…la ville où je me trouve est très souvent un Paris japonais que je me suis construit au fil des ans et qui m’est devenu assez familier. Pour le coup, ce qui est devenu étrange est de rêver que je suis « vraiment » en France…
[dropcap1]T[/dropcap1]reize heures. Le métro, comme toujours. De retour sur mon blog, je reçois quelques commentaires qui me font plaisir. Devant moi, deux touristes chinois endormis, appareil photo en bandoulière. À côté de moi, une femme qui écrit un email sur son téléphone à l’ancienne, à clapet, les ongles décorés, on dirait un cancer des ongles tellement c’est hideux. En face, à côté des chinois, une vieille habillée comme une jeune, vêtements flous « organiques » à la Muji, sans forme, beiges-gris.
Hier soir, je n’ai pas du tout vu l’heure. Quand j’ai décidé d’aller me coucher, il était déjà trois heures du matin, ce qui était vraiment beaucoup trop tard. Dans la soirée j’avais bu du café et pris mon cachet vers une heure. J’ai donc très mal dormi, et j’ai fait d’étranges rêves.
Mon Paris japonais comprend plusieurs quartiers étalés entre Barbès et Strasbourg Saint Denis, constitués de ruelles étroites enchevêtrées, avec des cours, des immeubles anciens voire très anciens, des magasins et des restaurants en sous sol. Ça ressemble à la France, mais dans mon rêve il ne fait jamais aucun doute que je suis au Japon. D’ailleurs, il y a des séismes… Cet univers particulier que je visite parfois est un univers étrange, je devrais peut être m’intéresser aux périodes au cours desquelles je le visite. Il me semble y avoir fait un tour, cette nuit; cependant, cette fois-ci, j’y ai été envahi de poussières terriblement envahissante, presque vivante, comme des toiles d’araignées. Je me suis réveillé, le nez vaguement bouché : les plaisirs de l’air conditionné rempli de poussières et qui dessèche. Rien d’inquiétant dans ce rêve : il y a des araignées dans la maison que j’habite. Je n’ai rien contre elles, ma mère m’avait dit quand j’étais petit que les araignées ne vivaient que dans des endroits secs et sains, qu’elles mangeaient les insectes. Leurs toiles, malgré l’impression qu’elles donnent, ne sont pas sales, ce sont juste des pièges. Étais-je pris au piège ? Non, j’étouffais, tout simplement, peut être comme la chenille que l’araignée endort de son poison avant de la ligoter pour pouvoir en apprécier les entrailles un peu plus tard…
Je me suis réveillé, j’étais vaguement moite malgré la ventilation. Je me suis un peu retourné, et me suis rendormi. Quand mes yeux se sont rouverts, il était déjà tard, neuf heures passées. [dropcap1]N[/dropcap1]ous sommes vendredi. Vendredi déjà. Je ne vois pas la semaine passer. Mes lundis, mes mardis filent à toute vitesse, quand je me pose un peu c’est déjà mercredi. Jeudi est comme une journée normale, vendredi une sorte de parenthèse et le samedi un jour dingue. Samedi soir et dimanche, je suis avec Jun. Le temps s’arrête, autant dire qu’il passe très vite. Et nous revoilà à lundi…
Sur les écrans LCD dans le wagon, une publicité pour Halloween à Disneyland et je me dis que sur terre on n’a jamais rien produit d’aussi crétin, vide et hideux.
Parmi les publicités, il y en a beaucoup qui touchent aux cosmétiques, particulièrement les crèmes destinées à garder la peau ultra blanche. Kose. Shiseido. Panasonic Beauty. La peau blanche est le critère numéro un de la beauté japonaise contemporaine. Souvent, on voit de ces femmes voilées comme des ultra-conservatrices musulmanes, gantées, visière et turban. Et rachitique a un point vous ne pouvez imaginer. D’autres fois on en voit dont la peau blanche verdâtre à moitié naturelle à moitié cosmétique inspire la maladie et la mauvaise santé. Pourtant, les japonais ont la peau qui brunît très facilement et cela leur va incroyablement bien, on devine les ascendances mélanésiennes.
