Temps pourri, ce week end. Mais agreable matsuri a Ootsuka. Je vous ai épargné, ici, des personnages, euh, comment dire, euh, directement issus de l’univers de Kitano… Parmi eux, l’un des acteurs de Gokusen, Minoru! Il est finalement très a sa place dans cet environnement…
Rien n’est plus difficile que revenir sur son blog après une longue absence. Ici et là, sur mon iPad, des morceaux de billets épars, sortes de cadavres gisant au milieu de nulle part, au fond de leur sanctuaire, Ô surtout ne pas les effacer. Alors, commençons par rapporter ce morceau de la semaine dernière, écrit juste après avoir retrouvé Irène, Martin et Yann, à Kagurazaka. Vous verrez que le blog n’est pas très loin…
Début de citation : « Quel plaisir, de vous retrouver. Si si… Je m’en suis aperçu hier, alors qu’avec Irène, Martin et Yann, alors que nous étions en terrasse d’un café, après être allés dans un très bon petit restaurant français de Kagurazaka, nous bavardions du pourquoi du blog. Yann y voyant essentiellement une forme de narcissisme, Irène me confiant que la lecture du miens avait un peu changé son regard sur l’objet.
J’adore écrire dans mon blog. En fait, je crois que j’entretiens avec moi-même ou avec les autres exactement la même relation. Je dis ce qui me passe par la tête, je ne calcule pas. Il y a peut être chez moi, dans l’exercice d’écriture du blog, une petite part de narcissisme, mais je crois plus profondément qu’il s’agit de l’inconséquence qui me caractérise depuis toujours. Je parle sans calculer, sans mesurer le poids de ce que je dis, ni à qui je le dis. Au travail, je n’ai jamais ressenti le besoin de me retenir pour parler à un supérieur. Je ne reconnais pas la menace dans l’autorité, je ne reconnais que l’évidence de son autorité. On m’a ainsi souvent suspecté d’être prétentieux, arrogant, suffisant. Il ne s’agit en fait que d’un fond profondément libre, indépendant, anarchiste. Je ne me moque pas de l’autorité, je la regarde pour ce qu’elle est. Sans plus. Que je dise à un chef qu’il se trompe ne change rien à son pouvoir. Et c’est ainsi, sur ce seul critère que je décerne mon respect, parfois mon admiration. (…). Je ne respecte, au travail comme ailleurs, que les gens qui m’écoutent quand j’émets une opinion, fut elle au premier abord farfelue. Parce que j’ai beau beaucoup causer, je pense aussi beaucoup. Et je n’ai jamais jugé une personne sur telle ou telle opinion m’ayant surpris au premier abord. Discrètement, sans rien en dire, je la mets dans un coin de ma tête, et elle viendra nourrir ma propre réflexion, jusqu’à y faire mourir, parfois, mes propres certitudes.» Fin de citation.
Je crois que c’est pour cela que j’écris ce blog. Pour apprendre à aller jusqu’au bout de la liberté. J’ai, en ce sens, une définition toute différente des personnes à la mode, quand il s’agit de liberté. Je suis avec Beauvoir, pas Lady Gaga. Cette dernière exhibe une liberté de pacotille, celle du Saltimbanque de l’âge médiatique, quand on a désappris à reconnaitre les vrais Saltimbanques, les vrais aventuriers, pour leur préférer leur copie médiatique, formatée, «easy».
C’est Lady Gaga avec les fesses à l’air comme il faut, c’est Yann Arthus Bertrand, avec son contrat d’assurance en poche et deux ou trois sponsors pour nous montrer le monde sauvage. Comme il est difficile d’être libre de nos jours.
La liberté, c’est Nina Hagen sur un plateau de télévision, pantalon en cuir, à peine revenue de son Allemagne de l’Est natale, expliquant avec sérieux sur un plateau de la télévision autrichienne comment les petites filles se masturbent, en y joignant les gestes. Ce n’est pas calculé, ce n’est pas pour vendre des disques, les mots et les gestes lui viennent comme «ça», au pays de la libido encorsetée. Elle est libre.
La liberté, c’est Simone de Beauvoir, seule, un soir, à sa fenêtre, après le suicide de son amie Zaza, qu’elle admirait tant, on sent poindre le sentiment amoureux, un suicide mystique, un drame intime dans une de ces familles vieille France où domine la religion et la morale, entremêlés du souci des apparences et des convenances, l’antisémitisme et l’anticommunisme bon teint, presque raffiné, c’est Simone, seule, contemplant la nuit noire comme le chagrin et qui, pour la première fois de sa vie, n’implore aucun Dieu, aucune miséricorde, mais se jure au contraire que jamais personne, ni un homme, ni un Dieu, ni aucune morale ne décidera pour elle en quoi que ce soit. C’est Beauvoir, peu de temps après, fréquentant les bars de la rive gauche. C’est le Castor, admirative devant l’intelligence de Sartre, qui décide que ce sera celui avec qui elle passera sa vie. Et c’est Simone, encore, amoureuse d’Algren, prête à tout abandonner, et qui se ressaisit, non, jamais rien, ni personne, ni son instinct ne viendront ruiner ce qu’elle a construit. C’est Madame de Beauvoir qui, enfin, seule devant son miroir, un jour, 53 ans, son amant Lanzmann n’en ayant pas 30, constate les ravages de l’âge, du temps qui est passé et décide de rompre, décrétant d’autorité contre sa propre volonté que le temps de sa vieillesse est venue, et qui écrit le seul essai sur le sujet à cette époque découvrant la jeunesse et le Baby Boom. La vieillesse. Un essai dont elle disait qu’il serait à la vieillesse ce que Le Deuxième sexe avait été à la cause des femmes et qui reste, à ce jour, l’ouvrage le moins lu, le plus dédaigné. Mais qu’importe. Simone, qui a vécu dans un hôtel jusqu’à l’âge de 47 ans, nous lègue un héritage exemplaire. La liberté faite femme. Une liberté qu’elle a écrit, raconté dans son journal, un journal qui reste, à mes yeux, l’une des plus importante oeuvre littéraire du 20e siècle. Lui aussi dédaigné de nos jours, pas assez intello.
