La décennie 70 tirait sur son interminable fin, avec ses pattes d’éléphants en Tergal, ses chanteurs ringards, ses baby boomers revenus de leurs communautés à la campagne, ses militants désillusionnés mais encore plus arc-boutés sur leurs idées, ça puait la fin d’époque, la longue agonie des trente glorieuses, l’embourgeoisement confortable des classes moyennes trentenaires avec leur crédit immobilier et leur Renault 16, ça n’en finissait pas de finir.
Heureusement, c’est précisément à ce moment là, alors que la crise du capitalisme qui larvait depuis 10 ans et qui s’était finalement manifestée au grand jour au moment du « choc pétrolier », au moment précis où le chômage qui commençait son envol, où les « restructurations » et fermetures d’industries explosaient, bref, au moment exact où la réalité rattrapait certaines illusions, que la culture s’est mise à frétiller.
Yves Saint-Laurent avait bousculé la mode en 1971 en inaugurant la première collection ouvertement rétro, sa mode « poule 1940 » (dans la deuxième moitié de cette vidéo) en rupture totale avec la ligne moderniste inaugurée par le trio Rabanne-Courrèges-Cardin. Bien sûr, il y avait bien une mode rétro dans les années 60, avec ce clin d’oeil permanent aux années 20, mais cela restait relativement marginal car la culture, à cette époque, était irréversiblement tournée vers « le futur », « la croissance » ou « la révolution » ou encore « le retour à la nature ».
C’est précisément au moment où les illusions se sont dissipées, au moment même où Fourastier donnait à nom à cette époque qui s’achevait, « les trente glorieuses », que l’on put passer à une époque de l’instant, de l’immédiat, totalement en phase avec ce que nous vivions. Et pour les plus jeunes, passer soudainement à une culture de l’instantané, de la vitesse et de l’humour, le tout passé au pressoir des époques qui avaient précédé et qui nous faisaient tant rire tant elles semblaient lointaines, vieilles, de l’époque de nos grands parents.
Un sourire ironique nous prit soudain, avec un petit quelque chose d’attendri aussi. Les « fifties » étaient nées.
J’écris cela car j’en ai ras le bol de voir les années 80 limitées à une question de « look » ou à une question de « fric ». Le fric, c’étaient les boomers à partir du moment où ils se sont coupés les cheveux pour nous imiter, nous, les « post-boomers » au moment même où ils nous ont donné un nom, la génération « bof », et avant d’en remettre une couche en nous appelant « generation X ».
Ben non, nous n’étions pas « bof », mais c’est vrai que regarder leur installation dans la vie, à ces anciens soixante-huitards reconvertis en acheteurs de lave-vaisselle en costumes croisés, ça nous donnait un certain regard sur la vie, sur la politique.
Mais c’est finalement le moment où nous avons donné une emprunte à notre époque. Les années 80, c’est avant tout une attitude, beaucoup d’humour, une passion pour la vitesse, les choses nouvelles, les idées nouvelles, et la musique, beaucoup la musique, et énormément la danse, énormément la danse, avec des fringues pour y mettre de la couleur, même en costume noir.
On s’est mis à shaker les époques antérieures pour nous amuser, la mode a envahi la rue et les créateurs passaient leur temps en terrasses à nous scruter pour nous copier. Je dis « nous », c’est un nous collectif, bien sûr.
On était politisés, mais pas comme les babs. Pour nous, la politique n’était pas dans le discours, elle était dans les actes. Les baba militants, on les avait suffisamment vus à la sortie de nos lycées avec leurs beaux principes, la dégaine avachie à faire fuir le premier prolo, la première mama tunisienne. Pour nous, c’étaient des ringards. On avait une énergie du tonnerre. Ben oui, la danse, quoi!
Un truc marrant, c’est tomber sur cette vidéo d’un tube de l’année 82, un truc assez mauvais, typique de ce moment là, au sortir de la méga récession de 1980-82, ce que j’appelle la « grande glaciation », quand partout les synthétiseurs et les boites à rythme ont remplacé les violons de la disco. C’est bien sûr un youtubeur qui a fait ce montage, mais ce dont je me suis aperçu, c’est que ce montage transmet très exactement l’état d’esprit des années 80, ce sourire en coin, cette envie de danser comme dans ces films, de s’habiller comme dans ces films, pas parce que c’était élégant, non, juste parce que ça pouvait être marrant. Nouveau. Frais.
Depuis, il y a eu les années 90 et progressivement on est passé à une sorte de réchauffé du cool, les tee-shirts, quoi. On a oublié qu’on peut se marrer avec des vêtements qui produisent un télescopage de couleurs, un gros splash visuel qui fait du bien, qu’on peut le faire en bande, « en tribus », comme on disait.
Il y a deux mois, j’avais partagé un article sur les rockabilys et les Vikings à Paris au début des années 80, plusieurs ont commenté que « ça devait être super », que « ça manquait », qu’ils étaient « trop classes », ouais, c’est vrai. Mais moi, je me suis retenu de répondre « mais putains, bande de baba cool, qu’est-ce que vous attendez pour vous y mettre, pour vous bouger, p’tain ». C’est vrai, les kids découvrent Farid Chopel et de son look, attend un peu et ils vont découvrir que Paul Personne était hyper classe et non, on garde le jean moche avec le tee shirt banal tout en disant que le capitalisme produit des vies aseptisées, conformes… P’tain de bordel! On se sapait classe pour moins de 10 euros – et c’est pour ça que cette histoire d’années fric me laisse pantois.
Je vous rajoute Janet Jackson. Les années 80, c’était beaucoup d’humour, une rage de vivre dans l’instant parce qu’on se disait qu’on pouvait se prendre une bombe atomique sur la figure à tout instant, parce qu’on savait que la crise économique allait pas être facile, mais en attendant, on voulait tout simplement s’amuser.
Allez, sapez vous mieux, et dansez, p’tain! Je vous dis pas « gigoter » ou lever les bras au ciel pour faire genre vidéo de David Guetta. Va falloir ça, pour l’époque pourrie où nous rentrons. Allez! Dansez!
(Photo de couverture, Vickings & Panthers Gilles Elie Cohen)
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