A Kamakura.
Ah, les joies de l’écriture dans le métro…Il est environ 2 heures 30, et je donne une première leçon dans une heure à un gentil vieux papy de 73 ans, sourd comme un pot mais amoureux de musique classique. Il est adorable et cela compense le manque d’intérêt des leçons. Ensuite, j’ai un étudiant de la catégorie « somnifère ». Une heure et demie de longs silences et de phrases courtes : j’ai téléchargé des vidéos sur Youtube jusque fort tard la nuit dernière, ça va être dur…Et puis une nouvelle étudiante, assez jeune, qui ne lit ni ne va au cinéma. Une heure de pause et un dernier groupe assez sympa. Voilà un jeudi bien banal…
Suite du billet de mardi. Kamakura, donc. Je vous avoue que s’il ne m’était pas possible d’aller une fois par mois à Kamakura, je doute qu’il m’eût été possible de survivre quatre ans au Japon. C’est mon Versailles local. Je connais maintenant assez bien la ville, je m’y promène sans plan, très librement. Ce que j’aime à Kamakura, ce sont les lieux remplis de croyances populaires du passé qu’on ne trouve pas à Kyôto, par exemple, où tout semble si bien organisé. À Kamakura, la géographie a dessiné des collines abruptes, des pentes raides, peuplées de forêts et remplies de grottes, de cavités dont on ne sait si elles sont naturelles ou artificielles. C’est ça, Kamakura, des grottes et des cavités, quand Kyôto oppose la délicatesse de ses jardins. Bien sûr, il y a les temples, ces bâtiments qui vous vannent la première fois que vous visitez le pays. Mais avec l’habitude, comme le temps passe et que les yeux s’habituent, on ne s’extasie plus que rarement, mais on commence à regarder à côté. Je n’ai vraiment commencé à regarder les jardins à Kyôto que lors de mon séjour de 2004, quand j’y suis resté un mois et demi. Et encore, ce ne fut pas dans les premières semaines, mais plutôt après, quand je commençai à être gagné par le sentiment d’ « avoir tout fait », « tout vu », et qu’au hasard de mon errance je me pris à faire des siestes dans les jardins, sur des bancs ou à même le sol. À respirer les odeurs, fleurs, bois, terre mouillée après la pluie. À admirer le désordre, le fouillis si savamment organisé, fait de mauvaises herbes, de mousses, de pierres rongées envahies de champignons très visiblement hostiles, de tronc cassés d’où l’arbre est quand même parvenu à ressortir et continuer à pousser, tordu, tortillé, blessé dans son flanc et rongé par des lichens. À apprécier les ruines, la rouilles qui envahit tout, la terre battue de chemins au tracé aléatoire mais pourtant évident, tracé qu’il est d’une pierre ici, d’un tronc recouvert de sa coulée de mousse et de quelques bambous perdus là on ne sait pas trop pourquoi. À m’extasier par l’ombre si judicieusement distribuée par les arbres, cerisiers, abricotiers japonais, érables, tous arbres qui fournissent par ailleurs nos ravissements saisonniers. Les Occidentaux qui résument les jardins japonais à des pierres et du sable dessiné n’ont pas visité le Japon, ou alors ont fait le traditionnel « 2 jours à Kyôto, une semaine à Tôkyô » que leur recommandent tous les guide, alors que comme je le dis toujours, pour un premier voyage, c’est l’inverse qu’il faut faire, pour laisser faire le hasard. Kyôto est une ville peuplée de fantômes qui ne se laissent pas surprendre au premier abord.
A Kamakura.
Kamakura me fournit donc ma dose d’histoire et de nature, à deux pas de chez moi et pour 1600 yens (12 euros), là ou Kyôto prend deux heures trente de Shinkansen et 27,000 yens (200 euros). Kamakura offre un aspect plus sauvage, brut, avec ses grottes, ses pierres usées en bordures de routes, ses Jizô / 地蔵, ce bouddha qui protège principalement les enfants et à qui on met souvent une petite « bavette » rouge. Kamakura est LA ville du bouddhisme zen, la ville des guerriers, mais on y trouve toute la palette du bouddhisme Japonais. Shingon à Hase dera, avec deux magnifiques statues de Kannon dont l’une mesure 11 mètres de haut, en or, et avec cette fine moustache si raffinée, ainsi que ses 11 têtes en guise de coiffure, cette coiffe en toute en guirlandes que j’aime tant et ses bras qui sont autant de chance de trouver de l’aide et sa protection. Il y a Nichiren, la secte nationaliste créée au 13e siècle et qui fut persécutée, avant de devenir avec le temps une secte normale (quoi que la « vraie » secte Sôka gakkai en soit une émanation). Il y a Jôdô, la terre pure où Amida nous emmènera une fois notre parcours terrestre sera achevé, afin de nous libéré au contact des soutras et de sa musique, à la seule condition d’avoir prononcé 3 fois na-mu-amida-butsu. Il y a la jôdô nouvelle. Il y a Rinzai, la secte du zen…J’ai depuis longtemps un faible pour Shingon car j’aime Kannon, et avec une quasi-égalité, Shôdô. Définitivement, ma sensibilité m’incline vers l’idée de rédemption.
