Il fait très chaud tous les jours, on dépasse les 35 degrés allègrement et sous le soleil on doit bien atteindre les 40 degrés ou plus. C’est éprouvant et agréable à la fois. Ça me fait le plus grand bien en tout cas, Tôkyô, le travail, le virus, les bruits du monde, tout est loin, je n’ouvre même pas Facebook ni même Instagram, je crois que c’est la première fois que ça m’arrive, être à ce point déconnecté et ça aussi, ça me fait le plus grand bien. Hier, j’ai écrit un court billet et je ne l’ai même pas partagé sur Facebook ni ailleurs comme j’ai l’habitude de le faire. Tant pis, je dois aussi ne plus du tout penser à « être lu ». Me lis qui le veut, hein…
Hier, c’était vraiment comme un retour aux sources, Daitoku-ji mais surtout le Kinkaku-ji, le « Pavillon d’or », absolument déserté. La dernière fois, ce devait être fin 2010, le 31 décembre, après une longue journée sous la neige, il y avait un monde… Et encore cette année-là le Japon n’avait accueilli que 7 ou 8 millions de touristes, l’an dernier on a dépassé les 30 millions… Ils ont installé des espèces de portiques pour contrôler les flux, il y a du personnel partout, et tout ça est désormais totalement inutile: il n’y a personne et on est revenu à quand j’ai visité le Japon la première fois, même bien moins. Personne. Quelques jeunes tout au plus.
Dimanche midi, un gardien qui était à l’entrée d’un parking et contrôlait la circulation devant la gare de Kyoto me fait des grands gestes comme si j’étais un crétin qui ne savait pas qu’une voiture allait passer, et puis une fois la voiture passée, je reprends la marche et il me fait un signe en me disant, en anglais, « thank you for your cooperation », j’ai cru que j’allais lui balancer un point dans le figure, à ce crétin, en lui hurlant dessus, « espèce de connard, y’a plus de touriste, dans ton pays de merde, et en plus y’a 100000 étrangers qui peuvent même pas revenir, espèce d’idiot, et puis pourquoi tu me parles en anglais, connard, ça te plairait qu’on te parle en chinois quand tu visites un pays étranger? », et puis je suis passé calmement, mon humeur emballée dans mon Tatemae habituel, un vague hochement de tête avec un vague sourire dedans en passant à côté de lui, c’est comme ça qu’on fait, ici. Connard.
En me promenant dans le jardin du Kinkaku-ji, j’ai retrouvé la sensation de première fois au Japon, et ma fin de journée en a été totalement changée, innocente, presque. Cette absence de touristes est agréable, même si ici ou là on voit des commerces fermés qui vraisemblablement ne rouvriront pas. Moi que cela faisait presque rire il y a encore quelques jours, des fois, humeur moqueuse à cause de cette obsession pour les JO, là, ça m’a rendu presque triste car les japonais sont perfectionnistes et on peut voir qu’ils avaient mis le paquet pour accueillir du monde, et patatras. Ce n’est pas drôle, en réalité.
Comme quoi une belle promenade loin des réseaux sociaux, loin de la ville et dans des lieux maintes fois visités, aimés, rien de tel pour nous laver du cynisme dans lequel on peut parfois se laisser enfermer pour se protéger. Il faut être blindé, des fois, au Japon, entre les sièges vides à côté de nous dans les transports, les regards en biais et les crétins « can you use chopsticks? », et puis finalement, une fois tout cela remis à sa place dans un coin de sa tête, il ne reste plus que le pays tel qu’il est, avec de bien beaux endroits et pas mal de gens finalement très agréables, tout cela dans une nature luxuriante en été.
Le pays autrefois tant aimé est toujours là, intacte, délivré des photos Instagram, des touristes en kimono, des boutiques de souvenirs envahissantes et des guides qui vous harcèlent en vous parlant anglais.
Je suis aux anges.