À mon énième tour, il apparut. Je fus surpris. Pas un coup de foudre, plutôt une grande familiarité. Nous marchâmes jusque chez moi, c’était septembre, il faisait bon. Il portait un bermuda beige. Vite, je le trouvai amusant, je nous revois traverser, bavarder. Il me parlait, comme si on se connaissait depuis longtemps, de choses et d’autres.
Voilà une semaine, je vous racontais ma situation, ma séparation avec Jun, ma rencontre avec Nori. Je vous confiais cette confiance que j’avais en lui, mais également le sentiment d’incertitude dans une relation dont je ne maitrisais pas les termes. Les choses ont continué en ce sens jusqu’à un absurde dont je ne peux vraiment démêler les fils.
Pour la première fois de ma vie, ma rencontre avec un homme est devenue un sujet d’écriture, pour la simple raison que finalement, quand on aime vraiment quelqu’un, il devient une part intégrale de l’existence, et l’écriture fait partie de ma vie. Nori est donc entré dans ce journal sans que je n’y mette aucune pudeur. Il n’y a aucun préjudice pour lui de toute façon, juste une surexposition pour moi qui risque le ridicule d’une séparation, mais c’est finalement bien peu de chose, car même les séparations font partie de la vie et sont une part des histoires d’amour. Le mot est écrit, mais il planait comme une crainte sourde la semaine dernière déjà… Mais peut-on parler de séparation quand ce qui est uni n’est pas vraiment, pas encore uni… ?
J’aime Nori. Je l’aime depuis notre rencontre. Et pourtant ce jour là fut une véritable partie de cache-cache de sa part. J’allais d’agacement en énervement en ravissement. Nori, je l’ai rencontré sur Grindr. Je ne suis pas un habitué de l’application, ma relation avec Jun était exclusive.
Pourtant, je ressentais depuis le premier jour avec Jun une insatisfaction réelle malgré un calme auquel je croyais aspirer. Jun et moi n’avons jamais parlé de sentiments, nous nous sommes installés dans l’habitude de nos rencontres et de nos promenades, de nos vacances. Il a été une épaule fidèle quand j’en ai eu besoin. Jun est un petit frère, il n’a jamais été un grand amour. Peut être de son côté cela fut différent… Bref, il m’est arrivé de chercher un coup, comme on dit, sans concrétiser, en me finissant à la main, pour faire bref. En 8 ans, avant de rencontrer Nori, je n’ai eu « que » 2 infidélités. Ça fait beaucoup dans une relation exclusive; ce fut très peu pour une relation insatisfaisante sexuellement pour moi, mais mon affection réelle pour Jun faisait le reste.
Ainsi, il m’est arrivé de chercher sur Grindr ou d’autres sites, et de laisser tomber, lassé. Je ne suis plus tout jeune, ces sites sont lassants. Je suis un pédé de la nuit, des jardins, ces lieux magiques où j’ai rencontré des amants merveilleux.
Les canards, je crois vous avoir raconté cette histoire. Les canards… Tiens, d’ailleurs, cet amant de 14 juillet au petit matin qui me reveilla de ma sieste alcoolisée en me caressant les cheveux gentiment, au bord de la Seine sous le jardin Sully, alors que les canards eux aussi émergeaient de leur sommeil, eh bien cet amant portait un anneau au téton, comme Nori. Je revois les yeux de ce garçon aux cheveux châtains, remplis d’amour, alors que les premières péniches passaient et que les effet du magic cake se dissipaient. La soirée avait été arrosée et épicée. Pascal-Abel, Bertrand, bal du quai des Tournelles. 1996? Les canards…
Les sites de rencontre me gavent, et pourtant début septembre, alors que ma relation avec Jun s’était muée en une relation quasiment fraternelle, je re-downloadais Grindr, une application que j’avais découverte suite à un article dans Minorités et que j’avais parfois utilisée pour tromper l’ennui de ma vie sentimentale.
