Je me sens bride, devalorise. Ridicule, aussi. Un peu comme si j’avais rateune marche quelque part et que je m’etais retrouve dans une autre dimension. Mon exasperation envers le Japon est en partie une exasperation que je m’adresse. Je merite bien mieux que l’ecole ou je travaille. Je ne sais pas comment je vais m’y prendre, j’y travaille, mais je suis bien decide a trouver une entreprise qui en vaille le coup. Ca mettra tout le temps qu’il faudra, mais ce sera la bonne. En attendant, je suis pret a endurer mon heure de transport vers cette banlieue dortoir pour classes moyennes, avec son centre commercial Tokyo TamaPlaza-Terrace. Il semblerait que dans le mois qui vient j’aurai a travailler egalement dans une autre ecole, cela me fera un peu plus d’argent et m’aidera donc a attendre autre chose.
Un des professeurs d’anglais, un sud africain blanc, m’a explique, le plus naturellement, que le rechauffement climatique est du bluff, un complot. Que le 11 septembre est un inside job (je vous l’ai deja dit, je doute de l’ignorance des services secrets a cet egards, mais suis tres sceptique envers le « complot »). Que pour dejouer le terrorisme, il faut affiner le profilage racial (le type est blond, j’ai eu l’impression une seconde de parler avec Hitler….).
Quand je suis rentre chez moi, mon etat d’esprit avait totalement change… Les precedentes conversations m’avaient mises mal a l’aise: je ne voulais pas polemiquer sur le rechauffement, mais n’en pensais pas moins. Au fur et a mesure que je lui parle, comme j’ai resolu d’adopter un profil bas (private mode : TB serait etonne de voir a quel point, quand je ne partage pas du tout la meme vision du monde, je peux laisser parler mon interlocuteur…) , il s’ouvre. Le profilage racial fait suite a des solutions radicales pour contrer le terrorisme. J’ai objecte que ce n’etait pas possible, il m’a assure que si. Je n’ai pas repondu, je l’ai senti gene quand il a fini de parler. Ce qui est amusant, dans son discours, c’est que le 11/9 serait un complot, mais qu’il existe bel et bien des terroristes que l’on peut traquer racialement. Ce serait bien que tous les amateurs de la theorie du complot, a gauche, comme Kassovitz, cliquent sur les liens youtube, de videos en videos. Pour voir qui est derriere cette theorie du travail commandite. L’extreme droite americaine, la vraie. Elle a trouve dans la contestation alter-mondialiste un terreau favorable de contestation a-ideologique propice. Moi, ca m’a vaccine de toute sympathie pour l’idee de complot.
Retirez la lutte de classe de la tete des gens, et ils se mettent a penser de travers.
Bon, bref. Dans le metro, ce soir la, j’etais bien. Je ne suis pas a ma place dans cette ecole, je vaux mieux. Lui, c’est son monde. Un monde ou il faut un bouc emissaire pour justifier sa propre mediocrite.

Je lis en ce moment un livre sur la faillite de Lehman, A collossal failure of common sense par Larry MacDonald. Ca me divertit et m’informe… Je suis extremement etonne de lire en anglais aussi vite qu’en francais et d’etre finalement assez peu perturbe par l’existence ici ou la de vocabulaire que je ne comprends pas. Et puis cela me replace dans un monde que je connais, certes de tres loin, mais dont je maitrise les enjeux. Et puis, a Tokyo ou bien rue Louis Legrand, je le ai vus, les traders, cette ambiance nerveuse. Et puis ces ecrans de televisions, le flot de nouvelles, Reuter, Bloomberg, CNN qui fait qu’a peine franchi le pas de la porte, on se sent transporter dans le centre reel du monde, la ou on fabrique l’argent. Mon ecole me semble terriblement triste en comparaison. J’aimais mes collegues a BNPP. Mulgon Melta, Odile. Et tous les autres, meme si nous n’etions pas « amis », eh bien cela ne nous empechait pas de feter nos anniversaires, d’aller au restaurant un midi ensemble, de blaguer ensemble au travail. C’est important, non ? Ou je suis, que dalle! A Lehman aussi, on faisait des trucs…

