J’ai mis de la mauvaise musique en fond, enfin, je suis injuste, disons de la « variété ». 宇多田ヒカル/Utada Hikaru. Je crois que j’ai tout, d’elle. C’était mon époque mp3, quand je téléchargeais tout ce qui trainait… Là, c’est カラーズ/colors. Qu’est ce que ça a du être redoutable, ce tube… C’est resté 3 mois à l’Oricon. Pub Toyota. Vidéo clip… tout a concouru à maintenir les ventes et la présence partout… Je l’ai vécu avec 平井堅/Hirai Ken, l’an dernier. Un tube, au Japon, c’est terrible…
J’aurais presque envie de dédier ce jour à Colors, pourtant… Etrange ? Non… C’est une histoire curieuse, marrante, et puis triste, et puis refoulée, et ce n’est aujourd’hui plus qu’une chanson. Je vous laisse juge, je la mets en chargement avec ce titre, si ça vous chante.
Cette chanson, c’est exactement l’époque de ma contamination. Je me souviens avoir téléchargé la pub à mi-janvier 2003 sur le site (génial) de CM Japonaise de Laurent Magnani, avant qu’il ne change sa formule suite à divers piratages. Maintenant, j’avoue, j’y prends moins de plaisir… A l’époque, on pouvait trouver chaque jour de nouvelles pubs. Je le remercie au passage, je trouvais ainsi un peu de ce Japon qui commençait déjà à me manquer très fort. C’est qu’à ce moment, je n’y avais pas encore mis les pieds…
Je bossais beaucoup à ce moment là, entre BNP Paribas le jour et l’INALCO le soir… De vraies journées de dingue. Je relachais donc le vendredi soir et généralement j’arrosais pas mal la soirée et finissais dans tel ou tel bar, entre telle ou telle main. Autant dire que tout attentif que j’ai pu être dans mes rapports sexuels, je n’ai pas été assez vigilant. Mais il faudra tout de même qu’on m’explique pourquoi des mecs décident, eux, de n’en avoir plus rien à faire, refiler le HIV.
(Je suis toutefois très content sur un point, c’est que ce mec n’a pas gagné, malgré ma contamination. Je ne lui ressemble pas, et pour ma part, je suis guéri : je souris sans me forcer, je fais la gueule quand j’en ai envie, et je réécoute Colors… Lui, il doit continuer à de moins en moins être beau, à contaminer comme il peut, bref, à être minable. Je le plains car je sais qu’il va vieillir vite, et qu’il est même déjà assez vieux, un pied dans la tombe… Pas une tombe réelle, non, mais une tombe dans la tête, une pente qui descend, un mauvais karma… Et puis j’ai gagné aussi car je ne m’en veux plus, de m’être fait contaminé, et la médecine est à ce sujet d’un très grand réconfort. Le VIH n’est pas mon histoire, il n’est pas ma vie. Le VIH fait juste parti de mon histoire, il est juste dans ma vie. Avec Ozu, Greenaway, Barbara, Sheller ou Ferré, avec mon IBook G4, avec mon dico électronique de japonais, avec mon voyage au Japon de dans 15jours. Etc. Avec mes amis. Les barebakers n’ont pas dépassé le stade SIDA, le VIH est leur vie, baiser sans capote est comme une activité à plein temps, qui donne un sens à tout le reste. On m’a éjaculé dans la bouche. Après tout, c’est des choses qui arrivent, et en soi, je trouve cela assez cocasse… Mais je ne sais pas si vous me suivez, là… quand je dis cocasse ! Enfin, j’avais rien vu venir, j’étais saoul, j’avais rien demandé à personne, et ça tombais à pic, je sortais d’une angine, avec de jolies petites irritations qui ne demandaient que ça ! Cela étant, d’après le médecin, à la vigueur de ma primo infection, il suppose que le gars était lui même en primo infection… Ah, je vous jure ! Et après je chipote et je ne veux pas voler avec AEROFLOT… Ces mecs, c’est le VIH, qu’ils aiment et qui les fascinent, pas le sexe ! Moi, j’adore le sexe ! C’est ludique, distrayant, et en plus il y a plein de trucs marrants qui font beaucoup de bien, non seulement à soi, mais dans le plaisir et le jeu partagé. Dans un vrai rapport sexuel, il n’y a pas de domination, il n’y a que du plaisir égoïste et partagé à la fois… Voyeurisme, torture, folie des grandeurs, etc, tout est possible ! Je trouve ça sympa… )
Je sortais beaucoup et donc, Colors était le tube du moment. Clip (à regarder si ce n’est encore fait, en chargement sur le titre). Pas que j’aimais la chanson, non. Mais c’était mon nouvel ordinateur IMac G3 600 et le haut débit dégroupé de Free, le téléchargement facile, et puis un vague côté 80’s, minimalisme, géométrie de base, musique répétitive. Il faut avouer qu’Utada Hikaru s’est surpassé à ce moment là. 桜ドロプス/Sakura drops avait déjà été un tube, avec un très joli clip où elle était une de ces Princesses de la lune qui hantent les légendes anciennes de la Chine et du Japon…
Après avoir appris en mai 2003 que j’étais séropositif, je n’ai plus pu entendre ce morceau, comme associé de fait à un bonheur perdu, un monde ancien et désormais inabordable.
