J’ai ouvert la fenêtre, il fait beau sur Tôkyô. J’ai ouvert la fenêtre et un léger vent chaud rentre dans ma chambre, fait sonner la petite clochette achetée au début du mois à Kamakura. Kamakura… il y a si longtemps, déjà. Comme le temps passe vite. J’ai recommencé à vivre, loin de ce travail sans intérêt à Paris. Et avec le beau temps, ce sont des impressions agréables, des souvenirs anciens et comme à venir qui me visitent. Je suis bien.
Je suis content des ces quelques commentaires sur Taxi-girl, Daniel Darc. Darc, vers 88/89 je le croisais dans mon quartier, Strasbourg Saint Denis, une ombre portant une veste de treillis, rasé. (Pour Pierre : non, ton message n’étais pas déplacé, j’y réfléchis, mais je t’évite le spam sur ton mobile…). J’ai beaucoup aimé Taxi-girl, mais vraiment, plus que Darc, c’est le clavier de Sinclair que j’aimais et qui donnait ce son si différent.
Jacno, j’admets que French paradoxe n’est pas un grand disque, mais je ne pense pas que l’ambition de Jacno soit de faire de la grande musique. J’aime Jacno car il ne raconte rien, comme Françoise Hardy. Ca repose…
J’ai quitté le travail hier à 17h40, il faisait encore jour, il faisait clair, il faisait beau, sur Ginza. J’aime bien mes élèves.
Et je me suis dis que je devrais donc écrire le その2 des préjugés et « on dit » sur le Japon.
Ce que je n’aime pas, c’est ici cette obstination à défendre des habitudes, des préjugés comme autant de vérités intangibles. Je regrette finalement de ne pas avoir tenu tête à Toshiko l’an dernier concernant l’expression « avant le Japon » qui l’avait tant froissée. Oui, il fut un temps d’avant le Japon, d’avant la conscience d’être un peuple : la multiplicité des croyances et divinités, des dialectes appuie totalement cela. Défendre un « Japon conscient en soi d’être Japon » est une stupidité bâtie par 150 années de modernisation dans le nationalisme. Tout comme les Français de l’Ancienne France, les Japonais de l’Ancien Japon ne se souciaient guère de leur unité. Ils cultivaient leur riz, vivaient un quotidien de proximité. Leur vague idée d’un ensemble remonterait aux guerres qui ravagèrent le pays du 11ème au 16ème siècle, brassant langue et population. Mais auparavant, qu’était-ce, le « Japon »… Il y avait une Île, des peuples aux usages variés forgeant une histoire commune et un destin commun, le Japon. Des guerres, des inimitiés et de tout cela, un imaginaire qui progressivement devint commun. Mais je doute que le Japon de Jômon ait conçu l’idée de Japon… Le Régime actuel a bâtit une histoire « bouillie » qui veut que de tout temps il y eut le Japon.
Si je dépasse mon exaspération, je constate toutefois que les Japonais perpétuent de manière « actualisée » des gestes et des habitudes anciennes, que, finalement, la modernisation, en modifiant l’apparence des choses et des gestes n’en a pas pour autant changé l’essence, et qu’ainsi les Japonais restent terriblement Japonais. Ca, ça me ravit. J’imagine la tête des Chinois cultivés qui, parcourant l’archipel il y a 1,500 ans, ne devaient pas manquer d’être surpris par la façon dont ce peuple assimilait les signes de leur antique civilisation…
Les occidentaux associent le Japon à l’idée d’épure et de silence, à l’idée qu’ils se font du « zen ». Les Occidentaux sont des crétins ! Le Japon au contraire cultive le bruit, l’odeur et la sensualité à des fins publicitaires comme l’Europe l’interdirait sans même un débat. Les choux à la crème et leur odeur de beurre que l’on sent à 100 mètres à la ronde : publicité. Les hauts parleurs, les machines qui causent, le train qui cause, les pubs qui coupent les programmes, les mouchoirs avec des publicités… Ici, tout est publicité, et c’est dans un bruit phénoménal que la publicité s’exprime. A y regarder de plus prêt, quand on s’approche d’une des nombreuses