Le Blog de Suppaiku, journal bloggué de Madjid Ben Chikh, à Tokyo.

Congés, fêtes et Tudor : pot pourri de novembre


(mardi 1er novembre) La France est en congé, le Japon ne l’est pas… Jeudi, le Japon sera en congé, la France ne le sera pas. Dimanche, la barrière du temps entre nos deux pays s’est élargie d’une heure. Désormais, ce sont huit heures qui nous séparent. Quand vous allez vous coucher le soir, vers minuit, ici, c’est déjà au jour suivant et il est huit heures, le feuilleton matinal de la NHK va commencer. Huit heures, c’est bien long…

Hier, lundi, c’était Halloween. Vous me rétorquerez que vous n’en avez strictement rien à faire, et je vous répondrai que moi non plus. Mais ici, bien que vidé de toute sa signification, Halloween est présent. Non pas fêté, mais présent. Il est généralement associé à la citrouille dont les japonaises raffolent.
Les boulangeries proposent des Feuilletés Halloween sucrés à la crème de potiron en forme de citrouille maléfique. Les magasins à 100 yens, eux, dès la fin du mois d’août, vendent l’attirail nécessaire pour les enfants ainsi que des bonbons enrobés de papier orange avec des dessins de sorcière. On croise parfois, le samedi qui précède, des groupes de mamans des classes moyennes en tenue de femmes entretenues au foyer, armées de leurs enfants et de leurs sac Vuitton, marcher en bans groupés, toutes poussettes McLaren devant, se diriger vers l’école d’anglais de leur progéniture ou le centre commercial le plus proche où, dans un cas comme dans l’autre, elle pourront se délaisser de leur paquet déguisé pour l’occasion après en avoir pris une photo avec leur téléphone portable, et se rendre ensuite au Starbuck ou au salon de thé le plus proche afin d’y dépenser un peu de l’argent gagné par leur mari.
Voilà ce qu’est Halloween au Japon.

Je ne vous raconte pas, bien entendu, les fêtes dans les bars et les pubs de Roppongi, où une foule de viandes mâles certifiées d’origine étrangère, la bière dans la main, la bite devant, vont explorer ces filles spécialisées dans les pénis caucasiens, avec de vagues déguisements de circonstance, normal, il faut bien commencer par quelque chose.
Je ne vous raconte pas, car je ne suis ni hétérosexuel, ni Américain, et que je hais Roppongi! Mais quand au hasard je tombe sur Metropolis, le magazine anglophone de Tokyo, je vois les photos « people » et, comme toujours, cela me paraît tellement pitoyable que je suis pris d’une de mes envies récurrentes de voir le Dow Jones descendre à 500 points… (la vache, je deviens vraiment réactionnaire, avec l’âge!)

Je vous parle de Halloween car c’était hier, et que ce matin, en passant devant la boutique à 100 yen près de la gare, j’ai vu les décorations de Noël.
À priori, ce soir, une foule essentiellement féminine se rassemblera dans le quartier de Ebisu pour regarder le sapin de Noël, généralement installé dans la mâtinée du premier. Il y aura l’habituel lustre géant Baccarat. Noël, comme Halloween, est ici avant tout une fête commerciale, sans aucune signification, d’ailleurs, on travaille le 25. « On » mange des pilons de poulet KFC, ou bien des cuisses de poulet, ou bien des Chickens McNuggets que l’on fait passer avec du gâteau à la crème et à la fraise, décoré de crème chantilly.

L’an dernier, alors que Jun et moi traversions à Yokohama le quartier de Murochachi et sa grande rue piétonne de style européen le 23 décembre, nous avons croisé une chorale chrétienne chantant Noël.
La messe avait lieu le 23 et non le 25.
À Kasai, même chose, l’église évangélique pas très loin de chez moi, située au troisième étage d’un immeuble pourri où au rez-de-chaussée on vent des mangas de cul, fêtait Noël le 23 décembre.

Noël, donc, qui arrive… J’ai changé l’image du mois sur mon blog, et nous voici dans le mois de rittô, 立冬, littéralement l’hiver qui se lève (tellement plus joli que 11月, jûichigatsu, la onzième lune, ce qui, de façon cocasse, ne colle même pas aux langues européennes puisque novembre est en fait le neuvième mois, et que le calendrier japonais n’a plus rien de lunaire…). Rittô était l’ancien nom du mois de novembre, avant l’occidentalisation brutale, presque comptable, des mois de l’année. Il confirme bien ce que je vous expliquais dans mon billet la semaine dernière. Au Japon, le solstice est le milieu de la saison, et c’est finalement, bien plus logique.