C’est Nori qui me mit le grappin dessus. Il m’apprit le soir qu’il avait passé la journée à boire du rhum avec deux amis qui partaient pour Hong-Kong. L’un d’eux travaillait pour une société où j’ai moi-même travaillé (ceux qui suivent n’auront aucun mal à comprendre de laquelle il s’agit), et cela ravit Nori de me connecter à ses deux amis : en fait, Nori lui-même travaille pour une société informatique qui travaille pour ladite société. Il y a des hasards comme ça.
Nori m’écrivit des messages de façon intermittente, érotiques, sérieux, et nous passâmes très vite sur iMessage car Grindr était devenu inutile. Jusqu’au soir la correspondance dura, avec de grands moments d’absence, je me demandais dans quel traquenard j’étais allé me fourrer. Il m’apprit, alors que j’étais en métro pas très loin de chez moi, qu’il était à Ueno. Un vague sentiment de panique me gagna car ce n’était pas loin de chez moi. Je lui réclamai une photo de lui, il était devenu invisible sur Grindr (Yann m’a appris hier qu’une astuce Grindr consiste à bloquer les mecs qu’on branche comme cela on devient invisible pour eux et on peut continuer à draguer… les copines sont lamentables, je n’y aurais pas pensé moi-même, anyway), ce qu’il refusa. Je lui donnai rendez-vous devant Andersenn. Visible et sûr, pensai-je.
Il fut pourtant invisible 15 minutes, je tournai dans la gare, me haïssais de tomber dans un panneau pareil. Je reste persuadé qu’il m’a regardé le chercher, qui sait, peut être a-t-il envoyé une photo de moi à ses amis pour avis… À mon énième tour, il apparut. Je fus surpris. Pas un coup de foudre, plutôt une grande familiarité. Nous marchâmes jusque chez moi, c’était septembre, il faisait bon. Il portait un bermuda beige. Vite, je le trouvai amusant, je nous revois traverser, bavarder. Il me parlait, comme si on se connaissait depuis longtemps, de choses et d’autres. Il était allé manger dans un restaurant TexMex, avait bu et bavardé.
Chez moi, on bavarda de choses et d’autres, et puis on baisa. Cela faisait des années que je n’avais pas embrassé quelqu’un comme ça. Et je suis un good kisser comme on dit… Il était vivant non seulement quand il marchait, il l’était aussi quand il embrassait. Il loupa son métro, je le priai de rester, il fut embarrassé, mais il accepta. Il sortit deux fois fumer des cigarettes, on bavardait, moi, j’étais totalement séduit. On baisa trois fois. Le matin, on fit une selfie chacun, et on prit le métro, il pleuvait.
Là, il me parla de son schedule, de ses disponibilités. Moi, je commençais à réaliser que je n’avais pas commis ma « troisième » infidélité, mais quelque chose de plus dangereux, quelque chose qui demandait que j’y pense. J’avais écrit l’an dernier qu’il fallait que je quitte Jun, mais cette rencontre plaçait cette question sous un angle auquel je n’avais pas pensé. Il me quitta à Nihonbashi, je continuais ma journée, j’avais une leçon à 11 heures.
L’après-midi arriva une photo, le « je pense à toi » qui va avec, etc Le soir, la correspondance reprit. Je savais qu’il avait quelqu’un, il savait que j’avais quelqu’un, mais il m’avait parlé de son mec de façon très négative. Moi, j’avais abordé la question de Jun, mais de façon plus pondérée. Je n’accuse Jun de rien. Nori m’envoya soudain une photo de ce mec, planté devant son ordinateur, une dégaine de beauf, une vie de beauf. J’ai appris depuis que ce ringard gagne bien sa vie en travaillant peu, il y a des choses que je ne cherche plus à m’expliquer sur l’ordre du monde… Pour moi, cette photo, ce fut immédiatement panique. Je demandai à Nori de m’oublier.
