J’ai décidé d’avancer dans le noir, sans visibilité, comme un aveugle. J’ai décidé de faire confiance à mon guide
Je vais désormais pouvoir revenir sur ce blog. À force de retenir ce que j’avais sur le cœur, j’en étais arriver à ne plus pouvoir écrire ce journal, peut être la peur de devoir le regarder en face. Désormais, je suis beaucoup plus clair avec moi-même, j’ai enclenché les changements esquissés ou redoutés l’an dernier dans un long article où je vous exprimais mes doutes au sujet de tout, ma vie au Japon, ma relation avec Jun, tout. Il me faut désormais tout recommencer à zéro, enfin, presque. Repartir serait peut être plus juste.
Je me suis séparé de Jun samedi dernier. Je ne m’entendrai pas trop sur ce sujet, une séparation après 8 ans et quand le quotidien et l’habitude avaient pris l’allure d’une éternité n’est pas une chose qui se raconte en quelques lignes. Cela a été une très grande douleur pour moi, je sais que pour lui à la douleur s’est ajouté une dévastation devant quelque chose qu’en réalité il redoutait mais que dans son petit cœur il cachait de peur de finir par y croire. Je lui ai brisé le cœur et il faut une volonté que je ne me connaissais pas pour ne pas céder ni reculer. Jun et moi entretenions une relation dénuée de maturité, sa vie s’était calquée sur la mienne et je m’étais installé dans son tempérament. Progressivement, une relation fraternelle a pris la place de la relation amoureuse. Mon seul tort est de ne pas avoir été suffisamment mûr, courageux, pour rompre avant. Je ne regrette pas cette séparation, mais elle me pèse comme un poids, lourd, au creux du ventre. Je suis devenu, moi aussi, un briseur de cœur, et cela me peine car je ne voulais, vraiment pas, ni le blesser, ni lui faire de mal. Mais je ne pouvais pas, aussi, installer notre relation dans le mensonge et l’infidélité. Il avait vu ces photographies de Nori sur Facebook mais il n’en avait soufflé mot. Peut être pensait il à une infidélité passagère. Ce qui l’a surpris est l’idée que j’en arriverais à rompre. Le mal était donc plus profond, il ne l’avait pas vu venir. Jun et moi avions une relation toute en confiance et je pense que cette rupture est la forme ultime de cette confiance que nous avions bâtie. Jamais il n’y a eu de mensonge et c’est peut être pour cette raison qu’un grand calme s’était installé entre nous. J’ai rompu en quelques mots, nous sommes devenus deux frères, il m’a regardé, et il a fondu en larme comme un torrent trop longtemps refoulé, oui, il y avait pensé. Je l’ai pris dans les bras et je l’ai embrassé sur le cou, je lui ai pris la main et nous avons pleuré dans les bras l’un de l’autre. Il n’y avait pas de mots, nous sommes restés à pleurer ainsi, amoureux pour une dernière fois, non plus amoureux de nous mais de cette histoire de huit ans que nous avions vécue. J’ai revu, je revois encore, nos promenades sans fin, nos regards qui se croisent avec un petit sourire en coin. Mais pourquoi faut il qu’une relation s’achève?
Peut être un peu ma faute. Il n’y a jamais eu réellement de synergie entre nous, c’est le temps qui nous a soudé, ce sont les épreuves, le chômage après Nova, le chômage après Lehman. Et puis pour tout dire chez lui une infinie gentillesse, et chez moi un désir profond d’aimer. Le temps nous a réuni, c’est aussi le temps qui nous a séparé. La longue semaine, loin de lui, ne se voir que le samedi soir et le dimanche jusque minuit, dernier train, chaque semaine recommencée, son incapacité maladive à sociabiliser. Je ne lui reprocherai jamais ce qu’il est, jamais. Mais peut être aurais-je du me montrer plus exigent avant que ces habitudes d’une relation toute en autarcie ne s’installe, car j’ai beau être incroyablement solitaire au fond de moi, je suis aussi profondément sociable. Je suis donc désormais séparé de Jun.