Je vous laisse avec 2 albums photos. Le premier, Tokyo MidTown, en face de mon poste de travail. 9 mois de photos, par tous les temps… Et puis le deuxieme. La cafeteria, la machine a cafe, une soiree apres le travail. Je n’aime pas le discours sur « les banquiers ». S’il est vrai que les traders se font de veritables fortunes, on oublie que la grande majorite des postes sont des postes de controle et operation. Et s’il est vrai que le salaire est meilleurs que dans d’autres branches, parfois peut-etre 30% superieur, il n’en est pas moins un salaire normal. Chez Lehman, je gagnais environ 350,000 yens par mois. C’est un pouvoir d’achat, en France, d’environ 2500 par mois. C’est bien, mais ce n’est pas une fortune… Or, en cas de crise, ce sont les « operations » et controle » qui trinquent. Les traders, qui coutent des millions, en bonus et en pertes, eux, se revendent a prix d’or et a leurs conditions… Un tres bon salaire, a Tokyo, en finance (moi, j’etais interimaire), c’est generalement le double. Oui, 5000 euros de pouvoir d’achat. Environ 700,000 par mois, tous bonus inclus, 12 heures par jours, travail un samedi par mois, deux semaines de conge, 5 ans d’anciennete. C’est mega confortable, mais on est loin des millions des traders… Moi, mes 2500 me suffisaient largement…
Enfin, allez, je vous laisse!

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Commentaires

4 réponses à “De ma fenetre a Lehman Brothers, l’an dernier”

  1. C'est vrai qu'il y a des relations amicales dans les BO mais tellement superficielle. On va te fêter ton anni mais tant que tu restera un collègue. Dès que tu change d'étage & que tu n'est plus utile : à la poubelle. Ces relations faussement amicales me minent. Bien que je ne suis pas dupe. Mais certain se font prendre. Ils pensent être ami ou du moins copain avec leurs collègues qu'ils invitent chez eux. Il n'en ai rien. En cas d'accident de parcourt, ça sera une meute de loup.

    Dire que j'ai moi aussi un double écran pour faire mes reporting sur Excel. Soupir.

  2. C'est vrai qu'il y a des relations amicales dans les BO mais tellement superficielle. On va te fêter ton anni mais tant que tu restera un collègue. Dès que tu change d'étage & que tu n'est plus utile : à la poubelle. Ces relations faussement amicales me minent. Bien que je ne suis pas dupe. Mais certain se font prendre. Ils pensent être ami ou du moins copain avec leurs collègues qu'ils invitent chez eux. Il n'en ai rien. En cas d'accident de parcourt, ça sera une meute de loup.

    Dire que j'ai moi aussi un double écran pour faire mes reporting sur Excel. Soupir.

  3. Je suis d'accord avec toi a 100%, les relations de travail restent des relations de travail et généralement les gens perdent le contact après avoir changé de service ou quitté la maison. Il n'en reste pas moins que les relations sont en générale sympa. J'ai de bons souvenirs de Sofia et de Louis Le Grand. A LLG, les gens se parlent très facilement aux machines à café et bien que je travaillais au 3e près des traders, personne ne demande aux autres ce qu'il fait au premier coup. En générale, on n'y dit pas « je fais ça », mais « je travaille avec », ce que je trouve sympa. Le quatrième était plus « cool » (loin des traders), j'y ai des souvenirs de très bonne camaraderie; j'y ai vu des simili-bastons, des bavardages trans-rangées, des blagues publiques, des pic-nics moquette… Sofia, j'aimais bien quand on était à la rotonde, la communication était facile les uns avec les autres; il y avait une très bonne ambiance et pour le travail, et pour le « cool ». J'espère que de ton côté, depuis le départ de ton malade mentale, les choses se sont arrangées. Par contre, je suis assez opposé au travail à domicile (même si c'est pour cause de grippe…)
    L'ambiance de la manque me manque. Lehman, c'était bien car je travaillais sur le P&L (réconciliation), et il y avait du speed. Je peux confirmer qu'une banque qui prenait tant à la légère la réconciliation en interne ne pouvait que couler. Ce que j'y ai vu, les explications que j'y ai entendues m'ont souvent halluciné. Mais aussi, je n'ai jamais eu le sentiment de gagner autant la confiance, car petit à petit, je suis parvenu à faire comprendre, un par un à chacun, que la façon d'opérer dépassait l'entendement. Je crois que mes chefs ont notamment apprécié que je suggére une injection des 400 breaks non résolus dans le brand new système dont je conduisais l'UAT (tu te rend compte : 400 breaks P&L dont certains de près de 2 ans… à BNPP, ils auraient tous été virés… et je ne parle pas du millier de breaks P&L du dpt CDS/CDO… un vrai foutoir enrobé d'explications foireuses, « c'est réconcilié ailleurs »). On m'a dit que ça bousillerait mes stats, j'ai répondu que c'était la réalité, et que je prenais la responsabilité.
    Où je travaille, rien, pas un défi. Une sorte d'entertainment pour des gens qui ne veulent pas vraiment étudier, et un salaire de chiottes, en pleine banlieue genre à côté de Conflan ou Cergy…
    Enfin…
    PS: j'ai beaucoup appris moi-même, mais la rigueur, pour ce qui est de « comprendre » la compta, Odile, avec qui je continue de correspondre… J'ai eu beaucoup de chance de tomber sur elle, et j'ai souvent pensé, à Lehman, que mes grands moments de solitude en « découvrant » de nouvelles erreurs auraient été bien moins douloureux si j'avais pu les adoucir d'une conversation sur la musique ou la peinture au 18e siècle avec Odile…

