Regardez la barre de votre navigateur, là-haut. Regardez la signature des articles. Vous y êtes ? Ça me démangeait depuis un bon moment, en finir avec Suppaiku. Un peu comme après un long voyage, on veut descendre de la voiture. Depuis plusieurs mois, déjà, je signais mes articles de mon prénom, en me nommant totalement, je rentre dans la cour des grands. Dans tous les cas, raconter sa vie sur le net, que ce soit avec un pseudo ou sous son propre nom, est une certaine forme de mégalomanie, ou de narcissisme, ou un peu des deux. C’est l’affirmation du Moi à l’âge techno-démocratique. Je n’ai rien lu de G.Lipovetsky depuis un certain temps, mais le net, avec les blogs, les réseaux sociaux, le twitt, avec tous ces outils de personnalisation qui nous permettent de ne recevoir que l’information dont nous avons envie, confirment bien les tendances observées il y a près de 30 ans dans L’Ère du vide. Et je n’y échappe pas, étant moi-même un pur produit de ma génération, celle de la dernière vague de baby-boomers. On est des générationel-losers, on nous a promis l’alunissage et les vacances sur Mars avec un Fanta-Orange orange de chez orange, on nous a fait rêver d’un avenir alternatif dans une société communiste où tout le monde serait gentil et heureux grâce à la planification démocratique qui répondrait à tous nos besoins, on devait travailler moins de deux heures par jours en l’an 2000 parce que désormais des robots travailleraient pour nous, Roissy se voyait doté de 5 aérogares en étoile, une par continent, car nous passerions notre temps en loisirs, notre pouvoir d’achat devait être infini. Ma génération a été bercé des doux rêves conjugués du capitalisme keynésien et du communisme salvateur.
La réalité fut beaucoup plus trivial. En 1982, le torpillage d’un avion de la Corée su Sud par l’armée Soviétique mettait le monde à l’heure juste : minuit moins une à l’horloge de l’apocalypse. Reagan étudiait les options, apprenait-on. De toute façon, on n’avait plus grand chose à perdre, le « plein-emploi » cher au keynésianisme venait de vivre ses dernières heures avec la dernière tentative de « relance » par la consommation, en France, avec Mitterrand. Déjà, l’Angleterre et les USA avaient lancé la nouvelle tendance :chacun pour soi. Pour ma génération, cela voulait dire plus simplement « chômage en vue ». Quand j’étais petit, j’avais vu un documentaire sur l’Inde. Il y avait des mendiants, ils étaient « sales ». Ma mère m’avait dit que c’était comme ça et que ce devait être leurs traditions. Dès 83/84, il devenait clair que la France adoptait aussi les traditions indiennes et à partir de 85/86, on avait formé beaucoup d’adeptes : je constatais aisément qu’ils avaient à peu près mon âge. Comme cela ne suffisait pas, ma génération vit fleurir une nouvelle maladie, le SIDA, qui se propageait par le sang et les rapports sexuels. En janvier 1991, les Américains ont attaqué l’Iraq en Mondovision, à l’heure prévue, et tout le monde a regardé ces images qui ressemblaient à s’y méprendre aux premières consoles de jeu des années 70. On a eu ensuite deux années de récession pour digérer tout ça, les adeptes de la nouvelle tradition indienne ont été assez nombreux, ils avaient mon âge. Une belle génération, je vous dis…
Eh bien malgré ça, nous avons un truc que les bab n’ont pas eu, et que la plupart manient de façon primaire et archaïque parce que c’est difficile de comprendre Flash dans un champs de luzerne. On a le net. Nous, qui comme toutes les générations avons tenté de nous définir par rapport à la génération précédente – dans notre cas, une génération introuvable, indéfinissable et surtout avare de nous transmettre ce qu’elle même avait reçue, tout juste bonne à nous regarder comme des cons qui n’avaient rien compris à la vie parce qu’ils n’avaient pas fait 68 -, eh bien, insensiblement, notre génération trouve dans le net non seulement l’outil de son affirmation et de son autonomie, mais également le langage qui lui faisait défaut. Nous sommes une génération avide du Monde, et nous regardons le monde avec évidence. Le net nous détourne de la génération précédente et nous rapproche des plus jeunes dont nous comprenons le langage car, même si nous ne les comprenons pas toujours, les jeunes de 20 ans vivent dans le même monde que nous et n’ont pas, comme nous, connu de monde meilleur ni fait 68. Je suis persuadé – je ne connais pas les chiffres- que si une était conduite pour connaître la moyenne d’âge de la net-sphère dans les pays développés, ça devrait tourner autours de 30 ans, et je suis persuadé que la balance s’équilibrerait assez entre 20 et 40 ans. Quelqu’un a t’il ces chiffres ?