Cela faisait longtemps que cette relation me pesait, mais j’hésitais à regarder la situation avec lucidité, et encore plus à agir. J’ai rencontré Nori au début du mois de septembre. J’ai immédiatement été séduit par le personnage, car Nori est un personnage. Je l’écoutais parler, les mots sortaient de sa bouche sans s’arrêter, et je me suis revu, jeune, ayant rencontré quelque mec, en train de parler, parler, parler sans même m’apercevoir que le type n’avait rien à faire de ce que je racontais et qu’autre chose seulement l’intéressait. Parfois, au bout de deux heures, le type me faisait comprendre que c’était l’heure de partir… Nori parlait, parlait, et c’était comme si je revivais. En fait, plus il parlait, plus je le désirais. Ses paroles me nourrissaient. Je le regardais, il bougeait, son corps était incroyablement vivant, son visage décrivant des expressions variées. Il loupa son métro et j’étais ravi de le garder chez moi pour la nuit. Mon cœur a été conquis en une soirée. Il détailla son emploi du temps au travail avec spontanéité, comme si déjà il était question de se revoir. Il avait pourtant un petit ami, et moi j’avais Jun. J’étais très gêné. Il m’écrivit messages sur messages l’après midi, je commençais à mesurer ce que je venais de faire. Le soir, il m’envoya une photographie de son ami. Il se moquait de lui. Je fus pris soudain d’une réelle angoisse. Je regardais son ami, face collée à l’ordinateur, en train de jouer, et je le trouvai lamentable. Cette irruption soudaine dans son univers me glaça. Peut être un mélange de jalousie et de trop soudaine intimité qui allait ruiner la routine et le calme de mon existence. Je sommai Nori de ne plus me contacter.
Sitôt fait, j’éprouvai un curieux sentiment. Une délivrance, mais aussi un regret. J’entendis comme une sorte d’appel venant de Nori, je compris bien qu’il n’aimait pas ce type, et cela accrut un malaise sourd qui ne fit que s’accroître avec le temps. Nori n’a plus quitté mon esprit depuis notre rencontre. Un soir, en novembre, j’allai à Nichôme, je voulais voir du monde, m’alcooliser. Le bar me fit l’effet d’un enfer, je picolai, picolai, bavardant au téléphone avec Yann. Mais qu’est-ce que je fais dans ce pays. Et voilà que j’avouai à Yann que, ben oui, j’avais quelqu’un en tête.
Je recontactai Nori dans les jours qui suivirent, et à ma grande surprise, il accourut. On a commencé à se voir, c’était purement sexuel, mais en réalité, je dois avouer que sa personnalité, sa présence me délivraient. Quand je suis parti en France, j’avais Nori en tête, tout le temps. Je lui ai envoyé des messages régulièrement, regrettant d’être séparé, et cela, ce n’est pas un désir sexuel, mais le début d’une affection réelle, un truc que je n’avais pas cherché, un truc que je n’avais pas réclamé, un truc qui finalement m’avait surpris. À l’hôtel, à Dubaï, peu avant de sortir, je lui ai envoyé une photo de moi plein pied. Dans ma tête, j’avais finalement compris.
J’étais amoureux. Comme je ne l’avais pas été depuis longtemps. De retour à Tôkyô, Jun était à peine sorti du train qui nous ramenait à Tôkyô que je contactai Nori. Je ne sais pas s’il saura un jour que ce message, alors que je n’avais pas dormi pendant plus de 30 heures, était ma première déclaration d’amour. Voilà, Nori, je suis de retour, tu m’as manqué, on se voit ? Il accourut.
Moi, deux jours après, je tombai gravement malade. Fièvre, toux. Docteur, antibiotiques. Et puis grippe aussi. Je ne l’ai pas beaucoup revu. De son côté un truc se préparait.
Il allait déménager, me dit il, un dimanche, fin février. Bien. Dans ma tête, j’imaginais des vas et viens, j’allais peut être pouvoir lui dire que j’étais attaché à lui. Et puis, au hasard de Facebook, je découvris qu’il emménageait avec l’autre.
