Le Blog de Suppaiku, journal bloggué de Madjid Ben Chikh, à Tokyo.

120 battements par minute: un navet ?


Il y en aura d’autres, de films, de récits et d’évocations, ce moment resurgira de l’ombre dans laquelle les trithérapies et l’envie de tout oublier l’ont enseveli. 120 battements par minutes sera alors le premier jalon d’une mémoire qu’il faudra reconstruire, un film fondateur malgré son incroyable imperfection.

120 battements par minute: un navet ? Bon… Commençons par quelques avertissements. Attention, spoilers

D’abord, je ne suis rien, ni personne, je ne revendique rien, et je ne suis pas une personnalité médiatique. Mon avis ne nuira donc ni au film, ni à ACT UP Paris. Je vous encouragerai même à regarder le film pour vous faire votre propre opinion.
Ensuite, j’ai rapidement compris que « l’intention était bonne », et c’est peut-être ce qui m’a le plus gêné pour mettre cet article en ligne. Cela étant, cela ne faisait pas dix minutes que je regardais le film que je me suis explosé de rire, et que je n’ai pu réprimer un « mais c’est vraie une merde ».
Et en même temps, je me suis retrouvé piégé entre le film, une mémoire encore vivante et cette intention des auteurs et réalisateurs de lui rendre la vie.

Et puis je dois souligner que cela m’a pris des années et des années, pour « pouvoir » le regarder, ce film. J’en ai été incapable durant tout ce temps, tout simplement. Cette histoire remue beaucoup trop de choses encore pour « regarder un film sur ACT UP Paris, cool! ».
Je m’y suis pris à trois fois, pour regarder Shoah de Claude Lanzmann, et pourtant je n’ai perdu personne dans un camp de concentration.

Je commence donc par ce qui ressemble à une conclusion pour économiser votre temps si vous avez adoré le film, si vous en concluez que je suis le roi des cons et que vous avez décidé de ne pas aller plus loin. C’est tout autant votre droit que le mien d’écrire ce que j’en pense.

J’ai donc mis des années à le regarder, ce film. J’ai acheté le DVD lors de l’un de mes passages par Paris, une année où je n’avais pas des masses de fric pour acheter des trucs, mais je l’ai acheté comme on achète un totem, et à mon retour ici, il a rejoint d’autres objets sur l’étagère, prenant la poussière en me narguant chaque fois que je le déplaçais pour nettoyer.

Des fois, il y a eu des envies de le regarder, et chaque fois un truc m’en a retenu. Je ne sais pas ce que j’en attendais, de ce film, je n’en sais rien. J’attendais sans attendre, en fait. Je savais que c’était une fiction, mais j’avais peur.
Peur d’avoir mal peut-être, parce que dire « ACT UP », c’est d’abord et avant tout dire une douleur, parce qu’ACT UP ne s’appartient pas, et qu’ACT UP raconte un NOUS, le NOUS d’une époque dont ACT UP a été la proue et le gouvernail qui NOUS ont évité le naufrage. NOUS avons toustes été ACT UP. Même si au départ cela n’était pas évident.

Et puis, un dimanche soir

Un dimanche soir, le 4 novembre, finalement, c’est venu un peu naturellement. De façon automatique. J’ai défait l’emballage plastique, j’ai branché le lecteur DVD sur mon Vieil iMac 27 pouces.
Et vite, très vite, je n’ai pas aimé.

Dois-je rajouter que je ne suis pas un militant d’ACT UP, car je ne l’ai pas été. Trop de respect pour le mot et ce que cela représente. J’ai eu ma carte une année, en 1991, j’allais à des RH, j’ai collé des affiches et participé à des actions, comme « Notre-Dame » (j’étais dans la foule devant, puis à terre au moment du die-in), avec les infirmières le vendredi matin, aux premiers décembre toujours, une fois à l’hôpital Tarnier (le destin: c’est là que dix ans plus tard je serai suivi par le docteur Pierre Morini).
C’est d’ailleurs cette fois que je vais « découvrir » Clews, au café où nous sommes allés après. Il y avait ce grand gars qui connaissait Balzac par coeur. Et assis en face de moi, Clews.
Pourquoi donc le « personnage central » du film, Sean, n’a-t-il pas de profession? Pourquoi n’aime-t-il pas Dalida…

Aucune chronologie

Comment peut-on construire un film sur ces, globalement, six années (1989-1994) sans même y mettre une chronologie? ACT UP s’inscrit profondément dans le temps. Il n’y a pas eu « ACT UP et puis voilà ».