En s’amusant de ce type, Nori me plaçait dans la position du possible nouveau petit ami, et pour moi, tout était allé trop vite. Nori devint un souvenir teinté de regrets, une nostalgie sourde. J’avais mis de côté un amant fantastique, parfait jusqu’au téton piercé comme un cadeau ultime de la providence pour me ramener aux canards, un garçon vivant, bavard, qui bougeait et qui me regardait dans les yeux avec malice ou étonnement, qui me demandait toutes les trois minutes pourquoi je riais et à qui je ne savais que répondre, en fait, parmi toutes ces années, je crois que c’était la première fois que je me trouvais en face du bonheur… Avec lui, je ne pensais plus. Enfin. Et dans les semaines qui ont suivi, j’ai compris que ce garçon avec des bagages aussi lourds que les miens, c’était pour la première fois la possibilité de les poser, ces bagages, et que et pour lui, et pour moi, c’était bien mérité.
Un soir de début novembre, et alors que de plus en plus ma relation avec Jun s’enlisait, que je me faisais l’impression que ma vie n’était plus qu’une reproduction du même avec les mêmes fleurs chaque weekend, me vint un soir l’idée d’aller à Nichôme. Je me retrouvai à me saoûler tout seul, enfilant bière sur bière, un tunisien vint me parler à cause de mon chapeau qu’il essaya, fit une photo de lui, et moi je passai le plus gros de mon temps au téléphone avec Yann à qui je confiai, enfin, que j’avais rencontré quelqu’un en septembre, et que cela devenait obsédant. Les autres types me semblaient fades. Ce soir là, falait que je fasse quelque chose, j’atterri dans un sauna mais ce ne fut pas une très bonne idée. Je fus vaseux toute la journée qui suivit. Une seule chose toutefois était sûre, j’avais Nori dans la tête.
Je le contactai le lundi suivant. Le lundi 18 novembre. Et il accourut, et à partir de là, nous avons commencé à nous voir de temps en temps, même si je sentais de son côté un désir très fort de me voir souvent. Il m’avoua que quand il baisait avec son copain, ça ne marchait pas et qu’il pensait à moi. Je ne sais pas si je lui avouai, mais en réalité, c’est à cette époque là que Nori est devenu mon seul et unique amant, avec Jun, nous étions désormais totalement sexless. Un soir, alors que nous grignotions des restes de fromage avec du Beaujolais, il me reparla des ses amis partis à Hong Kong, et de ses goûts. Chaque fois que je le rencontrais, mes sentiments s’éclaircissaient.
Nori est un garçon fait pour moi, il réussit un truc très rare et que la suite a confirmé : il abolit toutes mes barrières, toutes mes pudeurs, toutes mes protections, je n’ai pas honte d’être nu dehors ou en dedans de moi parce que je reconnais en lui beaucoup de choses en moi. Il était totalement amoureux de moi.
Restait un problème épineux. Jun. Le voyage en France approchait. En réalité, je ne pouvais pas plaquer Jun avant, en fait, je souhaitais que cela fut une dernière chance, et c’est vrai que quand il a débarqué à Roissy avec sa petite valise noire, je l’ai aimé d’amour. Jun est un petit bonhomme que j’adore. Avec moi, le petit garçon recroquevillé et introverti s’est ouvert. Mais la flamme n’était qu’une flamme passagère, celle du regard sur l’autre longtemps attendu. Jun est asocial, il ne parle pas, mieux, il ne fait pas d’effort. Ces 8 ans, il m’a enfermé. Ce n’est pas sa faute, ça a été comme ça. Le grand frère en moi. Yann aussi m’a encouragé à faire un effort, alors que je lui disais que je continuais à voir Nori, et que le type avec qui Nori était ne valait pas cher. Yann avait raison, bien sûr, et ni lui ni moi ne pouvions imaginer que du côté de Nori les choses allaient changer. À Paris, pendant 15 jours, j’ai eu Nori en tête. Lors de la soirée chez Nicolas, alors que Jun était éteint, décalage horaire, aucun effort pour parler, je ne cessai d’imaginer Nori dans la soirée, bavardant en anglais, s’essayant au français, aidant à la cuisine. Il est comme ça, Nori. Il aurait été comme ça, Nori. Mes amis auraient compris pourquoi j’étais avec lui. Je lui ai écrit, et puis il aimait mes Selfies sur Facebook. Je suivais son périple à Nara avec Vance, son mec. Et je lisais ses messages. Lui et moi allions passer les fêtes loin de l’autre, mais nos esprits étaient ensembles. À Dubaï, je me suis pris en photo plein pied dans un miroir et lui ai envoyé : le sentiment de trahir Jun était totalement passé. Désormais, je serai avec Nori.
