Je viens de déterrer cela. C’est mal écrit, c’est même très mauvais, mais je vous le donne à réfléchir, en nos moroses années. C’est écrit en 2002… A méditer.
Spéciale dédicace à Maruchan.
De Tôkyô,
Suppaiku
Je me reveillais ce matin de tres bonne humeur. Le soleil etait la, et le ciel etait bleu. Rapidemament, je me levais et, tout content, je me pesais. J’avais perdu 500 grammes, c’etait fantastique. En effet, depuis plusieurs annees, j’avais assiste impuissant au spectacle peu reluisant des bourelets et de la chaire molle qui gangrenaient mon corp impunement. Comme j’arretai de fumer il y avait plus de 10 ans, j’attribuais ceci a cela. J’avais donc decide la semaine precedente de me mettre au regime. Apres une semaine, sans avoir vraiment faim, sans etre fatigue, j’avais deja perdu 4 kilos. Descendant de la balance, je pensais a mon petit dejeune conquerant, a ces trois œufs, ce yaourt 0% et a cette pomme, a cette rassade de proteines dont j’allais me regaler. Je me disais meme un moment, oh, tiens, et si apres ce regime je continais a manger comme ca, moi, j’aime bien les œufs, et puis pendant un bon moment je me suis fait bacon and eggs tous les matins, alors ce serait une bonne idee. Un peu plus tard d’ailleurs j’en parlais au telephone avec mon amie Frederique, le role des proteines, et puis l’entretien de son corps. C’etait bien.
On pense a des droles de choses, le matin, quand on est un celibataire fraichement sorti du lit.
Je pensais un peu plus tard, tiens, j’aime bien Francois Couperin, est-ce que j’ai encore Les Nations, tiens, oui, j’ecouterai bien La Francoise, je recherchais le coffret qu’enregistrait il y a pres de 20 ans Jordi Savaal et Hesperion XX, je le trouvais et je le mettais sur la platine. C’est un vinyle, un vinyle d’epoque, un disque des annees 80, du meme espace temps que celui dans lequel je baignais encore ce matin la. L’ouverture commencait, une larme roulait sur ma joue, je pensais a la fin de cette ecoute attentive que j’avais bien fait de mettre mes enceintes sur des parpings de 25 kilos chacun, que cela avait certainement favorise le plaisir de mon ecoute car vraiment, jamais mon systeme n’avait ete aussi precis dans la reproduction du son. Je me prenais a rever de l’evolution de celui-ci, mon Cambridge remplace par un Naim, mes Mission par des… Je me mis a rever aux Nautilus, et ce n’etait plus un Naim qui les activait, mais un modeste amplificateur a tubes de 30 watts. 30 watts de delicatesse et de precision. Je me levais, encore emu, je changeais de disque, un compact cette fois-ci, je retrouvais mon seul veritable amour dans ma lamentable vie sentimentale, Antonio Vivaldi. RV565 et Europa Galante me firent pleurer, mouvement que je reprimais, je le trouvais ridicule. C’etait bien.
Je retirais le disque mais n’eteignais pas les appareils, c’est mauvais pour le son.
Je prenais mon cahier rouge a spirale petits carreaux, c’est mon journal, et j’ecrivais cette douce repossession de moi meme en route depuis le debut de cette annee. Je pensais qu’il fallait bien que ces 10 ans d ‘analyse me conduisent quelque part. Je pensais egalement que pour la premiere fois de ma vie, je m’etais libere de l’attente d’un evenement fondateur de ma nouvelle vie, je pensais qu’il n’y avait pas de nouvelle vie, ni de moment clef. Je me liberais de Jean-Paul Sartre et de Simone de Beauvoir, les parents que je me choisissais il y a longtemps maintenant. Les seuls maitres que je me sois donnes. Les parents de ma vie d’homme libre. J’ecrivais. Le regime, Frederique, mes pensees, je pensais a la Palestine, au retour de l’antisemitisme, mais je pensais aussi que j’aurais tout le temps d’y reflechir une autre fois. Je pensais que que je devais terminer d’abord ce roman policier qui se deroule a Tokyo. Je pensais que je prenais du retard dans l’apprentissage de mes Kanjis. C’etait bien.
Je me rasais, je me lavais, je me parfumais, je m’habillais, le dimanche c’est Puces.
J’appelais Nicolas, lui aussi finissait de se preparer. Il faineantait depuis ce matin, comme moi. C’etait un beau dimanche a la veille d’un bel ete. Nous etions prets pour aller voter. Comme nous le disions depuis ce meeting a Bercy en 1995, ou le turquoise de Campagne s’harmonisait avec le soleil eclatant, ce dimanche matin d’avril, il «faisait Jospin». Ni l’un ni l’autre n’etions pourtant decides a voter pour lui. Nicolas voterait pour la levee du secret bancaire des entreprises, moi pour une Republique qui nous respecte. Nous voterions chacun pour une femme, l’une revolutionnaire, l’autre intellectuelle. Nous en parlions, nous en riions, le soleil etait magnifique, nous nous retrouverions ce soir chez lui pour manger des fromages, je le prevenais que je ne partagerais par le repas, nous etions impatients deja de voter Jospin pour nous debarrasser de Chirac. C’etait bien.