Mais à mon âge, mon grand « Ô-combien-je-suis-vieux » âge, je vivais de moins en moins confortablement mon « pseudo », le trouvant ridicule et déplacé par moment, lourd aussi, et enfin, révélateur de…
J’ai un oncle qui s’appelle comme moi. Exactement comme moi. Un « homme bien », professeur de droit à l’Université de Cergy, mais en fait, et de fait, Algérien. Il vit à cheval sur les deux pays. Il est membre d’un parti politique Algérien qui a prôné le rapprochement avec les islamistes pour écarter les généraux. Si vous tapez sur le net, c’est son nom que vous allez voir apparaître. Pire, j’ai écrit une pièce de théâtre, Un soir à Paris, dont deux sites accordent la paternité à cet oncle. Il fait parti de cette élite rendue possible par le système de parti unique et qui s’est progressivement autonomisé. Comme Mohammed Arbi, un de ses amis. Mon oncle connaissait Pierre Bourdieu. Si vous lisez mon blog depuis longtemps, vous savez que j’ai un problème avec Bourdieu…
Je ne lui dispute rien, et je crois que pendant longtemps, je n’ai pas vraiment signé sous mon nom car je ne voulais rien lui disputer, car au fond de moi, je lui disputais bien la place qu’il me semblait me prendre. Cette année, progressivement, j’ai changé. Je m’en moque complètement. Et je n’ai qu’à me mettre à ma place, telle que je suis, et où je suis. L’auteur de Un soir à Paris est un gay de 44 ans vivant à Tôkyô appelé à Madjid Ben Chikh.
Il me semble avoir gagné une importante bataille d’égo. Non pas contre lui, mais contre moi-même. Mon oncle est paraît-il une personne charmante. Je le connais très très peu. Je me souviens son bungalow en bord de mer, en 1989, quand il y avait encore le Parti unique, mais je n’ai pas visité sa maison sur les hauteurs d’Alger, juste entr’aperçu quand il y a déposé son fils qui partait faire du tennis avec d’autres.
Donc, voilà, comme vous l’aurez compris, je m’appelle Madjid Ben Chikh.
Et madjid est un des 99 noms de Allah. C’est la magnanimité. Mon prénom devrait donc être Abdel Madjid, serviteur de la Magnanimité (du Créateur).
Ben Chikh, en fait n’est pas un vrai nom, et ce n’est pas le vrai nom de ma famille. C’est le nom rapporté par un des bureaux arabes qui ont créé l’état civil en Algérie dans les années 1860/70. Ben Chikh en effet signifie « fils du Cheikh ». Il s’agit d’un titre, d’une fonction, en l’occurrence pour ma famille, être descendant d’un « saint ». Mon nom me rattache donc à une aristocratie religieuse ancienne, avec un très très très très lointain ancètre. Ma famille est une famille de Marabouts, dont le rôle est très difficile à cerner, politique, religieux, et magique. Les Marabouts se marient entre eux. Mon père, en venant en France, a fui tout ça. Il détestait particulièrement l’aliénation du maraboutisme qui fait un homme « supérieur » à un autre homme. Il était profondément républicain, et à certains égards communiste. Pour lui, la société Kabyle était une société arriérée, sans avenir…
Voilà, à l’âge balbutiant du net, Suppaiku, un pseudo créé initialement pour Le Japon.org, et devenu mon pseudo universel. Je ne changerai pas le titre, non. Mais pour sûr, désormais, je signe qui je suis, et je l’affirme haut et fort, Un soir à Paris a été écrit par Madjid Ben Chikh, homosexuel de 44 ans vivant au Japon. Oui, une lopette peut AUSSI parler du massacre des Algériens en plein cœur de Paris, le 17 octobre 1961…
Bonjour, je m’appelle Moi
B