La liberté, ce sont les crises d’asthme interminables de Vivaldi, devenu prêtre contre ses voeux. Et son incroyable énergie pour écrire et diriger de la musique pendant des heures.
La liberté, c’est Nicolas Bouvier, aventurier de l’orient après la seconde guerre, et qui échoua un jour dans le port de Yokohama comme d’autres se suicident, sans un sous, sans projet, à bout de chemin, avec pour seul bagage ses yeux et son appareil-photo. Et qui nous a légué un incroyable testament; ses journaux, ses notes, ses photos, ses croquis. Et son regard sur les hommes et les choses.
Alors Lady Gaga ou Yann Arthus Bertrand…
J’écris sans calculer. Et je le publie sans m’en soucier. Je ne suis pas une star du net. Je suis juste lucide sur ma situation. En fait, raconter tout ce qui me passe par la tête, même si c’est intime est une fantastique leçon d’humilité. Quand on lit Proust, on ne lit rien d’autre, en fait, que les pensées qui nous passent par la tête, sans pudeur aucune. C’est incroyable comment je me suis senti bien quand je l’ai (enfin) découvert. J’ai pensé que je n’étais pas le seul à avoir des idées tordues qui s’entortillaient, je me suis senti incroyablement optimiste, libéré. Certains textes de Léo Ferré sont de cette nature, les mots fusent et explosent, les limites que l’on se forgent perdent toute justification. Alors, pourquoi devrais-je m’empêcher de dire que je souffre, que je rêve, que j’ai les secrets du monde, que j’ai envie de baiser, ou pas, que je doute. C’est quoi, ces limites, après tout? Je réussis tout quand je suis moi-même, et cela depuis l’enfance, être celui que l’on attend de moi ne m’a jamais rien apporté de bon. Un nom arabe, un parcours professionnel inhabituel, des origines plus que modestes m’ont appris à ne compter que sur moi, et à savoir que les bâtons qui me viendraient dans les pattes seraient plus nombreux que les fleurs qu’on me tisserait. Je n’ai pas, je n’ai jamais eu ces relations qui vous donnent un travail, vous ouvrent les portes de l’édition, et quand à tout hasard éventuellement j’avais une de ces ouvertures, alors, je n’avais pas cette confiance en soi qui fait fleurir les enfants de la bourgeoisie intellectuelle. J’ai appris à faire sans, à mon rythme, à ma façon.
Pour la première fois depuis des années, depuis toujours peut être, j’ai une idée de la direction dans laquelle je suis engagé. Venir au Japon revêt finalement un sens bien plus profond qu’un simple déplacement géographique.
Écrire ce blog est, pour moi, et même s’il y rentre une petite pointe de narcissisme, d’abord et avant tout un exercice de dépassement de mes propres limites, la création d’une tribune par laquelle je parviens à m’exprimer, le tissage d’un lien avec des lecteurs qui ont appris à m’apprécier et dont j’apprécie en retour la curiosité, l’indulgence et l’incroyable modestie de se tenir tapis dans l’ombre ainsi que la générosité qu’ils manifestent parfois en m’envoyant un message. Ce blog a maintenant 7 ans. Jour pour jour. Avec ses 757 messages. 7 ans, c’est le temps nécessaire pour s’estimer parfaitement rôdé, au point. Et c’est exactement le point où je me sens depuis quelques mois.
Je n’ai pas beaucoup posté, j’ai en revanche beaucoup photographié, beaucoup écrit. Et cette année, j’ai finalement publié des textes, très modestement, dans minorités. Pour certains, cela sera vraiment du rien du tout. Pour moi, qui n’ai jamais osé montrer ce que j’écrivais (et le blog a bel et bien servi à lever cette pudeur), cette opportunité a été extrêmement importante. J’ai également senti monter quelque chose de nouveau, que j’appellerai un « désir de suite », totalement nouveau en matière d’écriture. Enfin, pas tout à fait, mais disons que pour la première fois, ce sentiment se poursuit et travaille en fond, comme on dit en informatique. Et cela pendant des mois. La nouvelle publiée cet été en fait parti. Je suis étonné par l’extreme simplicité avec laquelle elle m’est venue. De même pour la suite qui sera publiée prochainement. Par l’extreme facilité de correction, de retouche. Et aussi par mon humour, car en fait, j’ai ri plusieurs fois en l’écrivant. Et cela, c’est nouveau. Quand la suite sera publiée, je créerai un ebook que j’appellerai Mes mélanges. Un assemblage de plusieurs textes publiés ici ou là, ma pièce de theatre, quelques nouvelles. Un ebook gratuit bien entendu. Une page tournée.
Bon, puisqu’il est question de tourner la page, et que je m’en sens d’humeur, je vais écrire un billet, tout nouveau tout beau.
A demain pour 7 nouvelles années.
De Tokyo,
Madjid
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