ACT UP a eu les pédés et les autres associations à l’usure, littéralement.

Ce doit être durant l’automne de 1989 que j’ai entendu parler d’ACT UP pour la première fois. J’étais allé au Quetzal, le bar le plus populaire à cette époque. Quelqu’un m’a donné un tract, et dans le bar, tout le monde ne parlait que de ça. Je ne me souviens plus du contenu du tract, mais c’était suffisamment clair pour « nous » indisposer. Cet hiver là, tout le monde a détesté ACT UP, car avec la généralisation de l’usage de la capote, cela faisait à peu près un an qu’on recommençait à baiser à peu près comme avant.

Les backrooms avaient commencé à rouvrir et rue Saint-Maur, à Belleville, un ancien sauna s’était reconverti en bar avec backroom qui en plus, une fois par mois, devenait un immense lieu de drague avec l’ouverture d’une salle en sous sol. J’y ai croisé William Sheller de très nombreuses fois, accompagné de tapins glauques et je me demandais ce qu’il faisait avec eux, moi, je l’aurais suivi au bout de la terre gratuitement, Sheller… J’en parle sans problème car il a parlé de cette époque il y a quelques années. D’une façon déplorable, une vraie honteuse.

Alors ACT UP, ça a tout de suite été notre mauvaise conscience, le truc qui nous mettait le nez dans notre caca, dans notre refus de vouloir voir la situation catastrophique vers laquelle le silence sur l’épidémie et le déni nous entrainaient.

Ça crevait, ça souffrait en silence autours de nous, parmi nous. Mon ami Tim a été le premier à m’annoncer sa séropositivité. Il avait 22 ans, j’en avais 21.
On n’est pas prêt à ce genre de truc, mourir, à cet âge là. Au fil des ans, les Gay Tea Dance du Palace ont été traversés par une sorte de bruit de fond murmuré à l’oreille.
– Tu as des nouvelles de Machin? Ça fait un moment que je l’ai pas vu…
– T’as pas entendu? Tu savais pas?
– …

Le silence et la mort. Discrète.

Dans le film, il y a ces deux pédés qui disent à des militants qui collent des affiches de les laisser « baiser en paix ».

Problème, ça ne colle pas avec le moment du film, à sa chronologie, même complètement dilatée. En 1989, en 1990, oui, c’était très possible. En 1992, en 1993, c’était quasi impossible car alors c’était très simple: il y avait ACT UP, et puis c’est tout. Ce genre de scène ne représente pas du tout ce moment.

Cet hiver de 1989, ACT UP a été sur toutes les bouches, de toutes les conversations. Haïr ACT UP, ces empêcheurs de baiser en rond, était incroyablement banal. La ligne était généralement, « ils ont raison, mais… », et ce « mais » valait sanction définitive, irrévocable.
Le film passe complètement à côté de cela, et je vous expliquerai plus loin quels conséquences cela peut avoir sur la politique et le militantisme des années 2020.

Ensuite, dans cette époque, au tournant des années 80/90, aller à une manifestation de ACT UP était triste et glauque, non pas à cause de l’épidémie elle-même, mais bien à cause du manque de monde. Ma « chronologie » s’est elle-même dilatée, c’est que cela remonte à il y a bien longtemps, mais je crois me souvenir d’une de ces premières manifestations marquantes, devant le sénat. La droite majoritaire voulait y voter je ne sais plus trop quel texte réactionnaire, sérophobe et homophobe.
La manifestation a été incroyablement glauque, mille personnes peut-être, et tout le monde se regardait en chien de faïence en se demandant un peu ce qu’on faisait là en cette fin de journée du milieu de semaine. Le temps était gris. Il y avait toutes les associations, mais ce que nous voyions, ce que nous remarquions, c’était bien ACT UP.