Kamakura est une ville qui incite à la curiosité et qui invite le regard à se laisser décaper de ses certitudes. Il faut y apprendre à aimer les fissures, l’eau qui suinte de la terre, les mousses qui envahissent tout et qui sont peut-être une des marque originale de l’esprit Japonais. En effet, alors que Kyôto avait été abandonnée une cinquantaine d’années à cause des guerres civiles de la fin du 12e siècles et du début du 13e, les moines qui réintégrèrent leurs temples virent les jardins délaissés envahis d’une végétation rebelle dont les mousses, en ce pays si humide, étaient une part inattendue. Plutôt que, comme on l’eut fait en Europe où le goût incline au lisse, de les enlever, les moines se décidèrent à les cultiver. L’époque Kamakura, et puis ensuite Muromachi, Momoyama, et ce jusqu’à nos jours, ont vu se diffuser cette culture des mousses et cette relative indifférence à la ruine, à l’abandon, à la friche. Le monothéisme nous enseigne que nous retournerons tous à la terre dont nous sommes sortis. Les jardins japonais en sont bien souvent une illustration sans les lourdeurs du discours. À Kamakura, je suis à la recherche des grottes, dont la plupart sont peuplées de pierres, de bouddhas. Parfois, à flan de montagne, à côté d’une grotte, un petit ru à l’eau claire avec des écrevisses et des pièces de monnaie jetées par là. On ne sait jamais…Oui, si je devais donner quelques adjectifs pour définir Kamakura, ce serait « brut », « rustique », « sauvage », avec peut-être une préférence pour « brute », au sens matériaux du mot. Je vous conseille Kamakura, quand vous venez vous paumer 10 jours à croire voir « le vrai Japon » à Tôkyô, parce que Tôkyô est une ville de provinciaux qui pour la plupart ont gardé leur région au fond du cœur, et Kamakura sent la campagne. Et Kamakura m’a appris à regarder le Japon, les yeux débarrassés des belles géométries Européennes.
A Kamakura.
Pour cette année, on a fait notre parcours « rareties », les temples où personne ne va, en tout cas, à ce moment de l’année. Mon préféré est au sud est de la ville, vers la mer. Un temple Nichiren, avec son cimetière adjacent, un magnifique bouddha de facture sud asiatique et non japonaise, et une colline à monter, rude, abrupte, du haut de laquelle on peut voir la baie, apercevoir au loin Hase dera, et par beau temps, l’île d’Enoshima. Nous n’avons pas poussé jusqu’au temple –Shingon- où est érigé un autel pour les animaux morts. C’est un temple très ancien, peut-être 14e siècle, où des chats se dorent la pilule au premier rayon de soleil. Nous irons au printemps, comme nous y sommes allés l’an dernier, car il est rempli de cerisiers, et les touristes, japonais ou non, l’ignorent.
Et puis nous retournerons à Kamakura le mois prochain, quand les premières fleurs de « pruniers » fleuriront.
Shimabata, Kamakura, il y a eu aussi un aller-retour à vélo le 2 janvier jusqu’à Monzen Nakachô, histoire de manger des daifuku, et de se promener dans le quartier quasi déserté, sauf autour du sanctuaire Fukuoka Tenmangu. Et puis une visite au Musée d’Art Contemporain de la ville de Tôkyô, pour une exposition sur « le luxe », ainsi qu’une rétrospective d’une artiste Allemande, Rebecca Horn.
Deux semaines vites passées, et puis hier, mon visa collé sur mon passeport.
L’activité que j’avais démarrée autours du « anti-gay bill » de 2009 est entrée, elle aussi, dans ce grand endormissement qui entoure le nouvel an. Ça ne m’a pas empêché de suivre, de nettoyer le mur des trolls qui le visitent, de tenter de raisonner les gens tenant des propos ambigus avant de les éjecter. Je m’aperçois que je suis très ouvert aux propos de chacun, respectueux de son identité individuelle, de son parcours, des plus naïfs aux plus pros. Mais pour autant je ne suis pas naïf, et le petit bouton qui permet d’effacer un commentaire, un message ou une personne m’a servi quelques fois, en me faisant de la peine, parfois, car j’ai toujours à l’esprit qu’une personne peut écrire mal, laborieusement ce qu’elle pense et que l’écrit alors a du mal à refléter la complexité d’une pensée. Je me suis donc retrouvé à raisonner, une fois, et puis deux. Et puis ciao, tu fais chier, je te zappe.