Bien sûr, derrière cette phobie du bronzage il y a la peur urbaine et petite bourgeoise de finir fripée comme une paysanne de Kyûshû ou Shikoku.
Mais quand j’ai interrogé certaines élèves sur cette obsession de blancheur, j’ai obtenu des réponses parfois surprenantes.
Certaines nourrissent une véritable peur du cancer de la peau. On reste dans le rationnel, même si cela est quand même un peu exagéré.
Souvent, l’argumentaire reflète un complexe vis à vis des « blancs » et un désir de se distinguer du reste de l’Asie. Une élève me disait ainsi récemment au sujet de la Corée que malgré sa proximité, elle était bien plus lointaine que les USA, qu’une sorte de mur séparait la Corée du Japon. Elle est pourtant née à Kyûshû, dont les côtes sont à une cinquantaine de kilomètre des côtes de la Corée… Il fait en revanche plus de onze heures d’avion pour aller aux USA… C’est une femme ouverte, cultivée.
Les USA sont certes une puissance dominatrice puisque ils ont ici des bases militaires aux quatre coins du pays, mais cela n’explique pas cette incapacité à se penser en égal, en terme de culture et d’histoire, de sens de la beauté. Si en Corée il y a un véritable boom de la chirurgie esthétique, celui-ci sert à réaliser les critères du beau coréen. Aucune obsession des grands yeux ou de fossette. Au Japon, la chirurgie esthétique sert à ressembler à une américaine. Partout, la publicité utilise des modèles occidentaux, avec au passage toute la part de racisme que l’Occident lui-même produit puisqu’à la très rare exception de Softbank, ces modèles sont tous blancs et majoritairement blonds. Quand je demande pourquoi la publicité utilise des modèles blancs occidentaux, la réponse est invariable.
Parce qu’ils sont beaux.
Cela sous entend il que les japonais ne le sont pas ? La présence militaire américaine n’explique pas cela, auquel cas l’Allemagne et la Corée connaîtraient le même phénomène. C’est typiquement japonais. Et c’est dommage. [dropcap1]C[/dropcap1]ar à l’arrivée, ce pays méprise ce qui fait son identité en contrebalançant ce vide par un discours ultra-chauvin, cocardier, suintant le ringard et puant le kitsch disneysien et la viande américaine.
Si vous voulez voir un spectacle de Noh, c’est quasiment impossible car bien souvent les spectacles commencent à 16 heures, en semaine. Ce qui en prive les jeunes, les salariés, et confine ce type de spectacle à un public d’initiés vieux et pensionné. Si vous cherchez un CD de shamisen, il vous faudra très souvent aller au rayon « musique du monde » car ici personne ne considère la musique japonaise ancienne comme de la musique classique à part entière. Si vous conversez avec vos amis japonais et qu’ils vous parlent de leur dernier repas au restaurant, ils vous préciseront toujours s’il s’agissait d’un restaurant japonais, un qualificatif qui normalement ne devrait pas s’imposer (les français précisent ils qu’ils sont allés dans un restaurant français?), mais auront un grand mal à vous préciser de quel type de cuisine japonaise il s’agissait, trouvant votre question étrange (alors qu’il y a des différences notables entre les différentes régions de l’archipel). Si vous bavardez et tentez de partager votre enthousiasme pour l’histoire, la religion, éventuellement en japonais, il est fort probable qu’au fil de la conversation, quand arriveront les questions, l’un de vos interlocuteurs vous demande si « vous aimez les sushi ? »… Car s’intéresser au Japon présente pour beaucoup quelque chose de curieux. Ce qui est le mieux partagé ici, c’est l’ignorance de ce qui fait le Japon, au profit d’une sorte de bouillie mêlant fierté d’être japonais et ignorance du monde… D’où le peu d’insistance à exiger des étrangers, surtout occidentaux, qu’ils s’expriment en japonais.