Je mettais mon manteau malgre le soleil. En avril, ne te decouvre pas d’un fil. Dehors une belle journee deja bien entamee eclatait de douceur et de lumiere, c’etait enfin ce printemps tant promis tant attendu que mars, rieur malgre les averses, avait en secret prepare. Je pensais que je gardais l’ame enfantine devant ce soleil qui annoncait depuis toujours les vacances a venir, le temps des glaces, le temps des terrasses, le temps des copains et des nuits blanches qui prennent au petit matin les teintes des croissants et du cafe noir dans la lumiere transparente des premieres lueurs du jour. Au bureau de vote, je recopiais meticuleusement le geste mitterandien, prendre un bulletin de tous les candidats de gauche et d’extreme gauche, mais j’y ajoutais ma touche personnelle en y ajoutant Francois Bayrou. Je pensais a son honnetete et a son courage Europeen et je me disais que Tonton en aurait certainement fait autant. J’entrais dans l’isoloire, je votais pour cette candidate qu’une presentatrice de television qui se prend toujours pour une journaliste avait baptisee «candidate des demunis», l’idiote. Je sortais de l’isoloire et je votais, nostalgique du temps ou c’etait moi, derriere la table, qui aurait fait voter les gens, du temps ou je faisais de la politique, comme on disait. J’etais nostalgique et content en meme temps. Je sortais, la petite cour de recreation de cette ecole type IIIeme Republique activait ce gout de l’enfance et cette nostalgie des annees de militantismes, ces cigarettes fumees dans cette meme cour a deviser avec le mari de la presidente du bureau de vote, un brave homme, finalement, bien que d’un autre bord. C’etait bien.
Je rentrais chez moi, me faisais a manger et ressortais, prenant mon velo. Direction, Montreuil. Je roulais desormais, comme j’aimais toujours le faire, meme du temps d’Asnieres, meme du temps de Cortal et des annees boost, du Petit Poucet croise dans un metro a 6 heures du matin, du Garcon du Cox et des photos la nuit, peu de temps apres la mort de Siouxsie, ma chatte de plus de 15 ans. Je passais non loin de l’Atelier rue Saint Martin mais un imposant contingeant policier m’empechait l’acces par la rue a velo. Je le contournais par le square Saint Martin a cote de la Gaite Lyrique toujours a l’abandon depuis le fiasco de le Planete Magique, il faisait beau, de vieux arabes y jouaient aux dominos sur les bancs ou ils etaient assis, d’autres tiraient la petanque, c’etait un beau dimanche dans la Douce France, c’etait bien.
Rue Saint Martin enfin, je voyais toutes ces equipes de televisions pretes pour le grand soir et je pensais que dans deux semaines on se retrouverait tous chez moi pour pouvoir ensuite rejoindre l’Atelier, que ce serait bien. La rue etait deserte, des gens marchaient, je regrettais de n’avoir pas emmene mon appareil photo, c’est bete, j’ai une pellicule noir et blanc 100 ASA, ce serait bien, j’appellerai ca un dimanche de campagne, un cote tranquile, paisible, cette rue, par exemple, ca me laisserai des souvenirs de ce beau jour d’avril ou il fait Jospin… Je laissais aller mes pensees tranquilles et appaisees malgre le monde boulverse car j’y sentais toute ma place, je devais retrouver un cousin venu d’Algerie demain, oui demain le monde reviendrait dans ma vie, en attendant, j’etais bien decider a prendre quelques couleurs, et ca, c’etait bien aussi.
Place de la Republique, boulevard Voltaire, Pere-Lachaise, rue d’Avron, Porte de Montreuil, chemin fait comme d’instinct, en pensant beaucoup a ceci, mais aussi a cela, a mon regime, a ces friperies ou j’allais tranquilement perdre mon temps, mais deja aussi une autre envie, aller a Tata Beach, finalement, faire la sieste au soleil, au bruit de l’eau de notre Seine quand les bateaux de touristes venus du monde entier l’admirer passent et la boulversent en faisant des vagues qui rappellent les vacances, y finir mon roman en regardant d’un œil distrait s’il ne passait pas, celui que j’aimerai croiser, on ne sait jamais. Je continuais de rever a lui que je ne parvenais pas a sortir de mon reve et me disait que s’il etait la, oui, ca j’oserais le faire, lui dire bonjour, et m’asseoir et m’allonger pres de lui, mettre ma tete sur ses cuisses et me reposer enfin apres trente et quelques annees de gigote… Je garais mon velo sur le cadre de la bouche de metro sachant deja que je ne resterais pas bien longtemps. Je repartais en effet une vingtaine de minutes plus tard, toute cette foule qui se bousculait me rappelait que je n’aime Montreuil qu’en matinee ou en fin d’apres-midi. J’allais a Tata Beach, rue d’Avron, rue de Montreuil, je passais a cote de ce primeur ou je faisais mes courses l’an dernier quand j’habitais chez Sophie, Bastille, Saint-Antoine, Rivoli, Le Louvre, tant de monde, un si beau soleil, et deja les quais, je m’asseyais, retirais mon chapeau, ma cravate en cuir des annees 80, ouvrais ma chemise et je m’allongeais avec la ferme intention de m’assoupir quelques instants, c’etait bien.