L’énergie d’ACT UP était paradoxale, forte et presque absurde à la fois, c’était comme si ses militants portaient à eux seuls tout le poids de cette marche près du Luxembourg. Le film passe complètement à côté de cela : ACT UP, cela n’a pas été que des « zap » brillants et médiatiques, ça a été beaucoup, beaucoup de travail, d’effort et de sacrifice.

ACT UP, ça a été comme une mayonnaise, il faut beaucoup, beaucoup, beaucoup battre et rester persuadé que ça va prendre, quoi qu’il arrive. La force d’ACT UP est d’y avoir toujours cru.

La marche était glauque à souhait, on arrive près du Sénat et on se demande vraiment ce qu’on fait là. Et soudain, c’est comme de la magie. Les soeurs de la Perpétuelle Indulgence arrivent, et notre présence presque sans but a repris tout son sens, nous sommes non pas de manifestants en colère, mais des pédales en colère.

Les sourires sont apparus, l’humour, et l’amour aussi.

Il m’est impossible de dissocier ACT UP des Soeurs à cette époque, car Les Soeurs ont été de ces petits trucs qui ont rendu cette époque vivable. De ces trucs essentiels, une autre facette de la lutte et de la résistance à l’incurie de l’état.
Le film ne les évoque même pas, comme c’est dommage…

Bref non, ACT UP n’a pas été un zap par semaine comme ce récit a-chronologique le laisse entendre.

L’absence des lieux

Les premières réunions où je suis allé, fin 90-début 91, c’était à l’AGECA. Ça, ça m’avait fait sourire car l’AGECA, c’était vraiment la salle du militantisme de gauche. J’y avais suivi des réunions de Lutte ouvrière, une réunion de la LCR, une ou deux réunion de Homosexualité et Socialisme…

Les lieux sont les marqueurs d’un groupe politique, surtout quand les lieux changent. L’AGECA était une salle pouvant contenir peut-être 50 ou 60 personnes, on comprend pourquoi l’association a dû changer.

Et puis la variété des Lieux, ça montre comment une association « dure », traverse le temps. Il y a ainsi eu l’École des Beaux-Arts, et puis il y a eu cet amphi, enfin, près de la Place d’Italie. J’ai souvenir d’une RH où je suis allé, on devait être une vingtaine de personnes et Didier Lestrade tempêtait sur le manque de mobilisation.
Une seule personne était toujours là à chaque RH où je suis allé (et je l’écris ici pour être clair, je n’ai pas dû aller à plus de 20 ou 30 RH), c’était la maman de Ludovic, et elle avait toujours le mot pour rappeler que le SIDA, c’était aussi l’affaire du sang contaminé.

Restituer les lieux, c’est rendre à l’association sa temporalité, ses réussites et ses échecs, c’est aussi montrer le changement progressif des profils militants. En 1994, les militants étaient clairement plus « extrême-gauche » qu’au début, et l’association n’était plus quasi-exclusivement homosexuelle comme elle l’était au début.

Restituer cette évolution aurait éclairé ses conflits internes entre séropositifs et séronégatifs, homosexuels et hétérosexuels, et l’arrivée progressive de militants trans et toxico.

C’est aussi cela, le succès d’ACT UP, avoir été capable dès le départ d’être un lieu chargé de potentiels, quasiment exclusivement pédé, avec des gouines s’y faisant progressivement leur place – en rupture avec la tradition des autres associations gay et leurs « commissions femmes » – et capable progressivement d’absorber de nouvelles couches de la société atteintes par la maladie.