  4. Je suis d'accord avec toi a 100%, les relations de travail restent des relations de travail et généralement les gens perdent le contact après avoir changé de service ou quitté la maison. Il n'en reste pas moins que les relations sont en générale sympa. J'ai de bons souvenirs de Sofia et de Louis Le Grand. A LLG, les gens se parlent très facilement aux machines à café et bien que je travaillais au 3e près des traders, personne ne demande aux autres ce qu'il fait au premier coup. En générale, on n'y dit pas « je fais ça », mais « je travaille avec », ce que je trouve sympa. Le quatrième était plus « cool » (loin des traders), j'y ai des souvenirs de très bonne camaraderie; j'y ai vu des simili-bastons, des bavardages trans-rangées, des blagues publiques, des pic-nics moquette… Sofia, j'aimais bien quand on était à la rotonde, la communication était facile les uns avec les autres; il y avait une très bonne ambiance et pour le travail, et pour le « cool ». J'espère que de ton côté, depuis le départ de ton malade mentale, les choses se sont arrangées. Par contre, je suis assez opposé au travail à domicile (même si c'est pour cause de grippe…)
    L'ambiance de la manque me manque. Lehman, c'était bien car je travaillais sur le P&L (réconciliation), et il y avait du speed. Je peux confirmer qu'une banque qui prenait tant à la légère la réconciliation en interne ne pouvait que couler. Ce que j'y ai vu, les explications que j'y ai entendues m'ont souvent halluciné. Mais aussi, je n'ai jamais eu le sentiment de gagner autant la confiance, car petit à petit, je suis parvenu à faire comprendre, un par un à chacun, que la façon d'opérer dépassait l'entendement. Je crois que mes chefs ont notamment apprécié que je suggére une injection des 400 breaks non résolus dans le brand new système dont je conduisais l'UAT (tu te rend compte : 400 breaks P&L dont certains de près de 2 ans… à BNPP, ils auraient tous été virés… et je ne parle pas du millier de breaks P&L du dpt CDS/CDO… un vrai foutoir enrobé d'explications foireuses, « c'est réconcilié ailleurs »). On m'a dit que ça bousillerait mes stats, j'ai répondu que c'était la réalité, et que je prenais la responsabilité.
    Où je travaille, rien, pas un défi. Une sorte d'entertainment pour des gens qui ne veulent pas vraiment étudier, et un salaire de chiottes, en pleine banlieue genre à côté de Conflan ou Cergy…
    Enfin…
    PS: j'ai beaucoup appris moi-même, mais la rigueur, pour ce qui est de « comprendre » la compta, Odile, avec qui je continue de correspondre… J'ai eu beaucoup de chance de tomber sur elle, et j'ai souvent pensé, à Lehman, que mes grands moments de solitude en « découvrant » de nouvelles erreurs auraient été bien moins douloureux si j'avais pu les adoucir d'une conversation sur la musique ou la peinture au 18e siècle avec Odile…

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