Il se passait bien une heure ou deux de paresse, comme ca, je ne savais pas, mon telephone etait en recharge car je tenais a pouvoir telephoner comme je le desirais, ce soir. Je me rhabillais et je partais, detendu, fier de mon regime, de ma sieste et de Couperin retrouve. Le soleil etait magnifique, partout on souriait, oui il y aurait bien une belle surprise ce soir la, comme il y a sept ans. Je montais a velo de nouveau je traversais le Louvre, Rivoli, le Quartier Japonais et le quartier de la Bourse, Reaumur et ne tardais pas a arriver chez moi, achetais des boissons light, et puis je repartais, comme il faisait beau, je m’amusais a le dire en japonais, ii tenki da na,, kireina ichi nichi datta ne, yokatta ne…
Mon ami Nicolais habitait dans le quatorzieme, a Alesia, le chemin fut doux, agreable, vers Port Royal je ne cessais d’admirer l’architecture du XVIIeme et XVIIIeme siecle, je pensais que Paris etait belle, que le soleil sur ces facades etait le plus beau spectacle de cette ville a qui l’on reprochait de n’etre qu’un musee quand on ne savait y lire le mystere de ses ses rue au sunset et le secret de ses murs au eclairages et aux ombres etranges a la nuit tombee. Titans soutenant de freles balcons. Toitures baroques des Chapelles anciennes. Fraicheurs des cours que cachent des porches imposants. Spectacle fascinant d’une ville faconnee par deux siecles d’Absolutisme annonciateurs a bien des egars de la modernite derriere laquelle se cachent leurs traces dans cette ville Lumiere. Un soir il y a bien longtemps, quand nous traversions le Louvre ou je desirais lui montrer Clio, Eutherpe et Thalie ainsi que La naissance de l’Amour de Le Sueur dans les salles Francaises, tandis que nous nous etions arretes en extrase devant une fenetre ou La Tour Eiffel, L’Obelisque de la Conconcorde, le Pyramide de Pei, Le Louvre lui meme ainsi que la Perspective historique se revelaient sous nos yeux, je disais a Nicolas, te rend-tu compte, il y a des milliards de gens sur terre qui desirent voir cela ne serait-ce qu’une fois dans leur vie, et nous ben… on y est. C’etait bien.
J’arrivais un peu en retard apres avoir pris l’ascenceur. J’avais sonne a l’interphone, en bas, la porte etait donc ouverte, mais l’on ne vint pas m’accueillir, tous etaient devant la television, Dominique Pujadas annoncait une grosse surprise, un candidat se detachait, deux autres etaient dans un mouchoir de poche. Nous parlions, essayant d’interpreter ces visages parfois decomposes des militant rue Saint Martin et rue du Faubourg Saint Martin, il se passait quelque chose qu’au fond de nous nous avions tres bien compris mais auquel nous n’osions croire. A 20 heures, quand nous prenions connaissance des resultats, nous changions d’epoque, nous mettions du temps a le comprendre. Car on l’avait dit beaucoup de fois, que nous changions d’epoque. Cette fois-ci, comme c’etait vraiment le cas, nous n’osions pas vraiment le dire, nous contentant de parler d’un desastre ou d’une catastrophe. Le Temps avait change.
Tres rapidement les telephones ont sonne. Chacun notre tour nous avons eponge quelques larmes que nous nous sommes empresses d’essuyer. Ca ne sert a rien. Depuis, je ne peux m’empecher de penser a ma vie, a d’autres avertissements. A mon confort quotidien. A notre echec collectif. A ce qui vient. Ma vie soudain retrouve son sens, avec ses annees de militantisme, mais aussi ses moments ou j’ai voulu me proteger, penser a moi comme tout le monde, et puis mes envies, mon pere ouvrier immigre Algerien et syndicaliste, les premiers mai, le programme commun, Mitterand 81, et puis SOS Racisme, et puis Devacquet, et puis Tonton, et puis tout le reste, et puis tout ca pour en arriver la. Depuis, c’est comme si j’avais un pressentiment de la suite, puisque ces jours ne sont qu’un nouvel avertissement. Depuis, je me demande comment on pourra empecher la suite, forcemment ineluctable. Et c’est l’horreur.
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