C’est grâce à cela que finalement, en 1994, la Gay Pride a été la consécration d’ACT UP, avec la méga-sono.
Un chemin long, difficile, tortueux, qui a demandé à ses militants les plus engagés de toujours y croire, de sacrifier tout, même leurs égos. Cela, le film l’esquisse plutôt bien, ces disputes incessantes que couvrent la nécessité de rester ensemble.

L’absence de la culture pédé

Une chronologie fantôme et des lieux fantômes peuplés de militants sans époque, de figurants interchangeables. C’est ce qui m’a le plus sauté aux yeux, immédiatement.
Parce que c’est le truc sur lequel je suis le plus pointilleux.

Pour Didier Lestrade, chaque fois qu’il parle d’ACT UP, c’est la « charte graphique », la « typo ».

Moi, je suis tombé dans la musique baroque il y a près de 40 ans, et quand je dis musique baroque, j’entends avant tout « sur instruments anciens », et je pourrais vous raconter par le détail l’évolution du jeu des différents orchestres au fil de ces 60 années depuis la renaissance des musiques anciennes.

Alors, ce qui m’a immédiatement frappé, c’est l’absence totale de la culture pédé. La seule référence, c’est, éventuellement, les scènes où les militants dansent. On ne sait d’ailleurs pas trop pourquoi puisqu’il n’y a aucune référence à l’affiche « DANSER=VIVRE ».
Une sorte de musique, des bruits des pas, c’est sombre, on ne sait même pas où c’est.

Ils auraient pu dire que c’était « La Luna », ou le « Queen », ils auraient pu acheter les droits de titres de musique, je ne sais pas, mais ces scènes me sont apparues comme terriblement ennuyeuses. Une private référence, une abstraction qui échappera au spectateur et qui, dans vingt ans, ne dira rien du tout.

Aucun lieu de cette époque n’est ainsi mentionné. Le quartier Bastille, qui s’en souvient, c’était pourtant « le quartier » de cette époque, avec la Luna et une myriade de bars à la clientèle mixte comme ce bar avec des bondieuseries partout et plein de photos de sexe dans les chiottes. Le Lèche-vin.

On sortait des années 80, et tout cela a son importance car les 80’s n’avaient pas été que la décennie de Margaret Thacher.
Elles avaient été aussi une décennie terriblement créative tant en musique qu’en looks, et s’il y a bien une communauté qui y avait tenu sa place, c’était bien la communauté des pédés.

Et c’est cette communauté qui a été frappée le plus violemment par le SIDA, à Paris. Nos bars, nos boîtes ont fermé. Restituer les lieux, ne serait-ce qu’en les nommant, c’est remettre ACT UP au coeur d’une temporalité qui nous a vu changer.

Au début d’ACT UP, le look pédé dominant est le look « kiki diffusion », c’est à dire les cheveux courts, avec ou sans houppette, le bombers noir. Il y a encore beaucoup de Doc Martens même si les Caterpillars sont en train de les remplacer. Les jeans sont des 501, on les porte encore deux tailles au dessus de leur taille, la ceinture bien serrée. Certains audacieux portent des vestes de chantier Carhartt, d’autres portent un blouson aviateur en cuir.

Vers 1994, le look a vraiment changé, et chez les pédés, et à ACT UP. Chez les pédés, les Caterpillars ont gagné la guerre, les jeans sont beaucoup plus ajustés, il reste encore des Bombers mais ce n’est plus du tout le look dominant. Les cheveux sont courts, la houppette a disparu.
Chez les plus jeunes, on commence à voir des cheveux un peu plus longs. Et puis le goetee commence sa longue carrière chez les pédés avant de devenir vers 1996/97 l’étendard du métrosexuel.
À ACT UP, il n’y a plus de look dominant ni même de coupe de cheveux particulière, en fait, il y a vraiment eu un changement militant. Et c’est assez logique: beaucoup de pédés des années 80 sont morts, sont malades ou ont renoncé à militer.

J’ai dû aller à ma dernière RH en 1994 et j’avoue, ce n’était plus du tout la même association, et c’est vrai que l’ambiance était aussi beaucoup plus tendue.