Le matsuri de Nihonbashi est assez inintéressant en soi. C’est propret, surorganisé, bien loin de la quasi-sauvagerie de Sanja-Matsuri, avec tous ces hommes le derrière à l’air, la chaleur, les corps compressés pour porter le mikoshi, les cris, les chants, la musique, les sourires sur tous les visages. Cependant, il y avait des personnes de Iwate, au nord, un département touché par le tsunami, et les costumes comme les masques étaient absolument superbes, rappelant les personnages du Noh. Avant que d’autres, juchés sur des chevaux, ne soient passés pour nous rappeler que le nord du Japon est la terre où Yoshitsune tenta de trouver refuge, pourchassé par l’armée de son frère qui en avait peur et voulait s’en débarrasser. La suite fut assez quelconque, mais il y eu une deuxième partie, un bon odôri au final inattendu et assez sauvage. Tout était cadré, policé mais quelques minutes suffisent souvent pour rappeler où nous sommes et révéler le bonheur des participants.

(mercredi 2 novembre) Demain, donc, est férié. Ouf! Je n’en peux plus de ce travail à Pétaouchnok pour des clopinettes… Enfin !
Ce matin, j’ai déplacé mes étagères.
J’habite dans un studio.
Un studio bien agencé, dans un appartement relativement moderne, ce qui au Japon est un gage de sécurité, j’habite dans Tôkyô dans un quartier qui, bien qu’excentré n’en est pas moins très pratique et très vivable : 40 minutes à vélo de Nihonbashi ou Asakusa, c’est très raisonnable. J’ai de grandes fenêtres, donc c’est très clair, et un « loft » comme on dit ici, c’est à dire une mezzanine logée au dessus de mon entrée, dans laquelle on peut se tenir debout, avec son vasistas, son parquet et suffisamment de place pour un lit deux place et des étagères. J’ai un grand placard. Ma cuisine est dans l’entrée selon la disposition classique des studios ici. La salle de bain et les toilettes sont séparés. Le chauffe-eau est au gaz, la cuisinière est électrique, j’ai donc acheté un réchaud à nabé pour faire la cuisine. J’ai deux placard dans cette « cuisine », un frigo avec congélateur, une machine à laver séchante. Une table pliante me permet de faire la cuisine en devenant un plan de travail. Comme vous le voyez, c’est très rudimentaire. Ne dites pas zen, ou je vous envoie une baffe.
Mon studio consiste donc, comme tous les studios, en une pièce avec parquet, une grande porte fenêtre donnant sur un balcon. J’ai une deuxième fenêtre, mais celle-ci donne sur l’immeuble voisin, à environ 50 centimètre. C’est très banal ici. Celle ci est toutefois très utile quand même, elle permet de faire des courants d’air à la fin du printemps. Le vasistas apporte une très belle lumière au plafond qui, lui, domine à au moins 4 mètres 50. Je pense souvent à déménager, mais malgré les 24 mètres carrés de surface, j’ai le sentiment qu’il me faudrait un truc vraiment grand pour compenser la perte de cette hauteur sous plafond. Je n’éprouve pas le sentiment d’être dans une boite à chaussure. L’an dernier, j’ai visité des truc de 35 mètres carrés, et vraiment, non, ça ne me paraissait pas plus vivable.
La lumière est, pour moi, le truc le plus important dans un appartement. J’ai grandi, à Epinay sur Seine, dans un appartement sombre. J’ai du manque de lumière une véritable hantise, désormais.
J’ai donc bougé mes étagères en bas, je les ai rapprochées du placard, elles sont maintenant invisibles quand on rentre dans la pièce qui, du coup, gagne en ouverture. Ce soir, je vais déplacer mon bureau, actuellement placé devant la porte fenêtre, et le mettre le long du mur, là où étaient les étagères. Ainsi, je n’aurai plus ce contre-jour gênant qui m’ennuie quand je traite des photographies. Je vais également un peu vider les étagères en bas pour remplir les étagères à l’étage. Je pense aussi que je devrais revendre ou donner des bouquins. C’est encombrant, et ça ne sert à rien, une fois qu’ils sont lus.

Jun et moi regardons la série télévisée The Tudor. C’est pas mal, mais c’est très loin de valoir ces deux chef d’oeuvres britanniques des années 70, The six wives of Henry VIII et le sublimissime Elisabeth R, avec la fantastique Glenda Jackson, que j’ai décidé de regarder de mon côté, sur YouTube. Ce matin, à ma grande surprise, un magnifique plan de la cour et la voix de Alfred Deller (regardez cet extrait, absolument magnifique). L’interprétation de la musique de ce feuilleton porte la marque du temps, de cette époque où la révolution baroque avançait encore à tâtons, mais c’est incroyablement juste. En comparaison, The Tudor est moins audacieux. Les costumes, aussi, sont à l’avantage de la série des années 70. Plus rigides, comme l’étaient les étoffes il y a encore moins de 50 ans. Et puis aussi, je commence à me lasser de cette habitude à planter des scène de cul à tout bout de champ. On dirait que ces scène des cul sont là pour masquer quelque chose, la faiblesse des dialogues, par exemple.