Il a fallu passer par la case rassemblement, c’était inévitable. Se posait la question du « comment ». On est vite arrivé à la conclusion qu’Act Up, qui m’avait proposé de faire quelque chose, s’imposait. Ce fut pour moi un choix très difficile car je pense que c’est une association en fin de vie qui répulse plus qu’elle n’attire. Act Up me fait penser à l’UNEF, aux JCR, aux MJS, à SOS Racisme, à tous ces trucs qui se survivent après que l’époque se soient construits sans eux, et avant qu’elle ne se construise, parfois, contre eux. Mais force était de constater qu’eux seuls avaient tenté une action – comme toujours, sans prévenir personne afin de pouvoir dire « on était que 6 », comme SOS, les JCR, le MJS, etc, la gauche « je suis une victime », quoi. Et de la même façon que vous pouvez constater à quelle point je peux les décaper, je reconnais aussi qu’ils ont été honnêtes et loyaux. Je dois l’écrire, c’est ce qui me donne le droit, aussi, de les critiquer. Car si le groupe peut donner de l’urticaire, j’ai communiqué avec deux personnes, Jérôme et Cécile, qui ont été extrêmement conciliantes. Je leur ai imposé le « sans banderole d’organisation », ils s’y sont pliés et ont confectionné une banderole non signée, la première de leur histoire. J’ai suggéré le type de rendez vous, en soirée plutôt que l’après-midi, en semaine plutôt que le week end, et ils ont accepté.
Quand j’ai regardé le résultat de ce rassemblement dans le reportage de Lionel Soukaz, j’ai d’abord eu un haut-le-coeur, une répulsion immédiate. Putain, c’est du Act Up, ce n’est pas ça que je voulais. Je voulais « en silence », et vas-y que je te martèle des slogans, parce qu’il faut gueuler, c’est comme ça qu’on fait… sans même réfléchir un instant que les passants ne devaient rien comprendre puisque l’information n’est diffusée nulle part. Et puis la banderole, comme un mur dressé entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, et ce boucan… Même pas l’idée de piqueter autour de la fontaine. La JCR, je vous dis, SOS, l’UNEF, des ringards ! Je pense qu’ils ont dû faire fuir les quelques potentiels manifestants qui passaient par là, comme me le suggèrent trois messages que j’ai reçus.
Et puis à la deuxième vision, passé le choc, j’ai regardé de plus près. Act Up a fait à sa façon. Point barre. Et je me suis surpris à assumer. Grace à leur coup de main, on a fait sortir de chez elles les permanents des associations. Car si c’est vrai qu’Act Up salarie certains de ses membres et n’est plus ainsi une association, au moins, ils mettent le nez dehors. Ce qui n’est pas le cas des autres, qui ne prennent plus de risques. Enfin, je précise, qui ne prennent pas de risques politiques. Act Up, si. Ils se gaufrent, et comment ne se gaufreraient-ils pas en étant aussi fermés, repliés sur eux-mêmes, mais ils continuent, ils s’exposent. J’ai alors sincèrement regretté de ne pas être là, histoire de les faire plus beaux…
Et puis j’ai vu la banderole du CLGBTetc. Ah, ils en sont fiers, de leur communiqué de presse, eux qui sont payés par vos impôts. Ils n’ont pas fait une seule diffusion de tract, ils ne m’ont pas répondu quand, début décembre, je leur ai envoyé un mail leur demandant de faire quelque chose. Les vrais ringards, ce sont eux. Et vas-y pour un gars de Sidaction (dans le documentaire Yagg, un nouveau media gay en ligne, le seul type à tenir un propos plus profond que les autres), et vas-y pour Christophe Girard, un élu gay du 4e arrondissement, chargé de la culture à la Ville de Paris. L’indignation bourgeoise des classes moyennes, blanches et parisiennes, « on est là parce qu’on est solidaires ». Le documentaire de Yagg offre un tableau de ce « tout le monde » qui n’a rien fait sur cette question. D’un groupe de 50 personnes dont, j’ai la tristesse de la penser, personne ne se soucie. Et pour commencer, pas les gays.
Et c’est normal, car nous n’avons pas, comme aux Etats-Unis, les vingt cinq ans de « minority » studies. Au nom du sacro-saint « principe républicain.
Je constate que de nombreux spécialistes en Afro-American studies ont un discours sociétal bien plus construit, plus complexe et intelligent que nos patentés universalistes républicains. Et qu’en fait, même si on a souligné qu’une forte proportion de noirs américains reste opposée au mariage gay, cette situation évolue désormais très vite car ces « minority » studies ont débouché sur des dynamiques de dialogues et de convergences qui recomposent un discours sociétal totalement absent de l’individualisme américain. La gauche française n’est pas morte de son acceptation du réalisme économique. Elle est morte d’avoir renoncé à voir la société dans sa complexité et à encourager les acteurs a prendre leur destin en main a partir du milieu dans lequel ils sont. Elle a adopte le profil républicain, cet espèce de rouleau compresseur conservateur qui plie les hommes en en faisant des êtres abstraits, sans histoire, sans vécu. Et c’est ainsi qu’elle est passée du réalisme économique à l’acceptation des inégalités sociales.
J’ai tiré quelques leçons de ce groupe et l’objectif de départ, le 20 heures de TF1 est toujours mon objectif. Politique dans l’âme, j’y parviendrai.
Madjid