Pas de musiques, pas de lieux pédés ni même de quartier pédés, pas de looks, le film dissout le temps et transforme l’association en une espèce de fantôme qui fait des zaps.
Dans un échange Facebook où j’écrivais que je n’avais pas aimé le film, quelqu’un m’a dit que le film était essentiel car il avait permis à beaucoup de jeunes de découvrir ce qu’avait été l’association et d’adhérer, mais que le problème est qu’ils voulaient « faire des zaps » et que, déçus, ils n’étaient pas restés très longtemps.

Comme je lui ai répondu, c’est exactement ce que j’en ai pensé. En transformant l’association en un objet hors du temps et hors de l’espace, il créée un gigantesque malentendu pour un public qui n’a pas connu cette époque.
Pour moi, il s’est juste avéré terriblement ennuyeux, un peu comme un concerto de Vivaldi joué sur des instruments (modernisés) du 20e siècle et joués comme on joue de la « musique classique », avec révérence et ce « beau son » des orchestres classiques. Un véritable calvaire.
Et pourtant, vous savez à quel point j’aime Vivaldi.

Bon, alors, en gros, c’est une merde?

C’est là que je suis le plus mal à l’aise dans mon jugement. Je suis partagé entre le fait d’avoir compris l’intention, de connaitre l’époque et des protagonistes, et ma simple place de spectateur.

D’abord, peut-être, il y a tromperie sur la marchandise. Présenté comme « un film sur ACT UP prenant pour modèle différents militants de l’association », le film est finalement beaucoup plus une histoire d’amour à ACT UP au pire moment de l’épidémie, et l’évocation tendre de l’une des figures emblématique de l’association à cette époque. Clews.

Le personnage de Sean, très fortement inspiré de Clews, est certainement le moins raté, il est d’ailleurs le seul qui change de coupe de cheveux (vague effet de temps qui passe… assez logique puisque Clews a effectivement laissé tomber la mèche 80s pour les cheveux courts), mais ça ne l’empêche pas d’être relativement inconsistant en tant que personnage. On ne sait pas quelle musique il aime, sa profession « avant » (il élude même la réponse), il se contente d’être radical.

Comme je l’ai écrit plus haut, je me suis retrouvé juste en face de lui une fois au café, et on a un peu bavardé. Ce grand garçon châtain (et dont je ne me souviens plus du prénom, on avait pourtant bavardé ensemble plusieurs fois suite à un collage), qui dévorait et redévorait Balzac assis à côté de moi, avait amorcé la conversation en le titillant.
Clews aimait Dalida et il était vraiment très pédé, très pédale, et amusant. Et pouvait d’un seul coup devenir très politique, presque cassant. C’était la première fois que je rencontrais ce qui m’apparaissait comme une contradiction du haut de mes préjugés débiles: on peut être une véritable pédale, être d’extrême-gauche et aimer Dalida. J’écris « extrême-gauche » mais on dira que c’est un raccourcis car je crois bien que Clews se fichait complètement de ce genre d’étiquette.

J’ai démarré mon analyse cette année là, et je me suis mis à lire Balzac un an plus tard. Toujours, j’ai repensé à ce garçon, et à notre conversation au café, à Clews et au jardin du Luxembourg, à l’hôpital Tarnier en ce jour frais et gris, nos pancartes sous les fenêtres dans le jardin près du Centre Descartes.

Je ne me souviens même plus pourquoi on avait fait cette action ni si je l’ai jamais vraiment su, de toute façon, j’approchais la phase ultime de ma dépression.
On devait être une vingtaine à tout casser, et comme toujours, je faisais partie de ceux qui restaient dehors.
Ça ne m’a jamais gêné, en fait, je m’estime même incroyablement privilégié d’avoir pu rencontrer ces militants incroyables.

Le film se recentre progressivement autours de la relation entre Sean et Nathan qui finira par la mort du premier, ressoudant le groupe au delà des nombreuses divergences.