Demain, nous irons à Asakusa. Défilé Edo…

De Tôkyô,
Madjid

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Commentaires

8 réponses à “Congés, fêtes et Tudor : pot pourri de novembre”

  1. Bonjour,

    Les observations sur le calendrier japonais (inreki) sont tellement vraies et collent plus aux sensations du climat tempéré (même en France, je pense) que la division astronomique des saisons…

    D’origine chinoise, il est lié (pour le peu que j’en sais) aux saijikis (almanachs). Leur version poétique qui recense des kigos (mots de saison) est utilisée dans les haïkus… Avez-vous déjà pensé à en composer ? Cette pratique m’a appris à me réapproprier les saisons à Paris…

    1. Avatar de Madjid Ben Chikh
      Madjid Ben Chikh

      Merci beaucoup pour ce commentaire, et désolé pour le retard.
      Je ne suis pas (encore) très haïku. Mais je savoure les saisons japonaises et constate à quel point les anciens noms des mois et les anciens noms des saisons collent si bien au climat. Affirmer comme on le fait maintenant que le Japon n’a que quatre saisons est une bêtise monumentale. J’en compte au moins six ou 7 à Tokyo…
      L’hiver gris, l’hiver lumineux et froid, le printemps gris et pluvieux, le printemps chaud et ensoleillé, l’été humide et chaud, l’été très chaud, le temps des typhons et l’automne…
      Merci.

  2. Bonjour,

    Les observations sur le calendrier japonais (inreki) sont tellement vraies et collent plus aux sensations du climat tempéré (même en France, je pense) que la division astronomique des saisons…

    D’origine chinoise, il est lié (pour le peu que j’en sais) aux saijikis (almanachs). Leur version poétique qui recense des kigos (mots de saison) est utilisée dans les haïkus… Avez-vous déjà pensé à en composer ? Cette pratique m’a appris à me réapproprier les saisons à Paris…

    1. Avatar de Madjid Ben Chikh
      Madjid Ben Chikh

      Merci beaucoup pour ce commentaire, et désolé pour le retard.
      Je ne suis pas (encore) très haïku. Mais je savoure les saisons japonaises et constate à quel point les anciens noms des mois et les anciens noms des saisons collent si bien au climat. Affirmer comme on le fait maintenant que le Japon n’a que quatre saisons est une bêtise monumentale. J’en compte au moins six ou 7 à Tokyo…
      L’hiver gris, l’hiver lumineux et froid, le printemps gris et pluvieux, le printemps chaud et ensoleillé, l’été humide et chaud, l’été très chaud, le temps des typhons et l’automne…
      Merci.

  3. Studio:

    J’ai passé un an au Japon, j’ai donc vu de tels studios, dans des immeubles modernes où habitaient certains amis gays.
    Pour ma part, à Kobe, j’avais un appartement de 140 m² !
    Mes amis japonais n’en avaient jamais vu d’aussi grand, surtout pour une seule personne : deux salles de bains, deux escaliers, quatre chambres, deux balcons nord et sud …
    Bon, il y avait tellement de place que j’avais hébergé un étudiant néo-zélandais (et gay) qui cherchait un logement.

    Dans cet appartement se trouvaient des merveilles telles un sèche-linge dont il m’a fallu quelques mois pour comprendre qu’il marchait au gaz (je ne lis pas le japonais), un lave-vaisselle à brancher sur le robinet d’eau que je n’ai jamais essayé de faire marcher, un miroir de salle de bains à désembuage automatique, et d’autres merveilles japonaises comme une porte coupe-feu à jamais bloquée par la moquette 🙂
    Et quel plaisir de tenter de trouver un plombier (je suis un tantinet plus poilu que le japonais moyen, d’où bouchage des canalisations), ou du combustible pour le poele, quand on ne sait ni lire ni écrire ni causer !

    Mais j’ai survécu (:-), grâce à la gentillesse de beaucoup de monde, j’ai appris à apprécier la cuisine, les paysages, certains aspects du mode de vie japonais.

    Par exemple je me souviens avec bonheur des groupes de jeunes qui, au printemps, s’installent sur les places pour jouer de la guitare, des bains chauds en pleine nature, des minuscules bars gays où tu es quasiment forcé de parler à ton voisin, et tout ce genre de choses …

    1. Avatar de Madjid Ben Chikh
      Madjid Ben Chikh

      Bonjour, Patrick. Et merci pour ce commentaire.
      Il y a quelque chose de nonchalant dans la vie japonaise qui compense son caractère dur (surtout quand on est japonais en fait).
      Mon studio minuscule me convient finalement ^^ … meme si 140 metres carres ne se refuseraient pas !
      Le seul truc vraiment difficile est l’invisibilité gay : les gays ne se montrent pas et acceptent leur sort, beaucoup finissent pas se marier, menant alors une double vie (comme beaucoup d’hétérosexuels d’ailleurs car le mariage est souvent plus une obligation sociale qu’un acte d’amour, et je pense que c’est aussi ce qui explique ces taux de natalistes si incroyablement bas : les japonais n’ont pratiquement pas de rapports sexuels dans le cadre du mariage…)
      Aujourd’hui, grand soleil: c’est presque l’hiver…

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