J’ai raconté la semaine dernière la suite des évènements. Mon retour et notre rencontre le soir même alors que je n’avais pas dormi depuis 30 heures, la tête encore à Dubaï. Sur le quai du métro Kuramae, Nori qui regarde le plan et mesure la distance de Kuramae à son travail et suggère qu’il peut rester chez moi, que c’est rapide… Moi, mon retour à Tôkyô a été un désastre. J’ai d’abord attrapé une vilaine toux qui a dégénéré en trachéite comme toujours, et à peine remis il y a eu la grippe. Et la neige. C’est durant cette période que son mec a préparé leur déménagement. Nori prenait la chose à la légère, mais l’autre a bien mis le grappin. « Pas folle la guèpe », comme dit mon amie Tarika.
Moi, je ne savais pas cela et à peine remis j’ai voulu le revoir. J’ai immédiatement senti que quelque chose était changé. Et ce changement s’est accentué avec le temps. On s’est vu de plus en plus pour bavarder, de moins en moins pour baiser. Cela ne m’a pas dérangé au début mais progressivement notre relation est devenue complexe. Il a eu beaucoup de moments de grande déprime, des disputes avec son mec, il boit beaucoup, beaucoup, et visiblement l’alcool et la drogue sont dans sa relation avec ce type. Nori s’impose une sorte de couvre-feu, Nori me dit qu’ils ne baisent plus tous les deux. Nori me dit des choses étranges. Un jour, il me dit que je ne devrais pas être avec lui, car il a peur de me décevoir, de me faire souffrir parce qu’il mentirait, qu’il me tromperait ou qu’il partirait. Lui demandant d’expliquer, sa réponse n’était plus que « je disais ça comme ça, au cas où ». Il me demanda de le demander officiellement comme petit ami, puis il me pressa de le demander en mariage. J’ai acquiescé, moi, je veux bien vivre avec lui. C’est un peu mon prince charmant, il m’a rendu à la vie. C’est en pensant à lui que j’ai enfin eu le courage de me séparer de Jun. Il m’a confié un épisode de dépression nerveuse sévère, ses histoires avec des mecs tarés, sa jeunesse. Depuis ma rencontre, depuis ces 15 minutes d’attente devant Andersenn à la gare de Ueno, je sais que Nori et moi, ce ne sera pas facile. Je veux dire, si ce doit être. Et je suis persuadé que ce doit être.
Un soir, alors que nous étions allés à Shibuya, il m’a fait marcher jusqu’à une grande maison. Là vivaient ces deux amis partis pour Hong Kong. Je me suis senti désemparé, jamais je ne pourrais, même avec la meilleure volonté, avec tout mon amour, offrir cela, et ça m’a rendu malheureux. Il parlait, parlait, envoyait des mails avec des photos de leur ancienne maison à ses amis et il ne voyait pas que j’avais perdu mon sourire, que j’avais envie de hurler, qu’il me renvoyait à ma solitude originelle, cette solitude que 10 ans d’analyse m’ont aidé à dominer, à maitriser, mais qui jusqu’à la fin de mes jours sera inscrite en moi. Nous repartîmes et je repris ma contenance. Avant, nous étions allés dans un bar gay où il était allé avec l’un de ses amis. Il me suggéra même de les contacter pour retrouver un travail dans cette société… Je le laissai dire. Dans le métro, enfin, je lui demandai de m’épouser, puisque cette demande était si importante à ses yeux. Il a ce pouvoir de casser ma pudeur comme aucun autre que j’ai rencontré dans ma vie.
En fait, depuis notre rencontre, je me suis aperçu qu’il ne dérangerait pas ma vie, qu’il l’accompagnerait bien. Un soir, il est venu et nous sommes allés grignoter avec des amis, et il n’a eu aucun problème à bavarder, à exister. En fait, avec un garçon comme lui, ma vie trouve le sens qu’il lui manque. Regardez comme j’écris, regardez comme je n’ai aucune pudeur pour écrire, il me donne cette transparence nécessaire, il est en moi et soudain je suis, ma vie est évidence. Tiens, il serait temps, enfin, de lire La mise à mort, d’Aragon.