Il s’éternisera au delà du supportable dans deux scènes de sexe interminables où ce qui s’y dit – et qui est, pour le coup, important -, aurait pu l’être autrement, en, par exemple, utilisant la bonne vingtaine de minutes qui y sont consacrées à narer l’histoire d’un jeune type, Sean, qui apprend sa séropositivité à 17 ans, « monte » à Paris puis « rencontre » ACT UP où il s’investit avant d’y rencontrer un mec bien, Nathan, séronégatif, qui restera seul et veuf.
Elle est là, la colère d’ACT UP. Au coeur de la vie. Et ce film est bien avare à la rendre, la vie…

C’est vraiment pas de chance que ce soit tombé sur toi

Une phrase d’une incroyable tendresse et beaucoup trop tendre pour n’avoir pas été dite pour de vrai. Elle « kind of »sauve cette insupportable scène de sexe.

Oui. Pour moi, ce film, pour tout ce que j’en ai pensé et que j’ai tâché d’écrire, c’est un navet ennuyeux, je ne comprends pas que le film ait eu la Palme du Festival de Cannes.
La bourgeoisie trouve régulièrement des moyens de s’absoudre, de s’auto-pardonner. C’est un peu comme ces lois mémorielles, on reconnait l’esclavage ou l’éradication de peuples natifs et on construit une statue que l’on inaugure en versant des larmes.

La mairie socialiste de Paris a ainsi inauguré une place Clews Vellay. Cependant, aucun socialiste n’a jusqu’à ce jour clairement déclaré que les gouvernements qui se sont succédé de 1984 à 1993 ont non seulement lamentablement échoué dans leurs politiques, mais qu’ils ont été, ce faisant, responsables de la mort de dizaines de milliers de personnes, par négligence autant que par lâcheté. Et qu’au delà, ces gouvernements « socialistes » ont trahi les homosexuels qui avaient mis tout leur poids et toute leur confiance pour que François Mitterrand soit élu.

J’aurais ainsi presqu’envie de dire que plus qu’une Palme pour un film mal construit, ce sont ces excuses là, c’est la reconnaissance de cette responsabilité là qui est nécessaire, et que ce faisant, on aurait alors une véritable reconnaissance de toute la légitimité des actions d’ACT UP, même des plus radicales, même les plus violentes.

Le film, lui, s’étend, s’étire sans jamais aller vraiment nulle part avec plein d’une sorte de fantôme recomposé d’ACT UP dedans, et pourtant, quand il s’achève, au delà de cet incroyable gâchis, il reste un sentiment de tendresse.

Le scénario reste cependant fidèle sur un point fondamental qui distingue ACT UP de toutes les autres associations: il ne s’apitoie pas, et cela à aucun moment.

Et ainsi, la scène finale, totalement incompréhensible pour qui n’a jamais vu l’affiche « DANSER=VIVRE » ni connu l’association à cette époque là, dit exactement cela. Comme dans le Chant des Partisans,
Ici, chacun sait ce qu’il veut, ce qu’il fait quand il passe…
Ami, si tu tombes un ami sort de l’ombre à ta place.

Il y en aura d’autres, de films, de récits et d’évocations, et ce moment resurgira de l’ombre où les trithérapies et l’envie de tout oublier l’ont enseveli.
120 battements par minutes sera alors le premier jalon d’une mémoire qu’il faudra reconstruire, un film fondateur malgré son incroyable imperfection.
Il ne méritait pas une palme, mais il devait être fait, et il n’en mérite pas moins qu’on le regarde pour nous souvenir de ce que nous avons traversé, pour encourager les chercheurs et pour nous souvenir, surtout, que pour chaque cause, au delà des militants et des combattants, il y a des personnes, il y a de vraies vies.

(j’expose ici des opinions personnelles qui ne sont en rien des « vérités », et que je voulais partager sur ce blog où elles ont toute leur place)

120 battements par minute est un film de Robin Campillo écrit par Robin Campillo et Philippe Mangeot, et sorti en 2017.