C’est qu’avant cela, ç’avait été sympa : l’INALCO m’avait rapproché du Japon, j’y avais rencontré de nouvelles personnes, et puis j’avais repris le travail à BNPP, c’était méga speed, à Opéra, j’avais perdu du poids, j’étais végétarien, j’avais achevé ma thérapie, je m’envolais, quoi ! Je projetais de déménager, partir enfin au Japon, j’avais 2 correspondants là bas… Et alors c’était enfin l’éveil de ma libido après un très long sommeil. Autant dire que la séropositivité, ce fut plus qu’une claque.
Un arrêt brutal, sans avertissement, sans bande d’urgence, avec le monde qui passe à côté, un sentiment d’injustice, une envie de mourir.
Alors Colors…
Je me souviens aussi du générique si triste de l’animé フルーツバスケット/Fruits Basket… とても嬉しかったよ、君が笑えかけっていた… Ca me faisait chialer… On devient con, quand on chope un truc pareil après avoir traversé l’époque qu’on avait traversé. Ces visages qu’on ne voyait plus, le sentiment d’être un survivant…
Je suis parti au Japon comme un soldat va en permission. Heureux mais crispé, conscient des batailles qu’il y aura à livrer. Mon obsession était d’échapper au traitement, de ne pas être malade.
Hum…
L’année qui a suivi est comme un long hivers, entre deux étés : mon voyage en septembre 2003 et mon voyage de 7 semaines en octobre novembre 2004. J’ai fini par lacher l’Inalco, et j’ai même fini par regrossir, arrêter la piscine, remanger de la viande. Mais mon voyage de décembre janvier, voyage surprise, m’a réveillé. Ca a été l’électrochoc total.
J’ai redécouvert l’imprévu, le sexe (Takeshi était un très bon amant, con, mais très bien de ce côté là), j’ai enfin pu tout relâcher. A mon retour, et même si j’ai pris beaucoup de poids, j’ai enfin recommencer à penser en terme d’avenir. A me dire que c’est maintenant ou jamais.
Bref, c’est maintenant depuis mars de cette année.C’est décidé à commencer un traitement que j’ai revu mon médecin fin mai. C’est pour cela que je retourne à l’Inalco plutôt que partir pour Londres, et c’est sûr que je boucle aussi mon année. Même si quand j’écris cela, je n’y crois pas du tout. Mais je sais aussi que ce n’est qu’une question de travail. Et que c’est cela, et seulement cela qui me sortira vraiment de ma torpeur. Qui me remettra dans ma direction.
Et c’est ainsi que désormais Colors devient une chanson souvenir. Une vraie soupe, mais qui me rappelle des souvenirs forts. Tiens, comme deux garçons très différents.
En 2003, en février, je suis rentré un matin avec un très très beau Chinois de Shangai, 22 ans. Vraiment très très beau. On a fait l’amour, c’était très bien. Eh bien, c’était cette nuit là que j’ai fini le chargement du clip… Et puis le 31 décembre, après une soirée chez Stéphane et Véro, vers 5 heures du matin, cet autre petit Chinois tout mignon d’à peine 20 ans, sur un quai de métro, on arrive chez moi, il a flashé sur le clip. Il m’a demandé de lui passer au moins 5 ou 6 fois. Souvenir amusé. Il était assis sur mes genoux… J’ai perdu le premier quand il est parti, j’ai eu du mal à me débarrasser du second… Le monde est mal fait…
Voilà, je vous laisse écouter Utada Hikaru. Et je me dis que j’ai eu quand même beaucoup de chance de ne pas avoir vécu cela au moment de La danse des Canards…
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