estampes représentant Edo, on s’apperçoit que déjà la capitale avait les mêmes habitudes. Quel bruit devait faire Yoshihara, le « Shinjuku » d’il y a 200 ans, avec ses bordels, ses Izakaya et toutes ces racolleuses…! Dans le roman Sur la route du Tôkaidô, Jippensha Ikkyu décrit comment les filles des baraques de thé alpagaient le client qui, pour finir et n’y résistant plus, rentrait et dégustait un thé infecte et cher servi par une matronne peu appétissante ! Les filles agrippaient le client, lui vantaient les mérites de la maison. Je peux sans trop me tromper imaginer la petite voix de fillette qu’elles prenaient dans cet exercice, la même voix de fillette qu’elles prennent aujourd’hui encore quand elles vous servent dans les magasins et vous proposent de rajouter le « choco cro » à votre café pour 100 y de plus, « yoroshii deshou ka »… Ca n’a pas changé…
Et ces janizu, ces garçons fluets que l’on voit partout, androgynes nippons qui font rêver les femmes et certainement saliver plus d’un homme… Ne les retrouve t’on pas non plus sur maintes estampes, acteurs de Kabuki alors célèbres, à une époque où le divertissement n’avait pas encore inventé la « J-Pop »… ? Que l’on lise un livre de Saikaku et on s’apperçoit que les acteurs de naguère étaient adulés comme le sont les acteurs/chanteurs d’aujourd’hui, et que leur beauté reposaient elle aussi sur l’ambiguité de leur allure, que leurs vêtement inspiraient tout autant les jeunes hommes de l’ancien temps. Il fallut interdir le kabuki aux jeunes acteurs… mais aujourd’hui les femmes se précipitent aux concerts ou dans les bars de Hosts remplis de copies des jeunes vedettes… Oui, peut être, ce qui a changé, c’est qu’aujourd’hui, les femmes aussi, expriment leurs désirs… Hotesses et Hotes du Japon d’aujourd’hui véhiculent un imaginaire qui à moi, me permet d’imaginer ce qui se cache dans les estampes représentant des « courtisanes ». Jeunesse et beauté « standardisée » : aujourd’hui encore, les hostes et les hostesses se ressemblent fortement (à grand renfort de chirurgie esthétique). Et la jeunesse n’est pas en reste pour copier ces figures de mode d’un genre très particulier. Japonais.
De toute façon, en dehors de ces critères, la mode et le beau sont considérés ici comme « occidentaux » : les mannequins doivent avoir le type « caucasien » : blanc, chatain et généralement un peu gringalet anorexique, jeune bien entendu. Bref différent mais au corp identique… Qui sait si des gravures du temps de Heian ne véhiculaient elles pas de semblables images des Chinois, alors considérés comme les modèles du beau…
J’aime, en tout cas, cette façon de s’approprier l’apparence de l’occident mais pour continuer à vivre la permanence du Japon, de ses quartiers de plaisir et d’amusement. Quand je regarde des estampes, je ne peux plus m’empêcher de transposer au temps présent, d’y voir bien peu de changement. Et tous ces gars et toutes ces filles qui font rêver les puceaux et les pucelles d’occident avec leurs looks « trop » (tiens, ça me fait penser, j’ai vu une pub avec Kusanagi le chanteur de Smap, il disait うまく過ぎ/umakusugi… trop bon !) me font finalement bien rire de les voire babas devant ces destinées éphémères si bien racontées hier dans le kabuki et aujourd’hui dans les mangas et dorama … Mais pourquoi donc ne s’habillent-ils pas en putes et en gigolos ?
Bon, allez, je vous laisse… Ce pays est fascinant quand on le laisse se vivre et qu’on n’en attend rien. Ils veulent faire à leur façon, alors soit, qu’ils le fassent. Contentons nous d’y voir comme une ultime possibilité d’exister malgré le rouleau compresseur des modes de vie standardisés.
Edo n’est plus, mais ses petits métiers et ses caractères sont toujours là. Ouf…
Les Japonais sont des êtres terriblement attachants…
De Tôkyô,
au soleil
Suppaiku
Laisser un commentaire