L’autre, j’en avais déjà fait une crise de jalousie, stupide. Nori voulait m’inviter dans un salon-chocolatier. J’avais vu les photographies sur son mur, avec l’autre type, une sorte de vieux beau sur le retour, un nez pointu à la Jacques Chirac, le niveau zéro de mon gaydar. Je me sentis downgradé au niveau d’un employé de bureau otaku. Moi. Je résistai à Nori, refusai l’invitation. Hors de question de passer après ce mec. Si encore il avait été séduisant, me disais-je. Nori m’a avoué par la suite qu’en fait, il n’avait pas vraiment contrôlé sa relation avec lui, qu’il avait été gentil après une séparation d’avec un autre mec. Qu’il ne l’aimait pas, et qu’en réalité c’est l’autre qui avait tout monté pour déménager, que lui en réalité n’y tenait pas. Il me dit que cela ne changerait rien. Je doutais sur ce point, et je ne le suis pas trompé. L’autre ringard a mis la main sur son petit jeune de 28 ans, il a un super appartement. Je ne raconte pas plus ici, mais je dirai juste que ce type est une chiure. Nori ne dit pas tout, mais je sais.
Nori et ce type avec sa tête de beauf ont donc emménagé ensemble. Appartement moderne, onzième étage. Moi, j’ai eu des moments de tristesse assez forts à ce moment là, sentiment de gâchis. Mais je ne sais pas pourquoi, j’ai voulu garder le contact, alors j’ai écrit des mails, on a continué à se voir. Désormais il y a une sorte de couvre feu, Nori ne peut pas rester. On a commencé à se voir pour bavarder, aussi, grignoter. Et chatter. Il y a eu des disputes chez lui. Nori ne le considère pas comme son mec. Là aussi, je ne raconte pas. Dimanche dernier, Nori m’a posé une drôle de question le matin par email. Le soir on s’est vu, je lui ai demandé pourquoi il m’avait posé cette question, j’ai entendu sa réponse, pas celle qu’il m’a faite.
J’ai dit à Nori que je l’aimais, je lui ai proposé d’être ensemble et de l’officialiser. Nous allons nous pacser. Je suis désormais totalement plongé dans une histoire qui ne m’appartient pas et dont Nori à toutes les cartes. Je vis une situation incroyablement inconfortable. La nuit dernière, mon cerveau m’a plongé dans un rêve où se mélangeaient une situation relationnelle confuse, la confusion du lieu et l’absurdité d’une situation kafkaïenne. Certains me suggèreront de me méfier, car je suis pris dans une sorte de trio que non seulement je ne souhaite pas et qui aussi ne m’offre aucune visibilité.
J’ai décidé d’avancer dans le noir, sans visibilité, comme un aveugle. J’ai décidé de faire confiance à mon guide, parce que c’est cela aussi, être un couple. Je sais que Nori et moi vivrons ensemble, et que nous nous marierons. Je sais qu’il est attaché à moi, et qu’il mesure la légèreté avec laquelle il s’est engagé dans cette vie commune avec l’autre. Le petit garçon naïf en moi a retrouvé la vie, j’ai abattu toutes les résistances, toutes les protections, toutes les appréhensions. Je suis réaliste, je suis lucide, il n’y a aucun rêve, juste la frustration d’un quotidien irrationnel où je me trouve aimé par celui que j’aime sans pouvoir vivre cette passion comme je le voudrais. Mais qu’importe… J’ai rencontré un jeune homme qui parle, qui explose de rire, et qui me donne envie de rire, et qui fait le lit au matin sans que je lui demande, et qui ne cache pas sa vie, et qui a des bagages aussi lourds que les miens, un garçon avec lequel je suis enfin en vacance de toutes les protections, transparent. Un garçon a qui j’ai envie de dire oui à tout, mais à qui je n’hésite pas non plus à dire non. Un garçon que j’aime, et qui m’a tant de fois démontré qu’il m’aimait, à sa façon.
Dans la brume qui m’entoure désormais quand je regarde cette situation, il apporte les petits éclats nécessaires pour ne pas perdre sa main. Parce que si la brume donne l’illusion que c’est moi qui vais vers lui, je sais pertinemment que c’est lui qui vient vers moi, et qu’il sert ma main.
Madjid
Témoignage émouvant ! (petite coquille 1ere ligne 3e §, « mais j’hésitais », je le remarque en toute amitié il m’arrive de faire la même étourderie)
Témoignage émouvant ! (petite coquille 1ere ligne 3e §, « mais j’hésitais », je le remarque en toute amitié il m’arrive de faire la même étourderie)