Le problème est que si de mon côté j’ai fait un énorme travail de dévoilement, je ne connais pas la réalité de son quotidien une fois qu’il rentre chez lui. Sa vie me fait l’effet d’une prison, et moi, il m’a mis dans une cage, appelons la Facebook Messenger. Il rentre chez lui. La semaine dernière, un soir, il était « occupé », il n’a rien ajouté d’autre. Nous nous sommes vus le lendemain, et il a été agressif toute la soirée, caustique serait d’ailleurs plus juste, et pour la première fois, son regard fuyait le miens. Qu’il veuille me quitter, il en a le droit, je ne veux contrôler la vie de personne. Mais qu’il me dise qu’il m’aime, qu’il veut m’épouser et par la même occasion me descende en critiquant tout de moi avait quelque chose d’étrange. J’ai une grande imagination, j’imagine beaucoup… Mais pour la première fois de ma vie, je suis prêt à ne pas juger.
Il a presque dédaigné mes cadeaux. Je veux bien admettre que 7000 yens ce n’est pas beaucoup, mais quand même, c’était Kyûkyôdô et La Maison du Chocolat. Oui, je sais, je fais des cadeaux d’aristocrates, des trucs élégants qui ne servent à rien…
Le samedi, suite à cette soirée, je lui ai envoyé un long message, puisqu’il est devenu impossible de se voir longtemps, malgré une proposition de mariage…, et donc impossible de parler de ce qu’est un couple, notre vie, etc Il a été long à réagir, mais je pense avoir été juste. Il a passé son après-midi à boire, seul. Je ne voulais pas lui faire mal, juste évoquer la réalité. Je raisonne en mari, en adulte, je ne veux pas l’embarquer sur une comète, et cela a eu un effet assez terrible car la réalité de sa vie avec son ami n’est pas ce qu’il souhaitait. Je ne parle même pas de moi, mais visiblement, l’autre pète un câble quand Nori rentre tard plusieurs soirs de suite… Nori est dans une prison. Moi, je suis le boyfriend sur Messenger. Une cage. D’ailleurs, quand je poste des photos de Nori en les bookmarquant, elles ne sont jamais sur son mur. Nori, pourtant, me dit que je suis son petit ami et Vance n’est plus rien du tout…
« Je pensais que tu ne quitterais jamais ton copain ». « je pensais qu’on pourrait être ensemble mais tu n’étais jamais libre ». Jamais Nori n’étais allé aussi loin dans ses aveux, et même s’il y pointe une absence de responsabilité de sa part dans le choix qu’il a fait d’aller vivre avec l’autre beauf, au moins y avait-il, enfin, une déclaration d’amour réel, des sentiments.
Moi, j’étais avec Pierre, de passage à Tôkyô. Nous sommes sortis à Omotesandô. Toute l’après-midi, toute la soirée j’ai cherché à convaincre Nori de venir. Il aurait adoré, je ne doute pas un instant. Il s’est cuité. Et ces quelques mots qu’il avait enfin écrits, c’était encourageant, au moins voyait il bien la situation et accepterait il d’en parler.
Dimanche, il me dit qu’il serait occupé. En fait, il devait aller faire une course dans Setagaya, il y alla à vélo, avec l’autre bien entendu. Il m’envoya plein de photos de fleurs, je blaguais, et lui dis que désormais c’était lui qui m’envoyait des photos de fleurs alors qu’il se promenait avec son copain, et moi qui était seul chez moi. Il me répondit d’abord avec une expression anglaise qui voudrait dire « un prêté pour un rendu »/ « chacun son tour » puis se ravisa et adoucit le ton. Il m’envoya ensuite une photo qu’il commenta par « Virgin road », un truc qui ne veut rien dire en français, mais qui veut dire le chemin de la mariée. Et il ajouta qu’on devrait dire la route des salopes. Je ris, et il commenta, « parce que tu es une salope (slut), n’est-ce pas ». J’ai d’abord tenté l’humour, mais il s’est fait plus insistant, grinçant.