Et d’où l’inexistence des couples mixtes dans les séries télévisées et au cinéma, malgré la réalité de ces couples dans le monde réel. Avec, comme toujours, l’exception qui confirme la règle, le pitoyable « boifurendo ha gaikokujin », mon petit ami est étranger. Pour rire, une fois, j’ai demandé à un élève qui me citait ce livre s’il s’agissait d’un Chinois. Il m’a répondu, très sérieusement, qu’il s’agissait d’un américain, en faisant une tête qui voulait dire que je posais des questions vraiment étranges. Un étranger est forcément américain, n’est pas… Le livre est une sorte de manga lamentable, le récit d’une jeune japonaise face au « choc culturel » que constitue la vie avec un « gaikokujin » qui, bien entendu, ne parle pas japonais (si je me souviens bien), oublié d’enlever ses chaussures, etc, etc.
Pourtant il y en a, de belles histoires d’amours entre japonais et étrangers. Pourtant, certains étrangers vivent ici depuis des années, sont mêlés à la vie de ce pays, y travaillent, mais dans les médias règne une invisibilité qui me rappelle les années 70, quand la seule image des étrangers était le programme du dimanche matin, Mozaique, un programme que mon père haïssait tant cela puait le ghetto à Arabes destiné à dire que l’« on pense à ces gens là »… [dropcap1]J[/dropcap1]e ne réclamerai jamais que le Japon retourne à ses kimonos. Mais l’ignorance de sa culture, de son histoire, d’un mode de vie, leur sacrifice sur l’autel du surdéveloppement et du bétonnage, le souci particulier qu’on eu ses élites de sortir à tout prix le pays de l’Asie alors que presque tout l’y enracine est quelque chose que je ne parviens pas à comprendre. Ce soir, ma dernière élève en est une parfaite illustration. Elle veut être musicienne classique, mais ne connaît pas Maria Callas, à sejournée brièvement en Suisse mais est incapable de reconnaître le nom de Jean Sébastien Bach. Elle n’a aucune culture. Non pas qu’elle soit idiote, mais simplement parce qu’elle appartient à la génération du cravachage à concours d’entrée en université et n’a pas la moindre curiosité, réduisant le savoir à des fiches et des listes destinées à être déglutinées lors des examens QCM, comme beaucoup de jeunes ici. Je ne sais pas, moi… Quand j’aime quelque chose, je dévore sur le net, à la bibliothèque. La plupart de mes étudiants jeunes me répondent la même chose : leur loisir préféré, c’est dormir…
En été, un peu partout de grandes esplanades sans arbres construites récemment révélent à quel point la modernité n’est ici toujours pas assimilée aux réalités de ce pays que frappe un soleil brulant comme le soleil du sud algérien.
On continue demain ?
De Tôkyô,
Madjid
Tristement exact…Un billet que j’ai toujours voulu écrire, je partage entièrement.
Bonjour, Charles,
Merci pour le commentaire. Comment vas-tu ? Difficile de constater le décalage entre tout ce que nous apprenons de ce pays quand nous nous passionnons pour lui, et le vide dans lequel la culture ambiante se maintient… C’est pourtant un pays à l’histoire riche.
Amitiés,
Madjid
Tristement exact…Un billet que j’ai toujours voulu écrire, je partage entièrement.
Bonjour, Charles,
Merci pour le commentaire. Comment vas-tu ? Difficile de constater le décalage entre tout ce que nous apprenons de ce pays quand nous nous passionnons pour lui, et le vide dans lequel la culture ambiante se maintient… C’est pourtant un pays à l’histoire riche.
Amitiés,
Madjid
Tristement exact…Un billet que j’ai toujours voulu écrire, je partage entièrement.
Bonjour, Charles,
Merci pour le commentaire. Comment vas-tu ? Difficile de constater le décalage entre tout ce que nous apprenons de ce pays quand nous nous passionnons pour lui, et le vide dans lequel la culture ambiante se maintient… C’est pourtant un pays à l’histoire riche.
Amitiés,
Madjid
on continue demain, bien sûr, quelle question !! 🙂