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Commentaires

3 réponses à “120 battements par minute: un navet ?”

  1. Tu sais bien que c’est impossible d’apprécier un film qui parle d’un truc qu’on connaît trop bien. On trouvera toujours pas ça à la hauteur de sa propre perception. Donc je ne suis pas étonné de ton opinion très étayée là-dessus.

    Le truc, selon moi, c’est que le film n’est pas du tout un documentaire, et pas non plus un film totalement fictionnel, et pas non plus une allégorie complètement abstraite, et c’est là où le bât blesse, à mon sens, il a le cul entre plusieurs chaises. Et même si je lui trouve plein de qualités formelles, et au moins le mérite d’évoquer ces sujets importants, bah j’ai aussi été un brin déçu (alors que je ne connais en rien ACT-UP de mon côté).

    J’aurais aussi adoré un vrai rappel de la vibe LGBT de l’époque (fringues, danses, musiques, bars), mais encore une fois le film est à la croisée des chemins dans sa forme, et c’est son défaut. Mais c’est aussi peut-être ce qui en fait un *bon* film, pas ouf, mais correct pour instiller des éléments pertinents et une bonne histoire, sans verser dans la peinture hyper précise, le documentaire ou la biographie d’une asso.

    J’avais écrit à ce propos également. ^^
    https://matoo.net/2017/08/30/120-battements-par-minute/

    1. Bonjour Matoo Watoo,

      Tous ces commentaires, cet article, datent de 2017, et il est fort possible que je me serais laissé happer par le film si je l’avais vu à cette époque, mais il m’a été totalement impossible de le voir. Je pouvais pas. Au fond de moi, il y a eu une résistance, une envie d’oublier ces années où il faisait gris tous les jours, même quand il faisait beau. Ces années glauques qui me laissent la sensation d’avoir sombré avec le Titanic. L’insouciance et la légèreté, l’innocence des années 80, tous ces bars, ces boîtes et ces lieux, et il y en avait plein, nos amitiés, tous ces garçons amants d’un soir, d’un jour ou d’une vie, jeunes, tout sourire, avec nos looks et nos musiques, et puis tout se retrouve emporté avant même qu’on s’en aperçoive, exactement comme le Titanic, certains parmi nous tentant encore de s’amuser comme ils le peuvent avant que le bateau ne sombre et qu’il ne reste que… ACT UP pour hurler, et nos larmes pour pleurer.
      Et puis un jour, les trithérapies arrivent, voilà, la lame est passée, et on a pris dix ans. Même à trente ans, au fond de nous, on en a quarante et même soixante.
      Personne ne veut revivre un tel naufrage.
      En 2017, je n’étais pas prêt à affronter ces souvenirs.
      Vu pour la première fois il y a un mois, donc, je n’ai pas aimé du tout, le film est mal construit – ou peut-être porte-t-il la marque d’un certain « cinéma d’auteur » dans sa pire acception. Les personnages n’ont aucune profondeur, il n’y a aucune temporalité, et il ne fait aucun doute que les jeunes qui ont adhéré à ACT UP après avoir vu le film ont dû être terriblement déçu parce que pour obtenir les résultats d’ACT UP, il a fallu des années et un boulot monumental, ce que le film ne narre pas puisque le temps y est totalement inexistant, narrant l’histoire d’une association imaginaire faisant un zap après l’autre… Comme si…
      Je n’ai pas aimé It’s a sin, mais la série m’a beaucoup plus touché car pour le coup, Davies a essayé de retranscrire l’époque. Le résultat est très maladroit car, comme je l’écris plus haut, il est très difficile de vraiment investir nos propres souvenirs sans raviver une douleur profonde, mais les personnages « racontent » quelque chose qui les dépasse, quelque chose que nous avons toustes vécu.

      Bises

  2. […] le président des pédés himself, a laissé un commentaire au sujet de mon billet sur 120 battements par minutes.J’ai visité son blog où il avait publié un billet au sujet du film en 2017, et j’y […]

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