Je n’ai pas fait 10 ans d’analyse pour accepter ce genre de question de façon sérieuse, j’ai tenté l’explication. En fait, je ne sais pas si je me suis tapé 100, 200 mecs dans ma vie, j’ai cessé de compter depuis longtemps, et je n’ai pas besoin d’énumérer les lieux ni les façons. Je ne me sens pas sale, ni salope pour autant. Et je pense que chacun dans sa vie, quelle qu’elle soit, a droit au bonheur. Je ne juge pas les gens, et je n’aime pas cet humour de pédale ringarde à coup de « salope ». J’ai tenté l’explication, il a clôt la conversation, et à partir de là, silence. On ne s’est reconnecté que tard dans la soirée. Entre temps, le bec cloué par sa remarque puis son silence, j’ai traversé Ginza seul, un dimanche, pour la première fois depuis longtemps. Mon premier dimanche sans Jun. Nori s’est excusé le soir, mais il s’est mis à me parler de cosmétiques. Je me demande s’il ne suit pas ce blog, à coup de traduction Google en anglais…
Depuis une semaine, sa présence sur Messenger est aléatoire. Il me zappe. Il a des réflexions caustiques. Puis il me zappe.
Lundi soir, toute la soirée, il m’a parlé de voitures, il lui faut une nouvelle voiture. Une obsession. Je lui fais remarquer en blaguant que je ne peux vraiment pas lui offrir une voiture, ses réponses se font grinçantes. Je lui demande s’il compte s’acheter une voiture, il me répond en gros qu’il veut se la faire payer. Ses réponses sont irrationnelles. Mais dans le lot, pendant une heure, il me parle de son père qu’il a perdu il y a trois ans. Un cancer. Comme le miens. Son père était prêtre bouddhiste. Mon père était prêtre, musulman. On porte le même nom, en fait, chargé de la même signification. Amusant, le hasard.
Il me zappe vers une heure trente du matin.
Je ne sais pas, machinalement, je décidé de recharger l’application Grindr. En fait, ça faisait un moment que je voulais le faire, j’avais pris un abonnement « Max », bref, je voulais vérifier qu’on ne me débite pas. J’ai regardé ces types, j’ai fait défiler. J’ai trouvé ça amusant et pathétique à la fois. J’ai éteint. Et je me suis couché. Comme tous les matins, je me suis réveillé, lui ai dit bonjour. Depuis quelques jours, pourtant je constate que son activité sur Messenger à changé. Je me reconnecte à Grindr, cette fois je contrôle les informations. Depuis 2 ans que j’ai pris une formule Max, il me reste 11 jours du mois que j’avais acheté. Pour un abonnement au mois, vous constaterez que ça ne fait pas une utilisation bien intensive… Attendant la réponse de Nori, je regarde ces types, essaie d’aller loin, au cas où je voyais Nori apparaître (mais Yann m’a expliqué depuis le coup du truc bloqué). Je ne change pas la photo, l’idée que Nori soit connecté ne me passe même pas à l’esprit. Au bout de 10 minutes, je laisse tomber. Certains mecs sont beaux, d’autres non, ça me fait l’effet d’un catalogue, je souris mais trouve ça en même temps assez triste. Tous sont là, affichés, dévoilés, et il y a même moi dedans. Nori me contacte et après un échange de 5 minutes, il me rezappe. Le midi, alors que ma leçon du matin est terminée, je suis dans l’escalier de la station de métro, et soudain je souris. Je repense à ce catalogue de mecs, j’étais l’un d’eux, et un jour j’ai rencontré Nori. Je delete l’application de mon iPad, et je pars pour l’école.
Vers 14:30 alors que je suis en pleine leçon je vois apparaître un message sur mon iPad. Nori me demande si je suis bien à Tôkyô. Discrètement, je parviens à répondre. En fait, le midi, je lui ai fait parvenir un lien vers un blog qui traite du PACS. Je souris, je pense qu’il veut vérifier que nous sommes bien dans la même juridiction. Mon cœur bat… Et le deuxième message arrive, cinglant. « Grindr me dit que tu es à 5.5 kilomètres lol ».
Nori et moi, c’est une relation qui m’a épuisé. Je suis heureux, et même maintenant, alors que j’écris ces mots, je suis encore dans une sorte de bonheur que je ne m’explique pas, tout simplement parce que j’ai le sentiment d’avoir trouvé quelqu’un de bien. Mais je suis épuisé. S’il n’avait pas vécu avec l’autre tâche, tout aurait été simple entre nous. Mais là… Son humeur se fait cassante, c’est très difficile pour moi. Seule l’affection que je sais réciproque me permet de tenir.
Alors, quand j’ai lu son message, je pense que mon étudiante a vu tout de suite. Le sang m’est monté à la tête. C’était comme un cauchemars, et il y en avait encore une couche… Passée la leçon, j’ai improvisé une réponse bancale, puis une deuxième. La vérité. À savoir que je n’étais pas présentement à Tôkyô, mais à mon travail et que ma localisation GPS en attestait. Et que oui, je m’étais connecté pour vérifier la situation de mon compte. J’ai tenté l’humour en faisant remarquées que lui même était sur Grindr. Et il m’a zappé. Et le soir un très bref échange, et il m’a zappé. Hier, il m’a zappé toute la journée. Le soir, il m’a zappé. Désormais, son Messenger est désactivé. Mais je sais qu’il suit ce que j’écris, je suis sûr aussi qu’il lit les messages désespérés que j’envoie puis efface tellement moi même je les trouve débiles. Vers 1:30, la nuit dernière, une idée me vient à l’esprit. Peut être m’avait il envoyé un message sur Grindr. Et je redownloade l’application. Et aucun message. Alors là, je décide d’effacer mon compte, ras le bol, abattement. Déconnecté, je repense à ce que m’a dit Yann. Je fais défiler les types, et soudain je vois apparaître le visage de Nori. Je fais une capture d’écran. Il répond de suite. Oui, et je te vois aussi, me dit il. Et vite il le rezappe, oyasumi. Avant de revenir et de conclure, en japonais, qu’on ne peut faire confiance à personne…
Dans cette histoire, je n’ai rien fait. Je n’ai eu aucun désir de faire. Et si Nori, de son côté, chassait des mecs, en réalité, je m’en fiche. Car je suis attaché à lui. Mais si comme il me l’a dit il se connectait pour me chercher, alors je suis inquiet.
Il y a eu quelque chose la semaine dernière, je ne sais pas quoi. A-t-il rencontré quelqu’un ? Est-ce avec son mec ? Je ne sais pas, mais il y a eu quelque chose qui a changé son comportement. J’ai pensé samedi avoir enfin touché quelque chose, mais il s’est refermé plus fort encore le dimanche. Il utilise cette histoire dérisoire.
On me dira que je m’épuise pour rien, mais je ne veux pas désespérer de lui. Je suis sûr que son affection est sincère. Ce qui m’inquiète, c’est qu’il soit en train d’entrer dans un nouvel épisode dépressif. Ce qui m’insupporte, c’est d’avoir été enfermé dans Messenger. C’est d’avoir été érigé en reine de vertu que je ne suis pas. Ma fidélité à Nori, elle est gratuite, c’est moi qui l’ai décidée, il y a plusieurs mois de cela. Elle s’incarne dans cette moustache que j’ai commencé à laisser pousser un soir où je lui ai conseillé de laisser pousser la sienne…
Nori me cache quelque chose. Ou alors il panique. Et il a décidé de me rendre responsable de la fin d’une relation. Soit qu’elle lui coûte soit qu’il y ait quelqu’un d’autre ou quelque soit la raison.
J’en suis là. Je vais utiliser ce que j’ai, ce blog, et peut être un peu plus, pour rétablir le contact car je suis inquiet pour lui. Je l’aime, et je sais qu’il m’aime. Et je ne veux pas le laisser seul. C’est aussi ça, être un couple.
Madjid